N° RG 21/08186 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N57G
Décision du
Juge aux affaires familiales de BOURG EN BRESSE
JAF
du 02 novembre 2021
RG : 20/01491
ch n°
[R]
C/
[W]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 23 Mars 2023
APPELANT :
M. [T] [R]
né le 06 Septembre 1940 à [Localité 15]
[Adresse 9]
[Localité 12]
Représenté par Me Dominique AROSIO, avocat au barreau de LYON, toque : 24
INTIMEE :
Mme [U] [W] divorcée [R]
née le 30 Mars 1949 à [Localité 13]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
Assistée par Me RINCK, avocat au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 17 Janvier 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 02 Février 2023
Date de mise à disposition : 23 Mars 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Claire ALMUNEAU, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [U] [W], née le 30 mars 1949 à [Localité 13] (71) et M. [T] [R], né le 6 septembre 1940 à [Localité 15] (54), tous deux de nationalité française, se sont mariés le 5 juillet 1976, devant l'officier d'état civil de [Localité 11] (01).
Ce mariage a été précédé d'un contrat de séparation de biens, par contrat reçu le 1er juillet 1976, par Me [D].
[V] [R] est née de cette union le 14 janvier 1977 à [Localité 11].
Mme [U] [W] et M.[T] [R] sont propriétaires indivis depuis le 23 octobre 1981 d'une maison située à [Localité 12] (Ain) à hauteur des 2/3 pour M. [R] et d'un tiers pour Mme [W].
Par requête du 7 octobre 2015, Mme [U] [W] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, d'une demande en divorce.
Par ordonnance de non- conciliation du 4 avril 2016, le juge aux affaires familiales a notamment attribué la jouissance du domicile conjugal, à titre gratuit à M. [R].
Par jugement définitif au 10 décembre 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, a :
- prononcé le divorce des époux [U] [W] et [T] [R],
- fixé la date des effets du divorce quant aux biens au 29 avril 2005 conformément aux dispositions de l'article 262-1 du code civil
Par acte du 12 juin 2020, M. [T] [R], a assigné Mme [U] [W] au visa des articles 267-1, 146-7, 840 du code civil, 1136 et suivants, 1361 et suivants du code de procédure civile, devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, pour qu'il soit statué sur la liquidation et le partage du régime matrimonial des époux.
Par jugement contradictoire du 2 novembre 2021, auquel il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le juge aux affaires familiales a :
- constaté l'échec de la tentative de partage amiable et déclaré recevables les demandes de M.[R],
- ordonné la liquidation et le partage judiciaire du régime matrimonial ayant existé entre les ex-époux [T] [R] / [U] [W],
- fixé à la somme de 600 000 euros la valeur du bien immobilier situé au n° [Adresse 10],
- accordé à M. [R] l'attribution préférentielle de l'ancien domicile familial indivis situé au [Adresse 10], cadastré section B n°[Cadastre 3], n°[Cadastre 4], n°[Cadastre 5], n°[Cadastre 6], n°[Cadastre 7], n°[Cadastre 8] pour une valeur de 600 000 euros,
- débouté Mme [W] de sa demande de vente aux enchères de ce bien,
- fixé à 3000 euros par mois la valeur locative du bien immobilier situé à [Localité 12],
- fixé à 2 400 euros par mois l'indemnité d'occupation due à l'indivision par M. [R] sur le bien de [Localité 12] du 4 avril 2016 jusqu'au jour le plus proche du partage,
- débouté M. [R] de sa demande de créance à l'égard de Mme [W] au titre de la Société CP Chimie,
- ordonné le partage conformément au présent jugement et désigné Me [S][X], Notaire à [Localité 11], aux fins de dresser l'acte de partage conforme, effectuer les comptes, procéder au calcul de la soulte finale,
- dit qu'en cas d'empêchement du notaire, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance sur requête,
- dit qu'en cas de refus par une partie de signer l'acte de partage, l'autre partie pourra saisir le juge aux fins d'homologation et dans ce cas, les frais de procédure seront mis à la charge de l'opposant ou du défaillant,
- débouté M.[R] de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Mme [W] de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leur part dans l'indivision,
- rappelé que les modalités de cet emploi sont incompatibles avec la distraction des dépens au profit du conseil de l'une ou de l'autre des parties.
Par déclaration reçue au greffe le 15 novembre 2021, M. [R] a interjeté appel de cette décision. Cet appel concerne les chefs suivants du jugement :
la valeur de l'immeuble,
le calcul et montant de l'indemnité d'occupation
les créances de M.[R] à l'encontre de Mme [W]
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 septembre 2022, M. [T] [R] demande à la cour :
- de débouter Mme [U] [W] de l'ensemble de ses prétentions,
- de réformer le jugement querellé sur les chefs d'appel, à savoir :
o la valeur du bien immobilier,
o l'indemnité d'occupation
o les créances de M. [R] sur son épouse
En conséquence :
- de fixer la valeur de la maison, sise à [Localité 12], à la somme de 315 000 euros,
- de dire que M. [R] est redevable d'une indemnité d'occupation à l'indivision sur 5 ans à compter d'avril 2016,
- de fixer l'indemnité d'occupation à la charge de l'indivision à hauteur de 1200 euros, par mois, soit 600 euros à la charge de M. [R],
- de fixer à la somme de 18 750 euros la créance de M. [R] sur Mme [W] au titre de la société Aseptan,
- de fixer à la somme de 7622,50 euros la créance de M. [R] sur Mme [W] aux titres de la société CP Chimie,
- de fixer à la somme 2984,70 euros la taxe foncière dont est redevable Mme [W], à son ex-époux,
- de fixer à la somme de 4060,87 euros l'assurance du bien immobilier dont est redevable Mme [W] à son ex-époux,
- de dire que s'ajouteront également au titre des créances à l'encontre de Mme [W] :
o les impôts sur les revenus qu'il a réglés seul,
o la taxe d'habitation qu'il a réglée seul,
A titre subsidiaire :
Si la cour ne s'estime pas suffisamment informée sur la valeur du bien immobilier et l'indemnité d'occupation,
- ordonner une expertise immobilière et désigner tel expert aux fins de :
fixer la valeur vénale du bien sis, à [Localité 12], dont les ex-époux sont propriétaires en indivision,
fixer la valeur locative pour chiffrer l'indemnité d'occupation,
- confirmer le Jugement querelle pour le surplus,
Y ajoutant,
- de condamner Mme [W] à payer à M. [R] une somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de dire que les dépens de l'instance seront pris en frais privilégiés de partage.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 avril 2022, Mme [U] [W] demande à la cour :
- de débouter M. [R] de sa demande d'expertise judiciaire tendant à voir fixer la valeur vénale du bien immobilier de [Localité 12](01),
- de confirmer le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bourg en Bresse du 2 novembre 2021 :
en ce qu'il a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux et désigné Me [X], notaire associé à [Localité 11] (01), aux fins de dresser l'acte de partage conforme, effectuer les comptes, procéder au calcul d'un soulte finale, procéder au calcul du montant de l'indemnité d'occupation due par M. [R] au jour le plus proche du partage,
en ce qu'il a accordé à M. [R] l'attribution préférentielle de l'ancien domicile familial indivis situé à [Localité 12], pour la valeur de 600 000 euros,
en ce qu'il a fixé à la somme de 3000 euros par mois la valeur locative du bien immobilier situé à [Localité 12] et fixé à la somme de 2400 euros par mois l'indemnité d'occupation due à l'indivision par M. [R] du bien immobilier de [Localité 12],
- de réformer ledit jugement en ce qu'il a fixé la période de paiement de cette indemnité d'occupation du 4 avril 2016 jusqu'au jour le plus proche du partage,
Statuant à nouveau :
- de fixer l'indemnité d'occupation due à l'indivision par M. [R] à compter du 29 avril 2005, date du départ de l'épouse du domicile, conformément au jugement de divorce du 10 décembre 2018 ayant jugé et validé que ledit jugement prendrait effet, dans les rapports entre époux, en ce qui concerne leurs biens, à compter du 29 avril 2005 conformément à l'article 262-1 du code civil,
- de dire que le notaire désigné procédera aussi au calcul de l'indemnité due par M. [R],
- de débouter M. [R] de ses demandes financières formulées à l'encontre de Mme [W] concernant les sociétés Aseptan et CP Chimie,
- de débouter M. [R] de sa demande en paiement à son profit de la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner M. [R] à payer à Mme [W] la somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront pris en frais privilégiés de partage.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
La clôture de la procédure a été prononcée le 17 janvier 2023.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur l'étendue de la saisine de la cour :
L'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que la cour n'est tenue de statuer que sur les demandes figurant dans le dispositif des conclusions des parties.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte'.
Par l'effet dévolutif de l'appel la cour connaît des faits survenus au cours de l'instance d'appel, postérieurement à la décision déférée, et statue au vu de tous les éléments justifiés même s'ils n'ont été portés à la connaissance de l'adversaire qu'au cours de l'instance d'appel.
Sont soumis à la cour, en lecture de l'acte d'appel et des dernières conclusions des parties, les points suivants :
- la valeur de l'immeuble indivis et son attribution préférentielle
- les créances sur l'indivision :
l'indemnité d'occupation,
les taxes foncières, la taxe d'habitation et l'assurance du bien immobilier
- les créances entre époux :
la demande de créance au titre de la société Aseptan,
la demande de créance au titre de la société CP Chimie,
les impôts sur le revenu
- les frais et dépens
Sur la valeur de l'immeuble indivis :
Au soutien de son appel, [T] [R] fait valoir que le bien immobilier a été acquis par les époux le 23 octobre 1981, pour un montant de 99'091,86 euros dans la proportion des deux tiers pour M. [R] et d'un tiers pour Mme [W], que pour réaliser cet achat, Mme [W] a fait un apport de 200'000 francs, soit 30'489,80 euros, que lui-même a fait un apport de 215'000 francs, soit 32'776 ,53 euros et réglé la somme de 8000 euros de frais hypothécaires, qu'il a en outre souscrit un prêt à la BNP d'un montant de 235'000 francs, soit 35'825,51 euros, qu'il justifie avoir réalisé des travaux à hauteur de la somme de 138'103 euros, outre le changement des fenêtres, que la somme de 214'000 euros peut être retenue comme montant total des travaux effectués, que contrairement à ce que soutient Mme [W], celle-ci a accepté la réalisation des travaux qui amélioraient le confort de la famille, que c'est de façon juridiquement erronée que le juge aux affaires familiales a ajouté le montant total des travaux à la valeur du bien immobilier, obtenant la somme de 529'000 euros, que si la valeur immobilière d'un bien tient compte des travaux réalisés, cette valeur correspond à la plus-value qu'ils ont entraînée sur la valeur du bien, que les estimations qu'il a produites aux débats font état d'une valeur d'environ 300'000 euros.
M.[T] [R] a précisé que la commune de [Localité 12] était un village à vocation rurale qui comptait en 2019, 351 habitants, dépendant de la communauté de communes de [Localité 11], que le village n'avait aucun commerce ni médecin.
À titre subsidiaire, M. [T] [R] réclame une mesure d'expertise immobilière afin de déterminer la valeur vénale exacte du bien ainsi que sa valeur locative.
Mme [U] [W] a fait observer :
- que comme en première instance M. [R] était dans la totale incapacité de rapporter la preuve qu'il avait fait effectuer des travaux pour un montant de 214'000 euros, que ce soit avant ou après les estimations effectuées à sa demande par les agences immobilières du secteur, qu'elle n'a pu accéder à ce bien immobilier depuis 17 ans, que le juge aux affaires familiales a légitimement estimé qu'il convenait de rajouter à la valeur reconnue par M. [R] de 315'000 euros, la somme de 214'000 euros au titre des travaux que M. [R] aurait fait réaliser pour son confort personnel et sans la moindre consultation de son ex- épouse indivisaire,
- que la simple prise de connaissance des photographies produites aux débats démontrent qu'il s'agit d'une maison «d'au moins 300 ans», sur trois niveaux, d'une surface habitable comprise entre 180 m² et 200 m², en pierres de caractère, édifiée sur un terrain clos d'une surface comprise entre 8000 et 10'000 mètres carrés, au c'ur du village, à côté d'une église classée, sans aucune mitoyenneté, à 20 minutes de [Localité 11] et de [Localité 14], que le village de [Localité 12] se situe sur le passage du chemin de grande randonnée n° 59, dans une zone verte très touristique à vocation viticole, que l'évaluation de 600'000 euros doit être retenue ce d'autant plus que depuis la crise sanitaire, les maisons en zone verte ont vu leur prix considérablement augmenter dans les zones proches des villes (20 % par an),
- que l'expertise sollicitée par M. [R] n'a pas vocation à suppléer la charge de la preuve qui lui incombe
Selon l'article 829 du code civil, les biens sont estimés, en vue de leur répartition, à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu'elle est fixée par l'acte de partage. Cette date est la plus proche possible du partage.
Les parties versent toutes deux plusieurs estimations au soutien de leurs demandes. En application de l'article 829 du code civil, il y a lieu de ne pas tenir compte des avis de valeur établis en 2015 à la demande de M. [R]. Les estimations plus récentes d'août 2019, du 9 janvier 2020 et du 8 avril 2022 produites par Mme [W], qu'elle a fait établir par l'intermédiaire du site meilleursagents.com, doivent également être écartées compte tenu de leur caractère particulièrement sommaire : il n'est en effet pas possible de connaître les critères sur lesquels la valorisation a été faite à l'exception de la mention d'une surface de 300 m² qui ne correspond manifestement pas à la surface du bien considéré.
L'estimation utile la plus récente a été réalisée le 9 février 2022 par l'agence Neyraud Immobilier, basée à [Localité 11], laquelle retient un prix de 310 000 euros et une valeur locative mensuelle de 1 500 euros après avoir pris en compte l'état global du bien ( avec des infiltrations d'eau dans les pièces du bas), sa localisation et des biens similaires récemment vendus dans le même secteur.
Il convient dès lors de fixer la valeur vénale du bien indivis sis à [Localité 12] à la somme de 315 000 euros et de rejeter la demande d'expertise formée à titre subsidiaire par M. [R].
Sur l'attribution préférentielle :
M. [R] sollicite l'attribution préférentielle de l'ancien domicile familial qu'il occupe seul depuis le 29 avril 2005, en faisant valoir que Mme [W] ne s'oppose pas au principe de cette attribution, les parties étant uniquement opposées sur son montant.
Mme [W] sollicite la confirmation du jugement qui a accordé à M. [R] l'attribution préférentielle du bien indivis pour la valeur de 600 000 euros. Elle fait observer qu'en application des articles 1476 alinéa 2 et 1542 alinéa 2 du code civil, l'attribution préférentielle n'est jamais de droit et qu'il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payée comptant.
Selon l'article 832-4 du code civil, les biens faisant l'objet de l'attribution sont estimés à leur valeur à la date la plus proche du partage.
L'article 834 du code civil prévoit que le bénéficiaire de l'attribution préférentielle ne devient propriétaire exclusif du bien attribué qu'au jour du partage définitif. Jusqu'à cette date, il ne peut renoncer à l'attribution que lorsque la valeur du bien, telle que déterminée au jour de cette attribution, a augmenté de plus du quart au jour du partage indépendamment de son fait personnel.
Il est constant que l'article 1542 du code civil, applicable au régime de séparation de biens, ne prévoit aucune cause de déchéance du droit à l'attribution préférentielle qu'il institue au profit d'un époux séparé de biens, au moment du partage des biens indivis après divorce. Il est ainsi impossible de subordonner le bénéfice de l'attribution préférentielle au paiement d'une soulte.
Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a accordé à M. [T] [R] l'attribution préférentielle de l'ancien domicile familial, mais de l'infirmer en ce qu'il a retenu une valeur de 600 000 euros à ce titre. La valeur du bien, fixée au paragraphe ci-dessus à 315 000 euros, sera ainsi portée à l'actif partageable en vue de sa répartition à hauteur des droits respectifs des parties dans l'indivision.
Les créances sur l'indivision :
- sur l'indemnité d'occupation :
M. [R] demande à la cour de le dire redevable d'une indemnité d'occupation à l'indivision sur 5 ans à compter d'avril 2016, date de l'ordonnance de non-conciliation, et de fixer son montant à 1 200 euros par mois, soit 600 euros à sa charge, exposant que cette indemnité due à l'indivision doit correspondre à la valeur locative du bien après imputation d'un abattement de précarité de 20 % à 30 %. Il ne remet pas en cause la méthode de détermination de la valeur locative par le juge aux affaires familiales qui avait retenu 6 % de la valeur vénale du bien indivis.
Mme [W] sollicite la confirmation du jugement sur le montant dont elle approuve également la méthode de calcul mais demande à la cour de dire que M. [R] est redevable de l'indemnité à partir du 29 avril 2005, date de son départ du domicile familial. Elle demande en outre de dire que le notaire procédera aussi au calcul de l'indemnité due par M. [R].
Selon l'article 815-9 du code civil, l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
En ce qui concerne le montant de l'indemnité d'occupation, il convient d'appliquer la méthode habituelle en la matière et de conserver le taux de 6 % retenu par le premier juge et non contesté par les parties. Le calcul réalisé sur la base de la valeur vénale de 315 000 euros déterminée plus haut permet de fixer la valeur locative annuelle du bien à 18 900 euros, soit à 1 575 euros par mois. Après l'application d'un abattement de précarité de 20 %, il convient de fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par M. [R] à l'indivision à 1 260 euros par mois.
L'article 262-1 du code civil prévoit notamment que la jouissance du logement conjugal par un seul des époux conserve un caractère gratuit jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, sauf décision contraire du juge.
Il est constant que la décision par laquelle le juge du divorce reporte ses effets patrimoniaux entre les époux à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer n'a pas pour effet de conférer à l'occupation du logement conjugal par l'und'eux un caractère onéreux avant la date de l'ordonnance de non-conciliation, sauf disposition en ce sens dans la décision de report.
En l'espèce, le jugement de divorce rendu le 10 décembre 2018 n'a pas dérogé au principe de la gratuité de la jouissance du logement conjugal jusqu'à l'ordonnance de non-conciliation, laquelle a attribué à M. [R] la jouissance du domicile conjugal à titre non-gratuit au titre des mesures provisoires.
Il convient dès lors de dire M. [R] redevable d'une indemnité d'occupation mensuelle de 1 260 euros à partir du 4 avril 2016 jusqu'au jour le plus proche du partage. Il appartiendra ainsi au notaire désigné d'actualiser cette créance.
- sur les taxes foncières, la taxe d'habitation et l'assurance du bien immobilier :
M. [R] demande à la cour de fixer aux sommes de 2 984,70 euros au titre de la taxe foncière et de 4 060,87 euros au titre de l'assurance du bien immobilier, les sommes dont Mme [W] lui est redevable et de dire que cette dernière lui est également redevable de la taxe d'habitation qu'il a réglée seul.
Il précise avoir payé seul les taxes foncières et l'assurance habitation depuis le 4 avril 2016, date de l'ordonnance de non-conciliation.
Selon l'article 815-13 du code civil, il doit être tenu compte à l'indivisaire des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation des biens indivis, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Il est constant d'une part que l'attribution de la jouissance privative du bien sur lequel la dépense a été faite n'interdit pas à l'époux occupant de se prévaloir d'une créance contre l'indivisionet d'autre part que les dépenses afférentes à la propriété du bien, parmi lesquelles la taxe foncière, la taxe d'habitation et l'assurance habitation, ouvrent droit à créance au profit de l'indivisaire qui les a supportées.
Mme [W] n'a aucune observation à faire valoir sur la nécessité de prendre en considération le montant des taxes foncières réglées par M. [R] depuis le 4 avril 2016.
En réalité, la somme de 2984,70 euros correspond dans l'argumentation de M.[R] à 30% du montant de la taxe foncière qu'il a payée depuis 2006 alors que seul doit être pris en considération le montant des taxes foncières payé depuis le 4 avril 2016 sur lequel M.[R] ne donne aucune indication.
En l'absence de tout justificatif sur le paiement de la taxe foncière depuis le 4 avril 2016, M.[R] ne peut qu'être débouté de ce chef de demande.
M. [R] justifie du montant versé au titre de l'assurance habitation pour les années 2016 à 2021 :
- 326,19 euros en 2016
- 345,94 euros en 2017
- 361,55 euros en 2018
- 376,06 euros en 2019
- 394,78 euros en 2020
- 408,62 euros en 2021.
Soit un total de 2 213,14 euros.
Mme [W] ne conteste pas le paiement exclusif de ces sommes par M. [R].
M. [R] peut ainsi faire valoir une créance à l'encontre de l'indivision pour les cotisations qu'il a réglées seul à hauteur de 2 213,14 euros au titre des primes d'assurance habitation, créance dont il sera tenu compte lors de l'établissement par le notaire désigné de l'état liquidatif ainsi qu'à concurrence de la somme de 2984,70 euros au titre du paiement de la taxe foncière.
M.[R] n'a communiqué aucun justificatif relatif à la taxe d'habitation de telle sorte qu'il ne peut qu'être débouté de ce chef de demande.
Les créances entre époux :
- sur la demande de créance au titre de la société Aseptan :
En 1977, M. [T] [R] et Mme [U] [W] ont créé la société anonyme Aseptan dont M. [R] était le président-directeur général et Mme [W] la directrice, l'objet social de cette société étant la vente aux collectivités et aux sociétés, de produits d'entretien. Au cours de l'année 2000, la société a rencontré des difficultés financières mais deux banques ont accordé un découvert de 15'000 euros.
M. [T] [R] fait valoir qu'à partir de l'année 2007, les banques ont refusé de poursuivre leur découvert bancaire, qu'il a alors investi dans cette société la somme de 37'500 euros, en fonds propres, que Mme [W] lui doit la moitié de cette somme.
Mme [U] [W] répond que M. [R] n'a produit aux débats que des talons de chèques, sans aucune valeur probante sur leur destinataire, que le responsable de l'agence LCL de [Localité 11], interrogé à ce sujet, n'a pu préciser l'identité des bénéficiaires de ces chèques.
M. [R] demande à la cour de fixer à 18 750 euros sa créance sur Mme [W] au titre de la société Aseptan, pour avoir engagé des fonds personnels afin d'éviter le dépôt de bilan de ladite société, à hauteur de 37 500 euros par l'intermédiaire:
- d'un chèque du 30 juillet 2007 pour un montant de 15 500 euros, tiré d'un compte bancaire personnel,
- d'un chèque du 15 juin 2007 pour un montant de 22 000 euros, tiré d'un compte commun mais utilisé uniquement par M. à compter de la séparation du couple.
Mme [W] demande à la cour de rejeter la demande de M. [R] dès lors que ce dernier admet que la société a été vendue, ce qui induit que les actionnaires ont été remplis de leurs droits par l'approbation des comptes. Elle ajoute que les pièces produites par M. [R] au soutien de sa prétention ne sont pas probantes à défaut de mentionner un quelconque destinataire des sommes versées.
La lecture des relevés de compte, de l'attestation émise par LCL et des talons de chèque produits par M. [R] ne permet pas d'établir que les versements allégués ont effectivement bénéficié à la société Aseptan et aucune créance ne peut donc être retenue à ce titre.
- sur la demande de créance au titre de la société CP Chimie :
La société CP Chimie a été créée en 2002. Mme [W] qui en était la gérante détenait 75 % des parts (Mme [V] [R] détenait 25 % des parts).
La société CP Chimie a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 24 janvier 2017 et Mme [W] a été désignée en qualité de liquidateur.
M. [R] réclame la somme de 15'245 euros à son ex-épouse pour le financement du capital de cette société, en faisant valoir qu'il a établi deux chèques, le premier d'un montant de 3815 euros et le second d'un montant de 11'450 euros.
M. [R] demande à la cour de fixer à la somme de 7 622,50 euros sa créance à l'encontre de Mme [W] au titre de la société CP Chimie, ce montant correspondant à la moitié de la somme de 15 245 euros qu'il a réglée pour financer la part de capital de Mme [W] lors de la création de la société CP Chimie.
Il indique avoir versé cette somme par l'intermédiaire de deux chèques d'un montant de 3 815 euros et de 11 450 euros, en date des 17 et 19 décembre 2001. M. [R] ajoute également que Mme [W] détenait 75 % des parts et que leur fille, Mme [V] [R], détenait les 25 % restants. Il précise à la fois que la société a été radiée du registre du commerce et des sociétés et qu'elle été vendue de manière discrétionnaire par Mme [W].
Mme [W] demande à la cour de rejeter la demande formée par M. [R] au motif, d'une part, que l'attestation émise par le responsable de l'agence LCL de [Localité 11] n'indique pas les bénéficiaires des chèques mentionnés par M. [R] et d'autre part, que l'attestation de Mme [V] [R] n'est pas probante pour avoir été établie le 5 février 2022, soit 21 ans après la création de la société CP Chimie et sujette à caution en l'état du contexte familial.
L'examen des différentes pièces versées aux débats par M. [R] ne permet pas d'établir avec certitude que les chèques qu'il évoque ont effectivement permis de financer la part de Mme [W] dans le capital de la société CP Chimie et il convient dès lors de rejeter sa demande.
- sur les impôts sur le revenu :
M. [R] demande à la cour de dire qu'il détient une créance à l'encontre de Mme [W] au titre des impôts sur le revenu qu'il a réglés seul mais aucune pièce n'est produite au soutien de sa prétention.
Il convient dès lors de rejeter cette demande.
Sur les frais et dépens :
M. [R] demande à la cour de condamner Mme [W] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, faisant valoir qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'il a été contraint d'engager pour la défense de ses intérêts et de dire que les dépens seront considérés en frais privilégiés de partage.
Mme [W] sollicite la condamnation de M. [R] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, estimant également qu'il serait inéquitable de laisser ces frais à sa charge et de le condamner aux entiers dépens qui seront pris en frais privilégiés de partage.
L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes d'indemnité qui ont été présentées en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront considérés comme frais privilégiés de partage.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Réforme le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal de Bourg-en-Bresse en ce qu'il a :
- fixé à la somme de 600 000 euros la valeur du bien immobilier sis au [Adresse 10],
- accordé à M. [R] l'attribution préférentielle de l'ancien domicile familial indivis sis [Adresse 10], cadastré section B [Cadastre 3] à [Cadastre 5] et [Cadastre 6] à [Cadastre 8], pour la valeur de 600 000 euros,
- fixé à la somme de 3 000 euros par mois la valeur locative dudit bien immobilier situé à [Localité 12],
- fixé à la somme de 2400 euros par mois l'indemnité d'occupation due à l'indivision par M. [R] pour le bien immobilier sis à [Localité 12] du 4 avril 2016 jusqu'au jour le plus proche du partage,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leur part dans l'indivision.
Statuant à nouveau :
Fixe à la somme de 315 000 euros la valeur du bien immobilier sis [Adresse 10],
Accorde à M. [R] l'attribution préférentielle dudit bien pour la valeur de 315 000 euros,
Fixe à la somme de 1 260 euros l'indemnité d'occupation mensuelle due à l'indivision par M. [R] au titre de la jouissance privative du bien sis à [Localité 12], du 4 avril 2016 jusqu' à la date la plus proche du partage,
Dit qu'il appartiendra au notaire désigné d'actualiser cette créance,
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.
Confirme le jugement rendu le 2 novembre 2021 en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
Dit M. [R] détient à l'encontre de l'indivision une créance de 2213,14 euros au titre des cotisations d'assurance habitation du bien indivis qu'il a réglées depuis 2016.
Déboute M.[R] de ses autres demandes de créances sur l'indivision.
Déboute M.[R] de ses demandes de créance à l'encontre de Mme [W] relatives au paiement de l'impôt sur le revenu et à la société Aseptan.
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au profit de l'une ou de l'autre des parties.
Dit que les dépens de l'instance seront considérés comme frais privilégiés du partage.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président