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23/03/2023 | FRANCE | N°21/07384

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 23 mars 2023, 21/07384


N° RG 21/07384 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N35R









Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 30 septembre 2021



RG : 2021f00298







[B]

S.A.R.L. GROUPE MECAJEMA



C/



[H]

[K]

[U]

S.E.L.A.R.L. [R] [C]

Société Civile Professionnelle TIRMANT [M]

S.A.S. ICASA GROUP

S.A.S. YZICO





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre

A



ARRET DU 23 Mars 2023







APPELANTS :



M. [Z] [B]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 20] (76)

[Adresse 6]

[Localité 17]



S.A.R.L. GROUPE MECAJEMA représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[...

N° RG 21/07384 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N35R

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond du 30 septembre 2021

RG : 2021f00298

[B]

S.A.R.L. GROUPE MECAJEMA

C/

[H]

[K]

[U]

S.E.L.A.R.L. [R] [C]

Société Civile Professionnelle TIRMANT [M]

S.A.S. ICASA GROUP

S.A.S. YZICO

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 23 Mars 2023

APPELANTS :

M. [Z] [B]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 20] (76)

[Adresse 6]

[Localité 17]

S.A.R.L. GROUPE MECAJEMA représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 19]

[Localité 18]

Représentés par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et par la SELARL INCEPTO AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

M. [T] [P] [H]

[Adresse 7]

[Localité 14]

défaillant

M. [A] [K]

[Adresse 10]

[Localité 16]

non représenté

M. [I] [N] [U]

[Adresse 5]

[Localité 2]

défaillant

S.E.L.A.R.L. [R] [C], désignée en remplacement de la SELARL ALLIANCE MJ, représentée par maître [R] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société ICASA GROUP désignée à ces fonctions par jugement du tribunal de commerce de LYON du 23 novembre 2017

[Adresse 8]

[Localité 13]

Représentée par Me Aurélien BARRIE de la SELARL POLDER AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T 1470, plaidant par Me CANCIANI, avocat au barreau de LYON

SELARL [X] [M], représentée par Maître [X] [M] prise en qualité de liquidateur de la société E2PS

[Adresse 9]

[Localité 11]

non représentée

S.A.S. ICASA GROUP

Zone d'Activité Commerciale

des Iles

[Localité 15]

défaillante

S.A.S. YZICO, venant aux droits de FIGEC MEUSE par suite de transmission de patrimoine à l'associé unique, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 12]

Représentée par Me Jessica BRON de la SELARL C&S AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 1246, postulant et par Me Nathalie SIU-BILLOT, avocat au barreau de PARIS

En la présence du Ministère Public pris en la personne d'Olivier NAGABBO, avocat général

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 12 Janvier 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 Janvier 2023

Date de mise à disposition : 23 Mars 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Aurore JULLIEN, conseillère

assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt par défaut rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sas Icasa group créée en mai 2013 était présidée par M. [U] et sous-traitait une partie de son activité à la Sarl E2PS gérée par M. [U].

Le 23 octobre 2014, dans le cadre d'un différend entre associés, M. [U] a démissionné de ses fonctions de président de la société Icasa group et a cédé ses actions à la Sarl Groupe Mecajema représentée par M. [B] qui a été désignée en qualité de nouveau président.

Par jugement du 4 juin 2015, le tribunal de commerce de Sedan a placé la société E2PS en liquidation judiciaire, la SCP Tirmant-[M] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte d'huissier du 9 juin 2015, la société Icasa group a assigné M. [U] et la société E2PS devant le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône afin d'obtenir :

- leur condamnation in solidum au paiement d'une somme de 252.263,88 euros qui correspondrait aux montants détournés par M. [U] au profit de la société E2PS ;

- la condamnation de M. [U] à lui rembourser la somme de 64.947,33 euros au titre de rémunérations perçues sans autorisation.

Par acte d'huissier du 8 octobre 2015, la société Icasa group a attrait à la cause la SCP Tirmant-[M] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société E2PS et par acte d'huissier du 23 octobre 2015, M. [U] a assigné en intervention forcée ses anciens associés MM. [H] et [K] ainsi que la société Figec Meuse, devenue Sas Yzico, en qualité d'expert-comptable de la société Icasa Group.

Par jugement avant dire-droit du 30 janvier 2017, le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône a désigné un expert judiciaire ayant pour mission de chiffrer les montants détournés par M. [U] au préjudice de la société Icasa Group.

Par acte sous seing privé du 23 juin 2017 enregistré le 5 juillet 2017 la société Icasa Group, compte tenu des sommes dues à la société Groupe Macajema (274.232,26 euros) et à M. [B] (43.086,79 euros), leur a délégué M. [U] et la société E2PS comme débiteurs afin de leur assurer le paiement des sommes suivantes :

de la part de la société E2PS et M. [U] : 252.263,88 euros (détournements de fonds) + 8.000 euros (au titre des frais de procédure dans l'instance devant le tribunal de commerce de Châlon) soit 260.263,88 euros ;

de la part de M. [U] seul : 64.947,33 euros.

Cette délégation de paiement a été signifiée au liquidateur judiciaire de la société E2PS le 11 juillet 2018 et à M. [U] le 6 août 2018.

Par jugement du 5 octobre 2017, le tribunal de commerce de Lyon a placé la société Icasa Group en redressement judiciaire, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement du 23 novembre 2017, la Selarl Alliance MJ étant nommée en qualité de liquidateur judiciaire. La date de cessation des paiements initialement fixée au 30 juin 2017 a été reportée au 15 avril 2017 (jugement du 17 octobre 2019 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 15 juillet 2020).

Par acte d'huissier du 20 janvier 2021, la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group a assigné la société Groupe Mecajema et M. [B] devant le tribunal de commerce de Lyon en nullité de la délégation du 23 juin 2017.

Par jugement réputé contradictoire du 30 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- annulé la délégation de paiement du 23 juin 2017, enregistrée le 5 juillet 2017, signifiée à la société E2PS et à M. [U],

- dit que la société Groupe Mecajema et M. [B] ne pourront se prévaloir de ladite délégation de paiement,

- condamné la société Groupe Mecajema et M. [B] à payer à la Selarl Alliance MJ, la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Groupe Mecajema et M. [B] aux dépens.

Par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 3 août 2021, la Selarl [R] [C] est venue aux droits de la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group.

M. [B] et la société Groupe Mecajema ont interjeté appel par acte du 5 octobre 2021.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 8 décembre 2021 et signifiées à M. [H] le 10 décembre 2021 (PV article 659 CPC), à M. [K] le 14 décembre 2021 (dépôt étude), à M. [U] le 22 décembre 2021 (PV article 659 du CPC), à la société Tirmant [M] le 9 décembre 2021 et à la société Icasa Group le 10 décembre 2021 (PV article 659 CPC) fondées sur les articles L.632-1 I. 3° et 4° du code de commerce et les articles 1336 et suivants du code civil, M. [B] et la société Groupe Mecajema demandent à la cour de :

- réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions

et statuant à nouveau,

- juger que la délégation du 23 juin 2017 correspond à une obligation imparfaite qui a pour objet de permettre à la société Icasa Group (le délégant) de déléguer à M. [U] (le délégué) le paiement de sa dette à leur profit (les délégataires),

- juger qu'elle n'a donné lieu à aucun paiement au cours de la période suspecte qui s'est déroulée entre la date de cessation des paiements de la société Icasa Group, fixée au 15 avril 2017, et l'ouverture de sa procédure collective par jugement du 5 octobre 2017,

- juger qu'elle ne donnera lieu à un paiement que plusieurs années après la fin de ladite période suspecte, dans l'hypothèse où une condamnation définitive de M. [U] serait prononcée dans le cadre de l'instance actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône,

- juger que ladite délégation est définie comme une opération sur obligations définie par les articles 1136 et suivants du code civil, et qui n'est pas constitutive d'un paiement au sens des articles 1342 et suivants du code civil,

- juger que les dispositions des articles L.632-1 I 3° et 4° du code de commerce organisent la nullité de certains paiements intervenus entre la date de cessation des paiements et l'ouverture de la procédure collective, qu'il résulte de la lettre des articles qu'une délégation ne peut donner lieu à une nullité de plein droit en application des articles L.632-1 I 3° et 4° du code de commerce, lesquels réservent cette nullité aux seuls paiements, que c'est par une application erronée de l'article L.632-1 I 3° que le tribunal a jugé que ce texte permettait d'annuler, de plein droit, une délégation régularisée pendant la période suspecte,

- juger que si la jurisprudence peut admettre l'annulation d'une délégation, en application des articles L.632-1 I 3° et 4° du code de commerce, c'est uniquement lorsque cette délégation est l'acte en vertu duquel est intervenu d'un paiement lui-même intervenu durant la période suspecte et déclaré nul de plein droit en application de ces textes,

en conséquence,

- débouter la Selarl Alliance MJ, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group, de sa demande d'annulation de l'acte de délégation du 23 juin 2017,

- déclarer que la délégation du 23 juin 2017 sera opposable à la Selarl Alliance MJ, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group et qu'ils seront fondés à s'en prévaloir,

- condamner la Selarl Alliance MJ, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group, à leur payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Selarl Alliance MJ, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group, aux entiers dépens de l'instance,

- déclarer que les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de l'instance constitueront des frais privilégiés de la liquidation judiciaire de la société Icasa Group.

  

* * *

                     

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 4 janvier 2022 fondées sur les articles L.632-1, L.632-4 et L.641-14 du code de commerce, la Selarl [R] [C], venant aux droits de la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré annulant la délégation de paiement litigieuse,

en conséquence,

- débouter M. [B] et la société Groupe Mecajema de l'ensemble de leurs moyens et demandes,

- condamner solidairement les 'défendeurs' à lui payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

- condamner solidairement les 'défendeurs' aux entiers dépens de l'instance.

* * *

Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 20 décembre 2021, la société Yzico venant aux droits de la société Figec Meuse, intimée, demande à la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de réformation du jugement déféré,

- condamner la société Groupe Mecajema et M. [B] ou toute partie succombante à lui verser une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Groupe Mecajema et M. [B] ou toute partie succombante aux entiers dépens.

Les autres parties à qui la déclaration d'appel a été régulièrement signifiée n'ont pas constitué avocat.

                                

Le ministère public, par avis du 21 décembre 2022 communiqué contradictoirement aux parties le 22 décembre 2022, n'a pas formulé d'observations.

                                                                                                                                

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 janvier 2023, les débats étant fixés au 19 janvier 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il est précisé que le litige est soumis au nouveau droit des contrats issu de l'ordonnance du 10 février 2016 puisque le contrat litigieux (la délégation de paiement) est postérieur au 1er octobre 2016.

Sur la délégation de paiement

M. [B] et la société groupe Mecajema exposent :

- qu'ils ont été dans l'obligation d'alimenter la trésorerie de la société Icasa suite aux détournements subis par celle-ci, qu'ils bénéficiaient de comptes courants d'associés ((256.236 euros pour la société et 43.086,79 euros pour M. [B]) et qu'ils ont ainsi souhaité bénéficier d'une garantie, que la délégation de paiement leur permettait un éventuel remboursement sur les condamnations susceptibles d'être prononcées contre M. [U] dans l'instance pendante devant le tribunal de commerce de Chalon sur Saône,

- que l'article L. 632-1 I 3° du code de commerce prévoit la nullité du paiement des dettes non échues au jour du paiement,

- que le tribunal a considéré à tort que la délégation devait être considérée comme un moyen de paiement susceptible d'être annulé sur le fondement de l'article L. 632-1 I 3°, qu'en effet la délégation litigieuse a pour objet de leur permettre de recouvrer leurs créances de comptes courants d'associés, lesquelles constituent une dette échue,

- que le tribunal a considéré à tort que la délégation de paiement constitue une opération non communément admise dans la vie des affaires créant une rupture du principe de l'égalité des créanciers,

- qu'il a également considéré à tort que la délégation est une convention tripartite alors qu'il s'agit en l'espèce d'une délégation imparfaite au sens de l'article 1338 du code civil,

- que le tribunal a assimilé à tort une délégation à un paiement, alors que la délégation correspond à une 'opération sur une obligation' (substitution de débiteur en cas de délégation parfaite ou ajout d'un débiteur supplémentaire en cas de délégation imparfaite comme en l'espèce),

- que la condition pour annuler une délégation est qu'elle ait donné lieu pendant la période suspecte à un acte annulable (un paiement) mais qu'en l'espèce aucun paiement n'est intervenu en leur faveur pendant la période suspecte,

- qu'il n'y a donc pas lieu d'annuler la délégation de paiement du 23 juin 2017.

En réponse, la Selarl [R] [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group soutient :

- que l'article L. 632-2 du code de commerce ne permet pas au créancier de se ménager un paiement prioritaire mais permet d'annuler les paiements pour dettes échues effectuées au cours de la période suspecte lorsque ceux qui ont traité avec le débiteur avaient connaissance de l'état de cessation des paiements ,

- qu'en l'espèce la société Mecajema et M. [B] avaient nécessairement connaissance de l'état de cessation des paiements de la société Icasa Group,

- qu'en outre l'accord du délégué est nécessaire dans toute délégation de paiement, qu'elle soit parfaite ou imparfaite,

- qu'en l'espèce la société E2PS et M. [U], délégués, ne sont pas signataires de la délégation,

- que les appelants reconnaissent eux-mêmes que leurs critiques sont vaines puisqu'ils affirment que leurs critiques du jugement n'influent pas sur l'issue du litige,

- que la Cour de cassation juge de manière constante qu'une délégation de paiement est un mode de paiement au sens de l'article L. 632-1 du code de commerce (Cass. Com. 30 novembre 1993, 23 mars 1965), qu'elle retient que la délégation consentie pendant la période suspecte est assimilée au paiement,

- que la date à retenir pour savoir si la délégation s'est produite ou non en période suspecte est celle de l'acceptation de la délégation et non celle du paiement,

- que la délégation conclue le 23 juin 2017 est intervenue au cours de la période suspecte, comprise entre la date de cessation des paiements (15 avril 2017) et l'ouverture de la procédure collective (5 octobre 2017),

- que cette délégation constitue un mode anormal de paiement et doit donc être annulée conformément à l'article L. 632-1 du code de commerce,

- que le remboursement par délégation du compte courant d'associé est un acte devant être annulé, qu'il s'agisse d'une dette échue (paiement autrement que par un mode communément admis) ou non échue (paiement quel qu'en ait été le mode),

- qu'une délégation de paiement est une convention tripartite qui nécessite l'accord du délégué, que la délégation soit parfaite ou imparfaite,

- qu'en l'espèce, la société E2PS et M. [U] n'ont pas pris l'engagement de payer la société Groupe Mecajema et M. [B],

- que l'acte du 23 juin 2017 ne peut donc s'analyser au mieux qu'en une cession de créance qui est nulle sur le fondement de l'article L. 632-1 I 4° du code de commerce,

- qu'en tout état de cause cet acte lèse l'intérêt collectif des créanciers puisqu'il a pour effet d' attribuer prioritairement à la société Mecajema Group et à M. [B] les sommes que le tribunal de Chalon-sur-Saône octroiera éventuellement à la société Icasa Group,

- qu'il est inexact d'affirmer que la délégation ne peut être annulée qu'à condition que son exécution intervienne au cours de la période suspecte, cette condition n'étant pas érigée en règle de droit par la jurisprudence.

La société Yzico venant aux droits de la société Figec Meuse s'en rapporte à justice.

Selon l'article 1336 du code civil, 'La délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d'une autre, le délégué, qu'elle s'oblige envers une troisième, le délégataire, qui l'accepte comme débiteur.

Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire'.

Selon l'article 1338, 'Lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l'a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur. Le paiement fait par l'un des deux débiteurs libère l'autre, à due concurrence.'

Selon l'article 1342, 'Le paiement est l'exécution volontaire de la prestation due. Il doit être fait sitôt que la dette devient exigible.

Il libère le débiteur à l'égard du créancier et éteint la dette, sauf lorsque la loi ou le contrat prévoit une subrogation dans les droits du créancier'.

Selon l'article L 632-1 du code de commerce, 'I. - Sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :(....)

3° Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;..'.

4° Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;

(...)

La bonne foi du tiers acquéreur est indifférente.

Si le paiement est nul de droit, il est indifférent que le tiers ait connu l'état de cessation des paiements. Cette circonstance peut par contre être invoquée s'agissant des nullités facultatives de l'article L 632-2 du code de commerce.

Selon cet article, dans sa version applicable à la cause, 'Les paiements pour dettes échues effectués à compter de la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis à compter de cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements.

Tout avis à tiers détenteur, toute saisie attribution ou toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été délivré ou pratiqué par un créancier à compter de la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci'.

Selon l'article L 632-4 du code de commerce, 'l'action en nullité est exercée par l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan ou le ministère public. Elle a pour effet de reconstituer l'actif du débiteur'.

Il est relevé de manière liminaire que le mandataire judiciaire sollicite l'annulation d'un acte conclu au cours de la période suspecte.

Il est constant que la délégation de paiement litigieuse a été consentie au cours de la période suspecte, soit le 5 juillet 2017. Aux termes de l'acte, la société Icasa group s'est engagée comme délégant à rembourser les sommes qui seraient dues à la société Mecajema et à M. [B] , délégataires, en leur déléguant la société E2PS et M. [U], (délégués), ce qui avait pour but que les condamnations pouvant être prononcées à l'encontre de ces derniers au profit de la société Icasa Group soient payées directement aux délégataires à hauteur des montants invoqués.

Cette délégation a été signifiée à M. [U] le 6 août 2018 et au liquidateur judiciaire de la société E2PS le 11 juillet 2018.

S'agissant de la délégation de créance, elle est considérée comme un mode de paiement de dettes échues non communément admis dans les relations d'affaires. La date à retenir pour savoir si une délégation de paiement s'est produite en cours de période suspecte est la date de l'acceptation de la délégation et non celle du paiement.

Force est cependant de constater en l'espèce qu'il ne résulte d'aucune pièce que les délégués, qui ne sont pas intervenus à l'acte litigieux, aient accepté cette délégation au sens de l'article 1336 du code civil.

Il en résulte, la délégation de paiement étant un acte tripartite, que tout au plus comme justement relevé par l'intimée, l'acte litigieux correspond en fait, non pas à un acte relevant des articles 1336 et 1338 du code civil ou une 'opération sur obligation' comme soutenu par les appelants, mais à une cession de créance de droit commun.

Une telle cession, hors bordereau Dailly ou contrat d'affacturage, est également un moyen de paiement imparfait et il avait manifestement pour finalité, en l'espèce, de permettre aux appelants, lesquels ne pouvaient ignorer de par leurs fonctions sociales l'état de cessation des paiements de la société Icasa group, de se ménager un paiement prioritaire pour d'obtenir remboursement au moins pour partie de leurs créances détenues sur la société Icasa (créances antérieures) par priorité aux autres créanciers, ce qui porte atteinte au gage commun de ces derniers, les sommes pouvant être octroyées par le tribunal de commerce de Chalon sur saône leur échappant pour être appréhendées par les seuls appelants.

L'acte litigieux relevant de la sanction de l'article L 632-1 du code de commerce, le jugement querellé est en conséquence confirmé en ce qu'il l'a annulé et dit que la société Mecajema et M. [B] ne pourraient s'en prévaloir.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les condamnations aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile prononcées en première instance sont confirmées.

Les dépens d'appel sont à la charge des appelants, qui verseront en cause d'appel in solidum à la Selarl [R] [C] ès-qualités la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant dans les limites de l'appel,

           

Confirme le jugement querellé dans toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Condamne  M. [Z] [B] et la Sarl Groupe Mecajema aux dépens d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement, et à payer in solidum à la selarl [R] [C] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Icasa Group la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/07384
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;21.07384 ?
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