AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/08087 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MWYG
Société ADIATE SUD EST (A.S.E)
C/
[Adresse 6]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 24 Octobre 2019
RG : 17/01642
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 08 MARS 2023
APPELANTE :
Société ADIATE SUD EST (A.S.E)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[N] [L]
née le 09 Septembre 1958
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Mickaël PHILIPONA, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 09 Janvier 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 08 Mars 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 19 février 2015, Mme [N] [L] a été embauchée à temps partiel par la SASU ADIATE SUD EST (ci- après nommée A.S.E) en qualité de 'Conducteur en période scolaire', groupe 7 bis, coefficient 137V, de la convention collective nationale des transports routiers.
Par courrier recommandé en date du 30 juin 2016, le département du Rhône a informé la société A.S.E de sa décision de non reconduction de plusieurs marchés ayant pour objet le transport de véhicule d'élèves et d'étudiants handicapés, de leur domicile à leur établissement scolaire.
Par courrier en date du 16 août 2016, la société VORTEX a informé Mme [L] du transfert de son contrat de travail au sein de cette société à compter de la rentrée 2016 en application de l'accord national étendu du 7 juillet 2009.
Par courrier en date du 13 septembre 2016, la société A.S.E a informé Mme [L] qu'à compter du 21 septembre 2009, l'exécution de son contrat de travail s'effectuera sur un circuit situé à [Localité 7] ([Localité 7]).
Par lettre recommandée avec accusé de réception de son conseil, datée du 20 septembre 2016, Mme [L] a indiqué à la société ASE qu'elle refusait cette modification de son contrat de travail, considérant que cette proposition de mutation reposait sur un motif économique et qu'elle était par conséquent soumise aux formalités et délai de réflexion prescrits par l'article L. 1222-6 du code du travail.
Par lettre recommandée en date du 25 septembre 2016, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 6 octobre 2016 et a été mise à pied à titre conservatoire à compter du 25 septembre 2016.
Par courrier recommandé en date du 11 octobre 2016, la société ASE a notifié à Mme [L] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
' (...)Suite à la perte du Marché de transport scolaire du CG 69 par notre entreprise au cours du mois de Juillet 2016, nous avons transféré votre contrat de travail et dossier individuel auprès de la société ayant récupéré ce marché.
Nous avons appris de la part de cette entreprise que vous avez été reçu afin de vous voir proposer un avenant de transfert au sein de leur entreprise. A ce jour, c'est-à-dire plus de 5 semaines après le début de l'exécution de la prestation nous ne sommes toujours pas informé de votre décision d'accepter ou non ce transfert. Nous vous rappelons que l'accord du 7 juillet 2009 de la CCN des transports prévoit effectivement la possibilité au salarié concerné de refuser le transfert auprès de la nouvelle société, dans des délais raisonnables. Cette information ne nous étant toujours pas parvenu nous considérons à juste titre être largement hors des délais raisonnables imposés par la convention collective.
Toutefois, afin de remplir notre obligation d'employeur nous vous avons en date du 13/09/2016 adressé une proposition de réaffectation par RAR afin de formaliser cette action. Votre conseil dans un courrier daté du 20/09/2016 nous fait part de votre refus concernant notre proposition d'affectation. Il nous informe aussi que vous l'avez mandaté afin qu'il saisisse les prud'hommes à notre encontre.
Nous aurions aimé vous entendre à ce sujet.
Ce manque de sérieux ne peut plus être toléré.
Il devient évident au travers votre attitude que vous souhaitez nuire à notre entreprise.
Votre indécision concernant le fait de bénéficier du transfert de personnel, ainsi que votre refus de valider notre proposition de réaffectation en sont la preuve.
Pour ces motifs, nous prononçons votre licenciement pour faute grave.'.
Par requête en date du 31 mai 2017, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon pour contester son licenciement et solliciter diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.
Suivant une ordonnance de départage en bureau de conciliation du 19 octobre 2017, le juge départiteur a :
- condamné la SASU ADIATE SUD EST à payer à titre provisoire à Mme [N] [L] la somme de 9 035,13 euros bruts au titre de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein,
- ordonné le renvoi de l'instance devant le bureau de jugement du conseil en sa formation paritaire, section commerce, à l'audience du 17 septembre 2018 a 9h00,
Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix le 22 octobre 2018.
Par jugement en date du 24 octobre 2019, le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a :
- requalifié le contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en temps complet,
- dit que le licenciement dont Mme [N] [L] a fait l'objet de la part de la SASU ASE est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné en conséquence la SASU ASE à verser à Mme [N] [L] les sommes de :
avec intérêts aux taux légal à compter du 06 juin 2017 date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure
11 192,33 euros bruts à titre de rappels de salaire sur une requalification à temps plein pour la période de février 2015 à octobre 2016,
1 505,86 euros bruts à titre de rappels de salaires au titre du 13ème mois outre 150,59 euros bruts au titre des congés payés afférents,
196,32 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les minima conventionnels outre 19,63 euros bruts au titre des congés payés afférents,
1 505,86 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 150,59 euros bruts à titre des congés payés afférents,
501,965 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,
avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement
9 035,16 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
6 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
600 euros nets à titre de dommages- intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- fixé le salaire de référence à la somme de 1 505,86 euros,
- dit que la SASU ASE devra transmettre à Mme [N] [L] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conforme ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la SASU ASE à verser à Mme [N] [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SASU ASE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SASU ASE de sa demande au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,
- condamné la SASU ASE aux entiers dépens de la présente instance.
La société ADIATE SUD EST a interjeté appel de ce jugement, le 22 novembre 2019.
Elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a alloué à Mme [L] la somme de 196,32 euros bruts au titre de rappel de salaire relatif au minima conventionnel, outre 19,36 euros bruts au titre des congés-payés afférents,
- le réformer pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- dire et juger que les demandes de Mme [N] [L] sont infondées,
- dire et juger le licenciement pour faute grave de Mme [N] [L] justifié en faits et en droit,
- débouter Mme [N] [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- ordonner le remboursement des sommes provisionnelles versées,
A titre subsidiaire,
- dire et juger le licenciement de Mme [N] [L] pour cause réelle et sérieuse justifié en faits et en droit,
- déduire les éventuelles condamnations prononcées à son encontre des condamnations provisionnelles déjà prononcées et exécutées,
En tout état de cause,
- condamner Mme [N] [L] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- condamner Mme [N] [L] à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1 240 du code civil,
- condamner Mme [N] [L] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,
- condamner Mme [N] [L] aux dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Madame [N] [L] demande à la cour de :
- confirmer le jugement
Y ajoutant :
- condamner la société A.S.E à lui payer les sommes de :
4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- dire et juger que son licenciement est intervenu dans des conditions particulièrement brutales et vexatoires,
- en conséquence, condamner la société A.S.E à lui payer la somme de 2 000 euros nets à titre de dommages et intérêts,
En tout état de cause :
- fixer la moyenne de ses trois derniers mois de salaire à 1 505,86 euros bruts,
- ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard,
- débouter la société A.S.E de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- condamner la société A.S.E à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.
SUR CE :
- Sur la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein :
La société A.S.E fait valoir que :
- la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein en raison de l'absence de contrat écrit ou de mentions sur la durée du travail ou de sa répartition constitue une présomption simple que l'employeur peut renverser en apportant la preuve contraire,
- Mme [L] n'a jamais atteint le nombre d'heures exigées par les dispositions conventionnelles pour se prévaloir d'une demande de requalification de son contrat de travail,
- la salariée avait une parfaite connaissance des périodes de travail et des horaires de travail,
- l'analyse des feuilles de route de Mme [L] montre que les horaires indiqués par elle-même étaient stables et réguliers,
- l'activité intrinsèque de la société entraîne que tous les contrats de travail des chauffeurs sont nécessairement à temps partiels,
- l'intitulé du contrat de travail de Mme [L] implique que celle-ci transporte des enfants aux horaires d'ouverture des établissements scolaire et de fermeture, et qu'elle est donc en mesure par avance et au simple visa de son contrat de travail, de connaître ses horaires habituels de travail,
- une répartition hebdomadaire est précisée à l'article 6 de son contrat de travail lequel indique :
' La durée hebdomadaire de travail de Mme [L] est fixée à 15 heures par semaine.'
- à la lecture des bulletins de paie et des feuilles de route remplies par Mme [L], il apparaît que la durée de travail pour les mois de décembre 2015 et janvier 2016 est de 42 heures et 60 heures.
Madame [L] fait valoir que :
- la répartition de sa durée de travail au cours de l'année n'est précisée ni dans son contrat de travail, ni dans aucun document d'information qui lui aurait été remis,
- aucun planning ne lui a jamais été remis,
- elle n'a jamais été informée ni du volume horaire par journée travaillée, ni des horaires des journées de travail, ni de la répartition des jours et semaines de travail dans l'année,
- la société A.S.E ne pourrait écarter la présomption simple de contrat de travail à temps plein qu'en démontrant qu'elle avait une parfaite connaissance de ses périodes et horaires de travail, dans un délai de prévenance suffisant, ce qu'elle ne fait pas,
- elle se tenait à la disposition permanente de son employeur, et ne disposait d'aucune visibilité sur ses horaires et périodes de travail,
- sa durée de travail variait de façon constante chaque mois, sans aucune régularité ni prévisibilité, celle-ci pouvant être comprise entre 3 et 112,3 heures par mois, et la durée de travail à temps plein de 35 heures a été atteinte au moins en décembre 2015 et en janvier 2016,
- la durée de 15 heures par semaine mentionnée dans son contrat ne correspond ni aux bulletins de salaire, ni à ses feuilles de route,
- elle exécutait ses missions sur des amplitudes horaires extrêmement importantes, en violation manifeste du régime applicable au nombre et à la durée maximale des coupures pour le salarié à temps partiel,
- elle était liée par une clause d'exclusivité manifestement abusive, lui interdisant toute autre activité professionnelle sans autorisation préalable de la Société,
- les modifications de ses horaires de travail n'ont jamais fait l'objet d'aucune information préalable; elle se tenait simplement à disposition de son employeur et assumait elle-même ces aléas, en n'étant pas rémunérée en cas d'annulation d'une course.
Mme [L] souligne que l'argument selon lequel elle ne remplirait pas les conditions conventionnelles pour bénéficier de la requalification automatique de son contrat de travail en temps plein, faute d'avoir réalisé au moins 1134 heures de travail au cours d'une année scolaire, est inopérant dés lors qu'elle sollicite la requalification de son contrat de travail selon les règles de droit commun et non en application de l'accord du 18 avril 2002.
****
Mme [L] forme sa demande de requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein sur le fondement des dispositions de l'article L. 3123-14 code du travail, dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, en vigueur jusqu'au 10 août 2016. Ce texte prévoit notamment que le contrat de travail mentionne les modalités selon lesquelles les horaires de travail, pour chaque journée travaillée, sont communiquées par écrit au salarié.
Il en résulte que lorsque le salarié a été mis dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler chaque mois et s'est trouvé dans l'obligation de se tenir en permanence à disposition de l'employeur, son contrat à temps partiel doit être requalifié en contrat à temps complet.
La lecture des moyens développés par Mme [L] confirme que c'est bien sur ce fondement qu'elle entend agir et non sur les dispositions de l'accord du 18 avril 2002 instaurant une requalification automatique des contrats de travail des conducteurs à temps partiel dont le volume d'heures en temps de travail effectif aura atteint au moins 90% de la durée du temps de travail effectif d'un conducteur à temps complet.
Le premier juge qui a déduit de ses constatations que l'employeur ne versait aux débats aucun élément permettant d'écarter la présomption simple de temps complet en faveur de la salariée dont le contrat de travail ne mentionne pas la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, a fait une juste application des dispositions de l'article L. 3123-14 du code du travail et la société ASE n'apporte aucun élément contraire dans le débat.
Le jugement déféré sera confirmé par adoption de motifs en ce qu'il a fait droit à la demande la salariée tendant à la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
Le jugement déféré sera par ailleurs confirmé sur les conséquences de cette requalification qui modifie la rémunération mensuelle servant de base de calcul au treizième mois, à savoir la condamnation de la société ASE à payer à Mme [L] la somme de 1 505,86 euros bruts de rappels de salaire au titre du 13ème mois, outre la somme de 150,59 euros bruts au titre des congés payés afférents, montants non contestés, même à titre subsidiaire par la société ASE.
- Sur les rappels de salaires pour non-respect des minimas conventionnels :
La société A.S.E acquiesce au jugement déféré sur ce point.
- Sur la demande au titre du travail dissimulé :
La société A.S.E fait valoir que :
- Mme [L] ne démontre ni avoir accompli des heures qui non pas été déclarées ni l'intention et la volonté manifeste de l'employeur dans le non-paiement d'heures,
- Mme [L] omet sciemment de préciser les règles de calcul de ses heures de travail et de décompter les 30 minutes hebdomadaires prévues par l'accord du 7 juillet 2009 lorsque l'entreprise a mis à disposition du salarié, un véhicule,
- durant les relations contractuelles, Mme [L] n'a jamais émis quelconques demandes concernant un éventuel rappel de salaire.
Madame [L] fait valoir que :
- la lecture des feuilles de route établies par ses soins démontre qu'elle a manifestement réalisé de nombreuses heures de travail qui n'ont pas été déclarées ni payées par la société A.S.E,
- le caractère systématique de la non-déclaration des heures de travail qu'elle a réellement effectuées suffit à démontrer que la société A.S.E a sciemment dissimulé une partie de son activité,
- la société ne peut prétendre qu'elle aurait ignoré le nombre d'heures de travail qu'elle a réellement effectuées alors qu'elle transmettait chaque mois à la société, ses feuilles de route,
- la société A.S.E n'a jamais contesté les heures de travail qu'elle a déclarées, ce qui suffit à démontrer qu'elle avait pleinement conscience de la sous déclaration des heures de travail qu'elle a réalisées.
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Mme [L] a produit des feuilles de route qu'elle remplissait mensuellement et qu'elle transmettait à l'employeur. Le contenu de ces feuilles de route n'est pas contesté par l'employeur à l'exception de l'omission de trente minutes par jour consacrées au temps de trajet.
La comparaison entre le nombre d'heures mentionné sur les feuilles de route et celui retenu sur le bulletin s'y rapportant révèle, indépendamment de la question des trente minutes non mentionnées par la salariée, des écarts importants, répétés et inexpliqués par la société ASE, notamment : 33,25 heures en moins au mois de mars 2015 ; 45 heures de travail en moins au mois de mai 2015; 74 heures de travail en moins au mois de janvier 2016.
Il résulte des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait, pour tout employeur, de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.
Dés lors, en constatant des minorations répétées pendant plusieurs mois, du nombre d'heures travaillées déclaré par la salarié, ainsi que l'importance des écarts observés, sans que la société ASE ne combatte cette présomption de travail dissimulé par des éléments de nature à démontrer qu'elle n'aurait pas agi de manière intentionnelle, le premier juge a caractérisé la dissimulation volontaire d'activité et la société ASE n'apporte aucun élément nouveau en cause d'appel.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société ASE à payer à Mme [L] la somme de 9 035,16 euros d'indemnité au titre du travail dissimulé.
- Sur le licenciement pour faute grave :
Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
La société A.S.E fait valoir que :
- Mme [L] n'a pas été licenciée parce qu'elle avait refusé son transfert, mais pour faute grave consécutive à son refus d'affectation en vertu de sa clause de mobilité, résultant de son silence sur son transfert conventionnel,
- elle a informé Mme [L] de son transfert vers la société VORTEX dès le 16 août 2016 et en l'absence de réponse de la salariée, elle lui a transmis le 13 septembre 2016 une nouvelle affectation dans le respect de sa clause de mobilité et de son devoir de fourniture de travail,
- l'absence de Mme [L] à l'entretien préalable confirme son attitude négligente,
- le raisonnement du premier juge est incohérent en ce qu'il relève l'attitude fautive de la salariée qui s'est abstenue de répondre à une proposition de transfert vers un autre employeur pendant prés d'un mois, et fait grief à l'employeur de proposer une nouvelle affectation en urgence.
Madame [L] fait valoir que :
- il ne peut lui être fait aucun grief d'avoir refusé le transfert conventionnel de son contrat de travail, ce refus étant de droit,
- il ne peut davantage lui être fait grief d'avoir refusé sa proposition de mutation à [Localité 7] dès lors que ce nouveau lieu de travail est éloigné de plus de 400 km de son lieu de travail initial, que son contrat de travail ne comporte aucune clause de mobilité, et que,
- compte tenu de la date de réception du courrier de mutation, soit le 20 septembre 2016 pour une prise de poste le 21 septembre 2016, elle aurait dû organiser son déménagement en moins de 24 heures,
- la prétendue tardiveté de sa réponse à la proposition de transfert ne peut, en toute hypothèse constituer une cause de licenciement, a fortiori pour faute grave,
- son refus de transfert est directement lié aux défaillances de la société A.S.E elle-même dans son obligation d'information,
- le nouveau circuit qui lui a été proposé constituait une modification de son contrat de travail qu'elle était parfaitement libre de refuser,
- la société ASE n'ayant plus de travail à lui confier dans son secteur géographique d'intervention, a fait le choix de la licencier à moindre coût, afin de se débarrasser d'une salariée dont elle ne savait pas quoi faire.
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Au terme des débats, il est fait grief à Mme [L] d'une part d'être restée taisante suite à la proposition de transfert, d'autre part, d'avoir refusé une proposition d'affectation alors que, faute d'avoir pris position quant à son transfert, elle restait dans l'effectif de la société ASE et avait une obligation d'exécution de bonne foi de son contrat de travail.
Mme [L] a été informée le 16 août 2016 de son transfert conventionnel au sein de la société VORTEX. L'article 2.6 de l'accord national du 7 juillet 2009, étendu dans la branche du transport prévoit que :
'L'entreprise entrante, après réception de la liste des personnels concernés par le transfert, dispose d'un délai de quinze jours ( si les délais le permettent) avant le début du marché pour formaliser le nouvel avenant au contrat de travail qui doit préciser la date et le lieu de la première prise de service et les modalités de garantie de la rémunération.'
Et l'article 2.7 prévoit que :
'Le personnel concerné dispose d'un délai de 10 jours, si les délais le permettent, pour formaliser son accord sur le projet d'avenant au contrat qui lui a été proposé par l'entreprise entrante.
En cas de désaccord, il lui appartient de prévenir expressément, dans les meilleurs délais, l'entreprise entrante comme l'entreprise sortante de son refus de transfert, il reste alors salarié de l'entreprise sortante.
(...)
Le personnel ne satisfaisant pas aux conditions requises pour bénéficier d'un maintien de son emploi au sein de l'entreprise entrante ou refusant son transfert reste sous la responsabilité de l'entreprise sortante.'
Si la société ASE stigmatise l'indécision de Mme [L], voire une attitude assez ambigüe selon les termes du jugement, force est cependant de constater qu'il ne ressort, ni des débats, ni des pièces communiquées par les parties, que Mme [L] aurait été destinataire d'un projet d'avenant adressé par la société VORTEX dans les délais prévus par les dispositions de l'accord collectif sus-visées, de sorte qu'il est hasardeux de lui reprocher son indécision sans aucune certitude de ce qu'elle était en mesure de se déterminer sur un projet d'avenant comportant l'intégralité des précisions requises sur les modalités de son transfert.
D'autre part, dans son courrier daté du 31 août 2016 adressé à la société ASE, le conseil de Mme [L] indique :
' (...) Dans l'hypothèse où cette dernière (Mme [L]) refuserait le transfert conventionnel de son contrat de travail, cette dernière resterait salariée de la société ADIATE SUD EST.
Or, Mme [L] m'a informé du fait que l'établissement de votre société situé à [Localité 5] était en cours de fermeture et ne disposait plus de véhicules, ni de missions à lui confier sur le département du Rhône.
Mme [L] étant censée reprendre le travail le 1er septembre 2016 ( date de la rentrée scolaire),et n'ayant à ce jour reçu aucune information sur les modalités de sa reprise du travail, je vous remercie de bien vouloir m'indiquer sans délai :
- son planning prévisionnel d'intervention pour l'année 2016-2017
- le lieu des missions qui lui seront confiées,
- le lieu, la date et l'heure à laquelle cette dernière devra se présenter à l'issue de son arrêt de travail pour prendre possession de ses outils de travail (carte essence et véhicule).
Au regard de l'ensemble de ces éléments, et à défaut de régularisation rapide de la situation par votre société, je vous informe que j'ai reçu mandat de Mme [L] pour saisir le conseil de prud'hommes de Lyon sous quinzaine, tant au fond qu'en formation de référés le cas échéant( ...)'.
Il en résulte que si Mme [L] ne dit pas expressément qu'elle refuse son transfert, elle affirme dans le même temps qu'elle reste salariée de la société ASE et qu'elle attend sans délais son planning d'intervention pour l'année 2016-2017, ce qui ne peut laisser planer aucun doute sur son refus de voir son contrat transféré à la société VORTEX.
Dans ces conditions, le premier grief tiré de son absence de positionnement univoque quant à son transfert doit être écarté.
En ce qui concerne le refus par Mme [L], de son affectation à [Localité 7], la validité de la clause contractuelle de mobilité qui prévoit notamment que la salariée pourra être amenée à exercer son activité à titre temporaire ou permanent, en tout lieu du territoire national, n'est pas remise en cause et cette clause lui est par conséquent opposable.
Mais, il est constant que l'employeur doit veiller à ce que le salarié dispose d'un délai suffisant pour organiser ses nouveaux trajets ou son déménagement le cas échéant. Ce délai doit prendre en compte les perturbations ou désagréments que le changement de lieu de travail peut avoir sur la vie personnelle du salarié.
En l'espèce, Mme [L] s'est vu notifier sa nouvelle affectation par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 13 septembre, soit treize jours après que son conseil ait sommé la société ASE de lui communiquer sans délai son planning prévisionnel et le lieu de ses nouvelles missions, pour une prise de poste le 21 septembre 2016. Ainsi, Mme [L] qui ne justifie pas de la date de réception du courrier du 13 septembre 2016 a donc disposé, au maximum, d'une semaine pour organiser ses nouvelles missions à plus de 400 kilomètres de son lieu de travail initial et de son domicile.
Il en résulte que le délai de prévenance est insuffisant, que la mise en oeuvre de la clause de mobilité est par conséquent abusive, de sorte que le refus de Mme [L] ne peut être considéré comme fautif.
Ce second grief étant également écarté, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement de Mme [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- Sur les indemnités de rupture du contrat de travail :
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité légale de licenciement.
La société ASE soutient à titre subsidiaire que l'indemnité de licenciement, le préavis et le rappel de salaire au titre de la mise à pied doivent être calculés sur la base d'un temps partiel et non sur la base d'un temps plein.
Mais il est constant que les indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail doivent être calculées sur la base de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir et non sur celle de la rémunération qu'il a effectivement perçue en raison des manquements de l'employeur à ses obligations.
Le jugement déféré qui a fait une juste application de ce principe et dont les calculs ne sont pas remis en cause, même à titre subsidiaire, doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société ASE à payer à Mme [L] les sommes suivantes:
*501,95 euros d'indemnité de licenciement
*1 505,86 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis outre 150,59 euros bruts au titre des congés payés afférents
- Sur les dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Mme [L] qui avait une ancienneté de vingt mois dans la société ASE, laquelle occupait habituellement au moins onze salariés, peut prétendre, en application de l'article L.1235-5 du code du travail à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi.
Mme [L] ne produit aucune pièce permettant de reconstituer l'évolution de sa situation professionnelle et de ses ressources depuis son licenciement. En conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être confirmé et Mme [L] sera déboutée de sa demande pour le surplus.
Mme [L] qui ne justifie par ailleurs ni de circonstances vexatoires du licenciement, ni de l'existence d'un préjudice moral à ce titre, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts supplémentaire.
- Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
Mme [L] soutient que tout au long de la relation de travail, la société A.S.E a commis de nombreux manquements à ses obligations contractuelles, qui ont gravement impacté sa vie personnelle, tels que :
des retards systématiques dans le paiement des salaires et la délivrance des bulletins de paie, lui ayant créé des difficultés financières,
la non indemnisation des coupures entre deux vacations,
la déduction irrégulière car sans l'accord du salarié de 30 minutes de travail par jour,
le non-respect de l'ensemble des règles applicables en matière de travail à temps partiel, en particulier concernant le nombre et la durée des coupures,
le décalage systématique des augmentations des minima conventionnel, applicable en janvier mais appliquées par la société A.S.E à la rentrée de septembre,
l'absence de visite médicale en près de 2 années de travail.
Elle souligne que l'ensemble de ces manquement faisait partie du fonctionnement normal de la société qui a été condamnée, à ce titre, en référés, dans le cadre du dossier d'une autre salariée, Mme [Y].
La société A.S.E s'oppose à la demande au titre de l'exécution déloyale, fondée selon elle sur des éléments non démontrés et en l'absence de préjudice établi.
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Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a constaté qu'à l'exception du non respect des règles applicables en matière de temps partiel ou relatives aux minima conventionnels, les autres manquements invoqués par la salariée ne sont pas établis et en ce qu'il a fixé en conséquence l'indemnisation de Mme [L] au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, à la somme de 600 euros.
- Sur la procédure abusive :
La société A.S.E présente des demandes de dommages-intérêts au visa de l'article 32-1 du code de procédure civile et de l'article 1240 du code civil, au motif que l'attitude de Mme [L] s'inscrit dans une démarche purement dilatoire et à des fins indemnitaires, et qu'elle a dû faire face à des accusations fallacieuses pour les besoins de la cause.
Compte tenu de l'issue du litige, les demandes de la société ASE au titre de la procédure abusive ne sont pas fondées et sont rejetées.
- Sur les demandes accessoires :
Il n'y a pas lieu d'assortir la remise des documents de fin de contrat rectifiés d'une astreinte.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société ADIATE SUD EST les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à Mme [L] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ADIATE SUD EST, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y AJOUTANT
DÉBOUTE Mme [L] de sa demande au titre du licenciement vexatoire,
CONDAMNE la société ADIATE SUD EST à payer à Mme [L] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la société ADIATE SUD EST aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE