AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/05573 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NF2S
S.A.S. TECNIMODERN AUTOMATION
C/
[Y]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de ROANNE
du 01 Octobre 2020
RG : 18/00079
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2023
APPELANTE :
S.A.S. TECNIMODERN AUTOMATION
Lieu dit [Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Véronique MASSOT-PELLET de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[T] [Y]
né le 28 Septembre 1965 à [Localité 5] (69)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Charlotte BRACHET, avocat au barreau de LYON, Me Ségolène CHUPIN, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 23 Septembre 2022
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Nathalie PALLE, président
- Thierry GAUTHIER, conseiller
- Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 23 Février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société S.A.S Tecnimodern Automation (la société) est détenue en totalité par la société holding Intech Group.
Détenteur d'actions au sein du groupe jusqu'au 31 mars 2018, M. [Y] a occupé, en qualité de mandataire social, la fonction de directeur général de la société Intech Group, du 1er mai 2015 au 31 mars 2018.
A la vente de la totalité de ses actions, M. [Y] (le salarié) a été engagé par la société S.A.S Tecnimodern Automation (la société) par un contrat de travail à durée déterminée du 1er avril 2018 au 15 septembre 2018, en qualité de responsable commercial marketing, moyennant une rémunération mensuelle brute de 7 056 euros, outre 520 euros bruts au titre d'un avantage en nature.
La société ayant soustrait la somme de 13 025,60 euros du salaire de septembre 2018 au titre de diverses absences du 1er juillet au 3 août 2018 et du 27 août au 15 septembre 2018, de telle sorte que le salarié était redevable envers la société de la somme de 209,28 euros, le salarié a contesté cette situation une première fois par un courriel du 2 octobre 2018 puis une seconde fois par un courrier recommandé du 18 octobre 2018, mettant en demeure la société de régulariser la situation.
Par requête du 3 décembre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Roanne afin d'obtenir la condamnation de la société à lui verser les sommes retenues, soit les rappels des salaires d'août et septembre 2018, les indemnités compensatrices de RTT et de congés payés afférents ainsi que les indemnités de fin de contrat. Le salarié a également sollicité la condamnation de la société à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 1er octobre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- fixé le salaire mensuel brut du salarié à la somme de 7 576 euros,
- condamné la société à verser au salarié les sommes suivantes :
7 576 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois d'août 2018, outre 757,60 euros à titre de congés payés afférents, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
3 788 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois de septembre 2018, outre 378,80 euros à titre de congés payés afférents, avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
1 270,45 euros bruts à titre de reliquat d'indemnité de fin de contrat avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail avec intérêts légaux à compter du jugement,
2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société à lui remettre un certificat de travail rectificatif, un solde de tout compte comprenant les condamnations fixées par le jugement et une attestation Pôle emploi rectificative et de bulletins de salaire,
- condamné la société aux frais et dépens de la procédure.
La société a relevé appel de ce jugement le 13 octobre 2020, sous le numéro RG 20/0583, puis une seconde fois le 23 octobre 2020, sous le numéro RG 20/05573. Par une ordonnance de jonction rendue le 10 novembre 2020, les deux procédures ont été jointes sous le seul numéro RG 20/05573.
Dans ses conclusions notifiées le 21 juin 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ses autres demandes,
Et, statuant de nouveau,
- débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes,
- condamner le salarié à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,
- condamner le salarié à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux dépens.
La société fait valoir que :
- le salarié s'était engagé contractuellement à adresser à son employeur chaque mois le relevé de ses jours de travail et à se présenter sur son lieu de travail ; qu'il n'a pas respecté ses obligations contractuelles pour la période du 8 juillet au 15 septembre 2018 malgré la mise en demeure qui lui a été délivrée de communiquer ses relevés de journées travaillées,
- le salarié n'a pas apporté la preuve qu'il s'était tenu à la disposition de son employeur ; que la charge de la preuve du travail accompli repose sur le salarié ; que celui-ci n'a jamais envoyé les relevés de ses journées travaillées et n'a jamais démontré s'être présenté à l'établissement situé à [Localité 4] à compter du 8 juillet 2018 ou avoir accompli l'activité professionnelle demandée ; qu'il ne peut alors réclamer le paiement de ses salaires pour les périodes où il ne justifie pas de son activité,
- contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, elle apporte la preuve que le salarié n'a eu aucune activité réelle du 9 juillet au 3 août, date à laquelle il est parti en congés puis du 26 août au 15 septembre 2018 et il n'a pas respecté son obligation contractuelle d'adresser chaque mois le relevé de ses jours de travail et de se présenter sur son lieu de travail ; qu'il n'a soumis aucune demande de remboursement de frais professionnels après le 30 juin 2018 ; qu'aucun passage de péage pour se rendre à [Localité 4] n'apparaît sur les relevés d'autoroute ; qu'ainsi ces éléments démontrent l'absence d'activité durant cette période.
Dans ses conclusions notifiées le 29 mars 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que la société n'a pas exécuté le contrat de travail de façon loyale,
En conséquence,
- fixer le salaire mensuel brut du salarié à la somme de 7 576 euros,
- condamner la société au paiement des sommes suivantes :
7 576 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois d'août 2018, outre 757, 60 euros à titre des congés payés y afférents avec intérêts légaux compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
3 788 euros bruts à titre de rappel de salaire du mois de septembre 2018, outre 378,80 euros à titre des congés payés y afférents avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
1 270,45 euros bruts à titre de reliquat d'indemnité de fin de contrat avec intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 18 octobre 2018,
5 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour l'exécution déloyale du contrat de travail avec intérêts légaux à compter de la décision,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société à lui délivrer les bulletins de salaire, l'attestation destinée au Pôle emploi, le solde de tout compte et certificat de travail rectifiés, sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, conforme aux dispositions de la décision à intervenir,
Et, statuant de nouveau,
- débouter la société de ses demandes,
- condamner la société à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Le salarié fait valoir que :
- il revient à la société de démontrer qu'il n'a pas exécuté le travail fourni ou qu'il ne s'est pas tenu à sa disposition ; en l'absence de cette démonstration la société était tenue de lui verser sa rémunération ; qu'elle ne démontre pas qu'il ne se serait pas tenu à sa disposition et ne lui a adressé aucune mise en demeure de justifier les absences alléguées,
- la société ne peut déduire de l'absence de note de frais une absence de travail ; que c'est en raison de l'absence de remboursement des notes de frais précédentes que le salarié n'a pas transmis de nouvelles notes de frais ; qu'il bénéficiait d'une grande autonomie dans l'organisation de son travail ; qu'il pouvait ainsi travailler depuis son domicile et qu'il était prévu qu'il réduirait les trajets sur le site de [Localité 4] au fur et à mesure de l'avancement de son contrat,
- les 13 juillet et 1er août 2018, il a remis à la société ses relevés de jours travaillés ; que la société lui a versé son salaire pour le mois de juillet 2018 conformément à ce relevé ; qu'également la société lui a transmis une attestation Pôle emploi mentionnant qu'il a travaillé aux mois de juillet et septembre 2018,
- la société n'a pas respecté son obligation contractuelle imposant de verser une rémunération en contrepartie d'un travail ; qu'elle engage alors sa responsabilité civile auprès du salarié pour réparer le préjudice du fait de l'inexécution de cette obligation.
A l'audience, la cour a constaté des erreurs matérielles dans la présentation des pièces du dossier de l'appelante, par comparaison avec la numérotation et l'intitulé des pièces du bordereau de communication de pièces (pièce n°6 ne comporte pas la déclaration du témoin [L], et elle est incomplète, la pièce n°8 est un relevé AREA au lieu et place de l'attestation [E], la pièce n°6 du bordereau ne figure pas dans le dossier déposé par l'appelante).
Il a été fait droit à la demande de rabat de l'ordonnance de clôture afin d'admettre la production par l'appelante d'un bordereau de pièces et d'un dossier rectifiés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est de principe qu'il résulte de l'application des articles L. 1315 du code civil et
L. 1221-1 du code du travail que l'employeur est tenu de payer sa rémunération et de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition. Il appartient à l'employeur de démontrer que le salarié a refusé d'exécuter son travail et qu'il ne s'est pas tenu à sa disposition.
Selon l'article L. 1331-2 du code du travail, les sanctions pécuniaires sont interdites et toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Au cas présent, c'est à l'échéance du contrat à durée déterminée au 15 septembre 2018, à l'occasion du solde de tout compte, que la société a pratiqué une retenue de 9 237,60 euros sur les sommes restant dues, «au titre des salaires et accessoire de septembre 2018 », sans plus de précision, le bulletin de salaire de septembre 2019 portant la mention d'une retenue au titre «d'absences diverses du 1er juillet au 3 août 2018 et du 27 août au 15 septembre 2018».
Ce n'est que sur l'interpellation écrite du salarié la mettant en demeure de régulariser la situation que la société lui a indiqué, le 5 novembre 2018, qu'il n'était plus venu sur son lieu de travail, n'avait eu aucun contact avec la direction ou ses collaborateurs depuis la semaine 27, pendant plus de deux mois avant la fin de la période contractuelle, et, que malgré de nombreuses relances et en non-respect de son engagement contractuel, il avait refusé pendant toute la durée de son contrat de fournir les justificatifs du suivi de ses jours travaillés.
Il est également constant qu'alors que le salarié, responsable commercial et marketing, catégorie cadre, disposait contractuellement d'une grande autonomie dans l'organisation de son travail, pouvait exercer ses fonctions depuis son domicile et était amené à effectuer des déplacements professionnels en France comme à l'étranger, il ne se rendait pas quotidiennement à l'établissement de l'entreprise situé à [Localité 4].
Dans ce contexte, la circonstance que le salarié ne s'était pas rendu sur le site de l'entreprise, pas davantage que l'absence d'envoi de notes de frais, ne caractérisent le refus d'exécuter son travail et n'attestent pas davantage qu'il ne se tenait pas à la disposition de son employeur.
Dans son courrier du 5 novembre 2018, alors qu'elle invoquait les «nombreuses relances» adressées au salarié afin qu'il lui fournisse les justificatifs du suivi de ses jours travaillés, la société se borne à produire aux débats un courriel du 2 juillet 2018, par lequel la responsable des ressources humaines demandait au salarié de lui faire parvenir le document faisant apparaître le nombre et la date de ses journées travaillées et lui indiquait que, sans retour de ce document, les prochaines fiches de paie ne pourraient pas être établies.
Or, le salarié justifie des courriels qu'il lui adressait en réponse, les 4 et 11 juillet 2018, ainsi que des tableaux renseignés pour les mois de juillet, août et septembre, et, alors que la société prétend ne pas avoir reçu ces justificatifs, force est de constater qu'elle a néanmoins remis au salarié son bulletin de salaire de juillet 2018, de même qu'elle lui a remis une attestation destinée à Pôle emploi dans laquelle elle renseignait les périodes travaillées incluant les mois de juillet, août et jusqu'au 15 septembre 2018.
Aussi, aucune des pièces produites aux débats par la société ne démontre que du 1er juillet au 3 août 2018 et du 27 août au 15 septembre 2018 le salarié a refusé d'exécuter son travail et qu'il ne s'est pas tenu à sa disposition, de sorte que la société n'était pas fondée à opérer une retenue sur les salaires et accessoires qui lui étaient dus.
Aucune critique utile n'étant formée par la société même à titre subsidiaire sur la nature et le montant des rappels réclamés, en ce compris le solde de l'indemnité de fin de contrat sur les salaires courant du 9 juillet au 15 septembre 2018, le jugement est confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande en paiement du salarié.
Ces rappels portent intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2018, date de la mise en demeure adressée à l'employeur par le salarié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail
En application de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.
Il en résulte que tout salarié a droit à l'indemnisation du préjudice lié à la faute de l'employeur dans l'exécution de ses obligations.
La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir, d'une part, la réalité du manquement, d'autre part, l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.
Alors que le paiement du salaire convenu est une obligation essentielle du contrat de travail, il est établi que la société a manqué à son obligation en retenant de façon indue les salaires et accessoires qui étaient dus au salarié et les circonstances dans lesquelles la société a persisté dans le manquement à son obligation, en dépit d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée, démontrent sa faute qui a généré un préjudice moral, en regard des relations qui avaient existé entre les parties depuis dix ans, comme matériel par les nécessaires démarches et tracas auxquels le salarié a du faire face, motivant une indemnisation qui a été justement évaluée par les premiers juges et que la cour confirme dans son montant de 5 000 euros à titre de dommages-intérêt.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Afin d'en assurer l'effectivité, le chef du dispositif du jugement ordonnant à l'employeur de remettre au salarié un certificat de travail rectificatif, un solde de tout compte comprenant les condamnations fixées par le jugement et une attestation Pôle emploi rectificative et des bulletins de salaire rectifiés est assortie du prononcé d'une astreinte selon les modalités fixées au dispositif.
La société qui succombe dans ses prétentions est condamnée aux dépens d'appel et sa demande au titre des frais irrépétibles est rejetée.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et dernier ressort,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
ORDONNE à la société Tecnimodern automation de remettre à M. [T] [Y] chacune des documents listés par le dispositif du jugement, sous astreinte du paiement de la somme de 50 euros par document et par jour de retard constaté, courant pendant le délai de 30 jours à compter de la date de signification du présent arrêt,
REJETTE la demande de la société Tecnimodern automation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société la société Tecnimodern automation à payer à M. [T] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Tecnimodern automation aux dépens.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,