AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/00875 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NMKQ
S.A.S. [9]
C/
[O]
CPAM DE LA LOIRE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de SAINT ETIENNE
du 19 Janvier 2021
RG : 17/00401
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 21 FEVRIER 2023
APPELANTE :
S.A.S. [9]
[Adresse 7]
[Localité 5]
représentée par Me Fabien ROUMEAS de la SARL ROUMEAS AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
[Y] [O]
né le 23 Juillet 1977 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me François DUMOULIN de la SELARL FRANCOIS DUMOULIN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sandrine PIERI de la SELARL FRANCOIS DUMOULIN, avocat au barreau de LYON
CPAM DE LA LOIRE
[Adresse 1]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par madame [T] [R] , audiencière, munie d'un pouvoir
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Novembre 2022
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Thierry GAUTHIER, conseiller
- Vincent CASTELLI, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 21 Février 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [O] (le salarié) a été embauché le 23 novembre 2009 par la société [9] (l'employeur) en qualité d'employé de production.
Le 1er octobre 2012, le salarié a souscrit une déclaration de maladie professionnelle, accompagnée d'un certificat médical initial faisant état d'une leucémie aigüe myéloblastique, diagnostiquée le 31 janvier 2012.
Le 23 novembre 2012, le salarié a été déclaré "inapte au poste d'étiquetage et à tous postes avec exposition directe à des produits chimiques" mais "apte à une reprise à temps partiel thérapeutique (en demi-journée) sur poste de reclassement dans l'entreprise (palettiseur, soustireuse, cariste éventuellement après avis spécialisé')" et a été affecté au poste de conditionnement.
Le 19 mars 2013, la caisse primaire d'assurance maladie de Loire (la caisse) a notifié un refus de prise en charge de la maladie déclarée au titre de législation relative aux risques professionnels, au motif qu'il n'était pas établi que son activité professionnelle l'avait exposé à un risque couvert dans les libellés du ou des tableaux de maladie professionnelle correspondant à la maladie déclarée.
Contestant cette décision, le 13 mai 2013, le salarié saisi la commission de recours amiable, laquelle par décision du 26 septembre 2013 a rejeté sa contestation au motif que l'exposition au risque n'était pas prouvée.
Le 7 novembre 2013, le salarié a saisi d'un recours le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 3].
Par jugement du 13 octobre 2014, le tribunal a débouté le salarié de ses demandes, avant que la cour d'appel de Lyon, aux termes d'un arrêt du 24 mai 2016 rendu entre le salarié et la caisse, réforme le jugement entrepris et juge que la leucémie aigüe myéloblastique déclarée le 1er octobre 2012 par le salarié auprès de la caisse doit être prise en charge au titre du tableau 4 des maladies professionnelles.
Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle, le salarié a saisi la caisse d'une demande de conciliation et, en l'absence de conciliation, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de [Localité 3], devenu le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, le 16 juin 2017.
Par jugement contradictoire du 19 janvier 2021, le tribunal a :
- déclaré la décision commune et opposable à la caisse,
- reconnu la faute inexcusable commise par l'employeur dans la survenance de la leucémie aiguë myéloblastique déclarée le 1er octobre 2012,
- ordonné la majoration du capital servi au salarié par la caisse au titre de son incapacité permanente partielle,
- dit que la caisse fera l'avance de l'ensemble des sommes accordées au salarié, provision, frais d'expertise, majoration de la rente et indemnisation complémentaire à charge pour elle ensuite d'en recouvrer le montant auprès de l'employeur,
- accordé ausalarié une provision de 4 000 euros.
- ordonné, avant dire droit, une expertise du salarié confiée au docteur [C] [M],
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 4 février 2021, l'employeur a relevé appel de ce jugement.
Dans ses conclusions déposées le 23 février 2022, oralement soutenues à l'audience du 22 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, l'employeur demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant
- dire et juger définitive à l'égard de l'employeur la décision de refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par le salarié,
- dire et juger en toute hypothèse inopposable à l'employeur la décision de prise en chargeau titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par le salarié,
- dire et juger que la caisse ne dispose d'aucun recours à l'encontre de l'employeur résultant des conséquences de la maladie professionnelle déclarée par le salarié,
- débouté le salarié de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable.
A titre subsidiaire
- dire et juger que la caisse ne dispose d'aucun recours à l'encontre de l'employeur résultant des conséquences de la reconnaissance de la maladie professionnelle.
L'employeur soutient que le tribunal a méconnu le caractère définitif attaché à la décision de refus de prise en charge telle qu'il lui a été notifiée le 19 mars 2013 dans les formes requises à l'article R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale. Il ajoute que la caisse n'a pas saisi la CRRMP de sorte que la décision de prise en charge lui est inopposable.
L'employeur fait valoir qu'il n'a pas exposé le salarié au risque lésionnel ; que la caisse ne saurait, sans se contredire et encourir le grief de l'estoppel, soutenir le contraire à savoir l'absence de caractère professionnel de la maladie déclarée par le salarié ; que la caisse devra supporter seule, sans recours possible à l'encontre de l'employeur, l'ensemble des conséquences résultant de la reconnaissance de la maladie professionnelle, y compris dans l'hypothèse d'une reconnaissance d'une faute inexcusable.
L'employeur met en évidence que le salarié sera débouté de sa demande faute d'établir qu'il a manqué à ses obligations ou qu'il a eu conscience d'un danger.
Dans ses conclusions déposées le 30 mars 2022, oralement soutenues à l'audience du 22 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* reconnu la faute inexcusable commise par l'employeur dans la survenance de la leucémie aiguë myéloblastique déclarée le 1er octobre 2012,
* ordonné la majoration du capital servi au salarié par la caisse au titre de son incapacité permanente partielle,
* dit que la caisse fera l'avance de l'ensemble des sommes accordées au salarié, provision, frais d'expertise, majoration de la rente et indemnisation complémentaire à charge pour elle ensuite d'en recouvrer le montant auprès de l'employeur,
* accordé à l'assuré une provision de 4 000 euros,
* ordonné, avant dire droit, une expertise de l'état de santé du salarié,
* condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'employeur à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'employeur aux dépens de l'instance,
- juger l'appel à intervenir commun et opposable à la caisse.
Le salarié souligne que le contentieux entre le salarié et son employeur en reconnaissance de la faute inexcusable est indépendant de celui pouvant naître sur l'opposabilité de la décision de prise en charge entre la caisse et l'employeur, et il s'en rapporte à la décision de la cour sur l'action récursoire de la caisse.
Le salarié expose que la maladie professionnelle dont il a été victime est la conséquence du non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de prévention des risques, notamment de la réglementation spécifique éditée en matière d'agents dangereux, cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, ainsi que des règles fondamentales de prudence et de sécurité.
Dans ses conclusions déposées le 18 octobre 2022, oralement soutenues à l'audience du 22 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses moyens, la caisse n'entend pas formuler d'observation. Elle met en évidence qu'elle procédera à l'avance des sommes au titre de la faute inexcusable de l'employeur déduction faite de la provision, et procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes versées auprès de l'employeur.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la reconnaissance de la maladie professionnelle
Selon l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.
La reconnaissance des maladies professionnelles repose ainsi sur des tableaux de maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale. Chaque tableau précise la nature des travaux susceptibles de provoquer la ou les maladies et énumère les affections provoquées. Ces tableaux instituent une présomption d'imputabilité entre la maladie qu'ils décrivent et les travaux qu'ils mentionnent. Les affections ainsi listées sont présumées d'origine professionnelle lorsqu'il est établi que le salarié qui en est atteint a été exposé, de façon habituelle, au cours de son activité professionnelle, à l'action d'agents nocifs.
Fixés par décret et annexés au code de la sécurité sociale, les tableaux des maladies professionnelles ont un caractère réglementaire. Leur application est d'ordre public.
Lorsque la demande de la victime réunit les trois conditions, affection désignée dans le tableau, délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être pris en charge et travaux susceptibles de provoquer la maladie, la maladie est présumée d'origine professionnelle, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail.
La maladie telle qu'elle est désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d'appréciation fixés par chacun des tableaux.
Le tableau n° 4 du tableau des maladies professionnelles relatif aux hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant :
- désigne la maladie suivante : leucémies aiguës myéloblastique,
- fixe un délai de prise en charge de 20 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 6 mois,
- liste les travaux à l'origine de cette maladie : Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment ; production, extraction, rectification du benzène et des produits en renfermant ; emploi du benzène et des produits en renfermant pour la production de leurs dérivés, notamment en organosynthèse ; préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne ; emplois divers du benzène comme dissolvant des résines naturelles ou synthétiques ; production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d'entretien renfermant du benzène ; fabrication de simili-cuir ; production, manipulation et emploi des dissolutions de caoutchouc naturel ou synthétique, ou des solvants d'avivage contenant du benzène ; autres emplois du benzène ou des produits en renfermant comme agent d'extraction, d'élution, d'imprégnation, d'agglomération ou de nettoyage et comme décapant, dissolvant ou diluant ; opérations de séchage de tous les produits, articles, préparations, substances où le benzène (ou les produits en renfermant) est intervenu comme agent d'extraction, d'élution, de séparation, d'imprégnation, d'agglomération, de nettoyage, de concentration, et comme décapant, dissolvant ou diluant ; emploi du benzène comme déshydratant des alcools et autres substances liquides ou solides ; emploi du benzène comme dénaturant ou réactif de laboratoire ; poste de nettoyage, curage, pompage des boues de fosses de relevage dans le traitement des eaux usées de raffinerie.
En l'espèce, les parties s'accordent sur la désignation de la maladie du salarié.
L'employeur conteste le caractère professionnel de la maladie au motif que le salarié n'a pas été exposé au risque lésionnel.
* Sur l'exposition au risque
Il ressort des éléments produits aux débats que le salarié a été employé au sein de l'entreprise [9] dans le cadre de contrats saisonniers du 15 janvier au 17 octobre 1997, du 7 janvier au 4 septembre 1998, du 23 mars au 7 juillet 1999, du 22 mai au 6 octobre 2000, du 3 avril au 21 décembre 2001, du 28 janvier au 25 octobre 2002 puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 17 novembre 2003 (pièces n°1 et n°33 du salarié).
Il est établi que le salarié exerçait la fonction d'agent de production et était chargé, à ce titre, de superviser les opérations réalisées par la machine étiqueteuse et devait intervenir en cas de dysfonctionnement en nettoyant les patins d'encollage à l'aide de solvants (pièces n°3, n°16, n°17, 34 à 37 du salarié).
Le 1er octobre 2012, le salarié a souscrit une déclaration de maladie professionnelle pour une leucémie aigüe myéloblastique, diagnostiquée le 31 janvier 2012 (pièce n°5 du salarié), accompagnée d'un certificat médical établi le 19 septembre 2012 par le docteur [I], médecin du travail, aux termes duquel il précise que le leucémie aigüe myéloblastique ainsi diagnostiquée peut justifier la "reconnaissance au titre de la maladie professionnelle tableau n°4 du régime général compte tenu de la manipulation régulière le produits solvants contenant du benzène. Produits manipulés sans gants jusqu'en 2006" (pièce n°4 du salarié).
La cour constate que le salarié produit des pièces dont il ressort que :
- le docteur [I], médecin du travail, après avoir visité la société le 27 juin 2012, a décrit le poste du salarié en ces termes : "au poste de conducteur -étiqueteuse- afin d'assurer le bon fonctionnement. Le salarié a utilisé différents types de solvants appliqués sur des chiffonnettes afin de nettoyer les patins qui tamponnent la colle sur les bouteilles". Il met également en évidence l'existence d'une "exposition cutanée et respiratoire [par le salarié] à des produits contenant du Benzène",
- M. [P], salarié de l'entreprise en qualité d'opérateur de conditionnement, atteste, concernant la période de 2003 à 2009, que "l'incapacité de l'encadrement (directeur technique, responsable de maintenance, responsable de production) à trouver des solutions concrètes et durables pour enrayer les innombrables incidents et pannes survenu lors des productions de bouteilles, nous ont exposés quotidiennement nous les opérateurs à des durées de nettoyage au solvant contenant du benzène", et que "la consommation de bidons de 5 litres de solvants contenant du benzène à cette période était impressionnante (entre 2 et 4 bidons de 5 litres par semaine sur 2 ou 3 postes)". Il met en évidence l'absence de port de masque respiratoire type A, mais aussi de gants appropriés (pièce n°18),
- M. [J], salarié de l'entreprise en qualité d'opérateur de conditionnement, atteste, concernant la période de 2003 à 2009, que "l'étiqueteuse ne fonctionnait pas correctement ce qui nous a obligé d'effectuer des nettoyages pluri-quotidiens aux solvants contenant du benzène afin d'assurer la production de bouteille" et souligne l'absence de protections individuelles (pièce n°19),
- la caisse, dans son rapport d'enquête, affirme que "les opérateurs n'utilisent pas de masque" dans la mesure où "le port de masques n'est pas obligatoire pour cette action", mais aussi que ces derniers étaient amenés à verser du "solvant sur un chiffon" pour ensuite le passer "sur le patin" (pièce n°22),
- l'APAVE, dans son rapport d'essai établi après son intervention du 7 juin 2012 au sein de la société, indique qu'il est utilisé un chiffon durant la phase de nettoyage au permaloid (page 13 de la pièce n°23), produit comportant du benzène (Pièce n°16 du salarié et pièce 3.3 de l'employeur).
Il ressort de ces éléments, d'une part, que l'une des tâches confiées au salarié, consistait à nettoyer des patins d'encollage à l'aide d'un solvant comportant du benzène, d'autre part, que cette tâche correspond aux travaux décrits au tableau n°4 des maladies professionnelles et notamment ceux relatifs aux "autres emplois du benzène ou des produits en renfermant comme agent d'extraction, d'élution, d'imprégnation, d'agglomération ou de nettoyage et comme décapant, dissolvant ou diluant'.
Dès lors que le tableau n°4 des maladies professionnelles ne prévoit aucun seuil minimum à l'exposition au benzène, il y a lieu de considérer que le salarié remplit la condition relative aux travaux l'ayant exposé aux risques prévus à ce tableau.
* Sur la durée d'exposition
La cour constate que le salarié produit des pièces dont il ressort que :
- le docteur [I], après avoir visité la société le 27 juin 2012 concernant le poste du salarié, précise que ce dernier a été exposé au ROXOLANE de 1999 à 2003, au STANDOX de 2003 à 2009 et au [H] à compter de 2009 ; qu'il ne dispose pas de la fiche de données de sécurité du ROXOLANE car l'employeur ne l'a pas en sa possession et que le fabricant a cessé son activité en 2006 ; que le STANDOX présente entre autres des naphta lourds hydrodésulfurés (
- les employés, dans le cahier de suivi de l'étiqueuteuse PE Rollmatic tenus par eux, mettent en évidence que les salariés réalisent des opérations de nettoyage à l'aide solvant comportant du benzène de 2003 à 2008 (pièce n°17),
- M. [P], concernant la période de 2003 à 2009, atteste que "nous avons subi quotidiennement les émanations incommodantes et invitantes des divers solvants et divers types de colles chaudes, ainsi qu'une exposition cutanée persistante" (pièce n°18 du salarié).
- M. [J], concernant la période de 2003 à 2009, atteste que "tous les jours nous avons respiré les odeurs et vapeurs irritantes de tous ces solvants utilisés. Nous avons subi une exposition cutanée quotidienne à cause d'une consommation de solvant excessive" (pièce n°19 du salarié),
- l'APAVE, dans son rapport d'essai établi après son intervention du 7 juin 2012 au sein de la société, indique qu'est utilisé un chiffon durant la phase de nettoyage au permaloid (page 13 de la pièce n°23).
Il ressort des pièces produites que le salarié a réalisé de façon répétée des opérations de nettoyage avec du solvant comportant du benzène depuis 2003 jusqu'à la date de son reclassement et en tout état de cause pendant une durée d'au moins 6 mois dans les conditions prévues au tableau n°4 des maladies professionnelles.
De l'ensemble de ces éléments, il ressort que le salarié remplit la condition relative à la durée d'exposition concernant le tableau n°4 des maladies professionnelles.
Les conditions du tableau n°4 étant remplies, il incombe à l'employeur de démontrer que la leucémie aigüe myéloblastique diagnostiquée le 30 janvier 2012 chez le salarié a une cause totalement étrangère à son travail.
Sur ce point, l'employeur se borne à affirmer qu'il existe un lien entre une exposition forte aux pesticides et l'apparition de léucémies aiguës myéloïdes (pièce n°26), sans pour autant offrir la preuve qui lui incombe que le salarié a été effectivement exposé à des pesticides ayant eu pour conséquence de provoquer l'apparition de cette pathologie.
Dès lors, au cas particulier, aucun élément du dossier ne vient établir que la maladie déclarée a une cause totalement étrangère au travail, de sorte que son caractère professionnel est donc établi.
2 - Sur la reconnaissance de la faute inexcusable
2-1 Sur la conscience du danger
En vertu des dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé envers le travailleur.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle. Il suffit qu'elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru à la survenance du dommage. De même, la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.
Sauf cas limitativement énumérées, la faute inexcusable ne se présume pas et il incombe au salarié ou à ses ayants droit d'en rapporteur la preuve.
Plus particulièrement, il leur appartient, une fois établis la matérialité de la maladie et son caractère professionnel, de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et qu'il n'a pas pris aucune mesure pour l'en préserver, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine de l'accident du travail dont ils se prévalent.
En l'espèce, l'employeur fait valoir, en substance, que le salarié n'apporte aucun élément de nature à démontrer que l'entreprise avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié en utilisant du produit conforme à la réglementation. Il met en évidence que le service de santé au travail n'a à aucun moment attiré son attention sur un quelconque risque de maladie professionnelle relevant du tableau n°4. Il ajoute que l'étude de poste réalisée par les médecins du travail [I] (pièce n°9) et [F] (pièce n°10) mais encore le rapport d'essai de l'APAVE (pièce n°11) ne permettent pas de mettre en avant l'existence de conditions de travail dangereuses pour la santé et la sécurité du salarié.
Il ressort des pièces produites par l'employeur que :
- le docteur [I], médecin du travail, a noté en synthèse de son étude sur le poste du salarié que ce dernier a 'manipulé des produits contenant de très faibles concentrations de benzène, conformément à la réglementation en vigueur, et ce dans des conditions d'utilisation variables et impossible à préciser' (pièce n°9),
- le docteur [E], médecin du travail, après avoir analysé des fiches de données sécurités des produits qui ont été manipulés par le salarié, indique que 'du benzène, cancérogène, mutagène, reprotoxique, peut éventuellement être présent à l'état de trace dans ces produits' (pièce n°10),
- l'APAVE, dans son rapport d'essai du 7 juin 2012 établi après sa visite de la société, relève qu'aucun dépassement des valeurs limites d'exposition professionnelle (VLEP) n'a été identifié à l'exception du point 2, étiqueteuse colle chaude ligne PET1, qui montre une valeur de 232,2 mg/m3 (soit 15,5% de la VLEP) en hydrocarbures C6-C12 durant la phase de nettoyage au permaloid à l'aide d'un chiffon (pièce n°11 de l'employeur).
Il ressort des écritures et des pièces du salarié, d'une part, que la première observation clinique d'une leucémie induite par le benzène a été constatée en 1928. D'autre part, le Centre international de recherche contre le cancer classe le benzène parmi les cancérogènes avérés pour l'homme (groupe 1) sur la base de leucémies observées dans des études épidémiologiques depuis 1982 (pièces n°27 et n°28). Mais encore, l'Institut national de recherche et de sécurité en juin 2011 indiquait que le benzène présente une toxicité importante pour les cellules sanguines et qu'il peut entrainer des réductions du nombre de globules rouges, blancs, de plaquettes ainsi que des leucémies pour des expositions répétées même à faible dose (pièce n°30). Enfin, le tableau n°4 visant les "hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits" est issu du décret du 1er janvier 1931 (pièce n°26).
De ces éléments, il résulte que l'exposition au benzène est susceptible d'engendrer des leucémies aiguës myéloblastique, ainsi qu'il est reconnu par la littérature scientifique depuis 1928 et consacré par l'inscription au tableau n°4 des maladies professionnelles depuis le 1er janvier 1931 ; de sorte que, quelles que soient la quantité, la fréquence et la durée d'utilisation du benzène par le salarié, l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel celui-ci était exposé en lui confiant la tâche de nettoyer des patins d'encollage à l'aide d'un solvant comportant du benzène.
2-2 Sur les mesures de protection du salarié
En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007, applicable à la date de l'accident du travail, les mesures nécessaires que l'employeur doit prendre pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article R. 4412-70 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, dispose que dans tous les cas d'utilisation d'un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction l'employeur applique les mesures suivantes:
1° Limitation des quantités de cet agent sur le lieu de travail ;
2° Limitation du nombre de travailleurs exposés ou susceptibles de l'être ;
3° Mise au point de processus de travail et de mesures techniques permettant d'éviter ou de minimiser le dégagement d'agents ;
4° Evacuation des agents conformément aux dispositions des articles R. 4222-12 et R. 4222-13;
5° Utilisation de méthodes appropriées de mesure des agents, en particulier pour la détection précoce des expositions anormales résultant d'un événement imprévisible ou d'un accident ;
6° Application de procédures et de méthodes de travail appropriées ;
7° Mise en 'uvre de mesures de protection collectives ou, lorsque l'exposition ne peut être évitée par d'autres moyens, de mesures de protection individuelles ;
8° Mise en 'uvre de mesures d'hygiène, notamment de nettoyage régulier des sols, murs et autres surfaces ;
9° Information des travailleurs ;
10° Délimitation des zones à risque et utilisation de signaux adéquats d'avertissement et de sécurité, y compris les signaux « défense de fumer », dans les zones où les travailleurs sont exposés ou susceptibles de l'être ;
11° Mise en place de dispositifs pour les cas d'urgence susceptibles d'entraîner des expositions anormalement élevées, en particulier lors d'éventuelles ruptures du confinement des systèmes clos ;
12° Utilisation de moyens permettant le stockage, la manipulation et le transport sans risque des produits, notamment par l'emploi de récipients hermétiques étiquetés de manière claire, nette et visible ;
13° Collecte, stockage et évacuation sûrs des déchets.
En application des articles R. 4412-61 à R.4412-63 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, et de l'article R. 4412-64 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n°2017-1819 du 29 décembre 2017, pour toute activité susceptible de présenter un risque d'exposition à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, l'employeur évalue la nature, le degré et la durée de l'exposition des travailleurs afin de pouvoir apprécier les risques pour leur santé ou leur sécurité et de définir les mesures de prévention à prendre.
Les résultats de cette évaluation sont consignés dans le document unique et communiqués au médecin du travail, au CHSCT, ou à défaut aux délégués du personnel ou, en l'absence de représentants du personnel, aux personnes exposées à un risque pour leur santé ou sécurité.
L'article R. 4412-76, dans sa rédaction issue du décret n°2008-244 du 7 mars 2008, précise que l'employeur procède de façon régulière aux mesures de concentration des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Les contrôles techniques destinés à vérifier le respect des valeurs limites sont réalisés au moins une fois par an par un organisme agréé.
Les prélèvements sont faits sur des postes de travail en situation significative de l'exposition habituelle. La stratégie de prélèvement est établie par l'employeur, après avis de l'organisme agréé, du médecin du travail, du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel.
La cour constate que le salarié produit des pièces dont il ressort que :
- les salariés, dans le cahier de suivi de l'étiqueuteuse PE Rollmatic tenu par eux, font états, les 27 janvier 2004 et 16 février 2004, des constatations suivantes : "nous attendons toujours le système pour mettre en place le tambour de la Rollmatic d'aspiration pour les fumées toxique du lazer et les fumée de celle de la rollmatic qui n'ont rien de l'air pur des Alpes", ce à quoi ils ont obtenu la réponse suivante : "les (illisibles) sont en cours mais il faut éviter de mettre son nez à la sortie de la fumée" (pièce n°17).
- le docteur [I], après avoir visité la société le 27 juin 2012, fait état des circonstances de travail suivantes : "pas de gants au début", "pas d'aspiration sur machine", "il y a bien eu exposition cutanée et respiratoire pour [le salarié] à des produits contenant du benzène" (pièce n°16),
- M. [P], salarié, atteste qu'"aucune mesure n'a été réalisée sur la période d'avril 2003 à 2009 au plus fort degré de l'exposition, au titre du mesurage régulier de l'exposition au risque chimique", "nous avons eu aucune formation à l'utilisation et aux risques liés aux solvants contenant du benzène. Aucune fiche d'exposition au risque chimique obligatoire depuis 2003 n'a été fournie par la direction et remplie par les opérateurs. Aucun bilan sanguin périodique nous a été prescrit par la médecine du travail durant toutes ces années. Aucun classeur contenant les fiches de données de sécurité n'était à disposition des opérateurs pendant la période de 2003 à 2009" (pièce n°18),
- M. [J], salarié, atteste qu'"aucun équipement de protection individuelle ne nous a été fourni par la direction de l'entreprise. Pas de formation à l'utilisation de ces solvants. Aucune fiche de données de sécurité n'était à notre disposition de 2003 à 2009" (Pièce n°19),
- M. [X], soutireur, atteste que le salarié ne portait aucun équipement de protection individuelle d'avril 2003 à 2009 (Pièce n°20),
- la caisse, dans le cadre de son enquête, précise que "les opérateurs n'utilisent pas de masque" dans la mesure où "le port de masques n'est pas obligatoire pour cette action", mais aussi que le salarié était amené à verser du "solvant sur un chiffon" pour ensuite le passer "sur le patin", de sorte qu'il était en contact direct avec le produit (pièce n°22),
- l'APAVE, dans son rapport d'essai après son intervention du 7 juin 2012 au sein de la société, précise que sur les 6 postes de travail, il existe une absence de "protection respiratoire efficace ou appropriée".
Pour contredire ces éléments, l'employeur soutient, en substance, que le salarié a manipulé de faibles concentrations de benzène, conformément à la réglementation en vigueur (pièce n°17) et verse aux débats les pièces suivantes :
- M. [B], président directeur général, atteste que "la fréquence de nettoyage va de 0 à 5 fois par poste au maximum. Le principe est d'imbiber légèrement un chiffon avec du solvant pour nettoyer les patins d'encollage. Il y a sur un tambour 4 patins d'encollage. Ces patins mesurent de 40 millimètres à 129 millimètre de haut sur 30 millimètres de large. L'opération prend de deux à trois minutes. La machine est équipée d'une hotte d'aspiration", (pièce n°18),
- le docteur [I] a établi, après la visite de l'entreprise en date du 27 juin 2012, que le salarié a manipulé des produits contenant de très faibles concentrations de benzène (pièce n°9),
- le docteur [F], médecin du travail, a établi, après avoir visité la société le 27 juin 2012, que "du benzène, cancérogène, mutagène, reprotocique, peut éventuellement être présent à l'état de trace dans ces produits" mais aussi que lors de sa dernière visite "l'exposition à ces solvants de nettoyage [lui] est apparue relativement faible (utilisation quelques fois par jour de produits sur chiffons imbibés pour le nettoyage des patins au collage)" (pièce n°10),
- l'APAVE, dans son rapport d'essai établi suite à son intervention du 7 juin 2012 relève en synthèse qu'"aucune observation relative à un dépassement de VLEP n'est à signaler" (pièce n°11),
- M. [L], ingénieur conseil régional adjoint, le 1er février 2013, soutient que le salarié "a été exposé à des solvants pétroliers qui, compte tenu de la période d'exposition, contenaient du benzène à l'état de traces. Ceci ne constitue pas une exposition habituelle au sens de l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale" (pièce n°12),
- le docteur [S], médecin conseil, le 21 février 2013, affirme que "l'exposition au risque n'est pas prouvée" (pièce n°13),
- M. [A], responsable de production, atteste le 4 février 2022 que pour "un fonctionnement correct cette machine demandait un nettoyage régulier (2 à 3 fois par poste) des 4 patins d'encollage (largueur 25 mm x 40 à 120 mm de hauteur selon l'étiquette) et du couteau réalisé à l'aide d'un pinceau temps estimé = 5 mins maximum. En cas de dysfonctionnement plus important un nettoyage complet du système de coupe et d'encollage était nécessaire temps estimé 10 à 15 mins, 2 fois par poste mais seulement pendant 4 à 6 postes par an en attendant l'intervention d'un technicien" (pièce n°24),
- M. [U], responsable technique, atteste, dans un document non daté, que "pour le bon fonctionnement de l'étiquetteuse Rollmatic le cylindre de transfert des étiquettes était nettoyé 3 à 4 fois par poste de 7h00. La durée pour un nettoyage était de 2 à 3 minutes" (pièce n°25).
Force est de constater que les éléments produits pas l'employeur ne sont pas de nature à contredire les pièces produites par le salarié :
- la déclaration de M. [B] selon laquelle "la machine est équipée d'une hotte d'aspiration" ne permet nullement de démontrer que celle-ci était fonctionnelle eu égard aux constatations recensées par un salarié dans le cahier de suivi (pièce n°17 du salarié) mais aussi du rapport d'essai établi par l'APAVE (pièce n°23 du salarié), de sorte que cette déclaration est sans valeur probante,
- la déclaration de M. [A], responsable de production, selon laquelle le produit serait étalé à l'aide "d'un pinceau" est en contradiction avec les constatations faites par les salariés (pièces n°18 à 20 de l'intimé), par les médecins du travail [I] (pièce n°16 du salarié) et [F] (pièce n°10 de l'employeur) suite à leur visite du 27 juin 2012 concernant le poste du salarié, de la synthèse du rapport d'enquête de la caisse (pièce n°22 du salarié), et du rapport d'essai de l'APAVE (pièce n°23 du salarié) précisant que la phase de nettoyage se ferait à l'aide d'un chiffon, de sorte que cette déclaration est sans valeur probante en ce que celle-ci ne correspond pas aux méthodes de travail décrites de 2003 à 2012, mais correspond à des pratiques bien postérieures,
- les attestations produites (pièces n°18, 24 et 25), mais aussi les constations faites par les docteurs [I], [F], [L] et [S] (pièces n°9, n°10, n°12 et n°13) tendant à établir que le salarié a manipulé de faibles concentrations de benzène, ou du moins qu'il a manipulé cet agent chimique pendant un temps limité, n'apportent rien au débat relativement aux mesures de protection mise en oeuvre par l'employeur. Il en est de même de la seule mesure réalisée par l'APAVE, le 7 juin 2012, qui concerne uniquement les hydrocarbures en C6-C12.
Enfin, si l'employeur produit des fiches de sécurité concernant le STANDOX et le [H], celles-ci sont respectivement datées des 17 avril 2012 et 1er octobre 2019, et n'apportent rien au débat, si ce n'est la confirmation que le STANDOX et le [H] sont composés d'une faible concentration de benzène (pièces n°3-1 et n°3-3).
Alors qu'il ressort des pièces produites par le salarié que l'exposition aux solvants dénommés STANDOX de 2003 à 2009 et [H] à compter de 2009 qui, sans être classés cancérogène mutagène reprotoxique (CMR), étaient composés d'une faible concentration de benzène, laquelle quelle que soit sa quantité peut être à l'origine de leucémie aigüe myéloblastique, l'employeur qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié de développer cette pathologie inhérente à la manipulation répétée du benzène ne justifie d'aucun document d'évaluation des risques dans les méthodes de travail, ni de la mise à disposition des salariés d'un équipement de protection, d'aucune action d'information, de formation et de prévention, afin de limiter le contact direct du produit identifié comme contenant du benzène.
La maladie professionnelle pouvant être mise en rapport de causalité avec les manquements par l'employeur à son obligation de prévention et de sécurité, il résulte de ce qui précède que la preuve est rapportée de la faute inexcusable de l'employeur, dans la survenance de la maladie professionnelle dont le salarié a été victime, ainsi que l'ont retenu les premiers juges.
3 - Sur les conséquences de la faute inexcusable
3-1 sur la majoration de la rente
En application des dispositions de l'article L. 452-2, alinéas 2 et 3, du code de la sécurité sociale, il y a lieu de fixer au maximum la majoration des indemnités qui sont dues au salarié en vertu du livre IV du code de la sécurité sociale, étant observé que par le taux d'incapacité permanente partielle a été fixé à 9%, tel que notifié au salarié le 28 novembre 2016.
Le jugement est confirmé de ce chef.
3-2 sur les préjudices complémentaires indemnisables et la mission d'expertise
En application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur est fondée à demander réparation, indépendamment de la majoration de la rente ou du capital, du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées, des préjudices esthétique et d'agrément, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Et il résulte de l'application de la réserve d'interprétation apportée à ce texte par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, que la victime est en droit de solliciter devant les juridictions de sécurité sociale la réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a d'ordonné, avant débat contradictoire sur la liquidation des préjudices complémentaires du salarié, une expertise médicale, aux frais avancés de la caisse, afin de déterminer l'ensemble des préjudices définis par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et ceux non couverts par le livre IV.
Le contenu de la mission confiée à l'expert est énoncé au dispositif du jugement de première instance, étant précisé qu'il appartiendra au pôle social tribunal judiciaire de [Localité 3], statuant après dépôt du rapport d'expertise, de se prononcer sur le bien-fondé des demandes en indemnisation qui seront formulées par le salarié.
Au regard de la nature des lésions subies par le salarié et de la durée des soins, il convient de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a fixé à 4000 euros la provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, dont la caisse devra faire l'avance.
3-3 sur l'action récursoire de la caisse
Il résulte de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale que quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3.
Par conséquent, c'est vainement que l'employeur soutient que la décision du 19 mars 2013 par laquelle la caisse a refusé de reconnaître le caractère professionnel de la pathologie du salarié lui est acquise et fait obstacle à l'action récursoire de celle-ci à son encontre ensuite de la reconnaissance de sa faute inexcusable.
Aussi, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la caisse pourra recouvrer contre l'employeur le montant de la majoration de la rente et l'ensemble des sommes allouées ensuite de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
4 - Sur les frais irrépétibles et les dépens
La décision déférée est confirmée en sa disposition relative aux frais irrépétibles et les dépens.
L'employeur succombant dans ses prétentions est tenu aux dépens d'appel et il est équitable de fixer à 2 000 euros l'indemnité qu'il devra payer au salarié au titre de frais non compris dans les dépens que celui-ci a dû exposer pour faire valoir ses droits dans la présente procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société [9] à payer à M. [Y] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société [9] aux dépens.
La greffière, La présidente,