COUR D'APPEL DE LYON
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 16 FÉVRIER 2023
statuant en matière de soins psychiatriques
N° RG 23/01021 - N° Portalis DBVX-V-B7H-OYWX
Appel contre une décision rendue le 31 janvier 2023 par le Juge des libertés et de la détention de LYON.
APPELANT :
M. [V] [G]
né le 23 Août 1984
Actuellement hospitalisé au Centre hospitalier le [9] - UHSA
comparant assisté de Me Manon JAILLET,avocat au barreau de LYON, commis d'office
INTIMES :
PREFET DU RHONE - ARS
ARS : délégation territoriale du département du Rhône - [Adresse 1]
[Localité 2]
Non comparant, régulièrement avisé, non représenté.
HOPITAL DU [9] - UHSA
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Non comparant, régulièrement avisé, non représenté.
Le dossier a été préalablement communiqué au Ministère Public qui a fait valoir ses observations écrites.
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Nous, Véronique MASSON-BESSOU, Conseiller à la cour d'appel de Lyon, désignée par ordonnance de madame la première présidente de la cour d'appel de Lyon du 02 janvier 2023 pour statuer à l'occasion des procédures ouvertes en application des articles L.3211-12 et suivants du code de la santé publique, statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Assistée de Jihan TAHIRI, Greffière placée, pendant les débats tenus en audience publique,
Ordonnance prononcée le 16 Février 2023 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signée par Véronique MASSON-BESSOU, Conseiller, et par Jihan TAHIRI, Greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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En date du 19 janvier 2023, le Docteur [R] [E], Psychiatre aux hospices civils de [Localité 7], a établi un certificat médical circonstancié aux termes duquel il est indiqué que l'état mental de Monsieur [V] [G] impose des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale justifiant une hospitalisation complète en soins psychiatriques contraints, sur le fondement de l'article L 3214-3 du Code de la santé publique.
Le Préfet du Rhône, sur la base de ce certificat, a, par arrêté du 20 janvier 2023, ordonné l'admission en soins psychiatriques de Monsieur [V] [G] sous la forme d'une hospitalisation complète sans consentement au centre hospitalier du [9], UHSA de [Localité 5] à compter du 21 janvier 2023 et jusqu'au 21 février 2023, au visa, notamment, des articles L 3214-1 et suivants du Code de la santé publique .
Un certificat des 24 heures a été établi le 21 janvier 2023 par le Docteur [W] [M], Psychiatre au Centre Hospitalier du [9].
Un certificat des 72 heures a été établi le 24 janvier 2023 par le Docteur [C] [L], Psychiatre au Centre Hospitalier du [9].
Par arrêté du 24 janvier 2023, le Préfet du Rhône a ordonné ques les soins psychiatriques de Monsieur [V] [G] se poursuivent sous la forme d'une hospitalisation complète sans consentement au centre hospitalier du [9] -UHSA de [Localité 5] .
Par ordonnance du 31 janvier 2023, le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Lyon, au visa notamment du certificat de situation établi par le Docteur [C] [L] le 27 janvier 2023, a autorisé la poursuite des soins psychiatriques de Monsieur [V] [G] sous la forme d'une hospitalisation complète sans consentement au delà d'une durée de 12 jours.
Par courrier daté du 8 février 2023, enregistré au greffe de la Cour d'appel de Lyon le 9 février 2023, Monsieur [V] [G] a interjeté appel de cette ordonnance.
Par conclusions du 13 février 2023, le ministère public a soulevé l'irrecevabilité de l'appel, en ce qu'il n'est pas motivé et conclu subsidiairement à la confirmation de la décision déférée .
Par conclusions complémentaires du 16 février 2023, en réplique à l'exception d'inconventionnalité soulevée par le conseil de Monsieur [V] [G] , le ministère public a fait valoir que les jurisprudences invoquées n'étaient pas applicables en l'espèce, l'exigence de la motivation d'appel énoncée à l'article L 3211-19 du Code de la santé publique étant spécifique au contentieux des hospitalisations sous contrainte et échappant au droit commun de la procédure civile .
L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 février 2023 .
Monsieur [V] [G] , comparant, a sollicité la mainlevée de la mesure prise à son encontre, et présenté ses observations à ce titre.
Il a soutenu en substance :
-que pendant son incarcération, il a appris que son épouse et ses quatre enfants étaient décédés et qu'il entend engager la responsabilité de l'état à ce titre, alors qu'aucune mesure n'a été prise pour protéger ses enfants dans un contexte où son épouse était bipolaire, où ses quatre enfants, âgés de 3 à 12 ans, qui étaient déscolarisés depuis quatre mois, étaient en danger avec elle et où il a signalé maintes fois qu'il fallait intervenir en urgence sans pour autant être etendu, ce qui révèle une défaillance des institutions;
-qu'il a contacté un avocat parisien qui a donné son accord pour le soutenir dans son action, raison pour laquelle il souhaite être incarcéré à proximité de [Localité 8], demande à laquelle en outre l'administration pénitentiaire a fait droit puisque dès que sa mesure d'hospitalisation sera levée, il sera transféré dans un établissement pénitentiaire à proximité de [Localité 8];
-qu'il a cessé de parler puisqu'il n'était ni entendu ni cru, considéré comme fou et délirant, notamment par les psychiatres, alors que le décès de sa famille est avéré, raison pour laquelle il a également fait une grève de la faim;
-que la mesure prise à son encontre ne se justifie aucunement, qu'il conteste être dangereux, violent, voire même délirant.
Son conseil a développé oralement les conclusions déposées au greffe de la Cour le 15 février 2023, aux termes desquelles il a demandé :
S'agissant de la recevabilité de l'appel :
-à titre principal, que l'appel soit déclaré recevable, car motivé puisque son client a contesté l'ordonnance du 30 janvier 2023 au motif que cette dernière était mise en oeuvre sans son consentement ;
-à titre subsidiaire, que soit accueillie l'exception d'inconventionnalité soulevée , écarter les dispositions de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique comme contraire aux articles 6 et13 de la Convention européenne des droits de l'hommes en ce qu'il ne permet pas un recours effectif des personnes hospitalisées sans leur consentement et ne respecte pas leur droit à un procès équitable, et en conséquence juger l'appel recevable ;
S'agissant du maintien en hospitalisation complète :
-constater l'absence d'irrégularité de la procédure et statuer ce que de droit sur le maintien en hospitalisation complète.
Motifs de la décision
En vertu des dispositions de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique, le Premier Président ou son délégué est saisi par une déclaration d'appel motivée transmise par tout moyen au greffe de la Cour d'appel.
En l'espèce, le courrier adressé par Monsieur [V] [G] à la Cour mentionne seulement :
"Par le présent écrit, je soussigné [G] [V] né le 23 Août 1984 à [Localité 6] (38) , déclare faire appel de l'ordonnance de maintien en hospitalisation complète sans consentement-ordonnance du 31 janvier 2023".
Contrairement à ce que soutient le conseil de Monsieur [V] [G] dans ses conclusions, il ne peut qu'être constaté que Monsieur [V] [G] s'est limité dans sa déclaration d'appel à indiquer qu'il faisait appel de l'ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Lyon du 31 janvier 2023 sans autre motivation et que les raisons de cet appel ne sont aucunement exposées .
Or, la seule mention de la volonté de la personne hospitalisée de faire appel ne peut s'analyser en une motivation, la motivation d'un appel devant s'entendre d'une explication des moyens de droit ou a minima des moyens de fait servant à contester la décision déférée.
Il en résulte qu'il ne peut qu'être retenu que l'appel interjeté par Monsieur [V] [G] n'est pas motivé et qu'en conséquence la juridiction d'appel n'est pas saisie, l'appel de Monsieur [V] [G] étant donc irrecevable par application des dispositions précitées .
Reste que le conseil de Monsieur [V] [G] soulève une exception d'inconventionnalité afférente à l'exigence de motivation énoncée à l'article R 3211-19 du Code de la santé publique, sollicitant de ce fait que ces dispositions soient écartées.
Dans ses écritures, le conseil de Monsieur [V] [G] fait valoir à l'appui de son exception d'inconventionnalité :
-que les dispositions réglementaires du Code de la santé publique portent atteinte au droit à un recours effectif des personnes hospitalisées sans consentement et à leur droit à un procès équitable, en contravention avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme;
-qu'en effet, ces personnes vulnérables ne sont pas nécessairement en mesure de pouvoir comprendre ce que signifie le terme de 'motivation' au sens de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique, ce d'autant plus qu'elles ne sont pas forcément accompagnées d'un conseil lors de la rédaction de l'acte d'appel , qui plus est dans un contexte où elles sont hospitalisées ;
-que ce formalisme constitue indéniablement une charge procédurale excessive, dès lors que le justiciable n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit et alors qu'au delà, le délai restreint imparti implique bien souvent que la juridiction soit saisie tardivement de cet appel, tout comme le conseil désigné, ce qui ne permet pas de régulariser en temps utile un tel vice;
-qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, il est retenu que, pour ne pas constituer une charge procédurale excessive, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée en omettant d'indiquer les chefs de jugement critiqués doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la Cour l'ensemble des chefs de ce jugement, ce qui est transposable en l'espèce.
Il convient de rappeler :
-que l'article 55 de la constitution prévoit expressément, aux conditions qu'il énonce, une primauté du droit international sur le droit interne;
-qu'à ce titre, le contrôle de la conformité d'une loi ou d'une norme réglementaire internes aux traités et accords internationaux régulièrement ratifiés peut être exercé par le juge judiciaire à l'occasion d'un litige dont il est saisi et l'amener à écarter l'application d'une disposition qui y contreviendrait.
Il convient donc en l'espèce de déterminer si les dispositions de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique (relatif aux modalités d'exercice du droit d'appel consacré par l'article L 3211-12-4 du Code de la santé publique), contreviennent aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elles exigent une déclaration d'appel motivée, dans un contexte où l'appel interjeté émane d'une personne hospitalisée en soins psychiatriques sans consentement, par essence en situation de fragilité.
L'article 6 de la convention sus-visée, qui consacre le droit à un procès équitable, énonce en son article 1 :
'1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ...'
Les dispositions de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, (Droit à un recours effectif) disposent quant à elles que :
'Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles'.
Il s'en déduit, d'une part, que le droit d'accès au juge doit être effectif et, d'autre part, que ce droit ne doit pas être entravé par un formalisme excessif de nature à le priver de sa substance .
Néanmoins, il est légitime que le droit d'accès au juge se prête à des limitations, dans l'objectif d'assurer une bonne administration de la justice, outre la célérité de la procédure.
Il n'en demeure pas moins que les limitations instituées doivent d'être proportionnées au but poursuivi et ne pas être de nature à priver le droit d'accès au juge de son efficacité, et par la même de priver le justiciable de son droit à un procès équitable .
En l'espèce, l'obligation de motiver l'appel telle qu'elle ressort des dispositions de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique est dépourvue de toute ambigüité et encadre les conditions d'exercice du droit d'appel dans le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant l'efficacité de la procédure d'appel.
Pour autant, il ne peut qu'être reconnu, à l'instar de ce que soutient le conseil de Monsieur [V] [G] :
-que le droit d'appel, auquel l'article R 3211-19 du Code de la santé publique fait référence, est un droit dont bénéficie une personne hospitalisée en soins psychiatriques sans son consentement et donc par essence vulnérable, dans un contexte où il est considéré que les troubles qu'elle présente ne lui permettent pas de consentir librement à son hospitalisation ;
-qu'au regard d'un état de santé mentale considéré médicalement comme défaillant et ayant justifié une hospitalisation sans consentement, la personne concernée n'est pas nécessairement à même d'appréhender le sens que revêt la mention 'déclaration d'appel motivée';
-qu'en outre, la personne concernée n'est pas nécessairement assistée de son avocat quand elle use de son droit d'appel, dès lors qu'elle dispose d'un délai de 10 jours pour contester la décision.
Reste que la personne hospitalisée sous contrainte est à l'audience obligatoirement assistée d'un avocat, lequel est mis en mesure de prendre connaissance de la procédure avant l'audience et de régulariser si nécessaire l'irrégularité d'une déclaration d'appel affectée d'une absence de motivation, et ce en temps utile, contrairement à ce que soutient le conseil de Monsieur [V] [G], dès lors qu'une motivation succincte, qui suffit à régulariser l'appel, est aisément réalisable.
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que l'exigence de motivation de l'appel, telle qu'elle ressort des dispositions de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique, a porté atteinte au droit à un recours effectif consacré par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et au droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la même Convention.
Plus précisément, en l'espèce, il apparaît, à l'examen de la décision déférée, que copie de l'ordonnance querellée a été remise en mains propres immédiatement après l'audience, tant à Monsieur [V] [G] qu'à son avocat et qu'il était donc en mesure dès le 31 janvier 2023, date à laquelle il a reçu copie de l'ordonnance, s'il souhaitait contester la décision, d'en faire part à son avocat, et de recueillir ses conseils sur les modalités qu'il convenait d'observer pour interjeter un appel régulier, son droit au recours effectif ne pouvant à ce stade être affecté .
Certes, Monsieur [V] [G] a fait appel le 9 février 2023, soit neuf jours après l'audience, et il n'est pas contestable qu'à cette date, il était hospitalisé et n'était pas assisté d'un conseil.
Pour autant, il ressort des pièces de la procédure :
-que dès le 9 février 2023, jour de l'enregistrement de la déclaration d'appel au greffe de la Cour, le barreau a été contacté aux fins de désignation d'un avocat d'office et que dès le lendemain, 10 Février 2023, un avocat a été désigné afin de défendre les intérêts de Monsieur [V] [G] ;
-que le 10 février 2023, l'avis d'audience a été envoyé à Monsieur [V] [G] , qui l'a retourné le 15 février suivant en indiquant qu'il voulait être assisté de Maître Mercimier, avocat inscrit au barreau de Paris, lequel, contacté ce même jour, a indiqué qu'il n'était pas en mesure de se présenter à l'audience du 16 février 2023 pour assister Monsieur [V] [G] ;
-que l'avocat désigné d'office a régularisé des conclusions le 15 février 2023 , comme en atteste le tampon du greffe de la Cour , et avait donc la possibilité de régulariser l'appel irrégulier en y ajoutant les motivations manquantes avant l'audience.
Or, dès lors qu'une possibilité de régulariser l'appel non motivé était ouverte avant l'audience, il ne peut qu'être constaté qu'il n'y a eu ni atteinte au droit de Monsieur [V] [G] de bénéficier d'un procès équitable, ni atteinte à son droit à un recours effectif .
Enfin, c'est à tort que le conseil de Monsieur [V] [G] fait référence, à l'appui de son exception d'inconventionnalité, au règles de droit commun de la procédure civile d'appel, notamment s'agissant des procédures sans représentation obligatoire, l'exigence de la motivation de l'appel au sens de l'article R 3211-19 du Code de la santé publique étant spécifique au contentieux des hospitalisations sous contrainte et échappant au droit commun de la procédure civile, comme l'a relevé à raison le parquet général .
L'exception d'inconventionnalité sera en conséquence rejetée .
Au surplus, il doit être rappelé que Monsieur [V] [G] dispose du droit de saisir le Juge des libertés et de la détention d'une demande de mainlevée de la mesure d'hospitalisation sous contrainte prise à son encontre, et qu'il est donc en mesure, par un nouveau recours, d'obtenir un réexamen de sa situation .
PAR CES MOTIFS
Déclarons l'appel de Monsieur [V] [G] irrecevable en la forme,
Rejetons l'exception d'inconventionalité soulevée;
Laissons les dépens à la charge du trésor public.
Le Greffier, Le Conseiller délégué,