AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/09021 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MY3R
[N]
C/
Société GRANGE MUSIQUE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 17 Décembre 2019
RG : F 16/00448
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 03 FEVRIER 2023
APPELANT :
[F] [N]
né le 27 Décembre 1960 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société GRANGE MUSIQUE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON
et représentée par Me Valérie PONCIN-AUGAGNEUR de la SELARL JURI SOCIAL, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Décembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Béatrice REGNIER, Présidente
Catherine CHANEZ, Conseiller
Régis DEVAUX,
Assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 03 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en date du 17 décembre 2019 ;
Vu les déclarations d'appel transmises par voie électronique les 30 décembre 2019 et 2 janvier 2020 par M. [F] [N] ;
Vu l'ordonnance de jonction du 8 septembre 2020 ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 25 mars 2020 par M. [N] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 24 juin 2020 par la SAS Grange Musique ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 8 novembre 2022 ;
Pour l'exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément au jugement déféré et aux écritures susvisées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
- Sur les heures supplémentaires :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ;
Que, selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que la nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminés par voie réglementaire ;
Que, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ;
Qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires susvisées ;
Qu'enfin le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ;
Attendu qu'en l'espèce M. [N] soutient avoir accompli 300h19 supplémentaires au cours de la relation contractuelle - chiffre figurant sur un relevé de badgeage pour la période du 21 au 27 septembre 2015 ;
Qu'il produit un document intitulé 'Edition des badgeages du 21 au 27 septembre 2015" à son nom précisant pour la semaine en cause ses horaires d'entrée et de sortie et un crédit de 10h12 ; qu'il y est également mentionné, au titre du crédit total à la date du 25 septembre 2015, 303,19 heures avec en face un logo en triangle correspondant d'après la légende à une anomalie ; qu'il verse également aux débats son bulletin de paie de septembre 2015 d'où il ressort qu'aucune heure supplémentaire ne lui a été payée au cours du mois considéré ;
Attendu que ces documents constituent des éléments suffisamment précis à l'appui de la demande de M. [N] pour que l'employeur y réponde, mais pour la seule semaine du 21 au 27 septembre 2015 ; qu'en effet, pour la période antérieure, M. [N] ne fournit aucune indication ni aucun document et ne précise pas le nombre d'heures qu'il aurait accomplies chaque jour ou même chaque semaine ; qu'il est également impossible de savoir si des heures supplémentaires lui ont ou pas été payées ; que la seule mention du chiffre 303h19 sur l'édition des badgeages n'est pas un élément précis, alors même au surplus qu'une anomalie est signalée ;
Attendu que la SAS Grange Musique conteste la réalisation d'heures supplémentaires ; que toutefois elle ne prouve pas que les horaires quotidiens du salarié tels que mentionnés sur l'édition des badgeages pour la semaine du 21 au 27 septembre 2015 ne seraient pas les horaires réellement réalisés ; que, par suite, la cour retient que M. [N] a accompli 10h12 supplémentaires dont il n'a pas été rémunéré ; qu'il lui est donc dû à ce titre la somme de 192,91 euros brut, outre les congés payés y afférents, calculée comme suit : ((8h x 14,5052) x 25 %) + ((2,20h x 14,5052) x 50 %) ;
- Sur le travail dissimulé :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail dans sa version applicable : ' Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; / 2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli (...)' et qu'aux termes de l'article L. 8223-1 du même code : ' En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.' ;
Attendu qu'en l'espèce la volonté délibérée de la SAS Grange Musique de dissimuler sur les bulletins de paie les heures réellement accomplies par le salarié pour la semaine du 21 au 27 septembre 2015 n'est pas suffisamment caractérisée ; que la demande d'indemnité pour travail dissimulé est donc rejetée ;
- Sur la rupture anticipée du contrat de travail :
Attendu que, selon les articles L.1243-1 et L.1243-4 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude ;
Que par ailleurs la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve pesant sur l'employeur ;
Attendu qu'en l'espèce, par des motifs pertinents que la cour adopte, le conseil de prud'hommes, après avoir rappelé les termes du courrier de rupture et fait une analyse détaillée des pièces du dossier, a justement considéré que les faits reprochés à M. [N] n'étaient pas prescrits, étaient matériellement établis, lui étaient imputables et étaient fautifs compte tenu d'une part de leur nature - caractérisant ainsi une négligence fautive, d'autre part de la formation et de l'expérience professionnelle de l'intéressé - celui-ci ne pouvant se dédouaner de ses manquements en en reportant la responsabilité sur son employeur ;
Qu'en réponse aux objections du salarié, la cour ajoute que la circonstance que, contrairement à ce qu'à mentionné le conseil, le courriel du 1er juillet 2015 ne portait pas sur la remise de chèques ou d'espèces est sans incidence compte tenu des deux mails postérieurs des 7 et 8 juillet qui eux y sont bien afférents ; que par ailleurs c'est à juste titre que le conseil a retenu que M. [N] avait prétendu dans son courrier de contestation du 5 janvier 2016 avoir programmé le virement URSSAF - cette programmation étant fixée pour sa première semaine de congés ; qu'également les premiers juges n'ont pas commis d'erreur lorsqu'ils ont mentionné que M. [N] avait indiqué dans son curriculum vitae avoir bénéficié d'une formation et avoir des compétences sur le logiciel SAGE ; qu'enfin le conseil a tout à fait justement retenu que M. [N] avait été informé de la venue de Mme [J] - peu important à quelle date cette information a eu lieu dans la mesure où en tout état de cause la visite avait lieu durant les heures de travail de l'intéressé - et qu'aucun arrêt de travail ne justifie son absence aux réunions des 2 et 7 juillet 2015 dont pourtant il connaissait l'importance ;
Attendu que, commme l'a fort justement indiqué le conseil de prud'hommes, compte tenu de la multiplicité des erreurs comptables que M. [N] a cherché a dissimuler en ne répondant pas aux demandes des organes de contrôle et à celles de l'employeur, et au regard de ses abstentions volontaires, le comportement du salarié a justifié la rupture immédiate de la relation contractuelle ; que la faute grave est donc constituée ;
Attendu que la rupture anticipée du contrat à durée déterminée est dès lors fondée et M. [N] doit être débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour rupture abusive et de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ainsi que des congés payés y afférents ; qu'il en est de même de celle portant sur l'indemnité de précarité, laquelle n'est due que si le contrat à durée déterminée arrive à son terme ;
- Sur la remise des documents sociaux :
Attendu que, compte tenu de la solution adoptée au litige, il y a lieu d'ordonner à la SAS Grange Musique de remettre à M. [N] un bulletin de paie ainsi qu'une attestation Pôle emploi portant la mention des heures supplémentaires auxquels la société est condamnée, sans qu'il y ait besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte ; qu'il n'y a en revanche pas lieu de rectifier le certificat de travail ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [F] [N] de ses demandes en paiement d'heures supplémentaires et des congés payés y afférents ainsi que de remise des documents sociaux, et condamné l'intéressé aux dépens,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Condamne la SAS Grange Musique à payer à M. [F] [N] la somme de 192,91 euros brut, outre celle 19,29 euros brut de congés payés, à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires,
Condamne la SAS Grange Musique à remettre à M. [F] [N] un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi conformes aux dispositions du présent arrêt,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens de première instance et d'appel,
Le Greffier La Présidente