N° RG 21/09120 - N° Portalis DBVX-V-B7F-OAKO
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
Au fond
du 01 décembre 2021
RG : 18/02006
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
LA PROCUREURE GENERALE
C/
[F]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 02 Février 2023
APPELANTS :
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
Tribunal Judiciaire de Lyon
[Adresse 4]
[Localité 5]
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par M. Jean-Daniel REGNAULD, avocat général
INTIME :
M. [P] [F]
né le 23 Février 1960 à [Localité 7] (TUNISIE)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Me Nicolas FAUCK de la SELARL NICOLAS FAUCK AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de l'AIN
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 06 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Décembre 2022
Date de mise à disposition : 02 Février 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Claire ALMUNEAU, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. [P] [F], né le 23 février 1960 à [Localité 7] (Tunisie), de nationalité tunisienne et Mme [J] [Y] [O], née le 18 avril 1967 à [Localité 8] (74), de nationalité française, ont contracté mariage le 2 mars 1996 à [Localité 6] (Tunisie).
De leur union est issue une enfant, [U] [F], née le 22 août 1997 à [Localité 9].
Après cinq années de mariage, M. [P] [F] a déposé, le 6 février 2001, devant le juge du tribunal d'instance de Bourg-en-Bresse, une demande d'acquisition de la nationalité française en application de l'article 21-2 du code civil. A cette occasion, les époux [F] ont signé une attestation de communauté de vie.
La déclaration a été enregistrée le 23 novembre 2001.
Le divorce des époux a été prononcé le 11 décembre 2002 et transcrit sur les actes d'état civil de chaque époux, et notamment de M. [P] [F] en 2003.
Mme [J] [O] est décédée en 2007 des suites d'un cancer.
M. [F] s'est remarié avec Mme [I] [B] le 29 décembre 2006 à [Localité 6] (Tunisie). Le mariage a été transcrit en France le 3 avril 2008. Mme [I] [B] est entrée sur le territoire français en qualité de conjoint français, ensuite de son mariage. Elle a obtenu un titre de séjour, lequel a été renouvelé à plusieurs reprises sur ce fondement. Après onze années de mariage et de séjour sur le territoire, elle a déposé une demande d'acquisition de la nationalité française, mais s'est vue opposer un refus par courrier du 2 novembre 2017, au motif que son mari aurait obtenu la nationalité française frauduleusement.
Par acte du 8 mars 2018, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon, saisi par le ministère de la Justice le 5 mars 2018, a fait assigner M. [P] [F] sur le fondement des dispositions de l'article 26-4 alinéa 3 du code civil, aux fins de contester ledit enregistrement.
Par jugement contradictoire du 1er décembre 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- constaté que M. [F] a acquis la nationalité française par déclaration en application de l'article 21-2 du code civil,
- ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil,
- condamné le Trésor public à payer 1000 euros à M. [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge du Trésor public.
Par déclaration enregistrée le 21 décembre 2021, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon a interjeté appel de cette décision, laquelle lui a été signifiée le 27 décembre 2021. Cet appel concerne l'ensemble des chefs du jugement critiqué.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 mars 2022, M. le procureur de la République demande à la cour :
- de dire la procédure régulière au sens de l'article 1043 du code de procédure civile,
- d'infirmer le jugement de première instance,
Et statuant à nouveau,
- d'annuler l'enregistrement en date du 23 novembre 2001 de la déclaration souscrite le 6 février 2001 par M. [P] [F],
- de dire que M. [P] [F], né le 23 février 1960 à [Localité 7] (Tunisie), n'est pas de nationalité française,
- d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Sur la recevabilité de l'action du ministère public, il fait valoir qu'en raison du domicile de M. [P] [F] à [Localité 1], le ministère public territorialement compétent pour contester l'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de la nationalité était le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon.
En l'espèce, le délai de prescription de l'article 26-4 du code civil n'a commencé à courir qu'à compter de la découverte de la fraude par le procureur territorialement compétent, soit le 5 mars 2018, date à laquelle la fraude lui a été dénoncée.
Cette fraude a notamment été mise à jour par le contenu de la convention dé'nitive portant règlement des effets du divorce des époux, contenu que la transcription du divorce en marge des actes de l'état civil (notamment de l'acte de naissance nantais de M. [P] [F]) ne permettait à l'évidence pas de révéler. La mention portée en marge de son acte de naissance, le 14 mai 2008, de son remariage avec [I] [B] ne permettait pas davantage de suspecter une fraude. Le divorce de M. [P] [F] a été prononcé par le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse mais le procureur de la République de cette juridiction n'était pas en mesure de découvrir la fraude, n'étant pas partie à l'instance. La transcription du divorce puis du remariage a été faite par l'of'cier d'état civil de Nantes qui n'est pas dans le ressort du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse ni de celui de Lyon, devenu ensuite compétent en matière de nationalité.
L'analyse selon laquelle la mention du divorce portée en marge de l'acte de mariage permettait au procureur de la République du tribunal de grande instance d'engager dès cette date l'action en contestation de la déclaration de nationalité tend à conférer à la mention du divorce apposée en marge de l'acte de mariage la force d'une présomption quasiment irréfragable de connaissance par le ministère public de la cessation de la vie commune.
Or, l'acte de mariage de M. [P] [F] ne porte pas mention de la déclaration de nationalité française qu'il a souscrite. Par conséquent, le procureur de la République territorialement compétent n'a pas été mis en mesure de découvrir la fraude et le mensonge prévus à l'article 26-4 du code civil sur la foi de l'unique mention d'un divorce en marge d'un acte de mariage.
Compte tenu de ce qui précède, l'action du ministère public a été engagée dans les délais et est parfaitement recevable.
Sur le fond, le ministère public expose que, n'ayant pas agi dans le délai de deux ans à compter de l'enregistrement intervenu le 23 novembre 2001, la présomption de fraude ne joue pas et il lui appartient de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude.
La convention de divorce mentionne expressément que les époux vivaient déjà séparément depuis le 1er septembre 2001, soit avant l'enregistrement de la déclaration intervenue le 23 novembre 2001. Lors du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle le 3 octobre 2001, les époux étaient déjà séparés, comme le con'rme la décision communiquée par le défendeur. Il ressort de ces éléments qu'à la date de la souscription de la déclaration de nationalité française par M. [P] [F], le 6 février 2001, il n'y avait plus aucune communauté de vie au sens de l'article 21-2 du code civil entre les époux [F].
Les époux n'étaient animés d'aucune intention matrimoniale commune, la procédure de divorce étant en cours durant l'instruction de la demande d'acquisition de la nationalité française.
En l'espèce, le dépôt d'une demande de divorce par chacun des époux en juin 2018, soit plus de 18 mois avant la souscription de la déclaration de nationalité française le 6 février 2001, indique clairement que cette volonté de vivre durablement en union n'existait pas au jour de la souscription de la déclaration de nationalité.
Les motifs évoqués par chacun des époux dans leur demande en divorce respective démontrent que la communauté de vie, tant matérielle qu'affective, n'a pas été continue depuis le mariage jusqu'à la date de souscription de la déclaration de nationalité française.
En tout état de cause, les demandes de divorce déposées en juin 2018 par chacun des époux ne font que confirmer que la communauté de vie à tout le moins affective avait déjà pris 'n lors de la souscription de la déclaration de nationalité et que l'élément intentionnel de la communauté de vie ' la volonté de vivre durablement en union - n'existait plus lors de la souscription de cette déclaration de nationalité française.
Dans ces conditions, l'attestation signée par [P] [F] et [J] [O] le 6 février 2001, attestation aux termes de laquelle ils 'certi'ent sur l'honneur que la communauté de vie est continue depuis leur mariage et subsiste entre eux à ce jour', est constitutive d'un mensonge au sens de l'article 26-4, alinéa 3, du code civil dès lors que les époux n'avaient pas la volonté de vivre durablement en union et que la communauté de vie matérielle n'avait pas été continue depuis leur mariage du fait du départ de M. [P] [F] du domicile conjugal.
Au vu de ces éléments, il apparaît que l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par M. [P] [F] a été obtenu par fraude et mensonge, de sorte que cet enregistrement doit être annulé.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 juillet 2022, M. [F] demande à la cour, au visa des articles 21-2 et suivants, 26-5, 28 du code civil, de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon du 1er décembre 2021,
En conséquence,
- de juger sa demande recevable et bien fondée en sa demande en contestation de retrait de la nationalité française,
- de juger de l'inexistence d'éléments objectifs de mauvaise foi de sa part depuis son entrée en France, il y a vingt-et-un ans,
- en déduire l'absence de fraude ou de mensonge de sa part pouvant motiver un retrait de nationalité acquise depuis dix-sept ans,
- de juger qu'il n'y a lieu de se voir retirer la nationalité française et donc la conserve à bon droit,
En tout état de cause,
- de rejeter toutes demandes plus amples ou contraire,
- de condamner l'Etat, représenté par le Ministère Public, à lui payer la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner le même aux entiers dépens,
- de dire que, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, la SELARL Nicolas Fauck' Avocats & Associés pourra recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance, sans en avoir reçu provision.
M. [F] réplique que :
- il a obtenu la nationalité française il y a 21 ans,
- le tribunal a relevé à bon droit que la fraude n'était aucunement prouvée par le procureur de la République,
- en sa version au 23 novembre 2001, date d'enregistrement de la déclaration d'acquisition de la nationalité française de M. [F], l'article 21-2 du code civil prévoit que l'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai d'un an à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint ait conservé sa nationalité,
- le délai d'un an est supprimé lorsque naît, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux conjoints, si les conditions relatives à la communauté de vie et à la nationalité du conjoint français sont satisfaites,
- la présomption de fraude résultant d'une cessation de la vie commune dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration ne peut s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration,
- le ministère public ne peut pas se prévaloir de la présomption de fraude puisque son action est exercée plus de deux ans après la date de l'enregistrement de la déclaration. Le délai de prescription a commencé à courir à compter de la découverte d'autres faits établissant l'existence d'une fraude. Le maintien d'une communauté de vie malgré une ordonnance de non-conciliation ou encore dans l'année qui suit la déclaration de nationalité écarte l'existence d'une fraude. Le seul divorce ne suffit pas à caractériser une fraude,
- il aurait pu demander l'acquisition de la nationalité française dès l'année 1997. Son intention d'acquérir la nationalité française n'a jamais été motivée par quelque manoeuvre ou fraude,
- il aurait pu compte tenu de la durée de son séjour régulier en France, demander la nationalité française par décret, par application de l'article 21-17 du code civil,
- le seul fait qu'une demande en divorce ait été déposée en 1998 ne démontre en rien une fraude commise en 2001. Une demande en divorce ne laisse en rien supposer de ses suites puisque la procédure permet une réconciliation du couple, ce qui s'est passé,
- Mme [O] a eu beaucoup de mal à accepter sa maladie et les échecs des traitements successifs. Son comportement a changé et elle est devenue agressive à l'égard de son mari. Bien que tentant de soutenir son épouse dans ces épreuves difficiles mais entendant se préserver ainsi que sa fille, il n'a eu d'autre choix que d'introduire une nouvelle demande en divorce en 2002,
- il a continué de s'occuper de Mme [O], laquelle a poursuivi son occupation de l'appartement de M. [F], celle-ci ne souhaitant pas rester seule. En raison des hospitalisations maternelles, l'enfant, qui avait son domicile officiel chez sa mère, résidait en réalité chez le père. Mme [O] n'a réellement quitté le domicile familial qu'en 2004, juste avant son second mariage. Le logement de M. [F] a constitué le domicile familial et conjugal jusqu'en 2004,
- il a toujours été de bonne foi et a procédé à toutes ses démarches tant administrativement que personnellement en qualité de Français. Il est bien intégré en France. Depuis 21 ans, il n'a pas fait usage de sa nationalité tunisienne,
- l'article 26-4 du code civil prévoit qu'une déclaration de nationalité peut être contestée dans un délai de deux ans par le ministère public. Le délai d'exercice de l'action court à compter de la date à partir de laquelle le procureur de la République territorialement compétent a été mis en mesure de découvrir la fraude ou le mensonge, soit en l'espèce la date à laquelle la mention du jugement de divorce prononcé par la juridiction de son ressort avait été portée en marge de l'acte de mariage, en sorte que la prescription était acquise à la date d'introduction de son action,
- c'est le même tribunal qui a constaté la réconciliation des époux en 1998 et a prononcé le divorce en 2002. Les actes d'état civil de M. [F] ont été produits dont un acte français portant mention de son acquisition par mariage de la nationalité française. La date à partir de laquelle le procureur de la République de Bourg-en-Bresse, territorialement compétent jusqu'en 2010, a été mis en mesure de découvrir le mensonge ou la fraude est la date à laquelle la mention du jugement de divorce prononcé par la juridiction de son ressort avait été portée en marge de l'acte de mariage.
Par la transcription du divorce en 2003 rendant opposable aux tiers le divorce, le ministère public était en mesure de connaître la prétendue fraude. Dès lors, il ne pouvait introduire son action que jusqu'en 2005,
- depuis 17 ans, M. [F] a dû à plusieurs reprises faire refaire sa carte d'identité ou son passeport, sans qu'une quelconque fraude lui soit opposée quant à sa nationalité. Il a fait transcrire son second mariage en 2006 en marge de son acte de naissance.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
Suivant ordonnance du 10 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a dit n'y avoir lieu à irrecevabilité des conclusions notifiées le 2 mai 2022 par M. [P] [F] et dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance principale.
La clôture a été prononcée le 6 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel :
Il convient de constater que le récépissé justifiant de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré le 4 janvier 2022.
Sur la recevabilité de l'action en contestation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité :
Aux termes de l'article 26-4 alinéa 3 du code civil, l'enregistrement de la déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.
C'est à compter de la date à laquelle le ministère public territorialement compétent a eu connaissance de la fraude que court le délai biennal d'exercice de l'action en annulation de l'enregistrement pour fraude.
Il est établi que la transcription en marge de l'acte de mariage d'un époux étranger ayant souscrit une déclaration en vue d'acquérir la nationalité française en application de l'article 21-2 du code civil, de la mention du jugement de divorce ayant dissous son mariage avec son épouse française n'est pas, en soi, de nature à mettre le ministère public territorialement compétent en mesure de connaître la fraude ou le mensonge qui l'autorise à exercer l'action en annulation de l'enregistrement de cette déclaration de l'article 26-4.
En l'espèce, si le divorce des époux [O]/[F] a été prononcé le 14 mai 2003 par le juge aux affaires familiales de Bourg-en-Bresse, le procureur de la République de cette juridiction n'a pas été en mesure de découvrir cet événement pour n'être pas partie à cette instance. De même, mention de ce divorce a été portée sur l'acte de mariage de M. [F] avec Mme [O] le 22 juillet 2003, mais également sur son acte de naissance le 15 juillet 2004, ainsi que celle de son remariage avec Mme [I] [B] le 14 mai 2008 par l'officier de l'état civil du service central d'état civil du ministère des affaires étrangères à Nantes, donc dans un ressort autre que celui du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, territorialement compétent en vertu du décret n°2009-1384 du 11 novembre 2009 jusqu'au 31 décembre 2009, et de celui du tribunal de grande instance de Lyon, territorialement compétent à compter du 1er janvier 2010. Les procureurs de Bourg-en-Bresse et de Lyon n'ont en conséquence pas été mis en mesure de connaître le divorce et le remariage de M. [F] par les mentions qui ont été faites de ces événements sur les actes d'état civil concernant l'intéressé.
Aucune des énonciations marginales des actes d'état civil de M. [F] ne mentionnant que l'intéressé avait acquis la nationalité française par son mariage, le procureur de la République territorialement compétent n'aurait pu suspecter de fraude sans procéder à des investigations complémentaires fondées sur des critères discriminatoires tirés des patronymes ou des lieux de naissance respectifs des époux, dont il a eu connaissance le 5 mars 2018, date à laquelle la Direction des affaires civiles et du sceau a dénoncé la fraude au procureur de la République près le tribunal de Lyon.
Celui-ci ayant assigné M. [P] [F] devant le tribunal de grande instance de Lyon par exploit d'huissier du 8 mars 2018, soit moins de deux ans après la découverte de la fraude, il convient de considérer l'action du ministère public, miseen oeuvre dans le délai légal, recevable.
Sur le fond :
L'article 21-2 alinéa 1er du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 19 mars 1998 applicable en l'espèce, énonce que l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai d'un an à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie n'ait pas cessé entre les époux et que le conjoint ait conservé sa nationalité.
Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, la communauté de vie s'apprécie au jour de la souscription de la déclaration en vue d'acquérir la nationalité française, soit le 6 février 2001.
L'article 26-4 alinéa 3 du code civil, qui permet au ministère public de contester l'enregistrement d'une déclaration de nationalité en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte, instaure en outre une présomption de fraude lorsque la cessation de la vie commune entre les époux intervient dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration. Il en va de même lorsque la communauté de vie cesse entre la déclaration et l'enregistrement.
Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil constitutionnel a cependant précisé que la présomption de fraude résultant d'une cessation de la vie commune dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration, ne peut s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration de nationalité.
En l'espèce, le ministère public n'ayant pas agi dans le délai de deux ans à compter de l'enregistrement intervenu le 23 novembre 2001, la présomption de fraude ne s'applique pas et la charge de la preuve lui incombe selon l'article 30 du code civil.
Il résulte des pièces versées aux débats que M. [P] [F] et Mme [J] [O] ont présenté, respectivement les 12 juin 1998 et 19 juin 1998, des requêtes en divorce au juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, dont il ressort que l'époux avait quitté le domicile conjugal. Le 29 septembre 1998, une ordonnance de non- conciliation a été rendue, autorisant les époux à résider séparément l'un de l'autre, mais la procédure n'ayant pas été poursuivie, ses dispositions sont devenues caduques à l'issue d'un délai de trente mois, soit en mars 2000, laissant présumer d'une réconciliation des époux et d'une reprise de la vie commune.
Postérieurement à la souscription de la déclaration, le 5 novembre 2001, M. [P] [F] et Mme [J] [O] ont formé une demande conjointe en divorce, qu'ils ont réitérée le 23 janvier 2003. Le jugement de divorce a été prononcé le 14 mai 2003, homologuant la convention définitive établie le 11 décembre 2002 qui avait fixé, sur déclaration des époux, la séparation de fait au 1er septembre 2001.
Il résulte de ce qui précède que si elle a irrémédiablement pris fin à l'automne 2001, le ministère public ne rapporte pas la preuve de ce que la communauté de vie tant affective que matérielle du couple [F]-[O] n'existait pas au jour de sa déclaration de nationalité le 6 février 2001, une interruption de la vie commune suivie de sa reprise ne faisant pas perdre à l'étranger le droit d'acquérir la nationalité française de son conjoint.
Il s'ensuit qu'il n'est pas non plus démontré que l'attestation sur l'honneur du 6 février 2001 au terme de laquelle M. [F] et Mme [O] certifiaient que la communauté de vie subsistait entre eux «à ce jour» ait présenté un caractère mensonger.
Il convient donc de confirmer le jugement déféré.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens, en ceux compris d'incident, resteront à la charge du Trésor public.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement, avoir en avoir délibéré conformément à la loi,
Constate que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon.
Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code civil.
Rejette la demande formée par M. [F] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Laisse les dépens d'appel en ceux compris d'incident à la charge du Trésor public.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président