N° RG 21/08475 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N6VH
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
ch 1 cab 01 A
du 03 novembre 2021
RG : 20/01209
ch n°1
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
LA PROCUREURE GENERALE
C/
[W]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème Chambre B
ARRET DU 02 Février 2023
APPELANTS :
M. LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
TJ de Lyon [Adresse 4]
[Localité 5]
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Mr Jean-Daniel REGNAULD, avocat général
INTIME :
M. [M] [W]
né le 20 Septembre 1988 à [Localité 12] (SENEGAL)
Chez Monsieur [N] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Stéphanie MANTIONE, avocat au barreau de LYON, toque : 678
Assisté par Me David HUARD, avocat au barreau de GRENOBLE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 29 Novembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Décembre 2022
Date de mise à disposition : 02 Février 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Claire ALMUNEAU, président
- Carole BATAILLARD, conseiller
- Françoise BARRIER, conseiller
assistés pendant les débats de Priscillia CANU, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [M] [W] se dit né le 20 septembre 1988, à [Localité 12] (Sénégal), de M. [N] [W], né le 7 décembre 1958 à [Localité 7] (Sénégal), de nationalité française (certificat de nationalité française délivré le 11 septembre 2000, après déclaration de réintégration souscrite le 13 août 1985), et de Mme [F] [Z], née le 17 janvier 1963 à [Localité 8] (Sénégal), comme indiqué dans son acte de naissance établi au Sénégal sur le registre de l'année 1988.
Par jugement contradictoire du 12 janvier 2012, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné la transcription à l'état civil français des actes de naissance de M. [M] [W], né le 20 septembre 1988, et de son frère [T] [W], né le 17 octobre 1991, tous deux à [Localité 12] (Sénégal). Dans le cadre de ce jugement, il est mentionné que M. [M] [W] et son frère sont tous deux domiciliés chez leur père, à [Localité 3]. La motivation du jugement évoque l'acte de naissance en signalant que c'est un tiers, [T] [Z], oncle maternel, qui a déclaré l'enfant et non son père, ce qui est permis par le code de la famille sénégalais, ce qui fait que la demande du procureur de la République visant au rejet de la demande de transcription était rejetée.
M. [M] [W] a aussi été reconnu par M. [N] [W] le 27 juin 2016 à [Localité 3], étant précisé que ses parents s'étaient auparavant mariés à [Localité 9] (Sénégal) le 25 janvier 2000, le couple ayant eu cinq enfants, tous nés à [Localité 12] (Sénégal) en 1986, 1988, 1991, 1995 et 1998 avant ce mariage, au vu des renseignements portés sur le livret de famille établi par le consul général de France à [Localité 6] le 14 mars 2006.
Se disant domicilié à [Adresse 11] (Sénégal), M. [M] [W] a demandé par l'intermédiaire du consulat général de France à [Localité 6] au service de la nationalité des français nés et établis hors de France la délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été refusé le 30 mars 2017. Il s'est, en revanche, vu délivrer le 26 janvier 2016 par les autorités sénégalaises, sous cette même identité, un certificat de nationalité sénégalaise, comme étant né au Sénégal d'un ascendant au premier degré qui y est lui-même né, et est en possession d'une carte nationale d'identité sénégalaise depuis le 21 avril 2012.
Par acte d'huissier délivré le 3 décembre 2018, M. [M] [W] a saisi le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir constater qu'il est Français, et celui-ci s'est dessaisi pour celui de Lyon, au vu de sa domiciliation à [Localité 3].
Par jugement contradictoire du 3 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Lyon, a constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, et dit que M. [M] [W] est de nationalité française au motif que :
- la nationalité française de M. [N] [W], qui s'est d'ailleurs vu délivrer un certificat de nationalité française, n'est pas contestée par le ministère public,
- le juge français, y compris celui de la nationalité, n'est pas compétent pour statuer sur la filiation du demandeur, M. [N] [W] ne contestant pas sa paternité et nul ne sollicitant une expertise pour le contredire,
- le demandeur conforte sa filiation paternelle en justifiant qu'il est domicilié chez son père, tout comme son frère [T], et en produisant le livret de famille de ses parents dont il n'est pas allégué qu'il s'agisse d'un faux,
- si l'acte de reconnaissance dressé le 27 juin 2016 après sa majorité n'a pas d'effet sur sa nationalité, il démontre que M. [N] [W] le reconnaît comme son fils devant l'officier d'état civil français,
- le lien de filiation est également établi notamment par la preuve du mariage des parents, faite par la production d'une copie de l'acte de mariage et d'extraits du livret de famille.
Par déclaration reçue au greffe le 25 novembre 2021, le procureur de la République de Lyon a interjeté appel de ce jugement, l'appel portant sur les chefs du dispositif suivants :
- en ce qu'il a dit que M. [W] est français,
- en ce qu'il a ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 novembre 2022, Mme le procureur général près la cour d'appel de Lyon demande à la cour de :
- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- infirmer le jugement de première instance attaqué et, statuant de nouveau :
- constater l'extranéité de l'intéressé,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que M. [M] [W] n'étant titulaire d'aucun certificat de nationalité française, la charge de la preuve de sa nationalité lui incombe par application de l'article 30 du code civil.
Elle précise que le jugement du 12 janvier 2012 du tribunal de grande instance de Nantes, qui a ordonné la transcription à l'état civil français de son acte de naissance, ne statue ni sur sa filiation, ni sur la nationalité française, ce qui fait que ce jugement n'a pas autorité de la chose jugée sur ce point, étant précisé qu'un jugement d'état civil n'établit pas plus la filiation que ne le ferait un acte de naissance et que ce jugement a été établi sans que l'acte de mariage de ses parents, postérieur, ait été produit. Elle ajoute que selon les pièces produites, la déclaration de naissance a été effectuée par un tiers, M. [K] [Z], marchand, domicilié à [Localité 12], ce qui fait que l'acte de naissancel n'établit pas la filiation paternelle, d'autant que cet acte ne mentionne ni la reconnaissance par le père, ni le mariage des parents (mentions pourtant nécessaires en application des articles 46 et 57 du code de la famille sénégalais), étant précisé que cet acte de naissance datant de 1988 a eu lieu bien avant le mariage de ses parents le 25 janvier 2000.
Elle relève que la reconnaissance réalisée par M. [N] [W] le 27 juin 2016 (seul acte établissant la filiation paternelle), bien après la majorité de M. [M] [W], n'emporte aucun effet en matière de nationalité, et que le demandeur n'a d'ailleurs pas produit l'acte de naissance de chacun de ses parents, puis indique que M. [M] [W] ne démontre pas au surplus la nationalité française de son père, dont il ne produit pas l'acte de naissance, la délivrance d'un certificat de nationalité à son père ou son frère étant pour cela insuffisant, de même que le livret de famille français de ses parents ou l'acte de naissance français de son père.
Elle critique la motivation du jugement déféré, exposant que pour prendre effet en matière de nationalité, une reconnaissance doit avoir été réalisée durant la minorité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et que le fait de produire le livret de famille (qui ne contient que des extraits d'actes, incomplets) de ses parents ou d'être domicilié chez son père ne démontre pas l'existence d'un lien de filiation. Elle souligne qu'en l'absence de reconnaissance paternelle avant le mariage de ses parents intervenu en 2000, le demandeur ne peut avoir été légitimé par mariage, et que la production de l'extrait de l'acte de naissance sénégalais de sa mère, incomplet, n'a aucune valeur probante, d'autant qu'il n'est pas accompagné du jugement supplétif d'acte de naissance dont il est indissociable. Par ailleurs, les autres pièces produites (récépissé de passeport, casier judiciaire, certificat de résidence) ne démontrent nullement l'existence d'une filiation par possession d'état, puisqu'ils sont postérieurs à sa majorité, survenue en 2006. Enfin, elle rappelle que pour que les actes d'état civil dressés à l'étranger produisent des effets en matière de nationalité, ils doivent être authentiques, réguliers et exacts au sens de l'article 47 du code civil, peu important qu'ils aient été transcrits dans les services de l'état civil français.
Selon ses dernières conclusions notifiées le 10 novembre 2022, M. [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lyon du 3 novembre 2021,
- dire que M. [W] est français en vertu des dispositions de l'article 18 du code civil,
- ordonner la mention à intervenir en marge de l'acte de naissance de M. [W] en vertu des dispositions de l'article 28 du code civil,
- y ajoutant, condamner le Ministère Public à lui verser la somme de 2 400 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il répond que, étant né d'un père français, il est lui-même Français, bien que vivant au Sénégal, étant domicilié à [Localité 3] chez son père juste pour les besoins de la procédure. Il expose que son acte de naissance ayant été transcrit à l'état civil français, sa filiation est ainsi établie, par application des dispositions de l'article 310-3 du code civil, puis souligne qu'il est difficile d'obtenir au Sénégal des documents d'état civil anciens, d'autant qu'y figurent des erreurs ou des doublons, ce qui fait que les résultats d'une enquête ne peuvent invalider les actes d'état civil établis, enquête d'ailleurs inconnue de M. [M] [W].
Il relève que le jugement du tribunal de Nantes datant de 2012 statue sur la valeur de son acte de naissance sénégalais dont il reconnaît la validité, statuant ainsi sur sa régularité et le caractère vraisemblable de ses mentions au sens de l'article 47 du code civil, puis indique que les actes d'état civil sénégalais sont dispensés de légalisation par l'article 35 de la convention bilatérale franco-sénégalaise du 29 mars 1974, en vigueur depuis le 1er septembre de la même année.
Il confirme qu'[K] [Z] est son grand-oncle maternel qui, en qualité de proche parent, était en droit de déclarer la naissance, par application de l'article 51 du code de la famille sénégalais, comme l'a reconnu en 2012 le jugement du tribunal de Nantes. Selon lui, ses parents se sont mariés de façon coutumière bien avant sa naissance et il souligne avoir des liens forts avec son père, chez qui il est domicilié.
Il ajoute que la preuve de sa filiation est établie par son acte de naissance, quand bien même celui-ci ne serait pas conforme à la loi sénégalaise, un tel acte valant reconnaissance de filiation en application de l'article 18 du code civil (est français l'enfant dont un des parents au moins est français) dès lors qu'il a été transcrit sur les registres français de l'état civil, notamment en présence d'autres éléments factuels qui permettent de retenir la réalité de sa filiation et l'enquête réalisée par les services consulaires ne permettant pas de remettre en cause celle-ci. Selon lui, sa filiation est établie par son acte de naissance sénégalais, même si son père a jugé utile de le reconnaître en 2016, de manière surabondante. Il fait état d'une reconnaissance ayant eu lieu au Sénégal en septembre 1988, peu de temps après la naissance, cette filiation étant corroborée par le livret de famille de ses parents, l'enquête réalisée ayant démontré que son acte de naissance n'est pas frauduleux. Il souligne enfin que de nombreuses pièces démontrent qu'il a la possession d'état de fils de [N] [W] (passeport, casier judiciaire, certificat de nationalité sénégalaise ou de résidence au Sénégal), ce qui fait que sa filiation est suffisamment établie, la nationalité française de son père étant établie par le certificat de nationalité française qu'il produit (réintégration dans la nationalité française en 1985, avant sa naissance en 1988, ce qui fait qu'il était bien français au jour de sa naissance).
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
La clôture de la procédure a été prononcée le 29 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Par application de l'article 30 du code civil et M. [M] [W] n'étant pas titulaire d'un certificat de nationalité française, la charge de la preuve de sa nationalité lui incombe. Il lui appartient donc de démontrer d'abord l'existence de son lien de filiation avec M. [N] [W] puis la nationalité française de celui-ci, puisqu'il entend se prévaloir des dispositions de l'article 18 du code civil.
1/ sur la valeur des actes de naissance produits en matière de filiation
Selon l'article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
M. [M] [W] produit en pièce 4 une copie littérale de son acte de naissance établi au Sénégal (Centre de [Localité 12]-Mosquée), copie établie le 28 mars 2007, le désignant comme étant [M] [W], né le 20 septembre 1988, fils de [N], sans indication du patronyme du père, et de [F] [Z], ce document ne comportant pas d'indication sur une éventuelle reconnaissance du père ou le mariage des parents. Il mentionne que cette naissance a été déclarée par M. [K] [Z], dont les pièces de l'intimé démontrent qu'il s'agit d'un oncle maternel, étant précisé que la déclaration de naissance par un proche parent est prévue par les dispositions de l'article 51 du code de la famille sénégalais, ce qui fait que cette circonstance ne rend nullement l'acte irrégulier.
Si M. [M] [W] fait état dans ses écritures du mariage coutumier de ses parents, non démontré, il ressort des explications des parties et de leurs pièces qu'à la date de cette naissance, en 1988, M. [N] [W] et Mme [F] [Z] n'étaient pas encore mariés civilement, puisqu'après avoir eu cinq enfants, dont le requérant, ils se sont mariés à [Localité 9] (Sénégal) le 25 janvier 2000.
M. [M] [W] étant né de parents non mariés, l'article 52 du code de la famille sénégalais (tel qu'applicable en mai 1979) exigeait que le nom de sa mère soit indiqué dans l'acte mais aussi que le nom du père ne soit indiqué que s'il faisait lui-même la déclaration. Or en l'espèce, c'est un tiers, M. [K] [Z], qui a déclaré la naissance de l'enfant le 6 octobre 1988 (moins d'un mois après la naissance comme exigé par la loi sénégalaise), ce qui fait que le prénom du père, [N], n'aurait pas dû figurer dans l'acte d'état civil, de ce fait irrégulier. En conséquence, la déclaration de naissance ayant été effectuée par un tiers et non par M. [N] [W] lui-même, cet acte ne peut valoir reconnaissance de paternité par M. [N] [W], qui n'était pas le déclarant.
L'article 57 du code de la famille sénégalais dispose que si la filiation d'un enfant naturel ne résulte pas de son acte de naissance, un acte de reconnaissance de l'enfant naturel devant l'officier d'état est nécessaire, une mention en ce sens devant être portée en tête de l'acte de naissance. Or, la copie littérale de son acte de naissance que produit M. [M] [W] en pièce 4 ne comporte aucune mention d'un acte de reconnaissance.
Au surplus, la copie littérale de son acte de naissance sénégalais ne comporte pas la filiation des père et mère, ni leur âge, profession et domicile, ni l'âge et la filiation du témoin (dont l'adresse et la profession sont toutefois indiquées), en violation des dispositions de l'article 52 du code de la famille sénégalais.
M. [N] [W] produit aussi une copie de son acte de naissance après transcription sur les registres de l'état civil français le 21 juin 2012 (transcription opérée par le consul général de France à [Localité 6]), qui reprend les différentes mentions évoquées ci-dessus tout en précisant les dates et lieux de naissance des parents (le requérant ayant entre-temps transmis les actes de naissance de ses parents), mais aussi le nom de l'officier d'état civil (déduit de la mention dans l'acte de la référence 1988/5102, qui figure effectivement sur la pièce 4) et mentionne que dans l'acte original étranger, la mère se nomme [R] et non [F], ce qui ne correspond à aucun des autres documents produits par l'intimé, y compris sa pièce 4 (cf les pièces 3 et 4 de l'intimé). Ce document ne mentionne pas plus que le précédent une éventuelle reconnaissance paternelle.
Par ailleurs, le service de la nationalité des Français nés et établis hors de France, qui a refusé à M. [M] [W] le 30 mars 2017 la délivrance d'un certificat de nationalité française, a signalé dans son courrier de rejet de la demande la production d'un acte de naissance comportant un autre déclarant que M. [K] [Z], ce qui n'a été découvert qu'après enquête auprès des autorités sénégalaises, ainsi que d'un acte de reconnaissance paternelle dressé le 20 septembre 1988 sur les registres d'état civil de [Localité 10] (Sénégal), qui ne respecte pas les dispositions des articles 38 et 40 du code de la famille sénégalais et n'est pas mentionné sur l'acte de naissance établi sur les registres français (pièce 1 de l'intimé). Il est à signaler qu'aucune de ces pièces n'est produite par les parties dans le cadre de la présente procédure.
Il en résulte que les pièces produites démontrent le caractère irrégulier ou à tout le moins incomplet et changeant de l'acte de naissance sénégalais, qui par ailleurs ne peut avoir d'effet en matière de filiation, faute pour M. [N] [W] d'avoir lui-même déclaré l'enfant ou d'avoir effectué une reconnaissance de celui-ci auprès de l'officier d'état civil.
2/ sur la valeur des actes juridiques subséquents en matière de filiation
M. [M] [W] fait état de la transcription à l'état civil français de son acte de naissance sénégalais dont le jugement du 12 janvier 2012 du tribunal de grande instance de Nantes a selon lui reconnu la validité au sens de l'article 47 du code civil, cette transcription devant être considérée comme une preuve de sa filiation qui n'a pas à être mise en cause. Effectivement, la motivation de ce jugement fait apparaître un questionnement en ce qui concerne la validité de l'acte de naissance produit, notamment en ce qui concerne la déclaration de la naissance de M. [M] [W] par un tiers (le grand-oncle maternel), alors que ce serait bien M. [N] [W] lui-même qui a déclaré la naissance de son fils [T] (ce qui est contesté par le ministère public qui fait état pour [T] de trois actes d'état civil différents), mais aussi les irrégularités de l'acte de naissance de M. [M] [W] s'agissant des âges, professions et domiciles des parents de celui-ci, cette question étant toutefois évacuée après que le tribunal ait constaté qu'elle n'a pas été invoquée dans la lettre de refus de transcription et qu'elle est sans incidence sur l'identité du requérant ou la réalité de la filiation paternelle, principal motif invoqué en ce qui concerne le refus de transcription.
Si le raisonnement de M. [M] [W] peut être suivi par la présente cour en ce qui concerne la reconnaissance implicite par le tribunal de grande instance de Nantes dans le cadre du jugement du 12 janvier 2012 de la validité de l'acte de naissance produit, encore qu'il ne s'agisse manifestement pas du même acte de naissance puisque l'officier d'état civil ayant opéré la transcription fait état d'une orthographe du prénom de la mère du requérant qui ne se trouve pas dans la copie littérale de son acte de naissance produite en pièce 4 devant la présente cour ([R] au lieu de [F]), il sera observé que ce jugement, qui a seulement ordonné la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance, ne statue ni sur sa filiation, ni sur l'attribution de la nationalité française, ce qui fait qu'il est sans effet sur ces questions.
Il n'est pas contesté que M. [N] [W] a reconnu M. [M] [W] le 27 juin 2016 devant l'officier d'état civil de [Localité 3], même si personne n'a jugé utile de transmettre une copie de cet acte de reconnaissance à la présente cour. Toutefois, cette reconnaissance ayant eu lieu après la majorité du requérant, alors qu'il était âgé de 27 ans passés, ne peut être d'aucun effet en matière de nationalité, au vu des dispositions de l'article 20-1 du code civil.
Le mariage de M. [N] [W] et Mme [F] [Z] au Sénégal le 25 janvier 2000 (qui n'est mentionné que dans le livret de famille sans que l'acte de mariage soit produit, ce qui fait que l'existence de ce fait juridique n'est d'ailleurs pas démontré), soit à une période où M. [M] [W] était encore mineur, âgé de 12 ans, est de même sans effet en matière de filiation, puisqu'à cette date M. [N] [W] n'avait pas encore reconnu M. [M] [W] comme son fils, ce qui fait qu'aucune légitimation par mariage n'a pu avoir lieu durant la minorité du requérant, d'autant que rien de tel ne résulte d'aucune des pièces produites, y compris s'agissant du livret de famille de M. [N] [W] et Mme [F] [Z] établi par le consulat général de France à [Localité 6] en 2006, qui porte mention du mariage mais aussi de la naissance des cinq enfants, dont [M] et son frère [T], rajoutés en 2007 pour les trois premiers enfants et en août 2016 pour [M] et octobre 2016 pour [T] (pièce 5 de l'intimé), soit largement après le mariage de ceux qui sont présentés comme leurs parents.
Chacun de ces actes est en conséquence insuffisant pour qu'il soit fait droit à la demande du requérant.
3/ sur la possession d'état de fils de M. [N] [W]
Dans ce contexte, M. [M] [W] dit bénéficier de la possession d'état de fils de M. [N] [W], faisant état de nombreuses pièces produites en ce sens, s'agissant de son passeport sénégalais, de son casier judiciaire sénégalais, de certificats de nationalité sénégalaise ou de résidence au Sénégal (ses pièces 14, 15, 17 et 18).
Mme le procureur général répond que ces pièces sont toutes postérieures à la majorité du requérant, ce qui fait qu'il ne peut en être tenu compte, par application des dispositions de l'article 20-1 du code civil, puisque si la possession d'état peut produire en matière de filiation les mêmes effets qu'une reconnaissance ou un jugement, c'est à la condition que l'acte la constatant ait été établi durant la minorité de l'enfant.
La pièce 14 du requérant est une photocopie de mauvaise qualité de sa demande de passeport aux autorités sénégalaises le 20 juin 2012, largement postérieure à sa majorité, puisqu'il avait à cette date 23 ans passés, qui mentionne le prénom de M. [N] [W] sur la ligne «prénom du père».
La pièce 15 du requérant est un extrait du casier judiciaire sénégalais de M. [M] [W], bulletin numéro 3, qui lui a été adressée le 8 juillet 2014 et qui le mentionne comme étant le fils de [N].
La pièce 17 du requérant est un certificat de nationalité sénégalaise en date du 26 janvier 2016, qui le dit fils de M. [N] [W] et Mme [F] [Z], là encore largement postérieur à sa majorité, tout comme la pièce précédente.
La pièce 18 du requérant est un certificat de résidence établi à [Localité 12]-Mosquée qui date du 24 novembre 2005, établi par une personne substituant le maire de la commune, qui n'indique pas quelles sont ses fonctions mais atteste que M. [M] [W] réside bien à Ndamatou, après avoir précisé qu'il est fils de [N] et de [F] [Z]. Si ce document a bien été réalisé durant la minorité de M. [M] [W], alors âgé de 17 ans, il ne résulte pas des mention qui y sont apposées qu'il a été réalisé par un officier d'état civil et ne vise manifestement qu'à apporter la preuve du lieu de résidence de M. [M] [W] à l'époque, ce document isolé ne pouvant à lui seul apporter la preuve de la possession d'état revendiquée de fils de M. [N] [W].
M. [M] [W] ne démontrant pas que sa filiation à l'égard de M. [N] [W] a été établie durant sa minorité, ni par la production d'actes d'état civil, ni en démontrant qu'il a bénéficié de la possession d'état de fils de celui-ci, il doit être débouté de ses demandes, y compris au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sans qu'il y ait lieu de statuer au surplus sur la question de la nationalité française de M. [N] [W], devenue sans objet dans ce contexte.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé et l'extranéité de M. [M] [W] constatée, comme sollicité par le parquet général.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare recevable l'appel formé par le procureur de la République de Lyon,
Infirme le jugement du 3 novembre 2021 du tribunal judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions frappées d'appel,
et, la cour statuant à nouveau,
Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
Rejette la demande de M. [M] [W] de se voir attribuer la nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil,
Dit que M. [M] [W], né le 20 septembre 1988 à [Localité 12] (Sénégal), n'est pas de nationalité française,
Déboute M. [M] [W] de l'ensemble de ses demandes,
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
Condamne M. [M] [W] à supporter la totalité des dépens de première instance et d'appel.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Anne Claire ALMUNEAU, président, et par Sophie PENEAUD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président