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01/02/2023 | FRANCE | N°19/08059

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 01 février 2023, 19/08059


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE



N° RG 19/08059 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MWWP



Société KEOLIS LYON

C/

[D]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 19 Novembre 2019

RG : F17/00571





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 01 FEVRIER 2023











APPELANTE :



Société KEOLIS LYON

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Jac

ques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme DANIEL de l'AARPI EUNOMIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉE :



[V] [D]

née le 31 décembre...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/08059 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MWWP

Société KEOLIS LYON

C/

[D]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 19 Novembre 2019

RG : F17/00571

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2023

APPELANTE :

Société KEOLIS LYON

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jérôme DANIEL de l'AARPI EUNOMIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

[V] [D]

née le 31 décembre 1966 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Novembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseiller

Anne BRUNNER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 01 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 18 octobre 2010, Mme [V] [D] a été embauchée en qualité de médecin du service de santé au travail par la société Kéolis Lyon.

Le 24 juin 2015, Mme [D] a été victime d'un accident de trajet dans le tramway, provoqué par un freinage brutal. Elle a été placée en arrêt de travail à compter de cette date jusqu'au 21 septembre 2015, date de la reprise.

Le 15 octobre 2015, elle a de nouveau été placée en arrêt de travail.

A l'issue de la visite de reprise en date du 18 décembre 2015, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude au poste de médecin du travail en une seule visite pour danger immédiat, sans proposition de reclassement.

Par lettre en date du 28 janvier 2016, Mme [D] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Le 3 février 2016, la société Kéolis a formé un recours contre l'avis d'inaptitude lequel a été rejeté par décision de l'inspecteur du travail du 4 mai 2016, confirmée le 30 août 2016 par le ministre du travail. Le recours formé devant le tribunal administratif a été rejeté par jugement du 29 mai 2018 et l'appel interjeté devant la cour administrative d'appel rejeté par ordonnance du président de la cour du 6 juin 2019. L'affaire est pendante devant le Conseil d'Etat.

Par requête en date du 6 mars 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de requalification de sa prise d'acte en licenciement nul, compte-tenu de la violation de son statut protecteur.

Un procès-verbal de partage de voix a été dressé le 25 octobre 2018.

Au dernier état de la procédure devant le conseil de prud'hommes, la salariée a sollicité la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts au titre de l'exécution du contrat de travail, indemnités et dommages et intérêts consécutifs à la rupture et indemnité pour violation du statut protecteur.

Par jugement en date du 19 novembre 2019, le juge départiteur a :

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail suspendu par accident du travail doit être assimilée à un licenciement nul

- condamné la société KEOLIS à payer à Mme [D] les sommes suivantes :

* 8 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à ses obligations dans l'exécution du contrat de travail

* 25 512,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 551,25 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents

* 42 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

* 42 500 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement

* 51 000 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

* 7 536,01 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés

- débouté la société KEOLIS de ses demandes reconventionnelles

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné la société KEOLIS à payer à Mme [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Kéolis Lyon a interjeté appel de ce jugement, le 22 novembre 2019.

Elle demande à la cour :

- d'infirmer le jugement

- de débouter Mme [D] de toutes ses demandes

à titre reconventionnel,

- de condamner Mme [D] à lui rembourser les sommes versées en exécution du jugement

- de condamner Mme [D] à lui payer la somme de 25 512,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 2 551,25 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférents

- de condamner Mme [D] à lui payer la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation contractuelle de loyauté

- de condamner Mme [D] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- la salariée ne justifie pas de fautes que la société aurait commises à son égard dont elle aurait personnellement souffert, à l'origine directe ou immédiate de la dégradation de son état de santé

- son service de santé rencontre les mêmes difficultés que celles observées dans les autres services de santé en raison de l'état général de pénurie des médecins du travail en France

- l'arrêt de travail du 15 octobre 2015 n'est pas en lien avec les conditions de travail de la salariée mais a été prescrit dans le cadre d'une rechute en lien avec l'accident de trajet

- elle n'a jamais eu connaissance, antérieurement à l'introduction de la procédure, du certificat médical du 3 décembre 2015

- le médecin traitant de la salariée indiquait dans un certificat que celle-ci avait un état de santé compatible avec une reprise de travail à temps complet à compter du 18 décembre 2015

- Mme [D] a été embauchée à un poste identique par la SNCF en novembre 2015 avant même que soit rendu l'avis d'inaptitude en une seule visite.

Mme [D] demande à la cour :

- de confirmer le jugement, sauf à porter à :

* 10 000 euros le montant des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

* 46 773,93 euros celui de l'indemnité de licenciement

* 255 215,10 euros celui de l'indemnité pour violation du statut protecteur

* 94 000 euros celui des dommages et intérêts pour licenciement nul

y ajoutant,

- de condamner la société à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle fait valoir que :

- avant même sa prise de fonction, les conditions de travail étaient particulièrement difficiles au sein de la société Kéolis, ainsi, le 28 février 2011, elle a alerté son employeur sur le retard pris dans les visites obligatoires de salariés et l'absence d'évaluation des risques et globalement, les médecins du travail ont dénoncé le manque de moyens humains du service de santé au travail et la situation de sous-effectif, mais la société Kéolis Lyon n'a pris aucune mesure concrète pendant cette période pour mettre un terme à ces graves difficultés

- la dégradation de ses conditions de travail s'est aggravée à compter de l'année 2015

- malgré les alertes reçues, l'employeur l'a soumise à une surcharge de travail, elle a été mise dans l'impossibilité d'exercer une partie de ses fonctions, elle a travaillé plusieurs mois seule alors qu'elle travaillait auparavant avec un autre collègue, de sorte qu'à compter de septembre 2015, elle était la seule médecin du travail affectée au suivi de 4 500 salariés

- elle a été placée dans une situation insoutenable sur le plan éthique et en termes de responsabilité professionnelle

- l'avis d'inaptitude n'est pas lié à des contraintes physiques mais bien aux séquelles sur le plan psychologique résultant de la surcharge de travail à laquelle elle a été soumise

- l'employeur est resté totalement passif et n'a pris aucune mesure pour assurer sa santé et sa sécurité

- elle n'a commis aucun stratagème en s'engageant avec la SNCF avant la rupture de son contrat de travail et a toujours agi en toute transparence.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022.

SUR CE :

Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [D] invoque une dégradation de ses conditions de travail survenue plus particulièrement au cours de l'année 2015, dans un contexte de sous-effectif du service de santé au travail déjà dénoncé en 2011.

Le 18 février 2015, un rapport d'activité a été rédigé par les trois médecins du travail du service, concluant que l'activité clinique de consultation représentait plus de 80 % de leur temps de travail, sans compter la partie 'administrative', que les actions sur le milieu du travail ne pouvaient être effectuées de manière suffisante et qu'on pouvait regretter une insuffisance de sollicitation du service de santé, notamment en amont des nouveaux projets et des questions d'organisation du travail des salariés de l'entreprise.

Il était néanmoins noté une nette progression des échanges et de la coopération (maîtrise, encadrement, ressources humaines) 'mais qui gagnerait à être améliorée'.

Un rapport d'expertise 'risque grave' demandé par le CHSCT a été déposé le 1er juillet 2015 par le cabinet Orseu mandaté le 18 décembre 2013, relatif aux risques psycho-sociaux dans l'entreprise, le contexte de la mission étant ainsi défini : 'depuis plusieurs années, les représentants du personnel au CHSCT de Kéolis Lyon notent de nombreux signes de mal-être dans l'entreprise résultant notamment de contraintes liées au travail, de difficultés de communication, de marges de manoeuvre faibles, des changements récurrents en matière d'organisation du travail, de la pénibilité, depuis 2010".

Le préambule du rapport précise que cette situation alerte d'autant plus les membres du CHSCT que le service de travail peine à assurer les visites médicales périodiques dans les temps du fait d'un sous-effectif qui perdure.

En ce qui concerne les difficultés de communication alléguées, Mme [D] produit deux échanges de courriels datés de mars et mai 2015, montrant, le premier, que, alors qu'elle se plaint de n'avoir pas été informée en tant que médecin du service de santé au travail d'un changement d'organisation du service des systèmes d'information, M. [H], directeur des systèmes d'information, lui répond 'rassurez-vous, il n'y a aucun impact sur les conditions de travail du fait de l'évolution de l'organisation', le second, que, en mai 2015, la direction des ressources humaines n'avait pas transmis au service de santé au travail les éléments complémentaires que ce dernier lui avait réclamés en mars 2015 dans le cadre d'une enquête 'vécu au travail et qualité de vie au travail'.

Les attestations d'anciens collègues produites par Mme [D], par exemple le docteur [C] qui déclare avoir été médecin du travail au sein de la société Kéolis de septembre 2013 à septembre 2015 et le docteur [F], en arrêt de travail à compter du 3 mai 2015, viennent corroborer les constatations ainsi opérées, ajoutant que le docteur [D] était très investie dans son travail.

Or, les difficultés se sont soudainement aggravées en juin 2015 à la suite de la démission de l'un des médecins du travail et de l'arrêt-maladie de l'autre médecin du travail du service, si bien que Mme [D], placée en arrêt de travail le 24 juin 2015 à la suite de son accident, s'est retrouvée seule médecin à compter de la reprise de son travail, le 21 septembre 2015, à assumer les tâches et responsabilités du service de santé au travail exercées depuis 2013 par trois médecins.

Estimant à juste titre qu'elle ne pouvait assumer correctement ses missions essentielles, elle a immédiatement attiré l'attention de l'employeur, puis celle de l'inspection du travail sur cette situation dégradée.

Le 21 septembre 2015, elle a demandé au directeur des ressources humaines, M. [L], de communiquer sur le fait qu'actuellement, le service de santé au travail était dans l'impossibilité de répondre à ses obligations légales, faisant remarquer que le service était malmené en raison de son incapacité à répondre aux demandes.

Le 25 septembre 2015, M. [L], a proposé un rendez-vous à Mme [D] pour évoquer avec elle le processus de recrutement des médecins, les consignes générales pour les visites, la sécurisation du service médical et la situation d'une salariée du service de santé.

Il a également proposé à la salariée de parler avec elle de la situation d'une personne en souffrance au sein de la direction des ressources humaines dont elle l'avait informé.

Puis, le même jour, il a écrit au service de santé au travail : 'Compte-tenu du départ du docteur [C] et de l'absence temporaire du docteur [F], je vous demande de bien vouloir comprendre que le service médical ne peut assurer et traiter l'ensemble des demandes qui lui sont adressées. Nous recrutons actuellement deux nouveaux médecins du travail pour revenir le plus rapidement possible à une meilleure situation. Des consignes vous seront adressées dans les prochains jours pour la gestion des visites médicales notamment de reprise.'.

Le 25 septembre 2015, Mme [D] a demandé à la responsable des ressources humaines de la direction exploitation des modes lourds de lui donner des informations relatives à un accident du travail survenu ce jour-là et a sollicité la transmission systématique des informations complémentaires concernant les accidents impliquant un salarié.

La responsable des ressources humaines de la direction exploitation des modes lourds lui a apporté en réponse trois jours après des explications sur le déroulement de l'accident du travail et lui a indiqué qu'elle avait demandé que soit réglé le problème technique de transmission des 'DAT' dont le service de santé n'était plus destinataire depuis quelques mois.

Le 30 septembre 2015, Mme [D] a adressé au médecin inspecteur régional et à l'inspecteur du travail une lettre d'alerte aux termes de laquelle elle expose que le sous-effectif chronique (médecins du travail et infirmières) et son ancienneté ne leur permettent plus d'effectuer leurs missions depuis plusieurs années mais que la situation s'aggrave de jour en jour, que le turn-over et l'absentéisme importants du service de santé au travail sont éloquents, qu'elle est médecin du travail dans cette entreprise depuis octobre 2010 et assiste à la dégradation continue des conditions de travail du service de santé avec des conséquences directes sur la santé du personnel encore présent et elle explique qu'elle est particulièrement inquiète en ce qui concerne le suivi des salariés occupant des postes de sécurité et l'insuffisance de suivi des autres salariés.

Le 5 octobre 2015, elle a écrit au directeur des ressources humaines, M. [L], en lui demandant d'organiser un CHSCT extraordinaire de toute urgence avec invitation du médecin inspecteur régional et de l'inspecteur du travail si possible.

Elle a signalé dans sa lettre une importante dégradation des conditions de travail des salariés du service de santé au travail encore présents en raison du sous-effectif du personnel de ce service et du turn-over anciens, accentués ces derniers mois, d'un absentéisme notable et de l'insuffisante communication de l'entreprise, fait état de la mauvaise 'réputation' de Kéolis en ce qui concerne le service de santé au travail, les difficultés de recrutement devant être mises directement en rapport avec le fait que ses confrères médecins du travail avaient connaissance de la situation ancienne de ce service et de leurs difficultés à exercer leurs missions telles que définies par le code du travail.

Elle a aussi reproché au directeur des ressources humaines de ne pas avoir communiqué clairement sur la situation du service de santé au travail et indiqué sa position aux 'managers des UT', cette incertitude mettant tout le monde en porte à faux, décrit l'ensemble des difficultés résultant du retard pris dans les visites périodiques et de reprise, la situation intenable dans laquelle était placé le service de santé qui ne pouvait répondre à toutes les demandes, les risques pour la santé et la sécurité des salariés et des usagers, la réception en urgence de certains salariés en souffrance professionnelle aiguë sans pouvoir consacrer le temps nécessaire à leur accompagnement, la non-réception de certains documents malgré plusieurs demandes.

Par courriel du 5 octobre 2015 envoyé à M. [L], directeur des ressources humaines, avec copie à la présidente et au secrétaire du CHSCT, au médecin inspecteur du travail et à l'inspecteur du travail intitulé 'alerte médecin du travail', Mme [D] a indiqué : 'comme échangé par téléphone à l'instant, merci de trouver un courrier d'alerte concernant le service de santé au travail de Kéolis. Nous avons déjà pu discuter sur cette problématique complexe et aborder quelques points d'action. Cette situation étant très probablement amenée à perdurer (voire à s'aggraver), il me semble nécessaire de rechercher des solutions avec le CHSCT, ainsi que le médecin inspecteur régional et l'inspecteur du travail. Je suis bien sûr à la disposition pour échanger'.

Par courriel du 6 octobre 2015, elle a demandé à M. [L] de lui transmettre des documents déjà sollicités à plusieurs reprises.

Mme [D] a participé à la réunion plénière extraordinaire du CHSCT du 14 octobre 2015 sur la situation et le fonctionnement du service autonome de santé au travail de Kéolis Lyon au cours de laquelle le CHSCT a décidé de confier une expertise au cabinet Orseu, dont le rapport, déposé en mars 2016, conclut notamment à l'existence d'un sous-effectif chronique avec des effectifs infirmiers en dessous des obligations légales et d'un 'turn over' très élevé et persistant sur les fonctions médicales et para médicales.

Le signalement du médecin du travail de l'Agemetra à la direction des ressources humaines, le 6 novembre 2015 ('alerte sur situation de travail détériorée du service médical'), a pour objet de relayer la lettre d'alerte du docteur [D] sur le sous-effectif du service de santé au travail.

Il ressort de ces éléments que les dysfonctionnements dénoncés par Mme [D] sont essentiellement liés au sous-effectif dans le service de santé et notamment au nombre insuffisant de médecins de travail, situation à laquelle l'employeur, confronté en septembre 2015 à l'absence de deux médecins sur trois et aux difficultés plus générales concernant l'embauche de médecins du travail, a répondu en lançant le recrutement de deux médecins du travail et en faisant savoir au service qu'il donnait la priorité aux missions les plus urgentes du médecin du travail, sachant que toutes les missions ne pouvaient être assurées.

Mme [D] ne démontre pas au moyen des courriels ci-dessus que l'employeur a refusé de transmettre des informations au service de santé et de dialoguer avec elle en sa qualité de médecin du travail, ni qu'il aurait fait obstacle à ses missions.

Le 14 octobre 2015, Mme [D] a été placée en arrêt-maladie au motif d'une rechute de son accident du 24 juin 2015, comme en atteste la fiche établie le 26 octobre 2015 sur un formulaire 'rechute d'accident du travail' avec la mention manuscrite 'accident de trajet' par la direction des ressources humaines mentionnant : date de l'arrêt de travail actuel : 15 octobre 2015, dernier jour travaillé 14 octobre 2015.

L'employeur produit la copie de trois certificats de prolongation d'arrêt de travail établis sur le formulaire accident du travail/maladie professionnelle datés du 14 octobre 2015, du 30 octobre 2015 et du 1er décembre 2015, le dernier arrêt étant prescrit jusqu'au 27 décembre 2015, corroborant le motif de cet arrêt de travail.

De son côté, la salariée produit un certificat médical initial établi sur un formulaire accident du travail/maladie professionnelle par le docteur [T], psychiatre, comportant deux écritures différentes, daté de '12 2015", contenant les renseignements médicaux suivants : 'pathologie dépressive réactionnelle à une problématique de travail avec surcharge. Difficultés dans l'exercice de sa fonction avec asthème angoisse perte d'élan vital'et la mention 'déjà en arrêt de travail pour accident de trajet du 24 juin 2015" ainsi qu'un certificat daté du 3 décembre 2015 dans lequel le docteur [T] 'certifie avoir reçu ce jour Mme [D] dans le cadre d'une pathologie réactionnelle à une grave problématique de travail, ce qui a entraîné un 'burn out' avec un arrêt de travail depuis la mi-octobre 2015 et qui nécessite des soins'.

Il apparaît que Mme [D] s'est plainte de ce que l'employeur avait désactivé son compte internet Kéolis dès le lendemain de son arrêt de travail de mi-octobre et que ce dernier, interrogé par elle sur ce point, lui a répondu que cette décision était justifiée par la nécessité de préserver son repos.

Un avis d'inaptitude pour danger immédiat en une seule visite a été rendu au profit de la salariée le 18 décembre 2015 en ces termes : inapte à tout poste dans l'entreprise, pas de proposition de reclassement car le maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à la santé du salarié.

Le 27 janvier 2016, le docteur [G], psychiatre, a rédigé un certificat décrivant un état anxio-dépressif sévère réactionnel à une problématique professionnelle récurrente dont l'issue reste 'complexe'.

Il résulte de ce qui précède que Mme [D] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une déloyauté de l'employeur dans l'exécution de son contrat de travail et que le lien entre la dégradation de son état de santé médicalement constatée le 3 décembre 2015 et le 27 janvier 2016, alors qu'elle était déjà placée en arrêt de travail pour un autre motif depuis le 15 octobre 2015, sans avoir repris le travail entre-temps, et ses conditions de travail n'est pas établi.

La demande en paiement de dommages et intérêts fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail doit être rejetée, le jugement qui l'a accueillie étant infirmé.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, ceux d'une démission.

La prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail qu'en cas de manquement de l'employeur à ses obligations revêtant une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Le 19 janvier 2016, Mme [D] a écrit à l'employeur qu'elle proposait de le rencontrer rapidement pour finaliser rapidement son licenciement pour inaptitude définitive dans la mesure où son poste de médecin du travail et le contexte ne permettaient pas d'envisager un reclassement au sein de Kéolis Lyon, qu'à défaut, 'elle serait dans l'obligation d'effectuer une prise d'acte pour acter l'absence de licenciement à la date prévue (inaptitude à tout poste en date du 18 décembre 2016)'.

Aux termes de sa lettre de prise d'acte en date du 28 janvier 2016, Mme [D] reproche à l'employeur :

- à compter du 28 février 2011, date à laquelle les trois médecins du travail l'ont alerté sur l'absence de véritable évaluation des risques pour les salariés et l'engagement des responsabilités en cas d'accident, d'avoir adopté une attitude d'opposition systématique à l'égard du service de santé, niant la situation dénoncée

- le sous-effectif chronique du service médical

- l'absence de solution et de soutien

- l'insuffisante sollicitation du service sur certains projets et parfois même une absence totale d'information

- malgré les départs des autres membres du service médical et l'important turn over, d'avoir laissé l'équipe médicale poursuivre dans les mêmes difficultés

- d'avoir volontairement laissé pourrir la situation qui dure depuis plusieurs années

- de s'être retrouvée, du fait de l'employeur, dans un état de 'burn out' total et d'être encore dans un état de profonde dépression.

Il a été dit ci-dessus que l'employeur avait réagi aux alertes et pris des mesures pour remédier aux difficultés dénoncées en septembre 2015 et que le lien entre les conditions de travail et la dégradation de l'état de santé de la salariée n'était pas établi.

La salariée reproche également à l'employeur d'avoir sans cesse cherché à donner des consignes contraires aux dispositions du code du travail, à la santé et à la sécurité qu'elle ne pouvait cautionner en sa qualité de médecin et de n'avoir pas hésité à lui adresser des reproches à la moindre initiative, si bien qu'elle est devenue 'persona non grata', faits dont elle ne rapporte pas la preuve.

En dernier lieu, elle fait grief à l'employeur de ne pas avoir procédé à la rupture de son contrat de travail alors qu'elle se trouvait en inaptitude depuis le 18 décembre 2015 et qu'elle lui avait indiqué avoir trouvé un reclassement professionnel compatible avec son état de santé au sein de la SNCF, ce qui est sans rapport avec l'exécution de la relation de travail.

Dans ses conclusions d'appel, Mme [D] reproche en outre à l'employeur de ne pas avoir mené de recherches de reclassement, venant ainsi contredire le grief précédent.

Dès lors, en l'absence de preuve d'un manquement grave de l'employeur rendant impossible la poursuite de la relation de travail, la prise d'acte doit être qualifiée de démission.

Le jugement qui a dit que la prise d'acte s'analysait en un licenciement nul et a condamné la société Kéolis Lyon à payer diverses sommes à la salariée à ce titre doit être infirmé et toutes les demandes consécutives à la rupture du contrat de travail seront rejetées.

Sur la demande de rappel de jours de congés payés et de jours de RTT

Mme [D] fait valoir que la somme de 7 536,01 euros mentionnée sur le bulletin de salaire de février 2016 ne lui a jamais été versée, ce que l'employeur ne conteste pas dans sa lettre du 27 avril 2017, qu'aucune somme ne pouvait être déduite au titre de l'entrée et sortie au mois de février 2016, puisqu'elle a quitté ses fonctions en janvier, qu'enfin, la société Kéolis était tenue de reprendre le paiement de son salaire à compter du 18 janvier 2016, un mois après l'avis d'inaptitude.

La société Kéolis répond que les jours de congés non pris par la faute du salarié ne sont pas dûs.

Dans sa lettre du 27 avril 2017, la société Kéolis informe Mme [D] que son bulletin de salaire de février 2016 mentionne son solde de congés payés (20 jours) et le montant de l'indemnité compensatrice de congé payés correspondante (7 531,01 euros) et lui confirme qu'elle ne lui a pas réglé cette somme (ni son salaire forfaitaire de base pour la période du 1er au 4 février 2016) puisqu'elle a appliqué la déduction d'une somme de 5 040,41 euros pour absence non rémunérée du 18 janvier au 4 février 2016 et de la somme de 4 304,84 euros en raison d'une retenue pour absence suite à un accident du travail non indemnisé du 1er au 17 janvier 2017.

Toutefois, la société Kéolis Lyon aurait dû reprendre le paiement du salaire de Mme [D] le 18 janvier 2016, soit un mois après la date de l'avis d'inaptitude, puisqu'elle n'avait ni licencié, ni reclassé la salariée à cette date et que la rupture du contrat de travail n'est intervenue que le 28 janvier 2016.

La société n'est dès lors pas fondée à déduire la somme de 5 040,84 euros de la somme dûe à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, dont elle ne démontre pas que c'est par la faute de la salariée qu'ils n'ont pas été pris. Elle ne justifie pas non plus du bien fondé de la retenue de la somme de 4 304,84 euros.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a condamné l'employeur à payer à la salariée la somme de 7 531,01 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

Sur les demandes reconventionnelles

La société Kéolis sollicite la condamnation de Mme [D] à lui payer une indemnité compensatrice du préavis de trois mois qu'elle n'a pas effectué en raison de sa prise d'acte.

Toutefois, Mme [D] était placée en arrêt de travail à la date de cette prise d'acte et ne pouvait exécuter son préavis.

Cette demande n'est dès lors pas fondée et doit être rejetée.

La société Kéolis Lyon ne démontre pas qu' 'à la lecture des éléments versés aux débats, il doit être constaté que la salariée a violé son obligation contractuelle de loyauté à son égard', comme elle le soutient.

La demande en paiement de la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts doit être rejetée.

Le jugement qui a rejeté les demandes reconventionnelles sera confirmé.

Le présent arrêt infirmatif constitue le titre autorisant la société Kéolis Lyon à recouvrer les sommes versées à Mme [D] au titre de l'exécution provisoire du jugement, de sorte que la demande présentée de ce chef est sans objet.

Compte-tenu de la solution apportée au présent litige, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Kéolis Lyon aux dépens et à payer une indemnité de procédure à Mme [D].

Il convient de condamner Mme [D] aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité ne commande pas de la condamner à payer à la société Kéolis Lyon une indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Kéolis Lyon à payer à Mme [D] la somme de 7 531,01 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et a rejeté les demandes reconventionnelles de la société Kéolis France

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,

REJETTE les demandes de Mme [V] [D] en paiement de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et en paiement de dommages et intérêts et indemnités consécutifs à la rupture du contrat de travail

CONDAMNE Mme [V] [D] aux dépens de première instance et d'appel

REJETTE les demandes de la société Kéolis France fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/08059
Date de la décision : 01/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-01;19.08059 ?
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