AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/06955 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MUB2
[V]
C/
Société FEDEX EXPRESS FR
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 09 Septembre 2019
RG : F15/01508
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 13 JANVIER 2023
APPELANTE :
[H] [V]
née le 13 Mai 1958 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Christophe BRUSCHI, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société FEDEX EXPRESS FR
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Philippe DANESI du PARTNERSHIPS DLA PIPER FRANCE LLP, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS substituée par Me Emilie THOMSON, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Béatrice REGNIER, Présidente
Catherine CHANEZ, Conseiller
Régis DEVAUX,
Assistés pendant les débats de Ludovic ROUQUET, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
EXPOSE DU LITIGE
La société TAT Express a recruté Mme [H] [V] en qualité de conseillère clientèle suivant contrat à durée déterminée conclu pour la période du 28 juillet 2009 au 28 juin 2010.
La relation s'est ensuite poursuivie sous contrat à durée indéterminée, l'employeur ayant changé de dénomination sociale pour adopter celle de TATEX.
La convention collective applicable est celle des transports routiers et des activités auxiliaires de transport.
A compter du 1er janvier 2013, suite à la fermeture du service clients de l'agence de [Localité 4], Mme [V] est devenue agent SAV.
Le 1er mars 2013, la société a été renommée pour devenir FedEx Express France, aux droits de laquelle vient, depuis le 1er septembre 2018, la société FedEx Express FR.
Mme [V] a fait l'objet d'un avertissement par courriel le 31 octobre 2012 suite à une altercation verbale avec une autre salariée et à la menace de ne pas venir travailler le vendredi suivant, de 2 rappels à l'ordre en 2014 en raison d'un comportement inapproprié et de manquements professionnels, suivis d'un avertissement par courrier du 29 janvier 2015 pour des comportements professionnels inadaptés. Elle a contesté ce dernier avertissement dans un courrier du 16 février 2015, se référant à un entretien avec Mme [F], sa cheffe de service, le 27 janvier.
Par courriers des 16 mars et 20 avril 2015, l'avocat de Mme [V] a écrit au président de la société, accusant M. [G], chef d'agence, de harcèlement moral ayant des conséquences notables sur l'état de santé de la salariée, regrettant le défaut de mise en place d'une visite médicale dans les 2 années suivant celle du 2 novembre 2011 et mettant son interlocuteur en demeure de prendre sans tarder les mesures nécessaires pour faire cesser la situation.
En mars 2015, en réponse à une alerte lancée par le délégué du personnel suite à des accusations de harcèlement moral, une enquête a été réalisée conjointement par celui-ci et la direction. Mme [V] a refusé d'être entendue par M. [N], responsable des ressources humaines.
Mme [V] a été placée en arrêt pour maladie à compter du 2 mars 2015.
Par requête du 16 avril 2015, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 11 septembre 2017, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a déclaré Mme [V] inapte dans les termes suivants : « Inapte au poste, procédure d'inaptitude selon l'article R4624-42 du code du travail. Étude de poste et des conditions de travail à réaliser. A revoir lundi 25/09 à 15h pour une 2ème visite médicale. L'état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
A l'issue de la seconde visite, le 25 septembre 2017, le médecin du travail a écrit : « inapte au poste d'agent SAV, 2ème visite médicale selon article R4624-42 du code du travail confirmant le premier avis du 11/09/2017. Étude de poste et des conditions de travail réalisée le 19/09/2017. Fiche d'entreprise actualisée le 19/03/2010. L'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »
La société a convoqué Mme [V] à un entretien préalable devant se tenir le 6 octobre 2017 au siège social situé à [Localité 5], puis à un nouvel entretien devant se tenir le 26 octobre 2017 à l'agence de [Localité 4], à la demande du conseil de la salariée.
Par courrier du 30 octobre 2017, Mme [V] a été licenciée pour inaptitude physique d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Le litige a donc évolué devant le conseil de prud'hommes et au dernier état de ses demandes, Mme [V], subsidiairement à sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, a sollicité sa condamnation à lui verser diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que son inaptitude aurait eu pour origine ces manquements.
Par jugement du 9 septembre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamné Mme [V] aux dépens.
Par déclaration du 9 octobre 2019, Mme [V] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 6 juillet 2020, elle demande à la cour de réformer le jugement querellé et en conséquence de:
prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la société ;
condamner la société à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
condamner la société à lui payer la somme de 3 388 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 338 euros de congés payés sur préavis, ainsi que la somme de 2 371 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
à titre subsidiaire, juger que son inaptitude a pour origine les manquements de la société envers elle et la condamner à lui payer les sommes de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 3 388 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 338 euros de congés payés sur préavis, ainsi que de 2 371 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;
en tout état de cause, condamner la société à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 7 avril 2020, la société demande à la cour de :
confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et débouter Mme [V] de ses demandes ;
à titre subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts sollicités par Mme [V] au minimum prévu par les dispositions légales en vigueur au moment des faits, soit l'équivalent des 6 derniers mois de salaire, et débouter Mme [V] du surplus de ses demandes ;
en tout état de cause, condamner Mme [V] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens avec distraction au profit de son conseil.
La clôture est intervenue le 13 septembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.
1-Sur la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur
Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.
Les manquements de l'employeur doivent être appréciés en tenant compte des circonstances intervenues jusqu'au jour du présent arrêt.
Lorsque le salarié est licencié après l'introduction de son action en résiliation du contrat de travail, le juge examine d'abord la demande de résiliation avant de rechercher le cas échéant si le licenciement était fondé.
1-1-Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [V] se prétend victime de faits de harcèlement de la part du chef d'agence, M. [G], et de sa supérieure hiérarchique, Mme [F], à base de reproches verbaux et écrits, à savoir les rappels à l'ordre d'octobre et novembre 2014 et l'avertissement de janvier 2015. Elle soutient que ces agissements ont altéré sa santé, puisqu'elle a été arrêtée et n'a jamais repris son poste et qu'elle a été suivie par un psychiatre. Elle communique les divers arrêts de travail, un certificat du docteur [O], psychiatre, qui atteste la suivre régulièrement depuis le 28 mai 2015, une attestation du docteur [M], médecin, spécialiste de médecine du travail, ainsi que le courrier que cette dernière a adressé le 23 avril 2015 à son médecin traitant, le docteur [W]. Dans cette lettre, le docteur [M] reprend les déclarations de sa patiente et rappelle qu'elle a été traitée et arrêtée en septembre 2014 pour un dysfonctionnement de la thyroïde. Elle qualifie les divers événements vécus par Mme [V] de « contexte d'exposition à un stress chronique » et conclut dans les termes suivants : « il est possible d'attester un lien direct entre les problèmes de santé présentés depuis 6 mois et l'exposition prolongée à des facteurs de stress ».
En réponse, la société fait valoir notamment que l'enquête diligentée suite à l'exercice de son droit d'alerte par le délégué du personnel n'a pas apporté d'éléments en faveur d'un harcèlement, que la salariée a fait l'objet d'une succession d'avertissements et de mises en garde depuis 2012, qu'elle faisait régulièrement l'objet de plaintes de la part de clients, qu'elle n'a évoqué aucune situation de harcèlement lors de l'entretien de décembre 2014, que par la suite elle s'est plainte de harcèlement, pour affirmer ensuite que la situation était redevenue normale jusqu'en mars 2014 pour s'en plaindre à nouveau par la suite, qu'elle évoque elle-même des soucis de santé et des difficultés liées à la maladie de sa mère.
Il apparait en effet que dans son propre compte-rendu de l'enquête diligentée en mars 2014, le délégué du personnel, qui a pu entendre Mme [V], écrit : « Concernant le harcèlement moral, la souffrance évoquée par [H] [V], les témoignages entendus, il semble qu'il y ait de quoi douter. Comment démêler le vrai du faux. » tout en indiquant que la salariée lui semble dire la vérité.
Les témoignages recueillis par l'enquête ne permettent pas davantage de conforter les accusations portées par Mme [H] [V].
Quant aux pièces médicales, elles ne font que reprendre les déclarations de Mme [V] sur ses conditions de travail sans les conforter par des constats des médecins.
Concernant les avertissements et rappels à l'ordre, Mme [V] n'en conteste pas la matérialité dans ses conclusions, même si, dans son courrier du 16 février 2015 relatif à l'avertissement du 29 janvier 2015, elle a écrit « Je conteste cette sanction selon les éléments que je vous ai fournis lors de l'entretien avec [S] [F] en date du 27.01.2015 »,
Ainsi, la salariée échoue à établir des faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
1-2-Sur les autres manquements allégués
Mme [V] expose que l'employeur a failli à son obligation d'assurer son adaptation à son poste de travail et de veiller à sa capacité à l'occuper en s'abstenant de mettre en place une formation au travail d'agent SAV pourtant nouveau pour elle, que l'enquête interne de mars 2015 était dépourvue de la moindre crédibilité compte-tenu des conditions de sa réalisation et que l'employeur a failli à son obligation d'organiser une visite médicale tous les deux ans, puisqu'après la visite du 2 novembre 2011, elle n'a pu bénéficier d'une nouvelle visite que le 19 mars 2014.
La société justifie cependant de la formation « Vivre le changement » suivie par sa salariée en octobre 2014, outre une formation d'un mois lors de son embauche en 2009. Il ressort en outre du compte-rendu de l'enquête diligentée en mars 2015 sur les faits de harcèlement que M. [X] avait précisé qu'il avait essayé de la former mais qu'elle avait « refusé cette formation sur un nouveau poste ».
La société n'a donc commis aucun manquement à son obligation de formation.
L'enquête interne de mars 2015 a été réalisée conjointement par la direction et le délégué du personnel et de nombreux salariés ont été entendus. Dans son compte-rendu, le délégué du personnel, qui a pu entendre Mme [V], regrette uniquement l'absence d'anonymat des témoignages. Quant au contrôleur du travail évoqué par la salariée, il déplore qu'elle n'ait pas été entendue, ce qui en définitive n'est pas exact. La société, qui en outre a tenté en vain de faire auditionner Mme [V] par le responsable des ressources humaines, n'apparait donc pas avoir manqué à ses obligations contractuelles en la matière.
Quant au suivi médical, un retard de moins de 5 mois dans l'organisation des visites médicales ne saurait constituer un manquement suffisamment grave pour fonder une résiliation aux torts de l'employeur.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [V] de sa demande de résiliation aux torts de l'employeur.
2-Sur le licenciement
Mme [V] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse au motif que son inaptitude aurait pour origine les manquements de l'employeur.
Elle échoue cependant à établir un lien de causalité entre le seul manquement dont elle a apporté la preuve, à savoir le retard apporté à l'organisation de la visite médicale, et son inaptitude.
Le jugement sera donc également confirmé de ce chef.
3-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Mme [V] sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 9 septembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Lyon ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [H] [V] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le Greffier La Présidente