AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/06181 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MSH4
Société LE CAP HORN
C/
[I]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE
du 11 Juillet 2019
RG : F 17/00195
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 13 JANVIER 2023
APPELANTE :
Société LE CAP HORN
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Thibault GUINET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS VICARI LE GOFF GUINET, avocat au barreau d'AIN
INTIMÉ :
[S] [U]
né le 30 Juin 1986 à [Localité 5] (CAMEROUN)
[Adresse 3]
[Localité 1]
non représenté
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 27 Octobre 2022
Présidée par Régis DEVAUX, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Ludovic ROUQUET, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, président
- Catherine CHANEZ, conseiller
- Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : PAR DEFAUT
Prononcé publiquement le 13 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La S.A.R.L Le Cap Horn exploite une discothèque à [Localité 4] (Ain). Elle applique la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels du 5 janvier 1994 (IDCC 1790).
M. [S] [U] a été embauché par la société Le Cap Horn en qualité d'agent d'accueil, à compter du 18 juin 2015, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, signé le 1er octobre 2015. Le contrat, écrit, prévoyait une durée de travail de 24 heures par semaine.
Par courrier du 19 janvier 2017, M. [S] [U] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 30 janvier 2017, avec prononcé d'une mise à pied conservatoire. Il ne s'est pas présenté à cet entretien. Par lettre recommandée avec accusé réception du 6 février 2017, il a été licencié pour faute grave.
Le 10 août 2017, M. [S] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse, afin de contester le bien-fondé de son licenciement.
Par jugement du 22 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse a :
- dit que le licenciement de M. [S] [U] est dénué de cause réelle et sérieuse ;
- en conséquence, condamné la SARL Le Cap Horn à payer à M. [S] [U] les sommes suivantes :
- 1 086 euros bruts pour la mise à pied conservatoire
- 108 euros bruts pour les congés payés afférents
- 1 716 euros bruts d'indemnité compensatrice de congés payés
- 171 euros bruts pour les congés payés afférents
- 572 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement
- 572 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamné la SARL Le Cap Horn à 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SARL Le Cap Horn de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 ;
- dit qu'il n'y a pas lieu à l'exécution provisoire ;
- condamné la SARL Le Cap Horn aux entiers dépens.
La société Le Cap Horn a interjeté appel de ce jugement, par déclaration au greffe par voie électronique le 2 septembre 2019. L'acte d'appel précise que la société demande l'infirmation du jugement, en toutes ses dispositions, qui sont expressément rappelées.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses conclusions uniques, signifiées à l'intimé par acte d'huissier du 4 décembre 2019, la S.A.R.L. Le Cap Horn demande à la Cour de :
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes
- dire et juger que le licenciement de M. [U] est fondé sur une faute grave ;
- en conséquence, rejeter l'intégralité des demandes de M. [S] [U] ;
- condamner M. [U] à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [U] aux entiers dépens.
La société Le Cap Horn fait valoir que le conseil de prud'hommes a motivé sa décision par une pure affirmation, en retenant que le licenciement de M. [U] n'était pas motivé par des faits objectifs et vérifiables. Elle soutient le contraire.
M. [S] [U], intimé, n'a pas constitué avocat. Les conclusions de l'appelante lui ont été signifiées par acte d'huissier du 4 décembre 2019 (signification à étude). En application de l'article 954 sixième alinéa du code de procédure civile, il est réputé s'approprier les motifs du jugement du conseil de prud'hommes.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 27 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le bien-fondé du licenciement :
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.
Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.
En l'espèce, la lettre de licenciement, datée du 21 janvier 2017, adressée à M. [S] [U] énonce et fixe ainsi les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à son encontre :
« (') Le jeudi 19 janvier 2017, à 3 heures du matin, vous avez eu une altercation avec six jeunes clients à qui vous avez interdit de « vous dire bonjour » et de vous « approcher » (sic).
M. [B] [K], gérant de la société, a présenté des excuses aux six jeunes clients et clientes. Il vous a ensuite entretenu de votre comportement.
Il vous a indiqué la gravité de votre attitude qui revenait à dissuader les clients tout à fait respectables de revenir dans notre établissement. Vous lui avez répondu « le client n'est pas roi ».
Déjà, le dimanche 1er mai 2016, vous avez giflé un client et vous avez été sanctionné par un avertissement. Le caractère récidiviste de votre attitude accroît la gravité de la faute commise le 19 janvier 2017.
En outre, pendant notre délai de réflexion, nous avons appris vos comportements insistants et déplacés auprès de la clientèle féminine. Plusieurs clientes harcelées ont cessé de fréquenter notre établissement. L'une d'entre elles que vous appeliez très souvent sur son téléphone portable, a décidé de ne pas organiser la soirée annuelle de son association au sein de notre établissement. Le manque à gagner ponctuel d'environ 6 000 € ainsi occasionné est significatif et accroît la gravité de vos fautes commises à répétition. »
La société Cap Horn verse aux débats trois attestations et copie d'un dépôt de plainte (pièces n° 9 à 12 de l'appelante).
M. [Z] [N] [P], qui a travaillé en qualité de barman au sein de l'établissement exploité par la société Cap Horn, déclare qu'il a été témoin, le 19 janvier 2017, de l'incident au cours duquel M. [S] [U] a hurlé sur des clients, qui étaient pourtant calmes. M. [N] s'est énervé sans raison, ces clients ne sont jamais revenus.
Le même M. [N] [P] a déposé plainte le 13 septembre 2018 contre M. [U]. Il a expliqué que ce dernier avait appris qu'il avait apporté son témoignage sur les faits survenus le 19 janvier 2017 et que, depuis semaines, il le harcelait pour qu'il retirât ce témoignage, y compris en lui proposant pour cela une forte somme d'argent.
Un autre salarié de l'établissement, M. [M] [D], adjoint du gérant, relate le fait que, le 1er mai 2016, M. [U] a porté un coup au visage d'un client. Il a été témoin également d'un autre mouvement d'humeur de celui-ci, un mercredi du mois de janvier 2017, en fin de soirée, en s'en prenant verbalement à des clientes qui avaient refusé de lui faire la bise, en leur annonçant qu'elles ne devraient pas revenir.
Mme [F] [H], une cliente de l'établissement, atteste qu'à plusieurs reprises, elle s'est plainte auprès du gérant du comportement de M. [U], qui était très insistant pour lui faire la bise et la prendre dans ses bras, lorsqu'elle se présentait à l'entrée. Elle ajoute que, pour cette raison, elle n'osait plus venir dans cette discothèque.
Ainsi, la société Le Cap Horn a démontré la matérialité des comportements visés dans la lettre de licenciement. Le fait, pour un agent d'accueil d'un établissement de nuit, de se comporter ainsi envers des clients constitue une violation des obligations découlant des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Le licenciement de M. [U] pour faute grave est donc fondé, les demandes de ce dernier doivent être rejetées. En conséquence, le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé, en ce qu'il a dit que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné en conséquence la société Le Cap Horn à payer à M. [U] diverses sommes d'argent.
Sur les dépens :
M. [U], partie perdante, sera condamné aux dépens, de première instance et de l'instance d'appel, en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé en ce qu'il a condamné la société La Cap Horn sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un motif tiré de l'équité, la demande de la société Le Cap Horn en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse du 22 juillet 2019, en toutes ses dispositions déférées ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le licenciement pour faute grave de M. [S] [U] est bien fondé ;
Rejette l'intégralité des demandes de M. [S] [U] ;
Rejette la demande de la S.A.R.L. Le Cap Horn en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [S] [U] aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel.
Le Greffier La Présidente