AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/04904 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NVPP
S.A. [6] (MP : MR [G])
C/
CPAM DE LA DROME
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
du 09 Janvier 2020
RG : 17/04370
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE D - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 JANVIER 2023
APPELANTE :
S.A. [6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Christophe KOLE, avocat au barreau de LYON
(Maladie professionnelle de MR [G])
INTIMEE :
CPAM DE LA DROME
[Adresse 4]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représenté par M. Dany DECOT, audiencier, muni d'un pouvoir général
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Juin 2022
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Jihan TAHIRI, Greffière placée auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salarié de la société [6] (l'employeur) en qualité d'ouvrier agro-alimentaire, M. [G] (la victime) a souscrit, le 6 janvier 2015, une déclaration de maladie professionnelle, le certificat médical initial du 16 décembre 2014 faisant état d'une « douleur de l'épaule droite ; rupture de coiffe étendue et probable rupture du long biceps ».
Cette affection a été prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme (la caisse) qui, par décision du 10 mars 2017, après avoir retenu une consolidation au 7 mars 2017, a attribué à la victime un taux d'incapacité permanente de 10% pour des « séquelles d'une rupture de la coiffe des rotateurs droite opérée, douleur et limitation légère de la mobilité, chez un ouvrier droitier ».
Le 5 mai 2017, l'employeur a saisi d'un recours le tribunal du contentieux de l'incapacité du Rhône en contestation de cette décision.
Au 1er janvier 2019, le dossier de la procédure a été transféré au pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, juridiction spécialement désignée.
A l'audience du 19 novembre 2019, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces confiée au docteur [F].
Par jugement du 9 janvier 2020, le tribunal a :
- déclaré recevable le recours formé par l'employeur,
- confirmé la décision du 10 mars 2017 et fixé le taux opposable à l'employeur à 10% à compter de la date de consolidation pour le salarié victime de la maladie professionnelle du 16 décembre 2014,
- rappelé que les frais de consultation médicale ordonnée au cours de l'audience sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie,
- dit n'y avoir lieu à autres frais et dépens.
L'employeur a relevé appel de ce jugement, le 27 janvier 2020.
Le 3 février 2021, la caisse a sollicité un sursis à statuer en raison d'une instance pendante devant la cour d'appel de Grenoble.
Par arrêt du 6 mai 2021, la cour a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble dans le cadre du litige opposant l'employeur à la caisse, relativement à l'opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie du salarié au titre de la législation professionnelle.
A la demande de l'employeur et de la caisse, expliquant qu'une confusion avait été opérée par cette dernière entre deux instances portant sur deux maladies professionnelles distinctes, l'affaire a été réinscrite au rôle, le 19 mai 2021.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 10 juin 2022, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'employeur demande en substance à la cour de :
- infirmer le jugement,
A titre principal :
- juger que la caisse a violé le principe du contradictoire et déclarer inopposable à l'employeur le taux médical de 10% attribué au salarié,
A titre subsidiaire :
- prendre acte du rapport du docteur [N],
- juger que le taux médical de 10% doit être ramené à 5% dans les rapports employeur/caisse,
A titre infiniment subsidiaire :
- constater qu'il subsiste une difficulté d'ordre médical,
- ordonner une consultation médicale et désigner un expert qui devra se prononcer sur les séquelles afférentes à la maladie professionnelle et au taux attribué, aux frais de la caisse,
- mettre les dépens d'instance à la charge de la caisse.
L'employeur fait valoir que le docteur [N] qu'il a désigné n'a pas reçu la copie de l'entier rapport médical, puisque seul le rapport d'évaluation des séquelles lui a été adressé, sans les certificats médicaux de prolongation, de sorte qu'il n'a pas pu se prononcer en toute connaissance de cause sur le taux attribué et la caisse ne peut pallier sa carence en invoquant le secret médical.
Il indique que le docteur [N], destinataire du seul rapport d'évaluation des séquelles, a pu rendre un avis aux termes duquel il propose que le taux médical de 10% soit ramené à 5%.
Si la cour ne faisait pas droit à sa demande de réduction du taux, il estime que, dans la mesure où il persiste une difficulté d'ordre médicale, une consultation médicale devra être mise en oeuvre afin qu'un expert se prononce sur les séquelles et le taux attribué.
Par des écritures déposées au greffe, le 10 juin 2022, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la caisse demande à la cour de :
A titre principal,
- rejeter la demande d'inopposabilité,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré opposable à l'employeur le taux de 10%,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a maintenu le quantum de 10% dans les rapports caisse/employeur,
A titre infiniment subsidiaire,
- constater qu'elle ne s'oppose pas à la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise si la cour estimait nécessaire d'y recourir,
En tout état de cause,
- statuer sur les dépens.
La caisse fait valoir que :
- si les dispositions de l'article R. 143-8 du code de la sécurité sociale prévoient que la caisse est tenue de transmettre au secrétariat les documents médicaux concernant l'affaire et d'en adresser copie au requérant ou au médecin qu'il a désigné dans les dix jours suivant la réception de la déclaration, force est de constater que ce délai n'est pas prescrit à peine d'inopposabilité et ces pièces ont été adressées au secrétariat du tribunal ainsi qu'au docteur [N], le 11 juillet 2017, et ce dernier a d'ailleurs été en mesure de rendre un avis sur le taux fixé,
- s'agissant du dossier médical, la caisse ne détient pas le rapport d'incapacité, ni les autres pièces médicales visées à l'article R. 442-2 présentées par la victime au service du contrôle médical, qu'en outre ces pièces demeurent la propriété de la victime et aucune disposition légale ou réglementaire n'autorise le service du contrôle médical à les communiquer à l'employeur ou au médecin désigné par celui-ci,
- le taux d'incapacité permanente partielle du salarié a été évalué à 10% de façon concordante par le médecin conseil et le médecin consultant désigné par le tribunal, que le rapport d'expertise a indiqué que deux mouvements sur cinq étaient limités de façon légère à moyenne tandis que deux l'étaient de façon moyenne,
- le taux de 5% proposé au titre d'une périarthrite scapulo-humérale ne trouve pas à s'appliquer seul, et ne peut qu'être ajouté au taux indemnisant les limitations fonctionnelles quelle qu'en soit la cause.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de constatations qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Sur l'opposabilité de la décision fixant le taux d'IPP
Selon l'article R. 143-8, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2003-614 du 3 juillet 2003, applicable à la date de saisine du tribunal du contentieux de l'incapacité, dans les dix jours suivant la réception de la déclaration, la caisse est tenue de transmettre au secrétariat du tribunal les documents médicaux concernant l'affaire et d'en adresser copie au requérant ou, le cas échéant, au médecin qu'il a désigné.
Selon l'article L. 143-10 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction alors applicable, pour les contestations mentionnées aux 2° et 3° de l'article L. 143-1, le praticien-conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puissent lui être opposées les dispositions de l'article 226-13 du code pénal, à l'attention du médecin expert ou du médecin consultant désigné par la juridiction compétente, l'entier rapport médical ayant contribué à la fixation du taux d'incapacité de travail permanente. A la demande de l'employeur, ce rapport est notifié au médecin qu'il mandate à cet effet.
Pour l'application de ces dispositions, l'entier rapport médical au sens de l'article R. 143-33 doit s'entendre de l'avis et des conclusions motivées données à la caisse d'assurance maladie sur le taux d'incapacité permanente à retenir et des constatations et éléments d'appréciation sur lesquels l'avis s'est fondé, à l'exclusion des pièces et documents consultés ou détenus par le médecin-conseil.
La caisse ne détient pas le rapport d'incapacité permanente établi après examen de la victime par le service du contrôle médical, non plus que les autres pièces médicales présentées par la victime au service du contrôle médical.
En l'espèce, dans sa note médico-légale de deux pages établie le 13 octobre 2019 (pièce n°6 de l'appelante), le docteur [N], médecin mandaté par l'employeur, écrit : «l'examen du médecin conseil n'est pas contradictoire et je n'ai pas accès au dossier médical du salarié (même pour les éléments concernant exclusivement la maladie professionnelle), alors que la communication des éléments utilisés par le médecin conseil pour établir son avis est indispensable pour qu'un réel débat médical contradictoire à armes égales» et relève «l'absence de l'IRM obligatoire pour la reconnaissance d'une maladie professionnelle 57A (rupture de la coiffe)».
Contrairement à ce qu'affirme l'employeur, le médecin qu'il a mandaté n'écrit pas que les certificats médicaux de prolongation ne lui ont pas été transmis et la cour constate que la caisse a adressé, le 11 juillet 2017, ainsi qu'elle le soutient, les documents administratifs et médicaux qu'elle détient au nombre desquels figurent les certificats de prolongation, ainsi qu'en atteste le dossier de la procédure de première instance joint au dossier de la cour et tenu à la disposition des parties au greffe, ce dont il résulte que la caisse a satisfait à son obligation de communication.
Par ailleurs et ainsi qu'il ressort des énonciations du jugement, il est constant que le rapport d'évaluation des séquelles a été communiqué au médecin désigné par l'employeur, lequel en a fait mention dans son avis médico-légal et en a reproduit des extraits.
La caisse ne détenant pas les autres pièces médicales présentées par la victime au médecin conseil du service du contrôle médical, l'employeur ne peut lui faire grief de ne pas les avoir produites.
Et, dès lors que figurent dans le rapport transmis par le médecin-conseil du service du contrôle médical au médecin désigné par l'employeur les constatations et éléments d'appréciation sur lesquels l'avis du médecin conseil s'est fondé, qui ont permis au médecin désigné par l'employeur, comme au médecin consultant désigné par le tribunal, de se prononcer sur le taux d'incapacité permanente partielle de la victime de la maladie professionnelle, il n'y a d'atteinte ni au principe du contradictoire, ni au droit à un procès équitable, ni à l'égalité des armes au détriment de l'employeur.
Il s'ensuit qu'étant non fondée, la demande de l'employeur tendant à ce que le taux attribué à la victime lui soit déclaré inopposable doit être rejetée.
Sur le taux d'incapacité
Selon l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
L'incapacité permanente est appréciée à la date de la consolidation de l'état de la victime.
Le chapitre 1.1.2 du barème indicatif d'invalidité, annexé à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, intitulé - atteinte des fonctions articulaires -, prévoit s'agissant des blocages et limitations des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu'en soit la cause, appliqués à l'épaule du côté dominant, un taux de 20 % pour une limitation moyenne de tous les mouvements et entre 10 et 15 % pour une limitation légère de tous les mouvements et en présence de périarthrite douloureuse, aux chiffres indiqués, selon la limitation des mouvements, est ajouté 5%.
En l'espèce, le médecin conseil du service du contrôle médical a fixé le taux d'IPP à 10% au regard des « séquelles d'une rupture de la coiffe des rotateurs droite opérée, douleur et limitation légère de la mobilité, chez un ouvrier droitier ».
Alors que le médecin mandaté par l'employeur estime qu'il n'existe qu'une simple limitation algique, sans limitation vraie, correspondant à la périarthrite douloureuse du barème indemnisée par un taux de 5%, dans son rapport annexé au jugement le médecin consultant désigné par le tribunal relate le constat des données de l'examen clinique par le médecin conseil de la caisse, en l'occurrence une antépulsion à 100° (pour une normale à 180°selon le barème), une abduction à 80° (contre une normale à 170° selon le barème), une rétropulsion à 20° (pour une normale à 40°), une rotation externe à 30° (pour une normale à 60°) et une rotation interne à 40° (pour une normale à 80°) et, nonobstant l'absence d'examen en adduction et l'absence d'amyotrophie, il rejoint le médecin conseil du service du contrôle médical dans l'évaluation à 10 % du taux d'incapacité en résultant, étant observé que les mouvements de l'épaule gauche, également affectée d'une pathologie prise en charge au titre de la législation professionnelle, ne peuvent être retenus comme normaux dans le comparatif.
Aucun élément ne vient au soutien de l'affirmation selon laquelle les limitations mesurées ne seraient pas réelles et, bien que l'adduction ne soit pas mesurée, le degré de limitation des autres mouvements affectant l'épaule dominante chez un ouvrier, décrits comme douloureux, justifie l'évaluation à 10 % de l'incapacité en résultant, sans qu'il y ait lieu de recourir à une nouvelle mesure d'instruction.
Aussi convient-il de confirmer le jugement.
L'employeur qui succombe dans ses prétentions est condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
REJETTE, comme étant non fondée, la demande de la société [6] en inopposabilité de la décision du 10 mars 2017 de la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme.
CONDAMNE la société [6] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE