AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 21/00327 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NLBS
[X]
C/
CPAM HAUTE SAVOIE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 24 Décembre 2020
RG : 18/05912
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE D - PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 12 JANVIER 2023
APPELANT :
[L] [X]
né le 29 Décembre 1969 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Béatrice BONNET CHANEL de la SARL CABINET BEATRICE BONNET CHANEL, avocat au barreau d'ANNECY
INTIMEE :
CPAM HAUTE SAVOIE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Dispensée de comparaître
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Juin 2022
Présidée par Nathalie PALLE, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 12 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Jihan TAHIRI, Greffière placée auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salarié de la société [6] (l'employeur) en qualité de magasinier livreur, M. [X] (l'assuré) a été victime d'un accident le 27 juillet 2006, au cours duquel il s'est blessé au dos en manipulant une palette posée sur un rack, le certificat médical initial faisant état d'un lumbago et d'une sciatique droite.
Cet accident a été pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie (la caisse) qui, par décision du 21 janvier 2013, après avoir retenu que l'état de santé de l'assuré était consolidé au 30 septembre 2012, lui a attribué un taux d'incapacité permanente de 67%, dont 7% pour le taux professionnel, correspondant à des « séquelles fonctionnelles et algiques très importantes d'une hernie discale L4L5 opérée et compliquée d'instabilité vertébrale non opérée (déplacement très difficile avec 2 cannes) associées à un syndrome anxio-dépressif réactionnel chronique d'intensité modérée ».
A la suite d'une révision d'un taux d'incapacité à l'initiative de la caisse, par décision du 11 décembre 2017, la caisse lui a attribué, à compter du 1er janvier 2018, un taux d'incapacité permanente révisé de 5% pour des « lombalgies basses chroniques post-chirurgicales, sans signe déficitaire».
Le 12 février 2018, l'assuré a saisi d'un recours le tribunal du contentieux de l'incapacité du Rhône en contestation de cette décision.
Au 1er janvier 2019, le dossier de la procédure a été transféré au pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, devenu tribunal judiciaire, juridiction spécialement désignée.
A l'audience du 2 décembre 2020, le tribunal a ordonné une consultation médicale sur pièces confiée au docteur [R].
Par jugement du 24 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté la requête présentée par le salarié,
- dit n'y avoir lieu à la condamnation de la caisse à verser la somme de 1.000 euros au salarié au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que les frais de consultation médicale ordonnée au cours de l'audience sont à la charge de la Caisse nationale d'assurance maladie.
Le salarié a relevé appel de ce jugement, le 11 janvier 2021.
En parallèle, estimant avoir été trompée par l'assuré sur la réalité de son handicap, la caisse a déposé une plainte pénale pour fraude.
Par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal correctionnel de Bonneville a déclaré le salarié coupable des faits d'escroquerie faite au préjudice de la caisse pour l'obtention d'une prestation indue, pour les faits commis le 15 juin 2017 à Marnaz et l'a relaxé du surplus de la poursuite.
Dans ses dernières conclusions remises au greffe le 8 novembre 2021, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, le salarié demande à la cour de :
- constater que son appel est recevable et bien-fondé de son appel,
A titre principal,
- infirmer le jugement entrepris du pôle social du tribunal judiciaire de Lyon du 24 décembre 2020 en ce qu'il l'a débouté de ses demandes contestant le taux d'incapacité permanente partielle de 5% de la caisse à compter du 1er janvier 2018,
- dire et juger qu'en l'absence d'amélioration démontrée et objectivée de sa situation, sur le plan médical et sur le plan socio-professionnel, son taux initial de 67% fixé suite à son accident de travail du 27 juillet 2006, à sa consultation du 30 septembre 2012, doit être confirmé,
- le renvoyer par devant l'organisme pour la liquidation de ses droits,
- condamner la caisse à lui payer une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux dépens,
A titre subsidiaire,
- ordonner une expertise médicale judiciaire en vue de déterminer le taux de ses séquelles à compter du 1er janvier 2018, avec pour mission de déterminer si sa situation justifiait d'une amélioration suffisante de nature à permettre de réviser le taux initial de 67% et, dans l'affirmative, de fixer le taux en question sur le plan médical et sur le plan socio-professionnel,
A titre infiniment subsidiaire,
- fixer a minima son taux à compter du 1er janvier 2018 à 10% sur le plan médical, et maintenir le taux de 7% sur le plan socio-professionnel, soit 17% au total, sur la base des conclusions du docteur [N], expert judiciaire nommé par jugement du tribunal correctionnel du 19 décembre 2019.
L'assuré fait valoir que :
- s'agissant de la procédure pénale menée à son encontre, par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal correctionnel l'a relaxé de la quasi-totalité de la prévention, ne le déclarant coupable que pour les faits commis le 15 juin 2017 à Marnaz et la caisse a ensuite été déboutée sur intérêts civils,
- le taux de 67% qui lui a été reconnu à la suite de son accident initial et à sa consolidation du 30 septembre 2012 n'a pas été remis en question par la caisse avant le 1er janvier 2018 ; que celle-ci ne peut ramener subitement le taux à 5% à compter du 1er janvier 2018, sauf à démontrer une fraude, ce qui n'est pas le cas,
- il appartient à la caisse de démontrer qu'entre le 31 décembre 2017 et le 1er janvier 2018, il présente une amélioration suffisamment extraordinaire pour justifier une révision de 67% à 5% du taux de ses séquelles, ce qu'elle ne fait et, à titre subsidiaire, le docteur [N], dans le cadre de la procédure pénale, a conclu qu' actuellement le taux médical devrait être de 10%,
- qu'il est bien-fondé à contester la non-adjonction d'un taux socio-professionnel, ayant contesté le taux d'incapacité permanente partielle de 5% attribué par la caisse à compter du 1er janvier 2018, dès lors qu'il n'a jamais retrouvé de vie professionnelle et qu'un taux de 7% lui a déjà été reconnu par la caisse lors de l'étude initiale de son dossier ; le taux socio-professionnel de 7% devra donc au minimum être repris, voire même élevé à 10%.
Par des écritures déposées au greffe, le 28 octobre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la caisse, dispensée de comparaître à l'audience, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il maintient le taux médical à 5% et n'attribue pas de taux socio-professionnel,
- débouter en conséquence le salarié de ses demandes.
La caisse fait valoir que :
- le taux initial de 67% a été très largement surévalué ; que l'état de santé du salarié s'est nettement amélioré et que le médecin consultant près le tribunal du contentieux de l'incapacité a évalué le taux d'incapacité permanente partielle à 30% à la date du 3 octobre 2014 ; que dans ses conclusions d'expertise, le docteur [N] retient plusieurs périodes dans l'évolution de l'état de santé du salarié, une période d'octobre 2012 à décembre 2014 avec un taux de 35% dont 15% au plan psychologique, une période de janvier 2015 à décembre 2017 avec un taux de 25% dont 10% au plan psychologique, et une période au-delà de décembre 2017 avec un taux de 10% dont 0% au plan psychologique,
- elle a fait usage de sa possibilité de révision du taux ; qu'à la suite de la révision du 11 décembre 2017, les conclusions médicales justifiaient un taux d'incapacité permanente partielle de 5% et le médecin consultant à l'audience du 2 décembre 2020 a également évalué le taux à 5% ; en outre l'assuré a été jugé le 25 janvier 2021 coupable d'escroquerie à l'encontre d'un organisme de sécurité sociale dans le but d'obtenir des prestations indues ; les médecins ont donc uniquement tenu compte des séquelles médicalement objectivées et non du ressenti de l'assuré,
- le taux d'incapacité permanente partielle, le taux professionnel et la demande d'expertise médicale sont des objets de litige parfaitement divisibles ; la déclaration d'appel du salarié porte sur le taux d'incapacité permanente partielle de 5%, ce qui correspond au taux médical, et sur la demande d'expertise judiciaire mais elle ne précise cependant pas que l'appel porte sur le taux professionnel de sorte que le taux professionnel ne concerne donc pas le présent recours,
- en tout état de cause, à la date de révision du 11 décembre 2017, l'assuré ne rapporte pas la preuve d'une incidence professionnelle des séquelles de l'accident du travail du 27 juillet 2006, de sorte qu'un taux socio-professionnel ne peut pas être lui être attribué.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de constatations qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Sur la portée de l'appel
Aux termes de la déclaration d'appel, l'assuré fait appel du jugement en ce qu'il a maintenu à 5% le taux d'IPP à partir du1er janvier 2018 et n'a pas fait droit à la demande d'expertise judiciaire formée à la barre.
En contestant ce chef du dispositif du jugement qui confirme le taux fixé par la caisse ayant exclu tout correctif socio-professionnel, l'appelant conteste le taux d'incapacité permanente partielle dans toutes ses composantes au sens de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, y compris dans le retentissement professionnel en lien direct avec l'état séquellaire.
Sur le taux d'incapacité permanente partielle
Il résulte de l'article L. 443-1 du code de la sécurité sociale, qu'une modification dans l'état de la victime d'un accident du travail peut donner lieu à une nouvelle fixation des réparations.
Selon l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
Ce barème indicatif d'invalidité, annexé à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale, précise que « les quatre premiers éléments de l'appréciation concernent l'état du sujet considéré, du strict point de vue médical. Le dernier élément concernant les aptitudes et la qualification professionnelle est un élément médico-social ; il appartient au médecin chargé de l'évaluation, lorsque les séquelles de l'accident ou de la maladie professionnelle lui paraissent devoir entraîner une modification dans la situation professionnelle de l'intéressé, ou un changement d'emploi, de bien mettre en relief ce point susceptible d'influer sur l'estimation globale (...) On peut être ainsi amené à majorer le taux théorique affecté à l'infirmité, en raison des obstacles que les conséquences de l'âge apportent à la réadaptation et au reclassement professionnel (...) ».
La notion de qualification professionnelle se rapporte aux possibilités d'exercice d'une profession déterminée. Les aptitudes professionnelles correspondent, quant à elles, aux facultés que peut avoir une victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle de se reclasser ou de réapprendre un métier compatible avec son état de santé.
L'attribution d'un correctif socio-professionnel suppose que soit rapportée la preuve d'un préjudice économique ou d'une perte d'emploi en relation directe et certaine avec l'accident du travail ou la maladie professionnelle.
Et selon le chapitre 3.2 du barème relatif au rachis dorso-lombaire, la persistance de douleurs notamment et gêne fonctionnelle (qu'il y ait ou non séquelles de fracture) sont évaluées de 5 à 15 lorsqu'elles sont discrètes, et de 15 à 25 lorsqu'elles sont importantes.
Au cas présent, après avoir, par décision du 21 janvier 2013, attribué à l'assuré un taux d'incapacité permanente de 67%, dont 7% pour le taux professionnel correspondant à des « séquelles fonctionnelles et algiques très importantes d'une hernie discale L4L5 opérée et compliquée d'instabilité vertébrale non opérée (déplacement très difficile avec 2 cannes) associées à un syndrome anxio-dépressif réactionnel chronique d'intensité modérée », la caisse justifie, d'une part, que le médecin consultant désigné par le tribunal du contentieux de l'incapacité, dans le cadre du recours formé par l'employeur contre cette décision, avait conclu à un taux médical de 30%, d'autre part, qu'il résultait du rapport d'enquête du 11 décembre 2017 par son agent assermenté que l'assuré utilisait des béquilles lorsqu'il se rendait aux rendez-vous médicaux alors que dans le quotidien il marchait normalement et plus particulièrement que le 15 juin 2017 il l'avait vu mettre ses béquilles dans le coffre de sa voiture et se tenir debout seul sans aide pour effectuer cette action, ensuite que, dans le cadre de la procédure pénale engagée sur sa plainte, dans son rapport du 12 février 2019, le médecin expert désigné par le tribunal correctionnel de Bonneville avait conclu à un taux de 35% dont 15% au plan psychologique pour la période d'octobre 2012 à décembre 2014, à un taux de 25% dont 10% au plan psychologique pour la période de janvier 2015 à décembre 2017 et à un taux de 10% dont 0% au plan psychologique au-delà de décembre 2017 .
Par jugement du 25 janvier 2021, le tribunal correctionnel de Bonneville a condamné l'assuré pour avoir le 15 juin 2017 à Marnaz, en employant des manoeuvres frauduleuses, en simulant sur son état de santé, trompé la caisse pour la déterminer à lui verser une rente mensuelle outre la prise en charge à 100% de tous les soins de l'assurance maladie et l'a relaxé pour le surplus des faits reprochés entre le 1er octobre 2012 et le 31 décembre 2017.
Ces éléments tendant à révéler que l'état des séquelles de l'assuré avait été modifié en amélioration depuis la fixation à 67% du taux qui lui avait été précédemment notifié au titre de son incapacité permanente partielle, voire que l'assuré en avait exagéré l'ampleur, la caisse était bien fondée à initier une révision du taux d'incapacité.
Un taux de 5 % a été attribué par le médecin conseil du service du contrôle médical de la caisse compte tenu de l'existence de « lombalgies basses chroniques post-chirurgicales, sans signe déficitaire ».
Relayant les constatations du médecin conseil de la caisse, le médecin consultant désigné par le tribunal, dont le compte rendu est joint au jugement, a notamment relevé, à l'examen, une discrète limitation de la mobilisation du rachis, sans déficit sensitif moteur.
Quant au docteur [N], médecin expert désigné par le tribunal correctionnel de Bonneville, dans son rapport du 25 mai 2020, il conclut qu'au delà de décembre 2017, avec des douleurs lombaires discrètes et une gêne faible, un état plus de stress sans aucun suivi avec prise médicamenteuse qui reste aléatoire et non certaine, l'IPP est au plan physique retenu est estimée au 1er janvier 2015 à 10% et au plan psychologique à 0% et il précise que de 2015 à 2017 jusqu'en 2020, les troubles ont continué progressivement à s'améliorer sans que l'intéressé puisse encore l'intégrer complètement dans son champ mental, et sur cette période, une vie gestuelle et sportive est possible avec autonomie, déambulation, conduite et activités sportives dont le port de charges jusqu'à 10-15 kg.
Par conséquent, compte tenu de la nature et de l'ampleur des séquelles objectivées et du constat de leur incidence fonctionnelle discrète, sans signe déficitaire, l'évaluation à 5 % à compter du 1er janvier 2018 de l'incapacité qui en résulte est justifiée, sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise en l'absence de différend d'ordre médical.
Par ailleurs, l'assuré se borne à invoquer qu'il ne parvient pas à retrouver une vie professionnelle malgré ses efforts depuis l'audience pénale, sans établir un état de ses recherches d'emploi et les éléments qu'il produit aux débats, au nombre desquels figurent le rapport du médecin expert désigné par le tribunal correctionnel, et celui du 2 mars 2018 du docteur [M] qu'il a consulté d'initiative lequel estime «inique le retrait du taux socio-professionnel car le patient n'a pas retrouvé d'emploi», ne permettent pas de conclure à l'existence d'une incidence professionnelle en lien direct avec son état séquellaire.
Aussi convient-il de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
L'assuré qui succombe dans ses prétentions supporte les dépens d'appel et sa demande au titre des frais non compris dans les dépens est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [L] [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [L] [X] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE