N° RG 21/02438
N° Portalis DBVX-V-B7F-NP7Y
Décision du
Juge des contentieux de la protection de SAINT-ETIENNE
Au fond
du 25 janvier 2021
RG : 1118001809
[J] [F]
[J] [F] NÉE [B]
C/
Société LE TOIT FOREZIEN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 11 JANVIER 2023
APPELANTS :
M. [L] [J] [F]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Mme [C] [J] [F] née [B]
[Adresse 1]
[Localité 6]
(bénéficient d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/015735 du 03/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
Représentés par Me Nathalie ROSE, avocat au barreau de LYON, toque : 1106
Assistés de Me Coraly SADURNI RAFFAT, avocat au barreau de SAINT ETIENNE
INTIMÉE :
Société LE TOIT FOREZIEN, Société Coopérative d'Intérêt Collectif d'HLM, représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Stéphanie PALLE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 07 Février 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 Novembre 2022
Date de mise à disposition : 11 Janvier 2023
Audience présidée par Bénédicte BOISSELET, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de William BOUKADIA, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Bénédicte BOISSELET, président
- Karen STELLA, conseiller
- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
[L] et [C] [J] [F] ont loué un appartement au [Adresse 2] à [Localité 5], auprès de la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN. Ils sont entrés dans les lieux le 26 août 2015.
Cet appartement est infesté de cafards malgré de nombreuses tentatives pour les éradiquer.
Ce problème a rendu impossible la poursuite du bail d'habitation et des frais pour tenter de supprimer les insectes ainsi que pour leur déménagement.
[L] [J] [F] a saisi le juge des contentieux de la protection de SAINT ETIENNE par assignation du 31 octobre 2018 aux fins de voir condamner le bailleur à lui payer 8 000 euros de dommages et intérêts outre les entiers dépens. La demande est fondée sur l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 qui impose au bailleur de louer un logement décent dans lequel les conditions d'hygiène sont respectées. Leurs meubles ont été perdus du fait des insectes. Ils ont dû en racheter pour éviter d'emporter des insectes avec eux. Ils ont dû s'endetter pour financer le rachat complet de leur mobilier.
[C] [J] [F] est intervenue volontairement à la procédure pour s'associer aux demandes de son époux.
Selon eux, l'ancien locataire avait déjà dû subir ce problème de même que d'autres voisins des 6ème et 7ème étages. La première intervention de désinsectisation date du 18 septembre 2015 soit moins d'un mois après leur prise de possession. Ils produisent des attestations outre la preuve que Monsieur [J] [F] souffre d'asthme. Il est sollicité la production de tous les ordres de service pour la désinsectisation durant l'année 2015.
La bailleresse a conclu au fait que les locataires n'ont pas d'intérêt à agir, au rejet des demandes et à l'allocation de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens. Se fondant sur les articles 9 du code de procédure civile, 1315 du code civil et 7 b de la loi du 6 juillet 1989, elle fait valoir que Monsieur [J] [F] s'était déjà plaint de la présence de cafards dans son ancien logement au [Adresse 4] à [Localité 6] car il a fait une demande d'intervention le 18 août 2015 ce qui correspond d'ailleurs à la date de signature du nouveau bail. Ils ont purement et simplement importé des cafards dans leur nouveau logement avec leurs meubles en déménageant. Leur état des lieux d'entrée ne fait pas mention de cafards. Par ailleurs, elle souligne ses multiples interventions pour remédier au problème dont le dernier en juillet 2017. En cas de persistance du problème, il a été précisé qu'il faudrait prévoir un enfumage du logement. Par ailleurs, à aucun moment, les preneurs n'ont fait état de la perte de leur mobilier et électro-ménager.
Suivant jugement du 25 janvier 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de SAINT ETIENNE a':
constaté que [L] [J] [F] a un intérêt à agir,
reçu l'intervention volontaire de [C] [J] [F] née [B] qui est recevable étant co-titulaire du bail du bail sis [Adresse 2] à [Localité 5],
rejeté leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN comme injustifiée,
condamné [L] et [C] [J] [F] à payer à la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
rejeté le surplus des demandes,
condamné [L] et [C] [J] [F] aux entiers dépens de l'instance.
Le juge a notamment retenu que :
l'erreur d'adresse dans l'assignation s'agissant du bien loué est corrigée d'un commun accord des parties. Ainsi, le demandeur, locataire du bien, a un intérêt à agir ;
le logement décent que le propriétaire bailleur doit délivrer comprend les conditions d'hygiène sans risque pour la sécurité physique et la santé. Le bailleur doit éviter la présence de cafards et autres insectes dans le logement loué ;
la première intervention de désinsectisation après l'entrée dans les lieux date du 18 septembre 2015 soit moins d'un mois après leur arrivée. Une nouvelle opération a eu lieu le 26 novembre 2015. Ce n'est que le 15 avril 2016 que l'ensemble de l'immeuble a été traité pour les nuisibles ;
il n'est pas nécessaire de faire produire tous les ordres d'intervention et récapitulatif de la société de désinsectisation pour l'année 2015 faute pour les assignants de produire des attestations des autres locataires concernés ;
-pour le rachat de leurs biens, il apparaît qu'ils avaient déjà un problème identique au [Adresse 4] à [Localité 6] et qu'une intervention y avait déjà été sollicitée. Est prouvé le fait générateur de l'invasion des nuisibles dans le nouvel appartement car ils ont certainement emporté avec leurs biens les insectes et leurs larves. L'état des lieux d'entrée du 26 août 2015 ne mentionne aucun problème de cette nature ;
le bailleur a montré les mesures prises à plusieurs reprises pour désinfester les lieux en mandatant la société SUEZ. Les interventions y compris choc ont été multipliées le 15 septembre 2016, le 28 novembre 2016, le 25 janvier 2017, le 6 avril 2017, le 6 juillet 2017, le 12 juillet 2017 et le 27 juillet 2017. Le 10 juillet 2017, les preneurs ont donné leur congé, l'état des lieux sortant du 12 septembre 2017 mentionnant la présence des nuisibles qui n'ont pas pu être éradiqués. La demande d'indemnisation est non fondée.
Appel a été interjeté par déclaration d'appel du 2 avril 2021 par le conseil des époux [J] [F] sur le rejet de leurs demandes et leurs condamnations.
Suivant leurs dernières conclusions n°2 notifiées par RPVA le 20 décembre 2021, les époux [J] [F] demandent à la Cour de':
en application de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989,
dire et juger recevable et bien fondé l'appel,
infirmer le jugement sur le rejet de la demande de dommages et intérêts, sur le rejet du surplus des demandes, sur leur condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens.
Statuant à nouveau,
condamner la société d'HLM LE TOIT FOREZIEN à leur verser 8 000 euros de dommages et intérêts,
débouter l'intimée de l'intégralité de ses demandes,
la condamner aux entiers dépens au profit de Maître ROSE avocat sur son affirmation de droit et recouvrés comme il est prescrit en matière d'aide juridictionnelle.
Suivant ses dernières conclusions n °1 notifiées par RPVA le 20 septembre 2021, la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN demande à la Cour de':
vu l'article 7b de la loi du 6 juillet 1989, les articles 9 du code de procédure civile et 1353 du code civil,
rejeter l'appel,
débouter les appelants de leurs demandes,
confirmer purement et simplement en toutes ses dispositions le jugement déféré,
condamner les appelants à lui payer 2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure injustifiée et abusive,
les condamner à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Pour l'exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l'article 455 du code de procédure civile à leurs écritures déposées et débattues à l'audience du 14 novembre 2022 à 9 heures.
A l'audience, les conseils des parties ont pu faire leurs observations et/ou déposer ou adresser leurs dossiers respectifs. Puis, l'affaire a été mise en délibéré au 11 janvier 2023.
MOTIFS
A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour «'constater'» ou «'dire et juger'» ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4,5,31 et 954 du code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.
Sur la demande indemnitaire à raison de la responsabilité du bailleur qui est défaillant dans la délivrance d'un logement décent
Selon l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Selon l'article 1315 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier du paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Les locataires soutiennent que leur bailleur leur a remis un logement indécent du fait de la présence de cafards.
Le bailleur a des obligations qui fonctionnent en miroir de la principale obligation du preneur de payer son loyer contractuel. Selon l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur doit remettre un logement décent selon les critères définis au décret du 30 janvier 2002.
L'état d'indécence est défini comme celui générateur de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et rendant le logement non conforme à l'usage d'habitation. Tel est le cas d'un logement infesté d'insectes nuisibles qui sont notoirement connus pour être vecteurs de maladies ou déclencheurs d'allergies chez les humains. Depuis la loi Elan du 23 novembre 2018, il est d'ailleurs expressément prévu que le bailleur doit remettre un logement exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites.
Pour autant, la responsabilité du bailleur n'est engagée que si les locataires qui demandent des indemnités prouvent que l'invasion des blattes était déjà en cours en moment de leur emménagement dans les lieux soit avant le 26 août 2015.
Le fait que l'état des lieux d'entrée du 26 août 2015 ne mentionne pas la présence de nuisibles n'est effectivement pas un élément déterminant, les cafards étant des insectes nocturnes ainsi que le soutiennent les appelants.
Pour autant, il appartient aux locataires de prouver que les insectes étaient déjà présents dans leur appartement ou du moins dans l'immeuble avant leur arrivée le 26 août 2015.
Or, pas plus en première instance qu'en appel, le couple [J] [F] ne prouve que les insectes étaient présents avant leur entrée dans les lieux. Ils ont évoqué un ancien locataire mais n'ont pas versé d'attestation ni de cette personne ni d'aucun voisin permettant d'établir ce fait. En effet, les attestations versées se bornent à témoigner de la présence des cafards dans le logement litigieux après leur emménagement mais aucune, notamment pas les attestations de Madame [P] (pièce 5) et de Monsieur [I] (pièce 6) qui résident pourtant dans l'immeuble des appelants, ne mentionne la présence de cafards dans l'immeuble avant l'arrivée des époux [J] [F] ni le fait que des opérations des désinsectisation ont été conduites avant le 18 septembre 2015. Il n'établissent pas à quelle date, ils ont sollicité leur bailleur mais le bon de commande pour la première intervention datant du 16 septembre 2015 (pièce 3 de l'intimée), il paraît étonnant qu'ils n'aient pas repéré et signalé la présence desdits cafards avant un délai de près de trois semaines, si ces nuisibles étaient déjà présents dans leur appartement voire tout l'immeuble.
Les appelants ne peuvent se contenter d'alléguer que du fait de l'infestation généralisée peu de temps après leur entrée en jouissance des lieux, il serait évident que les nuisibles étaient là avant leur arrivée. En effet, s'agissant de nuisibles qui se reproduisent à très grande vitesse et de façon exponentielle, il ne peut être exclu qu'ils aient importé des cafards et leurs larves en emménageant puisque l'intimée expose qu'ils venaient de déménager d'un appartement sis [Adresse 4] à [Localité 6] où la présence de cafards dans le logement a été pointée le 18 août 2015 (pièce 15 et 16). Les appelants n'ont d'ailleurs pas contesté avoir déménagé avec leurs meubles dans leur nouvel appartement dans les suites immédiates et ils ne versent aucune pièce contraire notamment des attestations prouvant qu'il n'y avait pas de problème de cafards dans leur ancien logement.
Par ailleurs, il est établi que le bailleur a assumé l'ensemble des frais des multiples opérations de désinsectisation entre septembre 2015 et juillet 2017. Il n'a pas fait preuve d'inertie.
A défaut de prouver qu'il leur a été remis un logement indécent infesté de cafards le 26 août 2015, les époux [J] [F] ne peuvent voir leur demande indemnitaire accueillie.
La Cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté leur demande.
Sur la demande reconventionnelle au titre de la procédure abusive
La société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN doit prouver un abus de procédure, son préjudice tant en son existence qu'en son montant et un lien de causalité. Or, l'intimée s'est dispensée dans ses conclusions de la moindre démonstration spécifique sur son appel incident. Par ailleurs, elle saurait se contenter de sa pièce 16 pour montrer un abus de la part des [J] [F] dans la mesure où ce tableau, constitué par l'intimée elle-même, est sybillin, ne prouve pas que ce sont les locataires qui ont sollicité une intervention à propos de cafards dans leur ancien logement, ni que cette demande a eu lieu le 18 août 2015 d'autant qu'il n'est joint ni état des lieux de sortie ni bon de commande d'une intervention effective pour désinsectiser ce logement précédent.
Il n'est donc pas établi un abus de procédure puisqu'il n'est pas prouvé que les locataires savaient qu'ils venaient de quitter un logement infesté de cafards en les important dans leur nouvel appartement et qu'ils ont néanmoins agi en justice de mauvaise foi.
Par ailleurs, le bailleur se contente de demander une somme de 2 000 euros de dommages et intérêts sans expliquer en quoi cette somme réparerait un préjudice distinct des frais d'avocat pour suivre cette procédure.
En conséquence, la Cour rejette la demande indemnitaire au titre d'un abus de procédure formulée par la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN à l'encontre des époux [J] [F].
Sur les demandes accessoires
Les parties succombant chacune partiellement en leurs demandes respectives, la Cour dit que chaque partie doit conserver ses dépens d'appel.
En revanche, la Cour maintient la condamnation des époux [J] [F] aux dépens de première instance lesquels ont seuls succombé.
En équité, la Cour confirme la condamnation de première instance au titre des frais irrépétibles.
En revanche, à hauteur d'appel, chaque partie succombant partiellement en ses demandes, les parties doivent supporter leurs propres frais irrépétibles et leurs demandes à ce titre sont rejetées.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
déboute la société coopérative d'intérêt collectif d'HLM LE TOIT FOREZIEN de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive,
laisse à chaque partie le montant de ses frais irrépétibles et des dépens à hauteur d'appel,
déboute corrélativement chaque partie de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens d'appel à hauteur d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT