N° RG 21/08651 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N7FK
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
Chambre 1 Cabinet 1 B
du 20 octobre 2021
RG : 19/03935
[H] [M]
C/
LA PROCUREURE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
2ème chambre A
ARRET du 10 JANVIER 2023
APPELANTE
Mme [M] [H]
née le 30 Janvier 1977 à [Localité 2] (Algérie)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Marie-Laure COGNON, avocate au barreau de LYON
Assistée de Me Émilie SCHURMANN, avocate au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/033587 du 17/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉE
Mme LA PROCUREURE GENERALE
représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général
[Adresse 3]
[Adresse 3]
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 20 septembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 novembre 2022
Date de mise à disposition : 10 janvier 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Isabelle BORDENAVE, présidente
- Georges PEGEON, conseiller
- Géraldine AUVOLAT, conseillère
assistés pendant les débats de Sylvie NICOT, greffière.
A l'audience, un membre de la Cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.
* * * *
SYNTHÈSE DES FAITS ET PROCÉDURE
Mme [M] [H], née le 30 janvier 1977 à [Localité 2] (Algérie), de nationalité algérienne, et M. [N] [C], de nationalité française, se marient le 12 mai 2001.
Le 19 novembre 2003, Mme [H] dépose une déclaration d'acquisition de nationalité française, sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, laquelle est enregistrée.
Par jugement du 18 janvier 2010, le tribunal de grande instance de Grenoble, saisi par le procureur de la République, annule l'enregistrement de cette déclaration acquisitive de nationalité française par mariage.
Le 28 mai 2018, Mme [H] dépose une demande d'acquisition de la nationalité française par possession d'état, au titre de l'article 21-13 du code civil, qui fait l'objet, le 24 septembre 2018 d'une décision de refus d'enregistrement par le directeur des services de greffe judiciaire de Grenoble.
Par jugement contradictoire du 20 octobre 2021, auquel il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le tribunal judiciaire de Lyon, saisi par Mme [H] d'une requête aux fins de voir déclarer nulle la décision du 17 octobre 2018 susvisée,
- déboute le ministère public de sa demande de caducité de l'assignation délivrée par Mme [H],
- déboute Mme [H] de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-3 du code civil,
- constate l'extranéité de Mme [H],
- ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamne Mme [H] aux dépens de l'instance.
Par déclaration reçue au greffe le 3 décembre 2021, Mme [H] relève appel de cette décision sollicitant la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 26-3 du code civil, a constaté son extranéité, a ordonné la mention prévue à l'article 28 dudit code, l'a condamnée aux dépens d'appel.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 2 mars 2022, Mme [H] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé l'appel du jugement en date du 20 octobre 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Lyon,
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon en date du 20 octobre 2021, en ce qu'il a :
- débouté Mme [H] de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-3 du code civil,
- constaté l'extranéité de Mme [H],
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamné Mme [H] aux dépens de l'instance.
Statuant à nouveau,
- déclarer Mme [H] comme étant française,
- dire que Mme [H] est française,
- ordonner l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de Mme [H],
- condamner le trésor public aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, Mme [H] conclut qu'il ressort parfaitement de l'acte de signification du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble le 18 janvier 2010 qu'elle n'a pas été informée de cette décision et n'a donc pas eu connaissance de l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française par mariage. Elle fait état des différents éléments caractérisant l'existence d'une possession d'état de française depuis le 25 novembre 2002, cette possession d'état étant de bonne foi, ayant été constante, continue et non équivoque. Elle dit avoir vécu comme étant française durant plus de 10 années et justifier parfaitement sa possession d'état de française durant cette période.
Selon des dernières écritures, notifiées le 31 mai 2022, Mme la procureure générale près de la cour d'appel de Lyon invite la cour à :
- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
- confirmer le jugement de première instance attaqué (sauf à rectifier l'erreur matérielle commise dans son dispositif lorsqu'il vise l'article '2l-3" du code civil),
- débouter l'intéressée de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française fondée sur l'article 21-13 du code civil,
- constater l'extranéité de l'intéressée,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
En réponse, le parquet général rappelle qu'à partir du moment où la qualité de français est déniée à l'intéressée, sa possession d'état de français devient entachée d'équivoque ; tel est le cas lorsqu'un certificat de nationalité française ou lorsque l'enregistrement de sa déclaration d'acquisition de la nationalité française précédemment souscrite est annulé comme en l'espèce.
Le jugement de Grenoble d'annulation de l'acquisition de la nationalité française par mariage de Mme [H] a régulièrement été signifié le 5 mai 2010, selon le procès-verbal de recherches infructueuses. Depuis au moins le 19 novembre 2003, la possession d'état de française de la demanderesse ne peut plus être considérée comme de bonne foi en vertu du principe selon lequel 'la fraude corrompt tout'.
En tout état de cause, depuis le 25 novembre 2016, date à laquelle la demanderesse prétend avoir eu connaissance du jugement grenoblois de 2010, sa possession d'état de française doit être considérée comme équivoque, les conditions de l'article 21-13 du code civil ne sont pas réunies. Les éléments produits ou invoqués par l'appelante sont insuffisants à caractériser une possession d'état de française de l'appelante.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.
La clôture a été prononcée le 20 septembre 2022. L'affaire a été appelée à l'audience de plaidoiries du 16 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel interjeté dans les formes et délais légalement impartis est régulier et recevable.
Il est rappelé que Mme [H] étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, elle est dispensée de l'acquittement du droit prévu par les articles 963 du code de procédure civile et 1635 bis P du code général des impôts.
Sur la recevabilité de l'action
Le récépissé prévu par les dispositions de !'article 1043 du code de procédure civile a été délivré le 6 octobre 2021 au parquet général par le ministère de la justice.
L'action est donc recevable.
Sur l'étendue de la saisine de la cour
En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Par ailleurs, l'effet dévolutif de l'appel implique que la cour connaisse des faits survenus au cours de l'instance et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s'ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu'en cours d'instance d'appel.
En l'espèce, la cour est saisie de la nationalité française par possession d'état de Mme [H] et de l'appréciation de cette possession d'état au sens de l'article 21-13 du code civil.
Sur la nationalité française par possession d'état de Mme [H]
Il résulte de l'article 21-13 du code civil, que peut réclamer la nationalité française par déclaration souscrite conformément aux articles 26 et suivants, la personne qui a joui, d'une façon constante, de la possession d'état de français, pendant les dix années précédant sa déclaration.
Lorsque la nationalité française est contestée, l'intéressé dispose d'un délai raisonnable pour souscrire la déclaration prévue par l'article 21-13 du code civil. Ce délai court, quant à lui, à compter de la date à laquelle l'intéressé a eu connaissance de son extranéité.
En l'espèce, Mme [H] a effectivement souscrit une déclaration acquisitive de nationalité française par mariage le 19 novembre 2003, qui a été annulée par un jugement du tribunal de grande instance de Grenoble le 18 janvier 2010.
Si ce jugement lui a été signifié le 5 mai 2010, selon le procès-verbal de recherches infructueuses délivré conformément aux dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, Mme [H] a eu connaissance de son extranéité à l'occasion d'une délivrance de copie de son acte de naissance, faite le 25 mai 2016, point qui n'est pas contesté. C'est donc à compter de cette date qu'elle a eu effectivement connaissance de son extranéité.
Aussi, en déposant le 25 mai 2018, soit dans les deux années de la connaissance de son extranéité, une demande d'acquisition de nationalité française sur le fondement de l'article 21-13 du code civil, Mme [H] a agi dans un délai raisonnable.
Encore faut-il, pour être éligible à l'acquisition de la nationalité française par possession d'état, que l'intéressée justifie d'une possession d'état de française, constante, continue, non équivoque et qui n'a pas été constituée ou maintenue par fraude dans les dix ans ayant précédé sa déclaration du 25 mai 2018 soit depuis le 25 mai 2008.
Précisément, à l'appui de son recours, Mme [H] se prévaut, pour dire dûment établie sa possession d'état de française durant cette période, d'une CNI délivrée en 2009 et d'une CNI établie en 2015. Or, ces deux seuls titres d'identité sont insuffisants pour caractériser l'existence d'une possession d'état de français, étant observé que ces deux titres ont été délivrés alors même que Mme [H] avait vu contester son accès à la nationalité française par mariage.
Quant aux titres concernant ses enfants, actes de naissance français ou carte d'identité française, ils ne sauraient participer à la constitution de la possession d'état de française de l'appelante, la possession d'état étant personnelle.
La possession d'état de française, qui doit être constante entre le 28 mai 2008 et le 28 mai 2018, n'est pas caractérisée par suffisamment d'éléments. Elle est devenue équivoque au moins à compter du 25 novembre 2016, date à laquelle Mme [H] a eu connaissance de son extranéité retenue par le jugement du 18 janvier 2010, qui a considéré que sa nationalité française par mariage avait été constituée par fraude.
Mme [H] échoue à démontrer qu'elle aurait bénéficié de la possession d'état de française pendant les dix ans ayant précédé sa déclaration, soit pendant les dix ans ayant précédé le 25 mai 2018.
Le jugement déféré sera confirmé, étant toutefois observé que son dispositif contient une erreur purement matérielle, en ce qu'il vise l'article 21-3 du code civil, alors même que tant la demande que sa motivation concernent l'article 21-13 du code civil.
Sur les dépens
Mme [H] qui succombe est condamnée aux dépens qui seront recouvrés selon les règles de l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré,
Déclare recevable l'appel de Mme [H],
Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Dit que Mme [H] est déboutée de sa demande d'enregistrement de sa déclaration de nationalité française fondée sur l'article 21-13 et non sur l'article 21-3 du code civil,
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
Condamne Mme [H] aux dépens de l'instance, qui seront recouvrés selon les règles de l'aide juridictionnelle.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Signé par Isabelle Bordenave, présidente de chambre, et par Sophie Peneaud, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
La greffière La présidente