COUR D'APPEL DE LYON
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 09 Janvier 2023
statuant en matière de soins psychiatriques
N° RG 23/00083 - N° Portalis DBVX-V-B7H-OWRY
Appel contre une décision rendue le 05 janvier 2023 par le Juge des libertés et de la détention de [Localité 4].
APPELANT :
M. [T] [I]
né le 11 Octobre 1954 à [Localité 6] (MAROC)
Actuellement hospitalisé au centre psychothérapique de l'Ain à [Localité 4]
comparant, assisté de Maître Hadrien DURIF, avocat au barreau de LYON, commis d'office
INTIME :
CENTRE PSYCHOTHÉRAPIQUE DE L'AIN
[Adresse 3]
[Localité 1]
non comparant, régulièrement avisé, non représenté
Monsieur [Z] [I], en qualité de tiers demandeur, a été régulièrement avisé. A l'audience il est non comparant et non représenté.
Le dossier a été préalablement communiqué au Ministère Public qui a fait valoir ses observations écrites.
* * * * * * * * *
Nous, Stéphanie ROBIN, Conseillère à la cour d'appel de Lyon, désignée par ordonnance de madame la première présidente de la cour d'appel de Lyon du 02 janvier 2023 pour statuer à l'occasion des procédures ouvertes en application des articles L.3211-12 et suivants du code de la santé publique, statuant contradictoirement et en dernier ressort,
Assistéede Charlotte COMBAL, Greffière, pendant les débats tenus en audience publique,
Ordonnance prononcée le 09 Janvier 2023 par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signée par Stéphanie ROBIN, Conseillère et par Charlotte COMBAL, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
**********************
Par décision du 28 décembre 2022, le directeur du centre Psychothérapique de l'Ain a prononcé l'admission en soins psychiatriques sans consentement à la demande d'un tiers, conformément aux articles L 3211-2-2, L3212-1 et L 3212-3 et suivants du code de la santé publique, de :
M. [I] [T]
né 11 octobre 1954 à [Localité 6]
domicilié [Adresse 2]
Par décision du 30 décembre 2022, le directeur du centre hospitalier a prolongé la mesure d'hospitalisation pour une durée d'un mois et a fixé les modalités de prise en charge de M. [I] [T], sous la forme d'une hospitalisation complète.
Par requête en date du 2 janvier 2023, le directeur du centre hospitalier a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de [Localité 4], afin qu'il soit statué sur la poursuite de l'hospitalisation complète au-delà de 12 jours.
Par ordonnance rendue le 5 janvier 2023, le juge des libertés et de la détention a autorisé le maintien en hospitalisation complète de M. [I] [T], sans son consentement, pour lui prodiguer des soins psychiatriques, au-delà d'une durée de 12 jours.
Par courrier reçu au greffe de la cour d'appel le 5 janvier 2023, M. [I] [T] a relevé appel de cette décision.
Par déclaration au greffe du 7 janvier 2023, le conseil de M. [I] [T] a interjeté appel de cette décision, indiquant que la déclaration d'appel était motivée par l'absence de pouvoir des signataires des décisions d'admission et de maintien, l'absence d'information de M. [T] [I] du projet de maintien de son hospitalisation et par le souhait de M. [I] de voir son hospitalisation complète levée.
La procureure générale a conclu à titre principal à l'irrecevabilité de l'appel, en l'absence de motivation de l'appel formé par M. [I], et subsidiairement à la confirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention.
Elle a complété son avis, compte tenu de la communication des conclusions de l'avocat de M. [I]. Elle précise ainsi que l'appel est finalement recevable, en raison de la déclaration motivée transmise par Maître [C]. Elle considère en outre que les conditions légales relatives à la délégation de signature et à l'information du patient sont réunies.
L'affaire a été évoquée lors de l'audience du 9 janvier 2023 .
À cette audience, M. [T] [I] a comparu en personne, assisté de son avocat, Maître [U] [C].
M. [T] [I] a indiqué n'avoir pas eu connaissance du dernier certificat médical, ni de l'avis de la procureure générale.
Il lui a été donné connaissance à l'audience du certificat de situation établi par le docteur [R] le 6 janvier 2023 et des conclusions de la procureure générale, ainsi que du complément apporté à celles-ci.
Maître [U] [C] a indiqué avoir eu connaissance du certificat médical de situation établi le 6 janvier 2023 par le docteur [R], ainsi que des conclusions de la procureure générale et de l'avis supplémentaire transmis en raison de ses conclusions.
M. [T] [I] a contesté cet avis médical et a réitéré sa demande de mainlevée de la mesure d'hospitalisation sans consentement dont il est l'objet en indiquant qu'il n'avait pas besoin de soins, qu'il n'était pas malade et que les médecins en rajoutaient. Il a refusé par ailleurs de s'exprimer sur les propos délirants relatifs aux djinns évoqués dans les certificats médicaux, faisant valoir que ces difficultés remontaient à deux ans. Il a, sur interrogation de la cour, fait état de trois hospitalisations en psychiatrie incluant la présente, la première remontant à 1996 'pour des raisons politiciennes', et la deuxième à l'année 2000 pour des raisons dont il ne se souvient plus. Il fait état seulement d'un problème d'alimentation au Maroc et ne comprend pas cette hospitalisation, dont il souhaite la main levée.
Maître [C] aux termes de ses conclusions écrites développées à l'oral demande à la Cour :
- d'infirmer l'ordonnance querellée,
- d'ordonner la mainlevée de l'hospitalisation sous contrainte dont fait l'objet de M. [T] [I],
- de condamner le Centre psychothérapique de l'Ain de [Localité 4] à payer Maître [U] [C] la somme de 1000 euros, au titre de l'article 37 de la loi de 1991 et de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile.
Il fait tout d'abord valoir que la procédure est irrégulière, en l'absence de justification d'une délégation de signature du directeur de l'établissement valable, au profit de Mme [Y] [W], le document versé aux débats se contentant d'une délégation permanente, sans préciser la nature des actes délégués.
Ensuite, il invoque le non respect des dispositions de l'article L.3211-3 du code de la santé publique, en l'absence de justification de l'information du projet de maintien de l'hospitalisation sous contrainte au regard des certificats médicaux des 24 heures et 72 heures.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la recevabilité de l'appel
Aux termes de l'article R 3211-18 du code de la santé publique, l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention est susceptible d'appel devant le premier Président dans un délai de dix jours à compter de sa signification.
L'appel formé par M. [T] [I], est parvenu au greffe de la cour dans les délais légaux, puisque la décision lui a été notifiée le 5 janvier 2023 et que la déclaration d'appel a été transmise et reçue le jour même.
Cependant l'article R 3211-19 du code de la santé publique dispose que 'le premier président ou son délégué est saisi par une déclaration d'appel motivée, transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel'.
La motivation doit s'entendre d'une explication a minima des moyens de fait ou de droit, servant à contester la décision et ne saurait être considérée comme motivée, par la seule mention de la volonté de la personne hospitalisée de faire appel.
En l'espèce, la déclaration d'appel de M. [I] mentionne seulement qu'il souhaite faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention du 5 janvier 2023.
Elle n'est aucunement motivée et ne répond donc pas aux exigences posées par l'article R 3211-19 du code de la santé publique.
Néanmoins, l'avocat de M. [I] a, par déclaration au greffe du 7 janvier 2022 transmis à la Cour, donc dans les délais légaux, une déclaration d'appel motivée.
En conséquence, l'appel de M. [I] doit être déclaré recevable.
- Sur les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure
- Sur la délégation de signature du directeur d'établissement
En application des articles D 6143-33 et suivants du code de la santé publique, le directeur d'un établissement public de santé peut déléguer à l'un de ses agents sa signature.
Le code précité ne prévoit aucun régime spécifique à cette délégation de signature, en matière d'hospitalisation sous contrainte.
L'article D 6143-34 du même code précise que toute délégation doit mentionner :
1° le nom et la fonction de l'agent auquel la délégation a été donnée,
2° la nature des actes délégués,
3° éventuellement les conditions ou réserves dont le directeur juge opportun d'assortir la délégation.
Il est établi que le directeur du Centre psychothérapique de l'Ain de [Localité 4], M. [J] [V] a transmis au greffe de la cour et à l'avocat de M. [I], ayant formulé une demande en ce sens, une délégation de signature permanente du 11 mai 2022, donnée notamment à Mme [Y] [W] directrice des ressources humaines.
Cette délégation de signature précise avant son article 1, 'Vu le code de la santé publique notamment les articles L 6143-7, D 6143-33 et suivants et vu le code de la santé publique et notamment les articles L 3211-1 et suivants.'
Or les articles L 3211-1 et suivants du code de la santé publique concernent précisément les hospitalisations sous contrainte et la procédure les concernant.
Il résulte de ces éléments que la délégation de signature concerne donc les décisions prises en matière d'hospitalisation sous contrainte, par le directeur de l'hôpital et par là même les décisions d'admission et de maintien en hospitalisation sous contrainte. Il s'agit en outre d'une délégation permanente.
Cela suffit ainsi à répondre aux exigences posées par l'article D 6143-34 du code de la santé publique.
Il est ainsi justifié que Mme [Y] [W], signataire par délégation du directeur du Centre psychothérapique de l'Ain de la décision d'admission et de maintien de M. [I] en hospitalisation sous contrainte sous la forme d'une hospitalisation complète, avait bien compétence pour le faire.
En conséquence, le moyen soulevé doit être rejeté.
- Sur l'information de M. [T] [I] du projet de maintien de son hospitalisation
Aux termes de l'article L.3211-3 du code de la santé publique, lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux fait l'objet de soins psychiatriques, en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée.
Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3213-4 du code de la santé publique ou définissant la forme de la prise en charge, en application des articles L. 3211-12-5, L. 3212-4, L. 3213-1 et L. 3213-3 de la santé publique, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision, et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état.
En outre, toute personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale est informée :
a) Le plus rapidement possible et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission et de chacune des décisions mentionnées au deuxième alinéa du présent article, ainsi que des raisons qui les motivent ;
b) Dès l'admission ou aussitôt que son état le permet et, par la suite, à sa demande et après chacune des décisions mentionnées au même deuxième alinéa, de sa situation juridique, de ses droits, des voies de recours qui lui sont ouvertes et des garanties qui lui sont offertes en application de l'article L. 3211-12-1.
L'avis de cette personne sur les modalités des soins doit être recherché et pris en considération dans toute la mesure du possible. (...)
Selon ce texte, toute personne faisant l'objet de soins psychiatriques sans consentement est informée le plus rapidement possible, et d'une manière appropriée à son état, de la décision d'admission, ainsi que des raisons qui la motivent et des décisions ultérieures de maintien d'hospitalisation sous contrainte, et avant chaque décision prononçant le maintien des soins, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à son état.
Cette obligation d'information constitue un droit essentiel du patient, celui d'être avisé d'une situation de soins contraints, et des droits en découlant.
En l'espèce, il ne fait pas débat que M. [T] [I] a été informé des décisions d'admission et de maintien en hospitalisation sous contrainte, sous la forme d'une hospitalisation complète, et des raisons qui la motivent.
Ensuite, il résulte du certificat médical des 24 heures du docteur [G] que les soins psychiatriques sur demande d'un tiers doivent se poursuivre et que M. [T] [I] a été informé de la forme de sa prise en charge, ainsi que des droits, voies de recours et garanties et que ses observations ont pu être recueillies.
Il ressort de cette mention que M. [T] [I] a été informé du projet de maintien de la mesure, puisqu'il est informé de la forme de la prise en charge, soit l'hospitalisation complète, puisqu'aucune modification n'a été envisagée et il a été à même de formuler des observations, puisqu'il est précisé qu'elles ont été recueillies.
En outre, le certificat médical des 72 heures mentionne in fine que 'les soins psychiatriques de M. [I] [T] sur décision du directeur (demande de tiers, péril imminent) nécessitent une surveillance constante en hospitalisation complète.
M. [T] [I] a été informé de la forme de sa prise en charge, voies de recours et garanties. Ses observations ont été recueillies'.
Il résulte suffisamment de ce certificat que M. [T] [I] a bien été informé du projet de maintien d'hospitalisation, compte tenu des mentions précitées.
Il convient en effet de rappeler que les certificats médicaux des 24 heures et des 72 heures ont précisément pour vocation de déterminer si l'hospitalisation sous contrainte doit se poursuivre.
Le moyen soulevé sur ce point doit donc être écarté.
- Sur la demande au fond de main-levée de la mesure de soins psychiatriques
Il appartient au juge judiciaire, selon les dispositions de l'article L 3211-3 du code de la santé publique, de s'assurer que les restrictions à l'exercice des libertés individuelles du patient sont adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en oeuvre du traitement requis.
En l'espèce, M. [T] [I] a été hospitalisé à la demande d'un tiers, son fils [Z] [I]. Il était ainsi observé que M. [T] [I] tenait un discours délirant et refusait de s'alimenter et de boire.
Le certificat médical du docteur [O] du 28 décembre 2022 relevait ainsi des troubles du comportement, des thèmes délirants et des troubles du sommeil, rendant impossible son consentement et nécessitant des soins, assortis d'une surveillance constante, dans un établissement spécialisé, dans le cadre de soins psychiatriques sous contrainte.
Le docteur [K] médecin d'urgence exerçant au centre hospitalier [5] a constaté des troubles du comportement avec refus alimentaire, quasi mutisme avec propos pauvres, à caractère mystique et agressivité. Ces troubles mentaux rendent impossibles son consentement et nécessitent des soins immédiats, assortis d'une surveillance médicale constante.
Le certificat médical des 24 heures relate une hospitalisation pour une décompensation sur un versant psychotique (délire à tendance mystique et agressivité), précisant que le patient présente des antécédents d'hospitalisation en psychiatrie, la dernière remontant au mois de mars 2020. Il est décrit une méfiance du patient, avec un probable rationalisme morbide, et la nécessité de poursuivre les soins sous la forme d'une hospitalisation complète.
Le certificat des 72 heures relate que la surveillance constante dans le cadre d'une hospitalisation à temps complet demeure nécessaire. Si le patient ne présente pas lors de l'examen de propos délirants, il refuse d'en dire plus sur les idées à thématique mystique qu'il a exprimées. Il évoque avoir arrêté le traitement avec l'accord de son médecin au CMP en décembre 2020, mais il ne s'est pas présenté au rendez vous prévu en mars 2021.
L'avis avant audience devant le juge des libertés et de la détention, réalisé par le docteur [G], note que M. [I] présente un délire à thématique mystique, expliquant qu'il est en capacité de protéger les personnes qui sont possédées par les djinns, discours bien cristallisé. Il est dans le refus d'une prise de traitement pharmacologique et s'oppose à la prise de médicaments, en lien avec sa croyance et sa culture.
Les troubles et l'opposition aux soins nécessitent la poursuite de l'hospitalisation sous la forme d'une hospitalisation complète.
Le certificat de situation du docteur [R] du 6 janvier 2023 évoque une absence de changement de l'état clinique de M. [I]. Il est observé un délire à thématique mystique avec capacité d'aider les personnes possédées par les djinns et M. [I] adhère totalement à ses propos. Il refuse tout traitement médicamenteux et s'oppose à son hospitalisation, de sorte que les soins doivent se poursuivre, en hospitalisation complète.
Il résulte de ces éléments que les troubles de M. [I] nécessitent des soins et une surveillance constante. Or, il est dans le déni de tout trouble et dans le refus des soins et de tout traitement, ne comprenant pas les motifs de son hospitalisation, comme il le souligne à l'audience. Il a par ailleurs interrompu son suivi au CMP depuis 2021 et ce, alors qu'il avait fait l'objet d'une hospitalisation en psychiatrie en 2020.
Les troubles mentaux mentionnés, la nécessité de soins immédiats et permanents et le refus opposé par M. [I] justifient le maintien de M. [T] [I], dans le dispositif d'hospitalisation psychiatrique sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, cette mesure s'avérant en outre proportionnée à son état mental au sens de l'article L 3211-3 du code de la santé publique.
Il convient en conséquence de confirmer la décision du juge des libertés et de la détention.
M. [I] [T] n'obtenant pas gain de cause, la demande formée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 du code de procédure civile doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS
Déclarons l'appel recevable,
Rejetons les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure,
Confirmons l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Rejetons la demande formée au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens d'appel à la charge du Trésor Public.
La greffière, La conseillère déléguée