N° RG 20/06672 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NIJ6
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond du 24 novembre 2020
( 4ème chambre)
RG : 19/04700
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 15 Décembre 2022
APPELANTE :
BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654
INTIME :
M. [Y] [V]
né le [Date naissance 5] 1936 à [Localité 12]
[Adresse 8]
[Localité 10]
Représenté par la SELARL EIDJ ALISTER, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 1044
Et ayant pour avocat plaidant Me Francis COUDERC, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, toque : 80
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 14 Septembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Octobre 2022
Date de mise à disposition : 15 Décembre 2022
Audience présidée par Julien SEITZ, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Julien SEITZ, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [B] [V] et son épouse [U] [W] sont décédés les [Date décès 4] 1998 et [Date décès 2] 2001.
Ils ont ouvert le 13 mai 1976 un compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] dans les livres de la Banque parisienne de crédit, dont le dernier mouvement enregistré remonte au 13 mai 1991.
Par exploit signifié le 27 mai 2019, leur fils [Y] [V] a fait citer la société Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes (la banque) devant le tribunal de grande instance de Lyon, afin de l'entendre condamnée à lui payer la somme de 76.390,11 euros en principal, augmentée des intérêts à compter du 24 février 2018, au titre du solde créditeur du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03].
Par jugement du 24 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à restituer à M. [Y] [V] le solde du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976 à hauteur de 76.390,11 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à restituer à M. [Y] [V] les intérêts échus du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976,
- rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes aux dépens,
- admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à payer à M. [Y] [V] la somme de 2.000 euros au titre des frais non répétitibles de l'instance,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toutes les autres demandes plus amples ou contraires formées par les parties.
Par déclaration du 30 novembre 2020, la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes a relevé appel de ce jugement en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à restituer à M. [Y] [V] le solde du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976 à hauteur de 76.390,11 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à restituer à M. [Y] [V] les intérêts échus du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976,
- rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes aux dépens,
- condamné la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à payer à M. [Y] [V] la somme de 2.000 euros au titre des frais non répétitibles de l'instance.
Par ordonnance du 22 février 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté une demande d'arrêt de l'exécution provisoire et une demande subsidiaire d'aménagement de cette exécution formées par la banque.
Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 06 septembre 2021, la banque demande à la cour, au visa des articles 2219 et suivants, 224, 2258 et 1315 du code civil, de :
- réformer le jugement dont appel,
statuant à nouveau :
- dire et juger que la prescription applicable est une prescription quinquennale,
- dire et juger que la prescription est acquise, le point de départ de la prescription étant au plus tard la date de communication des informations par la banque en 2007, sachant que l'assignation a été délivrée en 2019,
- dire irrecevable l'action engagée par M. [B] [V] pour cause de prescription,
à titre subsidiaire :
- dire et juger que M. [V] n'apporte pas la preuve de l'existence d'une créance certaine,
- déclarer sa demande non fondée faute de justifier l'existence du compte tenu par la BP AURA, et les conditions de la restitution de fonds issus d'un dépôt,
- dire et juger que M. [V] ne justifie pas du fondement de son action, qui change au gré des paragraphes,
- débouter intégralement M. [V],
en tout état de cause :
- le condamner à payer à la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes les sommes de 2.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La banque soutient à titre liminaire que le tribunal judiciaire de Lyon a fondé son jugement sur les dispositions de l'article 1944 du code civil afférent au dépôt, alors que le droit bancaire est un droit spécial et qu'il existe des dispositions particulières en matière de compte en banque. Elle estime en conséquence le visa de l'article 1944 insuffisant pour justifier la demande.
Elle conclut en second lieu à la prescription de l'action, en faisant valoir qu'en application de l'article 2224 du code civil, cette prescription court du jour où le titulaire a pu connaître son droit ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elle précise que l'acte de notoriété de la qualité d'héritier de M. [Y] [V] a été dressé dans le courant de l'année 2006 et indique avoir communiqué le détail des avoirs des défunts au notaire chargé de la succession au mois d'avril 2007. Elle situe à la date de la reconnaissance de sa qualité d'héritier, dans le courant de l'année 2006, sinon à la date de la communication au notaire des avoirs la succession, dans le courant de l'année 2007, le jour où M. [V] a pu connaître son droit ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elle affirme en conséquence que le délai quinquennal de prescription applicable à la demande de M. [V] était écoulé à la date de la première demande en justice.
Elle estime que faire courir le délai de prescription à la date alléguée de la découverte du relevé de compte par M. [V] reviendrait à laisser celui-ci seul juge du point de départ de ce délai.
La banque soutient en troisième lieu que le tribunal aurait inversé la charge de la preuve, en tirant d'un relevé de compte datant de l'année 1991 la preuve de l'existence d'un indu à la date de la demande, alors qu'il appartenait à M. [V] d'établir l'actualité de sa créance à la date de sa réclamation. Elle explique que le compte sur livret litigieux a pu être clôturé à l'initiative des parents du demandeur entre 1991 et 2001, de sorte que la preuve d'un dépôt effectif dans le courant de l'année 1991 ne saurait valoir preuve de l'existence d'un indu dans le courant de l'année 2001, a fortiori dans le courant de l'année 2019.
Elle fait valoir en quatrième lieu que la loi du 13 juin 2014 n'est pas applicable à la présente espèce, le compte sur livret litigieux n'étant pas inactif au sens de cette loi, mais inexistant depuis les années 2006 ou 2007 a minima.
La banque soutient en cinquième lieu que le fait qu'une ancienne agence de la Banque parisienne de crédit soit devenue une agence de la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes ne signifie point que celle-ci ait repris les contrats conclus par la Banque parisienne de crédit. Elle conteste ainsi venir aux droits de la Banque populaire de Crédit pour le compte sur livret litigieux.
Elle explique que c'est parce qu'elle n'avait sans doute pas repris ce compte de dépôt qu'elle n'en avait pas fait état lors de la déclaration au notaire chargé de la succession de M. [B] [V] et de Madame [U] [W] lors de sa transmission d'avril 2007.
Elle affirme par ces motifs qu'il incombe à M. [V] d'apporter la preuve :
- de ce qu'elle vient aux droits de la Banque parisienne de Crédit dans la gestion du compte litigieux,
- de ce que ce compte n'a pas été clôturé entre le décès des époux [V] et la date de la demande,
- de l'existence sur ce compte d'un dépôt à la date de la réclamation.
La banque conclut en sixième lieu au rejet de la demande relative aux intérêts conventionnels en faisant valoir qu'elle ne peut calculer des intérêts sur des fonds dont elle ne dispose pas, à propos d'un compte qu'elle ne connaît pas, alors même que les intérêts sont prescrits en toute hypothèse à l'expiration d'un délai quinquennal.
Elle fait observer pour finir que le tribunal s'est contredit en évoquant une stipulation d'intérêts conventionnels dans le premier motif de son jugement et en la condamnant dans le dispositif au paiement des intérêts au taux légal.
Par conclusions déposées et notifiées le 15 juillet 2021, M. [Y] [V] demande à la cour, au visa des articles 1939 et 1944 du code civil, de l'article 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de l'article A 444-32 du code du commerce et des articles 542 et 954 du code de procédure civile, de :
- débouter la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
y ajoutant :
- faire injonction à la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes d'avoir à produire les conditions particulières du compte sur livret litigieux et le décompte des intérêts conventionnels dus depuis 1991 et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard,
- condamner la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à payer à M. [Y] [V] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes aux entiers dépens d'appel lesquels comprendront le droit de timbre et l'émolument de 3.593,71 euros payé par le concluant à l'huissier chargé de l'exécution forcée dont distraction au profit de Maître Valérie Valeux, avocat, aux offres de droit.
M. [V] observe à titre liminaire que les conclusions de la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes ne contiennent pas, en leur dispositif, de demande d'infirmation ou d'annulation du jugement entrepris, ce dont il tire la conclusion que la cour ne peut que confirmer celui-ci.
Concluant sur le fond, M. [V] explique que le compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] a été ouvert le 13 mai 1976 par les époux [B] [V] et [U] [W] dans les livres de la Banque parisienne de crédit, agence de Belleville, [Adresse 6] à [Localité 11].
Il ajoute qu'il ressort de l'examen des extraits KBis versés aux débats que l'appelante a bien enregistré à ses actifs ceux de la Banque parisienne de crédit et plus particulièrement ceux de son agence de [Localité 11], en faisant observer que la banque n'établit point le contraire. Il estime en conséquence que la preuve est suffisamment rapportée de ce que la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes vient aux droits de la Banque parisienne de crédit, dans la gestion du compte litigieux.
M. [V] précise que la banque ne peut se réfugier derrière l'obligation de conserver ses archives pendant une durée de 10 ans, alors que le délai fixé par l'article L 123'22 du code de commerce ne s'applique qu'à l'action en production de documents comptables et non à l'action en restitution exercée contre un dépositaire de fonds, lequel doit être en mesure, tant que son obligation n'est pas prescrite, de justifier, s'il se prétend libéré, soit l'accomplissement son obligation, soit le fait qui en a produit l'extinction.
Il en déduit que ce n'est pas à lui de justifier l'absence d'évolution du compte entre 1991, date de la dernière opération enregistrée, et 2001, mais à la banque d'établir la clôture du compte et le transfert des fonds emportant extinction son obligation de dépositaire.
M. [V] indique en second lieu qu'il fonde sa demande sur l'obligation de restitution pesant sur le dépositaire, prévue à l'article 1944 du code civil. Il estime qu'ayant apporté la preuve de l'existence d'un dépôt sur le compte dans le courant de l'année 1991, c'est à la banque d'établir que les fonds ont été restitués ou que le compte a été clôturé. Il observe que cette preuve n'est pas apportée.
M. [V] soutient en troisième lieu que la banque ne saurait prétendre écarter l'application des dispositions du code civil applicables au dépôt, motif tiré de l'existence d'un droit bancaire spécial et dérogatoire, sans indiquer quelles seraient les dispositions spéciales applicables à l'espèce.
M. [V] conclut en quatrième lieu sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action, en affirmant, au visa de l'article 1126'1 du code général de la propriété des personnes publiques, que le délai de prescription applicable à sa demande serait trentenal et qu'il courrait à compter de la dernière opération enregistrée sur le compte, soit en l'espèce à compter du 13 mai 1991.
M. [V] soutient pour finir que le compte sur livret litigieux constitue un livret d'épargne non réglementé par l'État et que son taux d'intérêt est libre. Il ajoute qu'il résulte du livret produit aux débats que le dépôt était assorti d'un intérêt conventionnel, qu'il se trouve en droit de réclamer et qu'il appartient à la banque de justifier.
Il s'estime fondé à demander la condamnation de la banque à l'indemniser des frais d'exécution forcée du jugement de première instance, en sus des frais et dépens de la procédure d'appel.
Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 14 septembre 2021 et l'affaire a été appelée à l'audience du 12 octobre 2022, à laquelle elle a été mise en délibéré au 15 décembre 2022.
MOTIFS
Sur le moyen tiré de l'absence de demande d'infirmation ou d'annulation du jugement entrepris:
Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile ;
Conformément à l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.
Aux termes d'un arrêt du 17 septembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a retenu, par une interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du code de procédure civile, que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer ce jugement.
Eu égard au texte de l'article 542, la demande de 'réformation' d'un jugement se confond, pour l'application de la règle énnoncée par la Cour de cassation, avec la demande 'd'infirmation' visée dans l'arrêt du 17 septembre 2020.
Or, la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes a sollicité, dans le dispositif de ses premières conclusions du 11 janvier 2021 et celui de ses conclusions récapitulatives du 06 septembre 2021, la réformation du jugement entrepris, ce dont il suit que le moyen manque en fait.
Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande :
Vu l'article 2224 du code civil ;
Vu l'article 1944 du même code, ensemble l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier;
Conformément à l'article 1944 susvisé, le dépôt doit être remis au déposant aussitôt qu'il le réclame, lors même que le contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution ; à moins qu'il n'existe, entre les mains du dépositaire, une saisie ou une opposition à la restitution et au déplacement de la chose déposée.
Le compte sur livret ouvert par M. et Mme [V] est un livret d'épargne non réglementé, constitutif en droit d'un dépôt irrégulier à durée indéterminée, en vertu duquel la banque acquiert la propriété des fonds déposés et contracte en contrepartie l'obligation de restituer une somme équivalente à la première demande, augmentée de l'intérêt conventionnel stipulé.
A défaut de restitution spontanée, le titulaire du compte ou son ayant-droit dispose, sur le fondement de l'article 1944 du code civil, d'une action en restitution, de nature personnelle et mobilière, distincte de l'action en revendication.
En cas de décès du titulaire du compte, l'article L312-1-4 du code monétaire et financier prévoit que tout successible en ligne directe peut obtenir la clôture des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant, dès lors que le montant total des sommes détenues par l'établissement est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie.
Ces dispositions ne dérogent pas à l'obligation de restitution prévue à l'article 1944 du code civil, dont elles constituent la simple déclinaison, et c'est à bon droit que M. [V] fonde sa prétention sur le régime légal du dépôt, nonobstant l'affirmation contraire de la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes, assise sur le postulat erroné du caractère systématiquement dérogatoire du droit bancaire.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'action en restitution du déposant contre le dépositaire obéit au délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil, applicable aux actions personnelles ou mobilières. Ce délai est équivalent à celui de l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la même loi, selon lequel les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
Lorsque le dépôt revêt une durée indéterminée, ce délai ne court qu'à compter du jour où le déposant ou son ayant-droit demande la restitution des fonds déposés. Le décès du titulaire du compte sur livret et la reconnaissance de la qualité d'héritier à son ayant-droit ne suffisent en effet à provoquer le jeu de la prescription extinctive, l'héritier n'ayant pas l'obligation de solliciter la restitution immédiate des fonds.
Toute autre interprétation reviendrait à anéantir les dispositions de l'article L 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, aux termes duquel sont acquis à l'Etat, à moins qu'il n'en soit disposé par des lois particulières, 'les dépôts de sommes d'argent et, d'une manière générale, tous avoirs en espèces dans les banques, les établissements de crédit et tous autres établissements qui reçoivent des fonds en dépôt ou en compte courant, lorsque ces dépôts ou avoirs n'ont fait l'objet de la part des ayants droit d'aucune opération ou réclamation depuis trente années et n'ont pas fait l'objet d'un dépôt à la Caisse des dépôts et consignations en application de l'article L. 312-20 du code monétaire et financier et que le titulaire du compte, son représentant légal ou la personne habilitée par lui n'a effectué aucune opération sur un autre compte ouvert à son nom dans le même établissement'.
La faculté offerte à l'ayant-droit de réclamer la restitution de fonds déposés sur un compte en déshérence auprès de la banque pendant une durée de trente ans n'aurait en effet de sens si la prescription était acquise en 5 ans à compter du décès du titulaire ou de la reconnaissance de la qualité d'héritiers de ses ayants-droit.
Il est certain en revanche que les délais de prescription acquisitive prévus à l'article L 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques ou à l'article L 312-20 du code monétaire et financier, au seul bénéfice de l'Etat, ne sont pas exclusifs du jeu de la prescription extinctive applicable à l'action judiciaire en restitution, lorsque l'ayant-droit du déposant a saisi l'établissement dépositaire d'une demande de restitution, à laquelle la banque n'a pas fait droit.
Ces délais de prescription co-existent en conséquence de manière distincte et potentiellement cumulative : en cas de décès du titulaire d'un compte sur livret, le délai de l'article L 312-20 commence à courir à compter de la transmission des fonds à la caisse des dépôts et consignations, censée intervenir trois ans après la date du décès, sans que le délai applicable à l'action en restitution du déposant contre le dépositaire ne coure, à moins que l'héritier du déposant n'ait formulé une demande de restitution à laquelle la banque dépositaire n'aura point satisfait, auquel cas le délai de l'article 2224 du code civil commencera également à courir, dans les rapports entre le déposant et le dépositaire, en parallèle au jeu de l'article 312-20 du code monétaire et financier ou de l'article L 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Ce n'est donc pas à l'établissement des actes de notoriété du 19 mars 2008, reconnaissant à M. [Y] [V] la qualité d'héritier de ses parents, qu'il convient de fixer le point de départ de la prescription de l'action litigieuse, mais à la date à laquelle le notaire mandataire de l'héritier a sollicité, au nom et pour le compte de celui-ci, la rétrocession des fonds détenus par la banque.
La Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes soutient que cette demande serait intervenue courant avril 2007, sur la foi d'un courrier réponse du 17 avril 2007, indiquant au notaire l'état des avoirs de M. [B] [V] au jour de son décès. Or, ce courrier ne répond point à une demande de restitution des fonds opérée par l'étude notariale, mais à une demande visant le recensement des comptes ouverts au nom des défunts, en vue de permettre aux ayants-droit d'exercer leur option. Il est antérieur à l'acte de notoriété et rappelle à l'étude notariale que la banque demeure en attente de la transmission de 'l'acte de notoriété désignant les héritiers', ainsi que 'des instructions' des intéressés.
L'appelante n'établit donc pas la date à laquelle le délai de prescription a commencé à courir et il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir correspondante.
Sur le moyen tiré de ce que la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes ne vient pas aux droits de la Banque parisienne de crédit en qualité de dépositaire :
Vu l'article 9 du code de procédure civile ;
La Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes soutient, à titre de défense au fond, que l'acquisition de l'agence de la Banque parisienne de crédit sise [Adresse 6] à [Localité 11] par la Banque populaire de [Localité 9] n'aurait pas entraîné transmission des comptes et contrats ouverts dans les livres de cette agence à la banque cessionnaire.
L'extrait K-bis de la Banque parisienne de Crédit produit par M. [V] fait mention de la 'suppression de l'établissement secondaire sis [Adresse 6] à [Localité 11] - vente à la Banque populaire de [Localité 9] à compter du 31 mars 1992 '. Cette mention ne permet aucunement de déterminer le périmètre de la cession de l'établissement secondaire, ni de s'assurer s'il inclut tout ou partie des comptes ouverts par les déposants dans les livres de la Banque parisienne de crédit. Il aurait fallu pour cela que M. [V] sollicite la production forcée de l'acte de cession.
M. [V] affirme en retour que ses parents n'auraient pas eu d'autres comptes que ceux ouverts dans les livres de la Banque parisienne de crédit en son agence de [Localité 11], si bien que le fait pour la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes d'avoir rapporté à leur succession les fonds déposés sur un compte chèques [XXXXXXXXXX01] et un compte titres [XXXXXXXXXX013] signifierait nécessairement qu'elle était venue aux droits de la Banque Parisienne de Crédit pour les comptes autrefois gérés par celle-ci en cette agence.
Aucun élément n'établit cependant que les comptes des époux [V] étaient exclusivement ouverts dans les comptes de la Banque parisienne de crédit en son agence de [Localité 11], ni même que les comptes dont les fonds ont été restitués à la succession aient été ouverts dans les livres de cette agence.
L'intimé ne rapporte donc pas la preuve, qui lui incombe, de ce que la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes viendrait aux droits de la Banque parisienne de crédit en qualité de dépositaire des fonds déposés sur le compte litigieux.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la banque :
- à restituer à M. [Y] [V] le solde du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976 à hauteur de 76.390,11 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- à restituer à M. [Y] [V] les intérêts échus du compte sur livret n°[XXXXXXXXXX03] ouvert le 13 mai 1976,
- à payer à M. [Y] [V] la somme de 2.000 euros au titre des frais non répétitifs de la première instance, ainsi qu'à en supporter les dépens.
Statuant à nouveau, la cour rejette les demandes de M. [V].
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Ayant retrouvé le compte sur livret litigieux en 2017 et constaté qu'il avait été ouvert en l'agence de [Localité 11], M. [V] a pu croire de bonne foi que la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes se trouvait tenue de restituer le dépôt. Aucun abus du droit d'agir n'est caractérisé par la banque et il convient :
- de confirmer le jugement, en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par l'appelante,
- de rejeter cette même demande en tant que formée à hauteur de cour.
Sur les frais et dépens de l'instance d'appel :
M. [V] succombe en sa demande et il convient de le condamner aux dépens de première et de deuxième instance.
L'équité commande également de le condamner à payer à la banque la somme de 3.000 euros en indemnisation des frais non répétibles du procès d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé en dernier ressort,
Dit que la cour est saisie par la Banque populaire Auvergne Rhône-Alpes d'une demande d'infirmation du jugement dont appel ;
Confirme le jugement prononcé le 24 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lyon entre les parties, en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription, ainsi que la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
L'infirme pour le surplus ;
statuant à nouveau :
Déboute M. [Y] [V] de ses demandes ;
Déboute la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne M. [Y] [V] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne M. [Y] [V] à payer la Banque populaire Auvergne Rhône Alpes la somme de 3.000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles.
Le Greffier Le Président