N° RG 19/02334 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MJFE
Décision duTribunal de Grande Instance de LYON
Au fond du 13 novembre 2018
( 4ème chambre)
RG : 18/00892
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 15 Décembre 2022
APPELANTS :
M. [J] [P]
né le [Date naissance 3] 1965 à
[Adresse 1]
[Localité 4]
Mme [U] [P]
née le [Date naissance 2] 1972 à
[Adresse 1]
[Localité 4]
SCI N.R. CONCEPT
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentés par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque :475
Et ayant pour avocat plaidant la SELARL JARS PAPPINI & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1174
INTIMEE :
BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE ALPES venant aux droits de la BANQUE POPULAIRE LOIRE ET LYONNAIS
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 04 Février 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 29 Juin 2022
Date de mise à disposition : 20 octobre 2020 prorogée au 26 janvier 2023 puis avancée au 15 Décembre 2022, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Anne WYON, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Annick ISOLA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Monsieur [J] [P], artisan plâtrier peintre et son épouse Madame [U] [P], salariée, ont constitué en 2005 une société civile immobilière dénommée NR Concept.
En 2005, ils ont ouvert plusieurs comptes bancaires à la Banque Populaire Loire et Lyonnais (la banque) :
le compte personnel de M. [P] n°80977633197
le compte personnel de Mme [P] n°80977633198
le compte professionnel de M. [P] n°80962607217
le compte de la société NR Concept n°80995288218
À compter de 2008, ils ont rencontré d'importantes difficultés financières. Estimant que la banque a commis divers manquements dans la gestion de leurs comptes qui ont entraîné le prélèvement d'une somme totale de 64'915,05 euros à titre de frais et commissions entre 2008 et 2013 et a ainsi engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard, les époux [P] et la société NR Concept l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Lyon par acte d'huissier de justice du 30 décembre 2014.
Par jugement du 13 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Lyon a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
dit que les demandes des époux [P] et de la société NR Concept pour les années 2008 et 2009 sont irrecevables comme étant prescrites,
déclaré recevables les demandes pour le surplus,
débouté la société NR Concept de ses demandes,
condamné la banque à payer à M. [P] la somme de 3.617,13 euros et celle de 1.960,79 euros à Mme [P],
condamné la banque à payer la somme de 1.200 euros aux époux [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté les parties pour le surplus,
condamné la banque aux dépens.
Le 2 avril 2019, les époux [P] et la société NR Concept ont relevé appel de ce jugement.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe le 02 juillet 2019, ils demandent à la cour de réformer le jugement critiqué et de :
- dire et juger leur action et celle de la SCI recevable et bien fondée;
- condamner la banque à payer les sommes de 46.253,40 euros à M. [P], 14.270,14 euros à Mme [P], 4.391,51 euros à la société NR Concept ainsi que 5.000 euros à chacun pour les troubles de jouissance subis sur leur compte bancaire ainsi que leur préjudice moral et à supporter les dépens.
Dans ses conclusions récapitulatives déposées au greffe le 23 septembre 2019, la banque demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les demandes des époux [P] et de la société NR Concept pour les années 2008 et 2009 étaient irrecevables comme étant prescrites, et en qu'il a rejeté les demandes de la SCI NR Concept et réformant sur le surplus, dire et juger que sa responsabilité n'est pas engagée et débouter les époux [P] et la SCI NR Concept de leurs demandes, de les condamner à lui payer 2500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 février 2020.
MOTIFS DE LA DECISION
.
A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
- sur la prescription
Comme en première instance, les époux [P] et la société NR Concept affirment qu'ils n'ont mesuré l'ampleur des frais qu'ils avaient payés qu'à la clôture de leurs comptes bancaires en octobre 2013, de sorte que leur action n'est pas prescrite.
Par des moyens pertinents que la cour adopte, le premier juge a rappelé que les frais bancaires apparaissent sur les relevés de compte qui étaient adressés aux appelants, ceux-ci ayant au surplus reçu des relevés annuels récapitulatifs de ces frais qu'ils produisent eux-mêmes et que dans un courrier du 25 avril 2008 adressé à la banque, ils se sont plaints des énormes frais bancaires qu'ils supportaient, pouvant s'élever jusqu'à 800 euros par mois tous comptes cumulés, de sorte que l'assignation ayant été délivrée le 30 décembre 2014, les demandes relatives aux années 2008 et 2009 ne pouvaient qu'être déclarées irrecevables en application de l'article 2224 du code civil.
- sur la contestation des relevés de compte
Comme en première instance, la banque fait valoir que le silence du titulaire du compte à réception des relevés et l'absence de contestation pendant les trois mois qui ont suivi rendent impossible une contestation après l'expiration de ces délais.
Par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a retenu que l'absence de contestation du client dans les délais prévus aux conditions générales après réception des relevés des comptes ne le prive pas de son droit de contester dès lors que la prescription légale n'est pas acquise, et l'action des appelants pour les frais et commissions prélevées de 2010 à 2013 doit être déclarée recevable.
- sur la responsabilité de la banque
Les conventions de comptes de dépôt particulier souscrites par chacun des époux [P] le 24 juin 2005 indiquent au-dessus de la signature du client que celui-ci reconnaît avoir reçu, avoir lu et accepté sans réserve les conditions générales du compte de dépôt ainsi que les conditions tarifaires (conditions générales bancaires) dont les références suivent.
Il en a été de même lors de la souscription de la convention de relation 'équipage privilège' du 24 juin 2005, dans le cadre de laquelle chacun des époux a reconnu avoir reçu un exemplaire des conditions générales bancaires, en avoir pris connaissance et en accepter les termes, ainsi que le 3 mai 2005, lors de la souscription par M. [J] [P] d'une convention de compte professionnel.
En cause d'appel est produite la convention de compte professionnel de la SCI NR Concept souscrite le 9 septembre 2005 ; son mandataire social et signataire de la convention, M. [P], a reconnu avoir reçu un exemplaire des conditions générales de la convention de compte professionnel et un exemplaire du dépliant 'conditions générales bancaires entreprise', en avoir pris connaissance et s'est obligé à respecter toutes les clauses et conditions sans aucune réserve.
Les relevés bancaires des époux [P] et ceux du compte professionnel de M. [P] comportent une mention précisant que le conseiller habituel du client lui remettra sur simple demande une plaquette récapitulative de la tarification de la banque. Chaque prélèvement au titre des frais indique sa nature, sa date et son montant et l'ensemble des frais prélevés pendant le mois considéré est indiqué au dos du relevé des opérations du mois.
Les relevés du compte de la SCI, dont le plus ancien est celui du 31 janvier 2008, comprennent pour chacun la liste et le montant total des frais prélevés sur le compte ainsi que le taux effectif global pratiqué et celui de la commission de découvert. La banque lui a adressé chaque mois le récapitulatif des frais et commissions prélevés.
Il en résulte que les appelants ont reçu l'information relative aux frais bancaires à l'ouverture des comptes et ont été informés par chaque relevé de la nature des frais prélevés et de leur montant.
Les appelants reprochent à la banque de n'avoir pas satisfait à son obligation d'information et à son devoir de conseil, de ne pas avoir attiré leur attention quant à l'accroissement de leur endettement et de ne pas leur avoir proposé des solutions de financement et de trésorerie.
Cependant, le banquier est tenu au respect du principe de non immixtion qui lui impose de ne pas intervenir dans les affaires de son client.
Au surplus, et ainsi que l'a relevé le premier juge, les époux [P] indiquent dans leur courrier du 27 avril 2008 qu'ils ont rencontré le représentant de la banque à plusieurs reprises afin d'envisager une solution (pièce banque n°9) ; la banque justifie pour sa part d'un courriel de Mme [P] qui l'informe d'un virement imminent de 6.000 euros le 17 juillet 2012, et produit des courriels qu'elle a adressés à ses clients : le 31 août 2012, elle a informé M. [P] du solde débiteur de 6 000 euros de son compte professionnel, le 15 septembre 2012 elle lui a demandé de régulariser la situation débitrice du compte, et le 2 octobre suivant, elle lui a rappelé qu'il n'avait aucune autorisation de découvert alors qu'aucun de ses comptes n'était créditeur et lui a demandé de cesser d'émettre des chèques ; le 28 novembre 2012 elle a informé Mme [P] du rejet d'un chèque et lui a rappelé qu'il était nécessaire de les provisionner avant leur émission.
C'est à juste titre que le premier juge a considéré que le reproche fait par les appelants à la banque quant à son absence de soutien et à son manquement au devoir de conseil et d'information n'est dans ces conditions pas fondé.
Les époux [P] reprochent à la banque d'avoir facturé des frais d'un montant disproportionné par rapport à leurs revenus. Il résulte en effet des relevés bancaires qui sont versés aux débats que de nombreux frais étaient imputés sur les comptes qui étaient alors débiteurs. Cependant les époux [P] eux-mêmes font valoir qu'ils ont toujours réapprovisionné leurs comptes bancaires et ont surmonté leurs difficultés financières sans qu'aucune procédure de surendettement soit ouverte en leur faveur, confirmant ainsi qu'ils entendaient régulariser la situation sans rechercher d'autre solution. C'est pourquoi, les comptes continuant à être mouvementés y compris dans des positions débitrices, la banque a continué à prélever des frais et commissions à chaque opération, aggravant ainsi le solde débiteur des comptes à la demande des clients sans qu'aucun manquement n'en résulte à son encontre.
Les époux [P] reprochent enfin à la banque d'avoir manqué de diligence dans le traitement des ordres de virement ou dans l'encaissement des chèques, laissant ainsi les comptes sans provision à l'approche de paiements.
Ils s'appuient sur plusieurs courriers qu'ils ont adressés à la banque (pièces 9-1 à 9-4) pour déplorer le retard dans le traitement de certaines opérations, exposant que des sommes créditrices ont été inscrites tardivement en compte, ce qui a occasionné pour eux des frais supplémentaires mais ne rapportent pas la preuve de leurs affirmations en justifiant de la date réelle de ces opérations créditrices de sorte que les manquements allégués ne sont pas établis.
Les époux [P] font également observer que la clôture de leurs comptes bancaires qu'ils ont demandée par courrier du 8 octobre 2013 n'est devenu effective que le 29 octobre suivant, mais n'allèguent aucun préjudice de ce chef. M. [P] s'est plaint d'un prélèvement de frais de 26,94 euros qui a été effectué dans l'intervalle mais ne produit pas le relevé bancaire correspondant pour justifier que le solde de son compte serait ainsi devenu débiteur de 26,94 euros.
Ainsi que l'a indiqué le premier juge, les époux [P] ne rapportent pas la preuve d'autres manquements qu'ils reprochent à la banque (avoir mis fin à une autorisation de découvert sans information préalable, avoir confisqué les cartes bancaires alors que les comptes étaient créditeurs...). Ils font notamment valoir que deux chèques qu'ils avaient émis ont été rejetés le 21 décembre 2011, entraînant la perception de 100 euros à titre de frais de rejet alors que le compte professionnel de M. [P] avait été abondé la veille par le paiement d'une facture de 7308,93 euros et que le compte était créditeur de 7221,81 euros au 21 décembre, de sorte que le paiement des chèques qui ont été rejetés, de 2100 et 1988,95 euros selon leurs dires, était possible le 20 décembre (leur pièce 9-2).
Toutefois ils ne produisent pas les copies des chèques dont la date de présentation n'est pas connue, la date du 21 décembre 2011 correspondant à l'imputation au compte des frais de rejet, et ils ne démontrent pas que la banque ait commis la moindre faute à cette occasion.
Ils font enfin valoir que le service Internet Cyberplus auquel ils étaient abonnés et qui leur permettait de consulter leurs comptes et d'effectuer des opérations était constamment bloqué.
La banque ne conteste pas ce blocage qu'elle lie aux interdictions bancaires dont les époux [P] ont fait l'objet. Toutefois elle n'en justifie pas et ne produit pas la preuve des interdictions bancaires dont elle se prévaut ; elle ne prouve pas non plus avoir avisé préalablement ses clients de la suspension de ce service, ce qui a allongé les délais de traitement de leurs opérations qu'ils ont dû passer par écrit.
C'est pourquoi le jugement critiqué mérite confirmation en ce qu'il a retenu que la banque avait engagé sa responsabilité à raison de ces dysfonctionnements et du retard ayant entraîné le rejet de certaines opérations et la perception de frais supplémentaires au préjudice des appelants, et que le préjudice qui en est résulté correspond à 10 % du montant des frais prélevés sur leurs comptes.
Le montant des frais prélevé sur le compte de la SCI NR Concept et justifié par les appelants s'élève à la somme totale de 2 251,63 euros du 1er janvier 2010 au 7 août 2013. La banque sera en conséquence condamnée à payer à la SCI la somme de 225,16 euros à titre de dommages et intérêts.
Les appelants ne rapportant pas la preuve d'un trouble de jouissance que leur aurait occasionné la banque par sa faute, leur demande sur ce point sera rejetée.
Le préjudice moral que leur a occasionné la perte de l'accès à Cyberplus, alors qu'ils se débattaient avec leurs difficultés financières, mérite réparation à hauteur de 3000 euros chacun, il sera en conséquence alloué aux époux [P] une indemnité supplémentaire de 2000 euros chacun à ce titre.
Les demandes des appelants étant accueillies, la procédure ne peut être déclarée abusive et la demande de dommages-intérêts formée par la banque à ce titre sera rejetée.
La banque, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 13 novembre 2018 en ce qu'il a débouté la SCI NR Concept de ses demandes pour la période postérieure au 31 décembre 2009, et, statuant à nouveau :
Condamne la banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à payer à la SCI NR Concept la somme de 225,16 euros ;
Confirme le jugement sur le surplus ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur et Madame [P] et la SCI NR Concept de leur demande au titre de leur préjudice de jouissance;
Condamne la banque populaire Auvergne Rhône-Alpes à leur payer une somme supplémentaire de 2000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral ;
Déboute la banque populaire Auvergne Rhône-Alpes de sa demande de dommages et intérêts ;
Condamne la banque populaire Auvergne Rhône-Alpes aux dépens d'appel et rejette sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président