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15/12/2022 | FRANCE | N°19/01697

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 15 décembre 2022, 19/01697


N° RG 19/01697

N° Portalis DBVX - V - B7D - MHTL















Décision du Tribunal de Grande Instance de SAINT ETIENNE

Au fonddu 23 janvier 2019



1ère chambre civile



RG : 16/02395









RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 15 Décembre 2022







APPELANTES :



Mme [U] [K] veuve [L]

née le 20 Janv

ier 1942 à [Localité 14] (ITALIE)

[Adresse 5]

[Localité 3]



représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 938

et pour avocat plaidant Maître Rosine INSALACO, avocat au barreau de SAINT-ETI...

N° RG 19/01697

N° Portalis DBVX - V - B7D - MHTL

Décision du Tribunal de Grande Instance de SAINT ETIENNE

Au fonddu 23 janvier 2019

1ère chambre civile

RG : 16/02395

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 15 Décembre 2022

APPELANTES :

Mme [U] [K] veuve [L]

née le 20 Janvier 1942 à [Localité 14] (ITALIE)

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 938

et pour avocat plaidant Maître Rosine INSALACO, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 54

SCI LOMBARDO

[Adresse 13]

[Localité 2]

représentée par la SELAS D.F.P & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 125

INTIMES :

M. [V] [C]

né le 30 Octobre 1973 à [Localité 16] (VAL-DE-MARNE)

[Adresse 4]

[Localité 3]

Mme [N] [Y]

née le 21 Août 1970 à [Localité 15] (RHONE)

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentés par Maître Isabelle GRENIER-DUCHENE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

COMMUNE DE [Localité 3]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 3]

représentée par la SELARL CABINET PHILIPPE PETIT ET ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 83

SAS ECOTERRE CONCEPT

[Adresse 13]

[Localité 2]

SCI LOMBARDO

[Adresse 13]

[Localité 2]

représentées par la SELAS D.F.P & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 125

SA PACIFICA

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par la SELARL LEXFACE, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 02 Juin 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Novembre 2021

Date de mise à disposition : 20 janvier 2022 prorogée au 17 mars 2022, au 5 mai 2022, au 30 juin 2022, 29 septembre 2022 puis au 15 décembre 2022, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne WYON, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Annick ISOLA, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Aux termes d'un acte notarié du 3 septembre 2003, Madame [Y] et Monsieur [C] (les consorts [Y]/[C]) ont acquis une maison d'habitation située à [Localité 3], lieu-dit « [Localité 11] », cadastrée [Cadastre 9] et [Cadastre 10] , formant le lot n° 6 d'un lotissement créé le 4 janvier 1973 ; cette maison avait été édifiée suivant permis de construire accordé le 4 mai 1976, un certificat de conformité ayant été délivré le 28 juin 1978.

Les propriétés situées en aval de cette maison d'habitation sont celles de Madame [L], propriétaire de la parcelle cadastrée [Cadastre 8] et de la SCI Lombardo, propriétaire depuis le 12 octobre 2012 de la parcelle cadastrée [Cadastre 1], louée à la société Ecoterre concept qui y entrepose notamment des engins de chantier ; ces deux propriétés étaient le siège précédemment d'une carrière d'extraction d'argile exploitée jusqu'en 1930.

Trois glissements de terrain ont eu lieu dans la semaine du 22 janvier 2015, affectant la propriété des consorts [Y]/[C] au niveau de la tête de talus ; ces derniers ont régularisé une déclaration de sinistre le 23 janvier suivant auprès de leur assureur la société Pacifica, laquelle a organisé une expertise, refusé ensuite de garantir le sinistre et résilié le contrat d'assurance à compter du 3 septembre 2015.

Par actes d'huissier de justice des 4 et 11 mars 2015, Madame [Y] et Monsieur [C] ont assigné en référé Madame [L], la société Ecoterre concept, Monsieur [X], la commune de Rive de Gier et la société Pacifica aux fins de voir organiser une mesure d'expertise ; celle-ci a été ordonnée suivant ordonnance du 9 avril 2015, au contradictoire de Madame [L], de la SCI Lombardo, de la société Ecoterre concept et de la société Pacifica, les opérations d'expertise étant déclarées communes et opposables à Mesdames [O] et [W], précédentes propriétaires de l'immeuble de M. [C] et Mme [Y], par ordonnance du 1er octobre 2015. Le juge des référés a rejeté les demandes dirigées contre la commune de Rive de Gier et contre M. [X] et a fait droit au surplus des demandes.

L'expert [F] a déposé son rapport le 5 février 2016.

Par actes d'huissier de justice des 20 et 21 juin 2016, Madame [Y] et Monsieur [C] ont fait citer Madame [L], la SCI Lombardo, la société Ecoterre concept, la commune de Rive de Gier et la société Pacifica devant le tribunal de grande instance de Saint-Étienne afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice.

Par jugement rendu le 23 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Saint-Étienne s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de la commune de Rive de Gier en renvoyant les parties à mieux se pourvoir, a déclaré Madame [L] et la SCI Lombardo responsables sur le fondement de l'article 1384 du code civil, des dommages causés à Madame [Y] et Monsieur [C], les condamnant in solidum à payer à ces derniers les sommes de 180 000 euros au titre de la perte de jouissance de leur maison, 24 860 euros au titre des frais de démolition, 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, rejetant les demandes supplémentaires des parties en disant n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Selon déclaration du 6 mars 2019, Madame [L] a formé appel à l'encontre de ce jugement.

Selon déclaration du 11 mars 2019, la SCI Lombardo a également relevé appel du jugement.

Les deux procédures d'appel ont été jointes par le conseiller de la mise en état suivant ordonnance du 15 décembre 2020.

Par ordonnance du 1er octobre 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par Mme [L] qui demandait à la juridiction judiciaire d'attendre que statue la juridiction administrative, saisie d'une action dirigée contre la commune.

Par conclusions déposées et notifiées le 6 avril 2020, Mme [L] demande à la cour de réformer le jugement et de :

- dire et juger irrecevable la demande dirigée à son encontre dans la mesure où elle n'est pas propriétaire du bien,

- dire et juger irrecevable la demande dirigée à son encontre en ce qu'elle est prescrite,

et à défaut, constater qu'elle a agi à l'encontre de la commune devant le tribunal administratif,

À titre principal,

-dire et juger qu'elle n'a aucune responsabilité dans la situation rencontrée par les consorts [C]-[Y] et la mettre hors de cause,

Si la cour ne croyait pas être suffisamment éclairée :

- avant-dire-droit, ordonner une expertise complémentaire destinée à vérifier les conséquences de la présence des chèvres des consorts [C]-[Y], des quantités d'eaux pluviales rejetées en aval en dehors du réseau eaux pluviales, et de la nature des fondations de la maison [C]-[Y] sur l'effritement progressif de la crête du talus,

A titre subsidiaire :

- dire et juger que sa responsabilité ne peut être supérieure à 20 % du quart du préjudice subi par les consorts [C]-[Y], soit 10'493 euros,

En toute hypothèse, condamner les consorts [C]-[Y] à lui payer 9 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'instance et d'appel, distraits au profit de Me Laffly, avocat, sur son affirmation de droit.

Par conclusions déposées et notifiées le 1er août 2019, la commune de Rive de Gier conclut à la confirmation du jugement, au rejet des arguments de Mme [L] et des consorts [C]-[Y] sur sa responsabilité qui sont portés devant une juridiction incompétente pour en connaître et à la condamnation de Mme [L] aux dépens et à lui verser une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées et notifiées le 31 juillet 2019, Madame [Y] et Monsieur [C] demandent à la cour de :

- à titre liminaire : joindre les instances RG 19/1697 et 19/1787,

-déclarer irrecevable le moyen tiré de la prescription soulevé pour la première fois en cause d'appel et subsidiairement dire et juger que le fait dommageable ne pouvait être connu d'eux, constater que la société Ecoterre n'est pas représentée et débouter la SCI Lombardo de ses demandes sur ce point,

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner solidairement la SCI Lombardo, la société Ecoterre, Mme [L] et la compagnie d'assurances Pacifica à leur payer les sommes de :

- 24'860 euros au titre du coût de la démolition de leur maison d'habitation,

- 180'000 euros correspondant au coût de la maison devant être détruite, outre celle de 5 000 euros au titre du trouble de jouissance,

- 10'000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance, lesquels comprendront les frais d'expertise et seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile par Me Grenier Duchêne, avocat, sur son affirmation de droit.

Par conclusions déposées et notifiées le 6 mai 2020, la SCI Lombardo et la société Ecoterre concept demandent, en substance, à la cour de confirmer le jugement du 23 janvier 2019 en ce qu'il a débouté les consorts [C]-[Y] de leurs demandes à l'encontre de la société Ecoterre Concept, de le réformer sur le surplus, et, statuant à nouveau, de :

- déclarer prescrite l'action des consorts [Y]/[C] comme engagée avant le 18 juin 2013,

- débouter de toutes leurs fins et prétentions les consorts [Y]-[C] à l'encontre de la SCI Lombardo,

- statuer ce que de droit sur leurs réclamations à l'encontre de la commune de Rive de Gier et encore de leur assureur Pacifica,

- condamner les consorts [Y]-[C] à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Par conclusions déposées et notifiées le 28 août 2019, la société Pacifica demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 23 janvier 2019 en ce qu'il a débouté Mme [Y] et M. [C] de leurs demandes dirigées à son encontre,

- à titre subsidiaire, si la cour estimait la garantie mobilisable, fixer le calcul de l'indemnisation comme indiqué dans les conditions générales du contrat,

En tout état de cause,

- infirmer le jugement ayant débouté les autres parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau, condamner Mme [L], la SCI Lombardo ou qui mieux le devra à lui payer une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Étienne ayant condamné in solidum Mme [L] et la SCI Lombardo aux entiers dépens de l'instance ou qui mieux le devra, elle-même ayant réglé une somme de 4 313,40 euros.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 décembre 2020.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS ET DECISION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

La cour relève que le chef du jugement rendu le 23 janvier 2019, aux termes duquel le tribunal s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de la Commune de Rive de Gier, n'est critiqué que par Mme [L] aux termes de sa déclaration d'appel ; cette dernière ne formule cependant aucune demande d'infirmation de ce chef aux termes de ses conclusions et elle ne demande pas non plus à la cour de se déclarer compétente.

Il s'ensuit que la cour ne peut que confirmer ce chef de jugement, quelle que soit l'argumentation inopérante développée par Madame [L] dans la partie discussion de ses conclusions.

La cour relève encore qu'aux termes du dispositif de ses conclusions, hormis la demande d'infirmation sur les condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la société Pacifica ne demande pas l'infirmation du jugement, que ce soit à titre principal ou à titre subsidiaire ; la cour n'est donc saisie d'aucun appel incident de cette dernière en la matière.

La cour constate que contrairement à ce que soutiennent bien peu sérieusement Madame [Y] et Monsieur [C], la société Ecoterre concept a, de la même façon que la SCI Lombardo, constitué avocat en la personne de Me Niord, avocat de la Selas DFP & associés, aux termes de sa constitution adressée au greffe le 12 avril 2019 ; les conclusions déposées au nom des deux parties par ce dernier doivent donc être prises en compte.

La question de la jonction des deux instances introduites sur appels respectifs de Madame [L] et de la SCI Lombardo n'a enfin pas à être examinée par la cour, contrairement à ce que réclament, Madame [Y] et Monsieur [C], dans la mesure où cette jonction a été ordonnée par le conseiller de la mise en état aux termes d'une ordonnance du 15 décembre 2020, rendant de ce fait sans objet cette demande.

I. Sur l'irrecevabilité des demandes présentées contre Madame [L] :

- sur la fin de non-recevoir tirée de la qualité à agir :

Madame [L] fait valoir, attestation notariée du 30 avril 2013 à l'appui, qu'à la suite du décès de son époux, elle n'est qu'usufruitière de l'immeuble et que ses quatre enfants n'ont pas été mis en cause.

Madame [Y] et Monsieur [C] ne présentent aucune observation en réponse à ce titre.

Sur ce :

L'action introduite contre un seul indivisaire est recevable, la décision rendue étant seulement inopposable aux autres indivisaires en l'absence de mise en cause de ces derniers.

La fin de non-recevoir soulevée de ce chef ne saurait donc prospérer et elle doit être rejetée.

- sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Madame [L] expose que des éboulements se sont produits en 2005, deux ans après que les consorts [C]-[Y] ont acquis leur maison et que leur action engagée en 2015 est prescrite.

La SCI Lombardo et de la société Ecoterre concept soutiennent que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; elles considèrent que le fait dommageable consiste dans le risque d'effondrement du talus et consécutivement de la maison de Madame [Y] et Monsieur [C] ; que ces derniers ont connu la réalité des éboulements dès 2005, le risque étant alors identique à celui dont ils ont eu conscience en 2015, n'ayant alors pourtant aucunement agi contre l'auteur de la SCI Lombardo en laissant le phénomène se perpétuer; elles précisent que l'assignation en référé qui a interrompu le délai de prescription est postérieure au 18 juin 2013, date butoir du délai pour agir.

Madame [Y] et Monsieur [C] ne répondent pas directement à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de leur action soulevée par Madame [L] ; ils argumentent cependant en réponse à la même fin de non-recevoir soulevée par la SCI Lombardo et la cour prendra ainsi en compte cette argumentation ; ils soutiennent que cette fin de non-recevoir est irrecevable en ce qu'elle n'a pas été soulevée avant toute défense au fond et n'apparaît pas dans le corps de l'acte d'appel.

Ils ajoutent avoir tout ignoré de la catastrophe annoncée avant le dépôt par l'expert de ses conclusions, le premier éboulement survenu en 2005 n'ayant pu leur permettre de prendre connaissance du risque d'effondrement.

Sur ce :

En exigeant l'énonciation des chefs de jugement critiqués dans la déclaration d'appel, l'article 901 du code de procédure civile n'impose en aucun cas d'y faire figurer les prétentions de l'appelant ; aucune irrecevabilité de la fin de non-recevoir ne saurait donc être relevée de ce chef.

Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir pouvant être proposées en tout état de cause, y compris en cause d'appel, la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Madame [Y] et Monsieur [C] s'avère recevable, même si elle n'a pas été soulevée devant le premier juge contrairement à ce que soutiennent à tort Madame [Y] et Monsieur [C].

L'article 2224 du code civil dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Il ressort de l'ensemble des éléments du dossier que si les glissements du talus situé en contrebas de la propriété [Y]-[C], survenus en janvier 2015, ont été effectivement précédés d'un premier éboulement survenu en 2005, aucun risque d'effondrement inéluctable de ce talus dans les années à venir avec mise en péril de leur habitation n'avait cependant alors été formalisé de façon expresse à l'égard de ces derniers ; seules les conclusions du rapport de l'expert [F] leur ont ainsi permis de prendre connaissance de la gravité de la situation catastrophique annoncée et de l'absence de solution réparatoire, sauf à engager des coûts largement supérieurs à la valeur de leur propriété, ne serait-ce qu'au titre des études géotechniques indispensables en la matière.

Madame [Y] et Monsieur [C], n'ayant ainsi pris connaissance de la réalité du dommage et de son ampleur qu'au jour du dépôt de son rapport par l'expert, soit le 5 février 2016, leur action en responsabilité engagée par en juin 2016 n'est donc nullement prescrite.

La fin de non-recevoir soulevée de ce chef doit donc être rejetée.

II. Sur les demandes en indemnisation présentées contre Madame [L], la SCI Lombardo et la société Ecoterre concept par Madame [Y] et Monsieur [C] :

Madame [L] conteste toute responsabilité dans la fragilité de la crête du talus sur laquelle elle indique n'être jamais intervenue. Elle affirme que les consorts [C]/[Y] sont à l'origine de la situation ou en ont aggravé les causes par des rejets d'eaux de toiture vers l'aval, leurs chèvres qui mettent le sol à nu et eux-mêmes qui ont bâché partiellement la crête de talus. Elle fait encore observer que les fondements de leur maison sont insuffisants et leur reproche de n'avoir pas agi contre leur vendeur, considérant en conséquence qu'ils sont responsables de leur préjudice.

À titre subsidiaire, elle considère que la cour devrait pour le moins retenir un partage de responsabilité.

La SCI Lombardo et la société Ecoterre concept contestent leur responsabilité en soutenant qu'en application du code des mines et du code de l'environnement, le propriétaire actuel qui n'a jamais été l'exploitant d'une parcelle autrefois occupée pour l'exploitation d'une carrière, ne peut être recherché pour les dommages qui proviendraient d'un effondrement partiel dû à un phénomène naturel de vieillissement des terrains liés à une ancienne exploitation de carrière, considérée dès lors comme un phénomène naturel susceptible de constituer un cas de force majeure.

Elles ajoutent que le régime de la responsabilité du fait des choses est d'application exclusive en matière d'éboulement ou glissement ou effondrement de terrain et considèrent qu'il ne peut rien être reproché au propriétaire du fonds inférieur, car il appartient au propriétaire du fonds supérieur qui a investi la parcelle, de réaliser tout ouvrage de soutènement et de confortement de son terrain.

Elles indiquent encore que si le régime de responsabilité du fait des choses n'est pas exclusif de la responsabilité pour faute délictuelle ou quasi-délictuelle, dans l'hypothèse d'un comportement fautif qui ne tient pas directement à la garde de la chose mais à une activité humaine (exploitation d'une carrière), c'est le second régime qui doit prévaloir.

Madame [Y] et Monsieur [C] qui fondent leurs demandes indemnitaires sur l'article 1242 nouveau du code civil aux termes des moyens qu'ils développent dans leurs écritures, soutiennent que la SCI Lombardo, dont l'immeuble est exploité par la société Ecoterre concept, et Mme [L] sont responsables des désordres, l'expert ayant mis en évidence que les glissements de terrain ne s'expliquent pas seulement par un phénomène naturel dû à l'érosion par l'écoulement des eaux pluviales mais que l'instabilité des talus a pour origine la modification du profil de la colline, en raison de l'extraction d'argile par les anciens propriétaires des parcelles [Cadastre 8] et [Cadastre 1], sans mesure de stabilisation après l'arrêt de l'exploitation.

Sur ce :

L'article 1384 devenu 1242 du code civil dispose que « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait (...) des choses que l'on a sous sa garde. »

Le principe de la responsabilité du fait des choses trouve son fondement dans la notion de garde, indépendamment du caractère intrinsèque de la chose et de toute faute personnelle du gardien. Le vice inhérent à la chose, qui a causé le dommage, ne constitue pas au regard de celui qui exerce sur cette chose les pouvoirs de contrôle, de direction et d'usage corrélatifs à l'obligation de garde, un cas fortuit ou de force majeure de nature à l'exonérer de sa responsabilité envers le tiers.

Il ressort du rapport de l'expert judiciaire [F], non discuté sur ces points que :

- la limite parcellaire d'origine côté nord de la propriété de Madame [Y] et Monsieur [C] correspond globalement à la crête du talus situé en aval de la maison d'habitation telle qu'elle existait lors de l'aménagement du lotissement ; cette configuration des lieux ressort d'ailleurs très clairement du plan de masse du lotissement annexé à l'arrêté du 4 janvier 2013,

- la crête de talus s'est déplacée dans le temps en raison de plusieurs glissements de terrain ainsi qu'il ressort du relevé des hauts de talus effectué en 2012 et de celui effectué après les mouvements de terrain de 2015,

- les plans versés aux débats et les constatations de l'expert permettent d'établir que les talus qui ont subi un phénomène d'érosion régressive sont situés originellement dans les parcelles cadastrées [Cadastre 8] et [Cadastre 1], respectivement propriétés de Madame [L] et de la SCI Lombardo,

- les glissements de terrain ne s'expliquent pas seulement par un phénomène naturel résultant de l'érosion par l'écoulement des eaux pluviales ; en effet, l'expert indique que l'instabilité des talus a pour origine la modification du profil de la colline par les extractions d'argile de la part des anciens propriétaires des parcelles [Cadastre 8] et [Cadastre 8] (en réalité [Cadastre 1]) sans mesure de stabilisation après l'arrêt de l'exploitation de la carrière à ciel ouvert en 1930 ; il en conclut que le site a perdu ses conditions d'équilibre originel du fait de la création d'un talus et des modifications de l'hydrogéologie,

- la possibilité technique d'un comportement global du talus aval pour remédier aux désordres n'est pas exclue mais s'avère d'un coût largement supérieur à la valeur de la maison de Madame [Y] et Monsieur [C], ne serait-ce qu'au titre des études techniques préalables et indispensables.

Ni Madame [L], ni la SCI Lombardo ne peuvent s'exonérer de leur responsabilité du fait des choses par la seule circonstance qu'elles n'ont pas commis de faute, notamment dans l'entretien du talus qu'elles n'ont effectivement ni déboisé ni excavé ou par leur absence de connaissance alléguée de l'existence d'une ancienne carrière exploitée sur les terrains dont elles sont devenues propriétaires.

L'érosion du talus et les glissements de terrain survenus à plusieurs reprises ne résultent pas d'un phénomène strictement naturel mais sont en lien avec les extractions d'argile ayant eu lieu sur les parcelles de ces dernières, modifiant le profil de la pente et fragilisant la colline ; contrairement à ce que soutient la SCI Lombardo, aucun texte spécial du code minier ou du code de l'environnement réglementant les carrières ne vient exonérer de sa responsabilité du fait des choses le propriétaire actuel d'un terrain ayant constitué par le passé le siège d'une carrière et il appartient à ce propriétaire d'éventuellement mettre en cause la responsabilité pour faute de l'ancien exploitant qui n'aurait pas remis en l'état les terres et procédé à la stabilisation du site, ou de l'Etat en cas de disparition de ce dernier.

L'expert [F] qui a entendu les parties et procédé aux constatations et vérifications nécessaires face à leurs déclarations, n'a constaté aucun manquement de la part de Madame [Y] et Monsieur [C] dans la construction de leur maison, ni au niveau des fondations, ni en ce qui concerne la collecte des eaux de ruissellement ou des eaux pluviales ; aucun élément ne permet non plus de caractériser comme fautive et ayant participé à l'érosion du talus, l'installation sur leur propriété par ces derniers de trois chèvres broutant librement notamment sur la partie haute du talus ; aucune mesure d'expertise ne doit être ordonnée à ces titres comme le réclame à tort Madame [L] alors même que ces questions ont déjà été soumises à l'expert et examinées par ce dernier au cours des opérations d'expertise ayant eu lieu en 2015 et 2016.

Aucune cause étrangère imprévisible et irrésistible ni aucune faute de la victime ne sauraient donc exonérer Madame [L] ou la SCI Lombardo, laquelle n'allègue pas avoir délégué ses pouvoirs de direction et de contrôle sur le talus litigieux à sa locataire, la société Ecoterre concept, dont la responsabilité ne saurait donc être engagée, de leur responsabilité du fait des choses.

Si l'expert note qu'à l'heure actuelle la maison d'habitation de Madame [Y] et Monsieur [C] ne subit aucun dommage en rapport avec les glissements de terrain constatés, il précise néanmoins qu'à court terme, dans une fourchette comprise entre 5 et 20 ans, elle sera impactée dès lors que du fait de l'action d'érosion régressive, les terres vont continuer de glisser vers l'aval ; il en conclut que le dommage futur est certain.

Le dommage subi par Madame [Y] et Monsieur [C], en relation de causalité avec l'anormalité de la chose constituée par l'érosion certaine du talus, consiste ainsi dans la disparition future et certaine de leur maison d'habitation du fait du rapprochement inéluctable de la crête du talus vers leur maison d'habitation.

Selon l'expert, le coût du confortement global du talus aval, haut de 20 mètres, dépasserait le prix de la maison des intéressés ; Madame [Y] et Monsieur [C], qui ne réclament pas de mesures réparatoires, sont donc fondés à faire état d'un préjudice constitué par la perte de jouissance de leur maison et les frais de démolition, l'expert [F] relevant que celle-ci est indispensable afin d'éviter tout sinistre sur les propriétés limitrophes.

Par des motifs pertinents qui répondent aux moyens soulevés en appel et que la cour adopte, le premier juge a très justement fixé leurs préjudices, prenant en considération l'estimation de leur maison ainsi que les divers devis qu'ils ont fait établir au titre des frais de démolition et l'existence d'un préjudice moral.

La condamnation in solidum de Madame [L] et de la SCI Lombardo à payer à Madame [Y] et Monsieur [C] les sommes de :

- 180'000 euros au titre de la perte de jouissance de leur maison,

- 24'860 euros au titre des frais de démolition,

- 5 000 euros au titre du préjudice de jouissance,

mérite en conséquence d'être confirmée ainsi que le rejet des demandes présentées à l'encontre de la société Ecoterre concept.

III. Sur les demandes présentées par Madame [Y] et Monsieur [C] à l'encontre de la société Pacifica :

Madame [Y] et Monsieur [C] indiquent que leur maison doit être détruite et que la société Pacifica, qui garantit le bien, doit être condamnée solidairement au paiement du coût de la destruction.

La société Pacifica soutient essentiellement que le contrat d'assurance souscrit garantit les biens immobiliers mais non les terrains, les cultures et les plantations et qu'au surplus il n'existe aucun aléa dans la mesure où l'effondrement du terrain n'est pas accidentel et qu'il est inévitable au regard de la nature du terrain et de sa déclivité comme l'indique l'expert, les glissements impactant le talus remontant à 1994, de sorte que faute d'aléa, le contrat ne peut garantir cet événement.

Sur ce :

Il ressort des conditions générales du contrat d'assurance que les biens garantis sont les bâtiments à usage d'habitation déclarés sur la demande de souscription.

La garantie « événements climatiques-inondations » porte sur les dommages matériels subis par les biens assurés, directement causés par les eaux de ruissellement, inondations, les débordements de cours d'eau ou étendues d'eau.

Il ressort des opérations d'expertise que les eaux de ruissellement n'ont causé aucun dommage à la maison d'habitation de Madame [Y] et Monsieur [C], seuls les glissements de terrains successifs étant de nature à compromettre la pérennité de leur maison d'habitation ; la cour constate par ailleurs qu'aucun arrêté de catastrophe naturelle n'est justifié pour les événements survenus en janvier 2015, lequel aurait seul pu déclencher la garantie « catastrophe naturelle ».

Ne démontrant ainsi pas à quel titre la garantie de la société Pacifica pourrait être mobilisée, Madame [Y] et Monsieur [C] doivent en conséquence être déboutés de leur demande à l'encontre de cette dernière, confirmant en cela la décision critiquée.

IV. Sur les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Madame [L] et la SCI Lombardo qui succombent dans leurs prétentions seront déboutées de leurs demandes à ce titre ; la société Ecoterre concept qui fait cause commune avec la SCI Lombardo, ne peut également qu'être déboutée de ce chef, la cour constatant d'ailleurs qu'elle ne formule aucune demande spécifique à son bénéfice de ce chef.

La société Pacifica réclame le paiement d'une indemnité de procédure à l'encontre de Madame [L] ou la SCI Lombardo ou « qui mieux le devra » ; elle a été mise en cause seulement par Madame [Y] et Monsieur [C] ; aucune demande de condamnation n'est dirigée contre elle par Madame [L] ou la SCI Lombardo, seuls Madame [Y] et Monsieur [C] ayant réclamé sa condamnation in solidum avec ces derniers ; aucune indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne saurait donc lui être allouée à la charge de Madame [L] ou de la SCI Lombardo, ou d'une autre partie en l'absence de toute demande de condamnation d'une personne désignée aux termes de ses écritures..

L'équité et la situation économique des parties commandent ainsi l'octroi des sommes supplémentaires suivantes, en remboursement des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel :

- 1 500 euros au profit de la Commune de Rive de Gier à la charge de Madame [L] qui l'a seule intimée sans formuler pour autant aucune prétention à son encontre,

- 6 000 euros au profit de Madame [Y] et Monsieur [C] à la charge in solidum de Madame [L] et la SCI Lombardo,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare sans objet la demande de jonction entre les instances RG 19/1697 et 19/1787,

Rejette les fins de non-recevoir tirées de l'absence de qualité à agir et de la prescription et déclare recevables les demandes de Madame [Y] et Monsieur [C] formées à l'encontre de Madame [L], de la SCI Lombardo et de la société Ecoterre concept,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Etienne,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Madame [L] et la SCI Lombardo aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Grenier-Duchêne, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne les parties suivantes au paiement des indemnités de procédure suivantes, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

- 1 500 euros au profit de la Commune de Rive de Gier à la charge de Madame [L],

- 6 000 euros au profit de Madame [Y] et Monsieur [C] à la charge in solidum de Madame [L] et de la SCI Lombardo,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 19/01697
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;19.01697 ?
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