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08/12/2022 | FRANCE | N°19/08200

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 08 décembre 2022, 19/08200


N° RG 19/08200 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXBW









Décision du Tribunal de Commerce de LYON au fond du 29 octobre 2019



RG : 2019j474





SARL AGENCE DES CONSOMMATIONS ENERGETIQUES (A.C.E SERVI CES)



C/



S.A.S. INES - INTERNET EVOLUTIVESOLUTIONS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 08 Décembre 2022







APPELANTE :



SA

RL AGENCE DES CONSOMMATIONS ENERGETIQUES (A.C.E SERVICES) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - ...

N° RG 19/08200 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXBW

Décision du Tribunal de Commerce de LYON au fond du 29 octobre 2019

RG : 2019j474

SARL AGENCE DES CONSOMMATIONS ENERGETIQUES (A.C.E SERVI CES)

C/

S.A.S. INES - INTERNET EVOLUTIVESOLUTIONS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 08 Décembre 2022

APPELANTE :

SARL AGENCE DES CONSOMMATIONS ENERGETIQUES (A.C.E SERVICES) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938 et ayant pour avocat plaidant Me Maureen OHAYON, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

SAS INES - INTERNET EVOLUTIVE SOLUTIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547 et ayant pour avocat plaidant Me Jérémie VERNIAU de la SELARL CABINET VERNIAU, avocat au barreau de LYON, toque : 629

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 29 Janvier 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 08 Décembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Aurore JULLIEN, conseillère

assistés pendant les débats de Anne-Laure TUDELA-LOPEZ, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signée par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

La Sarl Agence des Consommations Energétiques (la société Ace) est spécialisée dans la transition énergétique. La Sas Internet Evolutive Solutions (la société Ines) aux droits de laquelle vient la société la société Efficy France (E-Deal) est éditeur de logiciels et prestataire de fourniture en ligne d'applications logicielles et de services informatiques. Selon deux devis du 5 février 2015 acceptés le 9 février 2015, la société Ace a souscrit auprès de la société Ines un contrat comportant la préparation du projet, la reprise et l'initialisation des données, une offre de formation et un abonnement aux services Ines Marketing Manager et Ines CRM Suite d'une durée de 24 mois.

Par courrier recommandé du 17 juin 2015, la société Ace, invoquant des dysfonctionnements de la solution logicielle, a demandé la résiliation du contrat.

Par courrier recommandé du 20 juillet 2015, la société Ines s'est opposée à cette résiliation anticipée et a rappelé à la société Ace qu'elle restait redevable des factures de mars et juin 2015.

Après plusieurs échanges de courriers recommandés, la société Ines a, par courrier recommandé de son conseil du 5 juillet 2017, rappelé à la société Ace que le contrat ne pouvait pas être résilié avant son terme et mis en demeure la société Ace de lui régler la somme de 63.248,98 euros.

Par acte du 12 mars 2018, la société Ines a assigné la société Ace devant le tribunal de commerce de Lyon en paiement de cette somme.

Par jugement du 29 octobre 2019, ce tribunal a :

- dit que le contrat signé le 9 février 2015 entre les parties est un contrat à durée déterminée de 24 mois,

- dit que les conditions générales d'abonnement sont opposables à la société Ace,

- condamné la société Ace à payer à la société Ines la somme de 63.248,98 euros TTC correspondant aux redevances d'abonnement, du fait de la résiliation anticipée du contrat du 9 février 2015,

- condamné la société Ace à verser à la société Ines la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Ace aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

La société Ace a interjeté appel par acte du 28 novembre 2019.

Selon traité de fusion-absorption du 12 avril 2021, avec effet rétroactif au 1er janvier 2021, la société E-Deal a absorbé la société Ines. La société E-Deal a changé de dénomination sociale, suivant procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 16 juillet 2021, au profit de la nouvelle dénomination « Efficy France»,

Par conclusions du 29 septembre 2022 fondées sur les articles 1112-1, 1130, 1132, 1133, 1137, 1217, 1224, 1227, 1228 et 1231-5 (ancien 1152), 1604 et 1610 du code civil, la société Ace demande à la cour de :

à titre principal,

- constater que la société Ines était débitrice d'une obligation d'information et de conseil en sa qualité de professionnelle de l'informatique envers elle, profane en la matière,

- constater le manquement de la société Ines à son obligation d'information et de conseil ne lui ayant pas permis de contracter en toute connaissance de cause et de manière parfaitement éclairée,

- constater le dol dont elle a été victime de la part de la société Ines,

- constater que son consentement a été vicié par une erreur sur les qualités substantielles de la solution Ines en considération desquelles elle a contracté,

- constater l'absence des fonctionnalités attendues et entrées dans le champ contractuel et pourtant vendues,

- constater le non respect du délai connu et dont le respect était un élément conditionnel de son consentement,

à titre subsidiaire,

- constater le manquement de la société Ines à son obligation de délivrance conforme et dans le délai convenu,

en conséquence,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- prononcer la nullité du contrat régularisé entre elle et la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines le 9 février 2015, sans frais à sa charge,

- condamner la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines au remboursement de 8.319,06 euros correspondant aux sommes perçues au titre du contrat nul,

à titre subsidiaire,

- prononcer la résolution du contrat régularisé entre elle et la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines le 9 février 2015 sans frais à sa charge,

- condamner la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines au remboursement de 8.319,06 euros correspondant aux sommes perçues au titre du contrat résolu,

à titre infiniment subsidiaire,

- réduire les demandes financières formulées par la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines à son encontre, au visa de l'ancien article 1152 du code civil à un euro symbolique,

en tout état de cause,

- débouter la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions du 26 septembre 2022 fondées sur l'article 1184 ancien du code civil, la société Efficy France (E-Deal) venant aux droits de la société Ines demande à la cour de :

- débouter la société Ace de sa demande de nullité du contrat,

- débouter la société Ace de sa demande de résolution du contrat et de restitution de la somme de 8.319,02 euros,

- confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

- condamner la société Ace à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ainsi qu'aux entiers dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 29 janvier 2021, les débats étant fixés au 27 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour rappelle que le contrat ayant été régularisé entre les parties avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, complété par la loi du 20 avril 2018 ratifiant cette ordonnance, il demeure soumis à la loi ancienne, y compris pour ses effets légaux et pour les dispositions d'ordre public, conformément à l'article 9 de cette ordonnance.

Par ailleurs, il est rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Sur la nullité du contrat pour dol ou erreur'

Au soutien de sa demande principale en nullité du contrat la société Ace fait valoir à hauteur d'appel que':

- elle exigeait que la solution soit opérationnelle et déployée à l'ensemble de ses services au plus tard pour le mois de mai 2015, lequel délai était une condition déterminante de son consentement, ce que la société Ines n'ignorait pas,

- le nombre de jours de formation prévu contractuellement par la société Ines pour le déploiement de la solution informatique au sein de la société Ace a été volontairement sous évalué et le manque de temps s'est fait ressentir dès le début de la formation de sorte que cette affirmation constitue un mensonge destiné à obtenir son consentement,

- la société Ines ne lui a pas notifié que de nouveaux jours de formation pourraient être nécessaires pour que la formation soit effective au sein de l'ensemble des services.

-à chaque difficulté de fonctionnement, il lui était répondu qu'il fallait prévoir d'autres jours de formation,

- l'intimée, qui soutient que l'insuffisance de jours de formation trouve son origine dans le budget limité qu'elle pouvait y consacrer, reconnaît ainsi qu'elle connaissait dès l'origine cette insuffisance du temps de formation, de sorte qu'elle confirme ainsi sa volonté de tromper son consentement.

Elle fait également valoir que la solution proposée est en inadéquation avec les besoins exprimés lors de la phase pré contractuelle et affinés ensuite dans le cadre des échanges dès lors que':

- l'offre s'est révélée non conforme en termes de reporting,

- des fonctionnalités pourtant basiques présentes de série en natif sur la solution Ines n'étaient pas exploitables,

- la société intimée avait connaissance depuis le mois de novembre 2014 de l'existence d'un problème de synchronisation de la solution avec les boîtes mails utilisant Google, comme celles utilisées par les salariés, ce qu'elle n'ignorait pas dès lors que cela résulte des schémas process clients qui lui ont été envoyés, ce qui constituait une information majeure,

- il s'est révélé impossible de déclencher automatiquement un rendez-vous, alors que cette fonctionnalité était importante pour la société afin de pouvoir dispatcher les rendez-vous à ses différents commerciaux et que cette fonctionnalité était prévue dans le processus client et explicité lors de la démonstration.

Elle expose en outre qu'il ne lui a jamais été dit que l'utilisation du logiciel vendu nécessitait l'adjonction d'un autre logiciel supplémentaire «'My report Builder'» pour pouvoir atteindre les fonctionnalités exigées et exprimées, de sorte qu'il s'agit d'une réticence dolosive ou à tout le moins que cela caractérise un vice du consentement pour erreur sur les qualités substantielles attendues de la solution Ines.

Elle s'estime donc que le contrat est atteint de nullité en conséquence du dol résultant des mensonges et manquements de l'intimée à son devoir de conseil et d'information, laquelle aurait dû l'aider à exprimer ses besoins et de ne pas se contenter des process clients qu'elle a établis et en conséquence de l'erreur sur les prestations attendues qui ont viciées son consentement.

En réponse à l'intimée elle conteste être un professionnel de l'informatique au motif d'une part qu'elle utilisait uniquement l'application «'Google agenda'» avant de décider de se doter d'un CRM et avant de faire le choix de cette solution, que par ailleurs, elle a mené une étude comparative pour s'en inspirer et monter son propre processus client, qu'elle est profane en matière de traduction de ses besoins en langage CRM information et s'est inspirée d'une proposition d'une société OLE WEB pour monter son processus client adressé à la société Ines. Elle indique que ces études comparatives lui ont permis de structurer sa demande mais en aucun cas ce processus client ne permet de démontrer qu'elle est un professionnel expérimenté. Elle indique que le prétendu chef de projet nommé est en fait responsable du bureau d'étude technique en rénovation énergétique et non pas une sorte de directeur informatique

La société E-Deal venant aux droits de la société Ines soutient quant à elle que l'obligation d'information qui lui incombe est une simple obligation standard et qui est une obligation de moyen, car la société Ace est un professionnel expérimenté en matière d'usage de l'outil informatique, dès lors qu'elle exerce son activité depuis deux ans au moyen d'une équipe marketing et commerciale de 30 personnes qui utilisent quotidiennement et intensivement des logiciels de prospection de clientèle et de planification des rendez-vous commerciaux, ainsi que pour la communication interne et qu'elle a missionné un coordinateur de projet qui n'est pas responsable de bureau en matière de rénovation énergétique mais chargé de sélectionner un fournisseur d'une solution de gestion de la relation client venant remplacer les logiciels en place, lequel a des compétences techniques et informatiques et qui a formalisé dans un document détaillé le processus client c'est à dire le fonctionnement et les phases de gestion de la relation client auquel devait répondre la solution logicielle retenue par Ace dont le niveau de détail révèle une bonne connaissance par cette dernière de ses propres besoins. Elle soutient qu'il n'est pas démontré qu'elle s'est aidée de propositions d'autres prestataires alors que la pièce 30 qu'elle verse au débat non datée et non explicitée n'a pas de valeur probante.

Elle affirme en outre avoir satisfait à cette obligation dès lors que le coordonnateur de la société Ace lui a soumis le processus client, qu'une consultante de la société Ines s'est déplacée sur site pour effectuer une démonstration des services Ines CRM, ce qui a permis à la société Ace de vérifier que les services répondaient à ses besoins, que par ailleurs cette consultante a établi un document intitulé «'dossier d'étude intégration Ines '» ayant pour objet de préparer le paramétrage des services en fonction des besoins exprimés par la société Ace, l'accompagnement étant confié à une société AGI partenaires de Ines afin de répondre au souhait de la cliente d'être accompagnée par un prestataire se situant dans sa zone géographique.

Elle affirme n'avoir commis aucun dol, dès lors que l'appelante ne démontre pas que le délai de déploiement tenant au mois de mai 2015 était déterminant de son consentement alors qu'elle a fait état de ce paramètre pour la première fois dans un courrier du 29 juillet 2015, qu'il n'a jamais été fait état de ce délai.

Elle conteste en outre le fait que la solution n'ait pas été opérationnelle en mai 2015. Elle réfute toute existence d'un dol tenant au délai de formation, dès lors que si de nouveaux jours de formation ont été ajoutés en plus des 8 jours prévus au devis c'est en raison des demandes nouvelles de paramétrage formulées par la société Ace en cours de phase de mise en service. Elle ajoute que le nombre de jours était également lié au budget consacré par l'appelante à cette phase de mise en service. Elle indique enfin que le nombre de jours de formation stipulé au devis ne signifie aucunement qu'elle s'est engagée sur un nombre maximum de jours nécessaire à la formation, aucune stipulation du devis ne mentionnant cela. Elle ne démontre pas davantage qu'un jour maximum de formation aurait été déterminant de son consentement.

Elle conteste également toute inadéquation des fonctionnalités de la solution mise en 'uvre dès lors que':

- elle n'était pas informée que les équipes de la société Ace utilisaient des adresses Google sinon elle lui aurait fait part du problème de synchronisation des comptes de messagerie gratuits Google avec les services Ines, lesquels problèmes ont été réglés en mars 2015. Elle indique que le dossier d'étude d'intégration réalisé par la société AGI démontre au contraire que l'appelante n'utilise pas des comptes de messagerie Gmail mais des comptes pro Google Apps. Elle soutient que l'examen du processus client ne permet pas de démontrer que la fonctionnalité tenant au déclenchement automatique des rendez vous était un besoin identifié de sorte qu'il n'y a aucun manquement à l'obligation d'information et de conseil ni aucune man'uvre dolosive dès lors qu'elle n'était pas informée de ce besoin spécifique préalablement à la conclusion du contrat.

Enfin, elle expose que la société Ace n'a exprimé aucun besoin en terme de reporting comme cela ressort de l'analyse du processus client, que par ailleurs, les fonctionnalités de reporting figurant sur le logiciel standard étaient opérationnelles et que la société Ace ne l'a jamais informé avant la conclusion du contrat qu'elle avait un besoin spécifique, c'est pourquoi elle lui a ensuite proposé de souscrire à une offre complémentaire.

En application de l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contractée. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.

En application de ce texte, un simple mensonge, non appuyé d'actes extérieurs, peut constituer un dol. De même le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.

Selon l'article 1110 alinéa 1er du même code, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

En l'espèce, selon deux devis du 5 février 2015 acceptés le 9 février 2015, la société Ace a souscrit auprès de la société Ines un contrat d'abonnement aux services Ines Marketing Manager et Ines CRM Suite d'une durée de 24 mois pour 30 licences comportant les prestations suivantes':

- préparation du projet (analyse avant démarrage et préparation de la base de données),

- reprise et initialisation des données (intégration des données phase production, intégration des données phase test),

- développement et prestation spécifique,

- formation (Ines Contact Manager, Ines Sales, Ines customer service, Ines Marketing manager, exploitation des données,

- accompagnement,

- assistance fonctionnelle technique.

Il est constant que ces devis ont été établis aux vues d'un «'processus client'» élaboré par M. [C], salarié de la société Ace identifiant ses besoins s'agissant des prestations commandées puis transmis à la société Ines le 2 février 2015 et que l'accompagnement de la société Ace dans la mise en place de ce logiciel à été confié à la société Agi, partenaire de la société Ines, conformément à un dossier «'d'étude Intégration Ines'» signé le 13 février 2015 ayant pour objet de préparer le paramétrage des services en fonction des besoins exprimés par la société Ace.

Or, aucun de ces trois documents ne comporte de délai d'exécution du contrat et ne fixe de date butoir au mois de mai 2015 pour le déploiement du logiciel et l'exécution des formations, la mention d'un tel délai résultant des seules déclarations de l'appelante adressées à la société Ines le 29 juillet 2015 soit postérieurement à la résiliation unilatérale du contrat intervenue le 17 juin 2015 et à la contestation de cette résiliation par l'intimée le 20 juillet 2015.

De même, si les déclarations de la société Ines contenues dans le courriel d'envoi des devis le 5 février 2015, et formulées dans les termes suivants': «'afin de répondre à vos problématiques de temps, je vous confirme que notre partenaire Agi assurera la formation de la société Ace, et ce, avec des disponibilités dès la semaine prochaine'», traduisent une prise en compte de contraintes de temps exprimées par son cocontractant, elles ne font pas la preuve de l'existence d'un délai d'exécution contractuellement fixé au mois de mai 2015, ce que l'intimée conteste au demeurant fermement.

Elle ne démontre pas davantage qu'au mois de mai 2015 le contrat n'était pas exécuté, alors qu'à la date du 26 mars 2015, elle informait la société Ines des modifications et ajouts à prévoir ainsi que de quelques dysfonctionnements suite au démarrage des formations. Enfin, et en tout état de cause, la société Ace se borne à soutenir que le délai allégué n'a pas été respecté et qu'il était déterminant de son consentement, sans caractériser l'existence d'un mensonge, ou d'une man'uvre imputable à la société Ines. Au regard de l'ensemble de ces éléments le moyen tiré du non respect d'un délai d'exécution du contrat déterminant de son consentement, qui n'est pas de nature à caractériser un dol ne peut valablement prospérer.

Par ailleurs, ni les échanges de courriels entre les parties versés aux débats en pièce 16 concernant l'élaboration d'un devis par la société Ines pour le «'développement de 2 workflows dans Ines '», ni ceux du 17 mars 2015 versés au débat en pièce 17 relatant une discussion technique entre la société Agi et M. [C], salarié de la société Ace, au cours de laquelle ce dernier écrit «'5 h pour m'ajouter un champ perso en plus je vois par l'intérêt'», ni enfin le courriel du 26 mars 2015 versé en pièce 17 bis adressé par M.[C] à l'intimée listant des modifications et ajouts à prévoit ainsi que quelques dysfonctionnements par suite du démarrage des formations, dont aucun ne fait état de l'insuffisance de formation sur le nouveau logiciel, ne sont de nature à démontrer, comme le soutient à tort l'appelante, que le déploiement du logiciel n'était pas effectif à l'issu des huit jours de formation prévus au contrat et que cette durée de formation a été volontairement sous évalué par la société Ines.

Le courriel de la société Agi adressé à la société Ace, ainsi libellé «'non, on aura probablement pas le temps de tout voir, mais bon, il restera encore une journée complète, arrivé à ce point, il faut traiter par ordre de priorité'», outre qu'il s'inscrit dans le cadre d'une réponse à une demande qui n'est pas versée au débat, ne caractérise aucun mensonge de l'intimée quand au caractère suffisant de la durée de la formation.

De même, en l'absence de tout élément d'ordre technique, notamment de tout constat ou expertise mettant en évidence l'existence de dysfonctionnements, les quelques échanges de courriels entre les parties, correspondant à des extraits incomplets de conversations relatives à des ajustements et des questionnements sur certaines fonctionnalités ne sont pas de nature à établir la réalité d'une non conformité du logiciel proposé en termes de reporting, ni le caractère inexploitable de fonctionnalités basiques présentes de série sur «'la solution Ines'».

S'agissant du grief tenant au manquement de la société E-Deal venant aux droits de la société Ines à son obligation d'information relative à l'existence d'un problème de synchronisation des comptes de messagerie gratuits Google avec le logiciel, il est relevé que les salariés utilisateurs de ce logiciel ne disposent pas de ce type de compte de messagerie, comme en atteste la liste de leurs adresses emails reproduites dans le dossier d'étude Intégration, lequel stipule au demeurant que la société utilise la messagerie Google Apps, dont il n'est pas contesté qu'elle est parfaitement compatible avec le logiciel installé. Enfin, la société Ace affirme sans offre de preuve que l'utilisation du logiciel vendu nécessitait l'adjonction d'un autre logiciel supplémentaire «'My report Builder'» pour pouvoir atteindre les fonctionnalités exigées et exprimées.

Dans ces conditions, la société Ace qui ne démontre aucune erreur sur les prestations attendues ni aucune défaillance de la société E-Deal venant aux droits de la société Ines dans son devoir d'information et qui ne caractérise aucun mensonge ou manouvrières dolosives qui lui soit imputable, doit être déboutée de sa demande en nullité du contrat fondée sur le dol ou l'erreur.

Sur la demande de résolution du contrat'

Au soutien de sa demande subsidiaire de résolution du contrat, la société Ace se prévaut d'un défaut de délivrance conforme, opérationnelle et fonctionnelle de la «'solution Ines'» au motif que':

- la délivrance n'a pas eu lieu au temps convenu puisque elle avait donné comme date butoir le mois de mai 2015 pour que la solution soit complètement développée et opérationnelle ce qui n'a pas été le cas puisqu'elle a demandé la résiliation du contrat en juin 2015,

- à la date du 27 mars 2015 la solution n'était pas prête à être déployée et il restait 4 heures de formation,

- son courrier de résiliation comportant les griefs reprochés démontre le manquement à l'obligation de délivrance tout comme les courriers de réponses de la société Ines indiquant que la fonctionnalité ne peut pas être obtenue, soit qu'elle est en cours d'amélioration, soit qu'elle n'est disponible qu'en septembre ou nécessite un coût supplémentaire,

- les notifications aux supérieurs hiérarchiques et tiers sont inopérantes et le service «'tableau de bord'» est de ce fait inutilisable,

- la spécificité liée au cloisonnement des informations entre les services et entre utilisateurs pourtant spécifiée au cahier des charges n'est pas non plus effective et il existe une perte de donnée liée aux rendez-vous.

Enfin, elle fait grief à la société Ines de ne pas rapporter la preuve de ce que sa solution était satisfaisante et en quoi elle a remplie son obligation de délivrance conforme

La société E-Deal venant aux droits de la société Ines rappelle que les dispositions des articles 1124 et 1227 du code civil invoquées par l'appelante ne sont pas applicables au contrat signé avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des obligations.

Pour s'opposer à toute résiliation du contrat, elle expose que':

- la société Ace ne justifie d'aucune faute grave justifiant la résolution du contrat puisqu'elle se contente d'alléguer de l'inadéquation des services aux besoins exprimés dans le cahier des charges,

- aucune absence de délivrance conforme n'est démontrée puisqu'elle a bien exécuté les prestations désignées dans les devis,

- le contrat exclut sa responsabilité en cas d'éventuelle inadéquation des services «'Ines CRM'» aux besoins de la société Ace et il est admis que s'agissant d'une offre standard et mutualisée entre l'ensemble de ses clients, elle ne répond pas aux besoins spécifiques des clients sauf dans le cas ou ces besoins ont été communiqués en amont de la conclusion du contrat et ou elle aurait pris l'engagement de s'y conformer, ce qui n'est pas le cas.

- les autres griefs ne sont pas démontrés et n'ont jamais été invoqués avant la rupture du contrat qui reposait sur la seule prétendue inadéquation des services «'Ines CRM'» à ses besoins.

En application de l'article 1184 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas ou l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans le cas le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution peut être demandé en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En l'espèce, comme il a été précédemment démontré, aucun délai d'installation du logiciel n'ayant été contractuellement stipulé entre les parties, l'appelante est mal fondée à se prévaloir d'un défaut de délivrance conforme tenant au non respect du délai de mise en service de l'installation.

Cette dernière ne saurait davantage utilement soutenir que les griefs figurant dans son courrier de résiliation du contrat en date du 17 juin 2015 démontrent le manquement de l'intimée à son obligation de délivrance conforme, alors que ce courrier constitue une preuve à sois-même, dépourvue de ce fait de toute valeur probante. S'il est observé que dans courrier de réponse en date du 20 juillet 2015, l'intimée, après avoir fait état de la satisfaction générale exprimée par la société Ace quant à sa prestation, a formulé des préconisations nécessaires afin de répondre aux onze remarques émises par la cliente en terme de modifications ou d'améliorations de paramètres du logiciel, il n'est pas démontré que ces modifications et améliorations trouvent leur origine dans une inadéquation de ces paramètres par rapport aux stipulations du contrat, de sorte qu'elles ne caractérisent pas un défaut de délivrance conforme.

L'appelante affirme en outre sans toutefois d'offre de preuve que la fonctionnalité relative aux «'notifications aux supérieurs hiérarchiques et tiers'» est inopérante, que celle relative au service «'tableau de bord'» est de ce fait inutilisable, que la «'spécificité liée au cloisonnement des informations entre les services et entre utilisateurs'» pourtant spécifiée au cahier des charges n'est pas non plus effective et qu'il existe une perte de donnée liée aux rendez-vous.

Enfin, la société Ace, ne saurait, sauf à inverser la charge de la preuve faire grief à la société E-Deal venant aux droits de la société Ines de ne pas rapporter la preuve de ce que sa prestation était satisfaisante et de ne pas démontrer en quoi elle a rempli son obligation de délivrance conforme.

En considération de ces éléments, il convient de débouter la société Ace de sa demande de résolution du contrat.

Sur la demande en paiement de la société E-Deal venant aux droits de la société Ines

La société Ace estime que l'article 12 des conditions générales de vente du contrat qui déclare exigible les redevances restant à courir en cas de résiliation du contrat avant la fin de l'engagement contractuel constitue une clause pénale manifestement excessive dès lors que l'intimée n'a subi aucun préjudice et que les prestations réalisées ont été largement payées.

La société E-Deal venant aux droits de la société Ines soutient pour sa part que l'article 12 du contrat ne peut être requalifié en clause pénale car il n'a pas pour vocation de sanctionner l'inexécution par le client de ses obligations mais seulement de l'indemniser du préjudice qu'elle subit du fait de la résiliation du contrat par le client, en maintenant l'équilibre financier du contrat en cas de rupture anticipée.

Conformément à l'article 1152 du code civil, lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite.

En application de ces dispositions, constitue une clause pénale la clause d'un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée.

En l'espèce, l'article 12 des conditions générales d'abonnement aux services «'Ines'» souscrit par la société Ace stipule que «'lorsque le titulaire résilie avant la fin de la période d'engagement contractuel, et sauf le cas où il résilie à l'intérieur de cette période à la suite d'une modification à la hausse des tarifs applicables à la date de souscription de l'abonnement objet du présent contrat, les redevances d'abonnement restant à courir jusqu'à l'expiration de cette période deviennent exigibles immédiatement'».

Cette indemnité contractuelle de résiliation, qui ne représente que le prix de la faculté de résiliation unilatérale offerte au cocontractant n'a pas le caractère d'une clause pénale, de sorte que l'appelante n'est pas fondée à en demander la minoration. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Ace à payer à la société Ines aux droits de laquelle vient la société E-Deal la somme de 63.248,98 euros TTC au titre des redevances d'abonnement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant dans son action, la société Ace doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la société E-Deal venant aux droits de la société Ines une indemnité de procédure en première instance et à hauteur d'appel, ce qui conduit à la confirmation de la condamnation prononcée à ce titre par le tribunal de commerce et aux décisions précisées dans le dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré,

Ajoutant,

Condamne la société Ace à verser à la société Efficy France venant aux droits de la société Ines une indemnité de procédure de 4.000 euros, à hauteur d'appel,

Condamne la société Ace aux dépens d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/08200
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;19.08200 ?
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