La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | FRANCE | N°21/06064

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 01 décembre 2022, 21/06064


N° RG 21/06064 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYOR









Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 15 juillet 2021



RG : 2020f2272

ch n°





[Adresse 6]



C/



S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 01 Décembre 2022







APPELANT :



M. [M] [L]

né le [Date n

aissance 1] 1970 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représenté par Me Pierre-marie DURADE-REPLAT de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 794





INTIMEE :



SELARL ALLIANCE MJ représentée par maître [S] [T], venant aux droits de la SELAR...

N° RG 21/06064 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NYOR

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 15 juillet 2021

RG : 2020f2272

ch n°

[Adresse 6]

C/

S.E.L.A.R.L. ALLIANCE MJ

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 01 Décembre 2022

APPELANT :

M. [M] [L]

né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Pierre-marie DURADE-REPLAT de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 794

INTIMEE :

SELARL ALLIANCE MJ représentée par maître [S] [T], venant aux droits de la SELARL ALLIANCE MJ, suivant jugement du tribunal de commerce de LYON du 3 août 2021, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société A.T.S. B.E, désignée à ces fonctions suivant jugement de liquidation judiciaire du tribunal de commerce de LYON en date du 9 avril 2020.

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Aurélien BARRIE de la SELARL POLDER AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : T 1470

PARTIE INTERVENANTE :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

1 rue du Palais de Justice

69005 LYON

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 19 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 01 Décembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Aurore JULLIEN, conseillère

assistés pendant les débats de Tiffany JOUBARD, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 10 mars 2020, sur saisine du ministère public en date du 6 février 2020, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la Sarl ATSBE gérée par M. [L], la Selarl Alliance MJ représentée par Me [T] étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 9 avril 2020 cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la Selarl Alliance MJ représentée par Me [T] étant désignée aux fonctions de liquidateur judiciaire.

Par acte du 10 août 2020, la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ATSBE a assigné M. [M] [L] en sanction commerciale devant le tribunal de commerce de Lyon

Par jugement du 15 juillet 2021, le tribunal de commerce de Lyon a :

- prononcé à I'encontre de M. [L] I'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant une durée de 5 ans,

- ordonné I'exécution provisoire de la présente décision,

- rappelé qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, les condamnations prononcées sur le fondement du livre VI du code de commerce doivent faire I'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

- dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure.

M. [L] a interjeté appel par acte du 21 juillet 2021.

Par jugement du 3 août 2021, le tribunal de commerce de Lyon a transféré les mandats de la Selarl Alliance MJ au profit de la Selarl [S] [T].

Par acte du 28 octobre 2021, la Selarl [S] [T] venant aux droits de la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ATSBE, a assigné M. [L] devant le premier président afin d'obtenir la radiation de l'affaire faute d'exécution de la décision de première instance, M. [L] continuant d'exercer des fonctions de direction dans douze sociétés (gérant dans sept sociétés et président dans cinq sociétés). Elle s'est toutefois désistée de cette demande en raison de la justification par M. [L] de la radiation au Registre du Commerce et des Sociétés de ses inscriptions en qualité de dirigeant de ces sociétés, désistement qui a été constaté par l'ordonnance du premier président rendue le 7 février 2022.

* * *

Par conclusions du 7 octobre 2022 fondées sur les articles L. 653-5 et L. 653-8 du code de commerce, M. [L] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 5 ans,

statuant à nouveau,

- considérer qu'il n'a fait preuve d'aucune mauvaise foi dans sa coopération avec les organes de la procédure, ni d'abstention volontaire dans la transmission des éléments demandés par le mandataire judiciaire,

- rejeter purement et simplement toute sanction à son égard considération prise des difficultés de santé dont il fait état, de celles de son comptable, de l'état d'urgence sanitaire durant lequel les premières convocations du mandataire ont été envoyées,

- dans l'hypothèse où la décision serait infirmée, condamner la Selarl Alliance MJ à l'indemniser à hauteur de 10.000 euros, en réparation du préjudice subi du fait de l'acharnement procédural exercé à son encontre par le mandataire liquidateur,

- en tout état de cause, condamner la Selarl Alliance MJ à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

* * *

Par conclusions du 29 octobre 2021 fondées sur les articles L. 653-1 et suivants du code de commerce, la Selarl [S] [T] représentée par Me [T] venant aux droits de la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ATSBE demande à la cour de :

Sur la demande indemnitaire formée par l'appelant et in limine litis :

- juger que la cour d'appel de Lyon n'est pas compétente et ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur la demande indemnitaire de M. [L],

- juger que la demande indemnitaire de M. [L] est, en tout état de cause, irrecevable et mal fondée,

- juger que la demande de condamnation de la concluante à titre personnel à verser la somme de 8.000 euros à M. [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile est irrecevable,

en conséquence, in limine litis,

- se déclarer incompétente pour connaître de la demande indemnitaire formée par l'appelant,

- déclarer irrecevable la demande indemnitaire formée par M. [L],

- déclarer irrecevable la demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par M. [L],

Sur la confirmation du jugement entrepris et en tout état de cause :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de M. [L] pour une durée de cinq années,

- condamner M. [L] à lui payer ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ATSBE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [L] aux entiers dépens de l'instance.

Par observations du 3 juin 2022, le ministère public conclut à la confirmation de la décision déférée et s'en remet aux moyens exposés par le liquidateur.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 19 octobre 2022, les débats étant fixés au 20 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les fautes de nature à justifier une interdiction de gérer

L'interdiction de gérer est encourue du chef de trois cas précis énumérés au second alinéa de l'article L 653-8 du code de commerce, à savoir :

- le fait d'avoir omis, de mauvaise foi, de remettre aux organes de la procédure collective les renseignements prévus par l'article L 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture,

- le fait d'avoir sciemment manqué à l'obligation d'information prévue à l'article L 622-22,

- le fait d'avoir sciemment omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Elle peut en outre être prononcée par le tribunal à la place de la faillite personnelle.

Il convient de reprendre successivement chaque grief imputé au dirigeant par le liquidateur judiciaire.

S'agissant de la non coopération avec les organes de la procédure, l'article L 653-5 5° dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.

M. [L] fait valoir :

- que la sanction du dirigeant n'est possible que si trois conditions cumulatives sont réunies soit l'absence de coopération, le caractère volontaire de cette absence de coopération, l'entrave au bon déroulement, mais qu'en l'espèce au moins deux de ces conditions ne sont pas remplies,

- qu'ainsi, il n'a pas été directement informé de l'ouverture de la procédure collective de la société ATSBE et que l'accusé de réception du 11 mars 2020 ne suffit pas à démontrer que le courrier lui a été remis,

- que Mme [L] (sa soeur qui travaille avec lui) a transmis à plusieurs reprises informations et documents au liquidateur entre mai et août 2020, ce qui n'a pas empêché la délivrance de l'assignation en sanction en août 2020,

- qu'à compter de décembre 2020, son conseil a transmis documents et explications au liquidateur,

- que le manque de coopération avec les organes de la procédure n'est donc pas établi et qu'en outre la remise tardive des documents ne résulte en rien d'une volonté délibérée de ne pas coopérer, qu'il appartenait au liquidateur de prouver ce caractère intentionnel,

- que son manque de réactivité s'explique par les problèmes de santé connus par son comptable (arrêt maladie pour dépression courant 2020) et par lui-même (complications sévères de son diabète associé à une obésité, ayant nécessité des hospitalisations en février et août 2020) au moment où les demandes leur ont été adressées (courriers du liquidateur des 11 mars, 18 mars et 14 avril 2020),

- que les demandes du liquidateur ont en outre été formulées en plein début de confinement pour crise sanitaire et que le premier rendez-vous auquel il a été convoqué est le 16 mars 2020, veille du début du confinement national, qu'une relance lui a été adressée dès le 18 mars 2020 sans qu'une date butoir pour la remise des documents demandés ne soit fixée, que le troisième courrier est du 14 avril 2020, période à laquelle la population nationale était encore confinée et vivait dans la psychose de la contamination, craignant de se déplacer hors de chez soi,

- que le ministère public avait d'ailleurs reconnu dans ses réquisitions en chambre des sanctions que « la situation était issue d'une défaillance du dirigeant plutôt que de la malhonnêteté ».

En réponse, la Selarl [S] [T] ès-qualités soutient :

- que par courrier du 11 mars 2020, elle a fixé un rendez-vous à M. [L] pour le 16 mars suivant, courrier dont il a bien accusé réception, que le confinement n'était pas encore en vigueur le 16 mars ; qu'une nouvelle convocation lui a été adressée le 18 mars, et que la situation de confinement n'empêchait pas M. [L] de contacter le mandataire judiciaire, son étude étant restée joignable pendant le confinement,

- qu'à la suite de la conversion en liquidation judiciaire un nouveau courrier a été adressé le 14 avril 2020 à M. [L], resté également sans réponse, que ce n'est que le 25 mai 2020 que Mme [L] a contacté la Selarl Alliance MJ, sans toutefois lui fournir de documents, ces contacts ayant pour objet le rétablissement des lignes téléphoniques coupées, qu'en tout état de cause le dirigeant ne peut déléguer son obligation de coopérer à une tierce personne,

- qu'une demande a encore été adressée à M. [L] le 24 juin 2020 et que Mme [L] a adressé le 26 juin suivant les relevés bancaires et les statuts de la société, les autres documents attendus (comptabilité, liste des créanciers, registre d'AG) n'ayant jamais été fournis par la suite,

- que ce n'est que le 9 février 2021 soit onze mois après la première demande qu'une liasse fiscale (2019 uniquement) a été adressée au liquidateur,

- que M. [L] ne peut raisonnablement prétendre qu'il ne s'est pas volontairement abstenu de collaborer à la procédure et que s'agissant des problèmes de santé qu'il invoque, M. [L] ne produit pas les arrêts maladie de son comptable et n'était pas hospitalisé aux dates auxquelles les courriers lui ont été adressés.

Le mandataire justifie en pièce 17 de la convocation de M. [L] à son étude par courrier du 11 mars 2020 distribué le 13 mars pour le lundi 16 mars à 15 heures, veille du confinement.

Le mandataire a adressé ensuite du rendez-vous non honoré un courriel le 18 mars 2020 rappelant son courrier précédent et indiquant qu'il n'avait pas été procédé à la remise des documents obligatoires figurant sur la liste jointe, et faisant ensuite rappel des sanctions applicables. Le 14 avril 2020, il a demandé la production d'un certain nombre de documents listés.

Par mail du 25 mai 2020, Mme [E] [L] "responsable service administratif et financier" a demandé le rétablissement des lignes de téléphone mobile puis par mail du 22 juin 2020, elle a indiqué ne pas avoir oublié les documents demandés mais précisé que son comptable était en arrêt, que toutefois, elle s'engageait à fournir ceux auxquels elle pouvait accéder dès le lendemain.

Le 24 juin 2020, le mandataire a effectué un nouveau rappel en indiquant que le responsable n'avait pas répondu aux correspondances, que cette situation était inacceptable, rappelant l'existence de sanctions. Mme [E] [L] adressait deux pièces par courrier (relevés bancaires des douze derniers mois et statuts de la société).

En l'absence de production de la liste des créanciers, des registres d'assemblée générale et de la comptabilité, le mandataire a engagé l'action aux fins de sanctions commerciales, par acte du 10 août 2020, et après deux renvois, a été adressée la liasse fiscale du seul exercice 2019 au motifs d'un retour récent du comptable. D'autres éléments parcellaires ont été versés le 30 mars 2021.

M. [L] argue de problèmes de santé de son comptable en produisant l'attestation de la mère de ce dernier ainsi qu'un certificat médical illisible, ce qui n'établit pas une absence continue. Il justifie par ailleurs lui-même de problèmes médicaux découlant d'une affection de longue durée pour justifier qu'il ait manqué de réactivité, faisant notamment valoir des hospitalisations en février et août 2020. Toutefois, il résulte des mêmes correspondances de juin 2020 qu'il a été particulièrement réactif pour obtenir le rétablissement de lignes téléphoniques coupées par la société Orange, preuve qu'il était en capacité d'agir quand il y avait intérêt.

Il résulte de l'ensemble des éléments susvisés que s'il ne peut être reproché à M. [L], compte tenu de la brutalité de la survenance du confinement de mars 2020 et ses incidences immédiates sur la vie de chacun, de ne pas s'être rendu au premier rendez-vous donné par le mandataire, peu important que le confinement n'ait commencé dans sa rigueur que le lendemain 17 mars 2020, ce dirigeant pouvait par d'autres moyens de contacts non affectés par la période sanitaire (courrier, mails, communications téléphoniques) apporter des réponses aux attentes du mandataire, ce qu'il n'a pas fait.

Par ailleurs, le dirigeant ne peut se retrancher derrière les carences de son comptable pour se dégager de ses obligations personnelles en matière de procédure collective et notamment de son obligation à remettre les documents comptables indispensables au bon déroulement de la procédure tout comme il ne peut se prévaloir de l'envoi par une salariée de quelques documents très parcellaires.

M. [L] a donc totalement manqué à ses obligations, ne réagissant que dans le cadre de la procédure aux fins de sanction, ce qui faisait nécessairement obstacle au bon déroulement de la procédure collective, notamment quant à la la vérification du passif.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a constaté que les éléments indispensables au bon déroulement de la procédure collective n'avaient remis au mandataire par le dirigeant et le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu ce grief.

Sur l'absence de tenue de comptabilité

Le jugement n'apparaît pas avoir statué sur ce grief.

M. [L] expose que le liquidateur judiciaire soutenait dans son assignation qu'il aurait été à l'origine de la disparition des documents comptables et de l'absence de tenue d'une comptabilité mais que le tribunal n'a pas retenu ces arguments et qu'il n'y a pas lieu d'en faire état en appel, qu'il faut tenir compte de sa détresse médicale et morale au moment de la procédure collective, et du fait que les documents comptables demandés ont été communiqués, que la comptabilité n'a fait l'objet d'aucune contestation du liquidateur, ce qui montre qu'elle était régulièrement tenue.

En réponse, la Selarl [S] [T] soutient que la non remise de la comptabilité vaut présomption de non tenue de comptabilité régulière, justifiant une sanction, que cette solution s'impose lorsque la comptabilité n'est pas remise au mandataire en dépit de plusieurs mises en demeure, que M. [L] a remis les éléments comptables au liquidateur un an après qu'ils aient été réclamés par la Selarl Alliance MJ et qu'aucune comptabilité n'a été remise pour les exercices 2017 et 2020.

Aux termes de l'article L 653-5 6° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

Selon l'article 123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement. Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise. Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.

La non remise d'une comptabilité s'analyse en non tenue de comptabilité.

M. [L] a produit des éléments comptables en les transmettant par l'intermédiaire de son conseil au mandataire le 30 mars 2021.

Le mandataire fait néanmoins valoir l'absence de pièces comptables pour les exercices 2017 et 2020.

S'il n'est pas démontré que M. [L] a volontairement fait disparaître des documents comptables et s'il a, sans justifier toutefois de circonstances médicales l'ayant empêché de procéder à leur remise avant cette date, fini par produire des éléments comptables dans le cadre de la présente procédure, le dirigeant n'explique nullement pourquoi la comptabilité remise tardivement s'avère incomplète, se contentant d'invoquer une détresse médicale et morale en réponse qui ne le libère pas de son obligation.

Il convient en conséquence de retenir la production d'une comptabilité manifestement incomplète.

Sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours

Aux termes de l'article L 653-8 al 3 du code de commerce, l'interdiction de gérer peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Il résulte de ces dispositions que l'omission de la demande d'ouverture d'une procédure collective dans le délai de 45 jours de la cessation des paiements soit avoir eu lieu sciemment ce qui suppose que le dirigeant ne pouvait ignorer cet état.

M. [L] expose :

- que le jugement retient qu'il s'est sciemment abstenu de déclarer l'état de cessation des paiements dans les délais requis, sans démontrer le caractère délibéré de cette absence de déclaration alors qu'il s'agit d'une condition nécessaire en application de l'article L.653-8 alinéa 3 du code de commerce,

- que c'est de manière artificielle que le tribunal a fixé la date de cessation des paiement à la date de la décision du conseil des prud'hommes du 18 juillet 2019,

- qu'en effet, la non exécution par la société ATSBE de condamnations exécutoires ne signifie pas qu'elle était en état de cessation des paiements,

- qu'entre août 2019 et mars 2020 le passif de la société ne s'est nullement aggravé,

- qu'il n'a pas perçu de rémunération de la société ATSBE depuis le 1er janvier 2014 ce qui confirme encore qu'il n'a pas fait un usage dispendieux et intéressé des biens de la société,

- que la sanction prononcée à son égard est donc particulièrement sévère.

En réponse, la Selarl [S] [T] ès-qualités fait valoir :

- qu'aux termes de l'article L. 653-8 du code de commerce, la mesure d'interdiction de gérer peut être prononcée contre toute personne ayant sciemment omis de demander l'ouverture de la procédure collective dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements et qu'il suffit de démontrer que le dirigeant ne pouvait ignorer cet état,

- que le jugement d'ouverture du redressement judiciaire ayant fixé la cessation des paiements au 18 juillet 2019 n'a fait l'objet d'aucun recours et que cette date est donc définitive,

- que la procédure a été ouverte à la suite d'une requête du ministère public, alerté par un ancien salarié de la société qui ne parvenait pas à faire exécuter le jugement du conseil des prud'hommes rendu en sa faveur, que M. [L] avait parfaitement connaissance de l'état de cessation des paiements de sa société et a préféré transférer collaborateurs et dossiers vers d'autres structures qu'il gérait également.

Il est constant que le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 18 juillet 2019, sous 8 mois avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. A défaut de recours, la date arrêtée par le tribunal de commerce est définitive et M. [L] se prévaut en conséquence en vain de la faible motivation de la décision, d'une excessive sévérité et d'une remontée dans le temps artificielle.

La cessation des paiements n'a pas été déclarée par le dirigeant ; le tribunal de commerce a été saisi par le ministère public, alerté par un ex-salarié de la société qui ne pouvait faire exécuter la décision prud'homale rendue à son profit le 18 juillet 2019 (créance principale de 34.982,24 euros). Le conseil du salarié relatait au ministère public les démarches vaines de l'huissier chargé du recouvrement et l'organisation par la société débitrice de son insolvabilité du fait de la transmission aux autres sociétés du groupe des dossiers et collaborateurs.

M. [L] ne pouvait ignorer l'existence de cette dette restée impayée ni des tentatives de recouvrement et donc l'état de cessation des paiements, et comme il a été vu supra, il ne peut se retrancher derrière son état de santé pour justifier sa carence.

En conséquence, le grief est établi et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la non remise des documents prévus à l'article 622-26 du code de commerce au liquidateur

Le jugement n'apparaît pas répondre sur ce point.

Selon l'article L 653-8 alinéa du code de commerce, "l'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22".

Cet article prévoit que le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie.

M. [L] expose :

- que la sanction pour défaut de remise des documents est subordonnée à la mauvaise foi du dirigeant et au caractère volontaire de sa carence, qu'il appartient au liquidateur de prouver cette mauvaise foi et ce caractère délibéré, qu'en l'espèce il a été démontré qu'il n'y avait aucune mauvaise foi ni abstention délibérée,

- qu'en outre dans la plupart des cas d'interdiction de gérer, une infraction pénale (abus de biens sociaux, fraude fiscale, escroquerie) est reprochée au dirigeant ce qui n'est pas du tout le cas en l'espèce,

- que le courrier du liquidateur a été adressé dans un premier temps à une très ancienne adresse alors que la bonne adresse était aisée à trouver.

En réponse, la Selarl [S] [T] ès-qualités fait valoir que les documents doivent être remis au liquidateur dans le mois suivant le jugement d'ouverture, mais que des documents comptables n'ont été remis que plusieurs mois après en dépit des différentes demandes adressées à M. [L], qu'en revanche les documents prévus à l'article L 622-6 du code de commerce (listes des créanciers, des contrats et des instances en cours) n'ont jamais été adressés à la Selarl Alliance MJ ès-qualités.

Il n'est pas contesté qu'aucune liste des créanciers et du montant des dettes n'a été remise au mandataire dans le délai visé ci-dessus, que ces documents n'ont d'ailleurs jamais été adressés.

Il résulte des dispositions susvisées que l'obligation de remise repose sur le débiteur ; elle a en outre été rappelée par le mandataire sans provoquer de réaction. C'est donc de manière délibérée que le dirigeant n'a pas remis ces pièces indispensables au bon déroulement de la procédure et encore une fois, il ne peut se retrancher derrière ses problèmes de santé pour se dédouaner.

Cette faute est en conséquence retenue.

Sur la sanction applicable

Plusieurs fautes ont été retenues supra à l'encontre de M. [L].

Ce dernier indique toujours gérer plusieurs sociétés, ce qui pose question puisqu'il s'est déclaré incapable dans le présent litige à répondre à ses obligations en qualité de dirigeant.

Dans ce contexte, la sanction prononcée par le tribunal est adaptée et doit être confirmée.

Sur la demande indemnitaire de M. [L]

In limine litis, la Selarl [S] [T] ès-qualités soutient que la cour d'appel de Lyon est matériellement incompétente pour statuer dès lors que selon l'article R. 662-3 du code de commerce, les actions en responsabilité civile personnelle à l'encontre du liquidateur judiciaire sont de la compétence du tribunal judiciaire et non du tribunal de la procédure collective, que la demande est dirigée contre la Selarl Alliance MJ à titre personnel et non ès-qualités de liquidateur de la société ATSBE, que la cour d'appel est saisie d'un appel interjeté contre une décision du tribunal de la procédure collective et ne peut donc statuer qu'avec les seuls pouvoirs du tribunal de la procédure collective.

En réponse, M. [L] soutient que sa demande n'est pas formée au titre de la responsabilité civile professionnelle du liquidateur, mais au titre de la procédure abusive qu'il a engagée, qu'il appartient à toutes les juridictions, y compris celle des référés, de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif de l'une des parties.

Il résulte des conclusions de M. [L] que sa demande de dommages intérêts constitue, non une action en responsabilité civile personnelle du mandataire qui n'est pas attrait en la cause à ce titre mais une demande, classique, de dommages intérêts pour procédure abusive qui est recevable devant la présente juridiction en ce qu'elle est présentée à l'encontre du mandataire ès-qualités. La présente cour est en conséquence compétente pour en connaître de même qu'elle peut pour les mêmes motifs connaître de la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Toujours in limine litis, la Selarl [S] [T] ès-qualités soutient que la demande indemnitaire de M. [L] est irrecevable car nouvelle en cause d'appel et dirigée contre une personne qui n'est pas partie à la procédure, dès lors qu'en première instance, M. [L] n'a jamais sollicité l'indemnisation d'un préjudice quelconque, que la demande ne tend pas aux mêmes fins que les demandes initiales et a un fondement juridique différent, qu'elle est dirigée contre la Selarl Alliance MJ à titre personnel, qui n'est pas partie à la procédure, qu'il en va de même de la demande au titre des frais de procédure.

En réponse, M. [L] soutient que cette demande ne pouvait pas exister en première instance puisque le préjudice est précisément né de la décision des juges de première instance, qui a prononcé à son encontre une interdiction de gérer et que sa demande indemnitaire découle de la survenance d'un fait nouveau.

Il a déjà été répondu supra sur le fait que la demande n'est pas dirigée contre le mandataire non attrait à titre personnel à la procédure.

Il est constant ensuite que la demande de dommages intérêts n'a pas été formulée en première instance. Toutefois, tenant compte de la décision intervenue, cette demande est présentée en appel comme découlant de la procédure abusive maintenue en appel par le mandataire et n'apparaît pas comme une demande nouvelle irrecevable.

M. [L] se prévaut d'un acharnement procédural à son égard, dès lors qu'en raison de l'exécution provisoire, il s'est trouvé du jour au lendemain dans l'incapacité de gérer ses sociétés, qu'il a bien respecté cette interdiction de gérer, ce dont il a justifié au cours du référé devant le premier président, et qu'en cas d'infirmation, il aura respecté inutilement cette interdiction, que cette procédure lui cause un préjudice certain en ce qu'elle l'aura empêché de poursuivre normalement la conduite de ses affaires.

En réponse, la Selarl [S] [T] ès-qualités soutient que cette demande est infondée dès lors qu'une condamnation contre un liquidateur judiciaire ne peut être envisagée qu'en cas d'action manifestement irrecevable ou particulièrement mal fondée, que son action n'est ni abusive ni mal fondée, sa légitimité ayant été reconnue par les premiers juges, enfin que M. [L] ne respecte pas la mesure d'interdiction de gérer puisqu'il exerce encore la fonction de gérant dans sept sociétés et celle de président dans cinq sociétés.

Dans la mesure où la décision de première instance est confirmée dans son principe, la preuve d'un préjudice découlant d'un acharnement procédural du liquidateur ès-qualités n'est pas démontrée de sorte que l'appelant est débouté de cette prétention.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. [L]. En effet, s'agissant d'une sanction personnelle, le tribunal de commerce ne pouvait mettre ces dépens à la charge de la procédure collective de sorte que le jugement est réformé sur ce point.

M. [L] versera au mandataire ès-qualités la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que les dépens sont tirés en frais privilégiés de la procédure collective.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la demande de dommages intérêts de M. [L] est recevable en appel de même que sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute M. [M] [L] de sa demande en paiement de dommages intérêts.

Condamne M. [M] [L] à payer à la Selarl [S] [T] représentée par Me [T] venant aux droits de la Selarl Alliance MJ ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ATSBE la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne [M] [L] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/06064
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.06064 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award