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01/12/2022 | FRANCE | N°21/05823

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 01 décembre 2022, 21/05823


N° RG 21/05823 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NXZN









Décision du

Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE

Au fond

du 06 juillet 2021



RG : 2020f00814

ch n°





[L]



C/



LA PROCUREURE GENERALE

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRET DU 01 Décembre 2022







APPELANT :



M. [G] [L]

né le [Date naissance 2] 1974 à MAROC

[Adresse 3]

[Localité 6]



Représenté par Me Jérémy BENSAHKOUN, avocat au barreau de LYON, toque : 2339





INTIMEES :



Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]





S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE Es qualité d...

N° RG 21/05823 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NXZN

Décision du

Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE

Au fond

du 06 juillet 2021

RG : 2020f00814

ch n°

[L]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRET DU 01 Décembre 2022

APPELANT :

M. [G] [L]

né le [Date naissance 2] 1974 à MAROC

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représenté par Me Jérémy BENSAHKOUN, avocat au barreau de LYON, toque : 2339

INTIMEES :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 5]

S.E.L.A.R.L. MJ SYNERGIE Es qualité de Mandataire liquidateur de la société BATIMENT GROUPE CONSTRUCTION

[Adresse 7]

[Localité 4]

défaillante

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 13 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 01 Décembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Aurore JULLIEN, conseillère

assistés pendant les débats de Tiffany JOUBARD, greffière

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Par jugement du 15 novembre 2017, sur assignation préalable de l'Urssaf en date du 24 octobre 2017, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la Sasu Bâtiment Groupe Construction (ci-après "la société BGC") présidée par M. [L].

Par jugement du 13 décembre 2017 cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la Selarl MJ Synergie représentée par Me [T] étant désignée aux fonctions de liquidateur judiciaire.

Par requête du 25 mai 2020, réceptionnée au greffe le 26 mai 2020, le ministère public a saisi le président du tribunal de commerce de Saint-Etienne aux fins de voir prononcer une mesure de faillite personnelle pour une durée de 15 ans à l'encontre de M. [L].

Par jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Saint-Etienne a :

- prononcé une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans à l'encontre de M. [L],

- précisé que conformément aux dispositions de l'article L.653-2 du code de commerce, la faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante, et toute personne morale,

- dit que les publicités du présent jugement seront faites d'office par le greffier,

- dlt qu'en application des dispositions des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire,

- ordonné l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution.

M. [L] a interjeté appel par acte du 9 juillet 2021.

* * *

Par conclusions du 15 septembre 2021 fondées sur les articles 6, 7, 9, 14 et 16 du code de procédure civile et les articles L. 653-1, L..653-3, L.653-4 et L. 653-5 du code de commerce, M. [L] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé son appel à l'encontre du jugement déféré,

- réformer le jugement et statuant à nouveau,

in limine litis,

- constater que le tribunal de commerce de Saint-Etienne a méconnu les principes directeurs du procès, en violation notamment des articles 6, 7, 8, 9, 14 et 16 du code de procédure civile,

- constater que le tribunal de commerce de Saint-Etienne a fondé sa décision sur des faits qui ne sont pas dans les débats,

- constater que le tribunal de commerce de Saint-Etienne n'a pas respecté le principe du contradictoire,

- constater que le tribunal de commerce de Saint-Etienne a fait défaut au respect des droits de la défense, et au droit à un procès équitable,

en conséquence,

- prononcer la nullité du jugement déféré,

à titre principal,

- constater

- qu'il a tenu une comptabilité sincère, fidèle et complète de la société BGC, que la comptabilité a été communiqué au mandataire judiciaire et que la vérification fiscale a abouti à un crédit de Tva,

- qu'il n'a pas perçu de rémunération pour l'année 2015 et qu'il a perçu une rémunération raisonnable pour l'année 2016,

- qu'il n'a pas organisé de transfert de fonds au profit de la société ACR et que la société BGC a facturé 18.028,85 euros de prestation de service à la société ACR, qu'il n'a pas poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, en conséquence,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- rejeter l'ensemble des demandes et réquisitions du ministère public,

- juger qu'il n'y a pas lieu de prononcer une mesure de faillite personnelle à son encontre,

à titre subsidiaire,

- prononcer à son encontre une mesure d'interdiction de gérer pour une durée ramenée à de plus justes proportions.

* * *

Par conclusions du 4 octobre 2021, le ministère public demande à la cour de :

- à titre liminaire, considérer que les allégations de violation du principe du contradictoire sont dépourvues de tout sérieux,

- à titre principal, considérer que les fautes de gestion suivantes sont parfaitement caractérisées :

' celle consistant à s'être abstenu de coopérer avec les organes de la procédure et avoir ainsi fait obstacle à son bon déroulement,

' celle consistant à ne pas avoir respecté ses obligations comptables,

' celle consistant à avoir utilisé les biens ou le crédit de la personne morale dans son intérêt personnel et pour favoriser sa nouvelle société ACR créée afin de détourner le fonds de commerce de la société BGC,

' celle consistant à poursuivre abusivement une activité déficitaire dans son intérêt personnel.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 octobre 2022, les débats étant fixés au 20 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité du jugement

Il est rappelé qu'en vertu de l'article 6 du code de procédure civile, à l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder, que toutefois, selon l'article 7 du code de procédure civile, "Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat. Parmi les éléments du débat, le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions".

L'article 8 précise qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Les articles 14 et 16 du code de procédure civile rappellent le principe de la contradiction.

A titre liminaire, M. [L] demande à la cour de prononcer la nullité du jugement au motif que le tribunal a méconnu les principes directeurs du procès dès lors :

- qu'en vertu des articles 6, 7, 8, 9, 14 et 16 du code de procédure civile et 6 de la convention européenne des droits de l'homme, le juge peut tenir compte de faits non invoqués par les parties à condition de respecter l'objet du litige et le principe du contradictoire,

- qu'en l'espèce les motifs de sanction retenus par le tribunal sont basés sur des faits qui n'étaient pas dans le débat et n'ont pas été débattus par les parties,

- qu'ainsi le tribunal a motivé sa décision sur des éléments ne figurant pas aux débats tels que :

' s'agissant de la coopération du dirigeant avec les organes de la procédure : la liste des immobilisations, les véhicules et la liste des créanciers,

' s'agissant de la tenue de la comptabilité de la société BGC : la prétendue reconnaissance par M. [L] de l'absence de tenue de comptabilité durant l'exercice 2017,

' s'agissant de l'usage des biens contraire à l'intérêt de la société : le transfert de chantiers à la société ACR et la situation des véhicules de la société,

' s'agissant de la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire : la créance de la société Atlas de 57.135,43 euros et les prétendues dépenses de M. [L] alors que l'activité de la société était suspendue.

En réponse, le ministère public fait valoir que ce moyen est dépourvu de tout caractère sérieux dès lors :

- que la requête du parquet et le jugement du tribunal de commerce retiennent les quatre mêmes cas d'ouverture de sanction professionnelle,

- que le tribunal de commerce a enrichi son argumentation en se fondant sur des éléments exposés dans le rapport aux fins de sanction remis par le liquidateur judiciaire et ses pièces annexes,

- que tant la requête du parquet que l'ordonnance de fixation de l'audience du président du tribunal de commerce du 27 juillet 2020 visent explicitement ce rapport du liquidateur,

- que les griefs contenus dans ce rapport en sanction et ses pièces jointes ont donc bien été soumis au principe du contradictoire,

- que M. [L] a lui-même communiqué dans le cadre de l'instance d'appel certaines pièces jointes à ce rapport,

- que ces éléments ont donc été soumis à la libre discussion des parties.

S'agissant d'un moyen de nullité qui ne concerne pas l'acte introductif d'instance, il est rappelé de manière liminaire qu'en cas d'annulation de la décision du tribunal de commerce, la cour sera saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif.

Il résulte des éléments du dossier que dans sa requête initiale, le ministère public visait les quatre cas d'ouverture de sanction professionnelle suivants : l'absence de coopération avec les organes de la procédure, la non tenue d'une comptabilité conforme alors que les textes applicables lui en faisait l'obligation, le fait d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, le fait d'avoir poursuivi abusivement dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

Force est de constater que le tribunal de commerce a retenu les quatre mêmes cas d'ouverture de sanction professionnelle.

L'appelant affirme que les juges de première instance se sont fondés sur des griefs, moyens, explications et documents qui n'ont pas fait l'objet d'un débat contradictoire :

- pour le premier grief, alors qu'il était reproché l'absence de communication avec les organes de la procédure, soit l'absence par le gérant de remise de documents et de communication d'information concernant son activité, alors qu'il ne pouvait ignorer la procédure collective dès lors qu'il avait répondu au commissaire priseur concernant les actifs de la société et aux mises en demeure dans le cadre de la réclamation de la restitution des véhicules immatriculés au nom de l'entreprise, le tribunal de commerce a retenu qu'il avait fallu attendre juin 2019 pour la communication du détail des immobilisations et éléments comptables à disposition du cabinet d'expertise comptable et le sort des véhicules de l'entreprise et la non communication de la liste des créanciers,

- sur le second grief, alors qu'il était reproché la non communication au mandataire des éléments comptables nécessaires à sa mission en ne fournissant aucun élément comptable, malgré les demandes réitérées du mandataire, ce qui équivaut à une absence de comptabilité, et que la société a fait l'objet de redressements fiscaux pour les exercices 2014 à 2016 ce qui démontre le caractère infidèle de la comptabilité présentée à l'administration, le tribunal de commerce a retenu la reconnaissance par M. [L] de la non tenue de comptabilité pour l'exercice 2017 pendant plus de 11 mois,

- sur le troisième grief, alors qu'il était reproché la rémunération octroyée au gérant alors que la société souffrait de créances anciennes, des prélèvements personnels et des transferts de fonds au profit d'une nouvelle structure, dirigée par ses soins et vierge de toute créance, le tribunal de commerce a retenu outre la situation du compte courant et des prélèvements effectués par M. [L], le transfert de chantiers à la société ACR et la situation des véhicules de la société partis à la casse sans justificatifs (alors que le ministère public avait relevé qu'il avait été répondu au mandataire sur ce dernier point),

- sur le quatrième grief, alors qu'il était reproché la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une exploitation déficitaire, qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements, compte tenu du montant des prélèvements personnels au regard des créances non réglées accumulées, le tribunal de commerce a retenu l'état du passif au jour de l'ouverture, la créance de la société Atlas et les dépenses du gérant alors que l'activité de la société était suspendue.

Toutefois, il résulte des pièces du dossier que les faits retenus par le tribunal en sus de l'argumentation du ministère public de commerce étaient visés par les productions et notamment le rapport du mandataire et ses annexes ; que le second grief retenu par le tribunal n'est qu'une déduction des termes mêmes des conclusions de M. [L] faisant état de la tenue de la comptabilité jusqu'à fin 2016, peu important sa pertinence. Force est d'ailleurs de constater que l'appelant lui-même invoque des pièces annexes au rapport de Maître [T].

Il en ressort que le tribunal n'a pas outrepassé ses pouvoirs tenus de l'article 7 susvisé et n'a pas violé le principe du contradictoire, qu'il n'est justifié d'aucune atteinte à l'article 6 de la CEDH puisque les faits contenus dans les pièces régulièrement échangés pouvaient être débattus.

En conséquence, la cour rejette la demande de nullité du jugement.

Sur les cas de prononcé de la faillite personnelle

S'agissant de la coopération de M. [L] avec les organes de la procédure

Aux termes de l'article L 653-5 5° du code de commerce, est passible de faillite personnelle le dirigeant de droit d'une personne morale qui "en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement". Ce cas se rapporte à des faits postérieurs à la procédure d'ouverture.

M. [L] soutient :

- qu'il ne peut se voir reprocher de ne pas avoir coopéré alors qu'il s'est rendu au rendez-vous auquel il était convoqué lors de l'ouverture de la procédure, qu'il a répondu au commissaire-priseur dans le cadre de la réalisation de l'inventaire, qu'il s'est rendu le 15 mars 2018 chez le liquidateur pour la vérification du passif,

- qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir communiqué la liste des créanciers,

- que le mandataire judiciaire a lui-même noté dans son rapport de redressement judiciaire qu'il avait bien collaboré,

- que l'application de l'article L 653-5 5° du code de commerce doit en conséquence être écartée.

En réponse, le ministère public fait valoir que l'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure est caractérisée :

- par la non remise par le débiteur des documents sollicités lors des différents rendez-vous (aucune liste de créanciers n'a été remise au liquidateur judiciaire, aucun document comptable n'a été remis au mandataire judiciaire à la date d'ouverture du redressement et au liquidateur au moment de la conversion du redressement en liquidation judiciaire)

- et par la réponse tardive de M. [L] s'agissant du devenir des véhicules.

Il n'est pas contesté de manière liminaire que M. [L] est le gérant de droit de la société BGC.

Il est constant que M. [L] a répondu à certaines demandes du commissaire-priseur (procès-verbal de carence d'actif dressé le 8 mars 2008 sur la base des déclarations de M. [L]), qu'il s'est de même rendu au rendez-vous du 6 décembre 2017 après l'ouverture de la procédure, ce qui établit l'existence de certains actes de collaboration.

Toutefois, selon le rapport du mandataire non démenti par les pièces de l'appelant, il n'a jamais remis aucune liste de créanciers au liquidateur judiciaire en violation de l'article L 622-6 du code de commerce. De ce fait, le mandataire n'a pu communiquer le document dans le délai légal au greffe du tribunal de commerce (pièce 2 intimé, courrier au greffe), ce qui caractérise un acte d'obstruction au bon déroulement de la procédure.

Aucun document comptable n'a non plus été remis à l'ouverture de la procédure, de même lors de la conversion en liquidation judiciaire le 13 décembre 2017. Des documents ont été remis sur relance du mandataire directement auprès de l'expert-comptable (relance du 14 juin 2019 auprès de l'expert-comptable mentionnée dans le rapport et réponse de l'expert-comptable du 7 octobre 2017 remettant le bilan 2016 et certains éléments comptables). Il n'y a pas eu de remise de documents postérieurs au 31 décembre 2016 et il n'a pu être déterminé si des actifs étaient à réaliser en dehors de la créance du CICE 2016 qui a finalement pu être recouvrée après de nombreuses diligences du mandataire. Ceci caractérise également un obstacle au bon déroulement de la procédure.

Enfin, s'agissant des véhicules qui figuraient à l'actif de l'entreprise au 1er janvier 2017 alors qu'un procès-verbal de carence était dressé à la date du redressement judiciaire sans qu'un acte de cession d'actif ne soit justifié, le mandataire a déposé une plainte pour détournement d'actif et a été contraint d'engager des recherches administratives et M. [L] n'a répondu que postérieurement le 25 juillet 2019 en faisant état d'un véhicule à l'état d'épave et de deux autres remis à la casse sans en justifier nullement.

Ceci caractérise encore la carence du débiteur faisant l'obstacle au bon déroulement de la procédure.

C'est donc à juste titre que le tribunal de commerce a retenu à l'encontre de M. [L] ce cas de prononcé d'une faillite personnelle.

S'agissant de la tenue de la comptabilité de la société BGC

Selon l'article L 653-5 6° du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

M. [L] soutient :

- que l'article L. 653-5 6° du code de commerce vise des manoeuvres proactives de dissimulation des véritables comptes,

- qu'il n'a absolument pas reconnu ne pas avoir tenu de comptabilité pendant l'exercice 2017, qu'au contraire la comptabilité a bien été tenue mais que ce n'est qu'en raison de la date d'ouverture de la procédure collective (le 15 novembre 2017) que l'expert-comptable n'a pas été en mesure d'arrêter le bilan 2017.

En réponse, le ministère public fait valoir que la faute de gestion relative aux obligations comptables est également caractérisée dès lors :

- qu'aucun élément comptable n'a été établi au titre de l'année 2017,

- que M. [L] a exposé devant le tribunal que la société BGC n'avait pas été en mesure de payer son comptable sur les derniers mois de son activité, ce que curieusement il n e soutient plus devant la cour,

- qu'il ne prouve pas avoir transmis des éléments comptables de 2017 au cabinet d'expertise comptable,

- que le fait que l'expert-comptable n'ait pas arrêté le bilan 2017 n'exonère pas M. [L] de sa responsabilité,

- que des taxations ont été effectuées ce qui démontre l'absence de tenue régulière de comptabilité et le non respect des obligations légales fiscales et sociales,

- que la Caisse Congés Payés a cessé de garantir les congés payés des salariés de la société BGC en l'absence de déclaration sociale et de paiement des cotisations.

Il est constant que le dernier bilan remis est celui du 31 décembre 2016, demandé à l'expert-comptable et remis par ce dernier. Aucun élément comptable n'a été remis pour l'année 2017, ce qui ressort du rapport et M. [L] ne rapporte pas la preuve d'envoi de pièces comptables 2017. Ceci équivaut à une absence de comptabilité.

L'argumentation de M. [L] selon laquelle il aurait bien tenu sa comptabilité est démentie par l'absence de remise de pièces comptables et il ne peut se retrancher derrière le fait que redressement judiciaire est intervenu avant la fin de l'année 2017, soit avant la fin de l'exercice en cours pour justifier cette absence de toute pièce comptable.

Par ailleurs, M. [L] ne peut se libérer de son obligation à la tenue d'une comptabilité en faisant état de difficultés (difficultés financières) ou de carences de l'expert-comptable, ce qui ne l'exonère pas de sa propre obligation en tant que dirigeant de société de tenir une comptabilité complète et exacte et de produire les livres de comptes.

Ainsi que justement retenu par le ministère public, la société a fait l'objet de taxations forfaitaires ou taxations d'office, à des vérifications sur les exercices précédents et des propositions de rectification de TVA ou d'impôts, démontrant clairement l'absence de tenue régulière de comptabilité et de diligences. La Caisse des congés payés et intempéries a cessé de garantir les congés payés des salariés (courrier du 12 décembre 2017) à compter du 5 septembre 2016 en l'absence de déclaration sociale et de paiement des cotisations.

C'est donc également à juste titre que le tribunal de commerce a retenu l'existence d'une comptabilité complète et régulière sans que des manoeuvres de dissimulation des véritables comptes n'aient besoin d'être établies comme soutenu à tort par l'appelant.

S'agissant de l'usage des biens de la société BGC contre son intérêt

Selon l'article L 653-4 du code de commerce, la faillite peut être prononcée contre tout dirigeant qui a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement.

M. [L] soutient :

- que rien n'interdit au dirigeant de se verser une rémunération si elle n'est pas disproportionnée par rapport aux services rendus et aux ressources de la société,

- qu'il n'a pas perçu de résultat pour l'année 2015 et qu'il a perçu une rémunération de 61.824 euros et non de 99.775,05 euros pour l'année 2016, ce qui revient à une rémunération non excessive d'environ 30.000 euros par an,

- que le remboursement de son compte courant d'associé ne peut être regardé comme une rémunération,

- que le grief relatif au prétendu transfert d'activité au préjudice de la société BGC est infondé,

- qu'il a produit les justificatifs nécessaires quant à la situation des véhicules et a répondu aux questions des organes de la procédure.

En réponse, le ministère public fait valoir que la faute de gestion relative à l'usage des biens de la société BGC contraire à son intérêt est caractérisée dès lors :

- que sur l'exercice 2016, M. [L] a prélevé une somme de 99.774,96 euros et a procédé à une écriture de "salaires" de 50.000 euros sans justificatif légal de cette écriture,

- que sur l'exercice 2017, M. [L] a effectué des prélèvements personnels à hauteur de 53.290,65 euros alors que le compte courant ne s'élevait qu'à 894,04 euros au début de l'année,

- qu'entre 2015 et 2016 les dettes de la société se sont accrues, avec notamment une dette importante auprès des organismes fiscaux et sociaux,

- que M. [L] a privilégié son intérêt personnel, portant une grave atteinte à l'intérêt de la collectivité des créanciers,

- qu'en outre M. [L] a usé des biens de la société BGC pour favoriser une autre société lui appartenant, la Sasu ACR,

- qu'en effet il ressort des pièces versées aux débats que plusieurs virements bancaires ont été faits entre ces sociétés,

- qu'aucun actif corporel n'a pu être appréhendé, un procès-verbal de carence d'actif ayant été établi par le commissaire-priseur,

- que les 3 véhicules figurant à l'actif de la société ont été, aux dires de M. [L], mis à la casse ou à l'état d'épave dans un établissement "Coram",

- que l'activité de la société BGC s'est poursuivie jusqu'en octobre 2017 (chantiers à [Localité 8] et [Localité 9]) sans que le mandataire judiciaire puisse appréhender le bénéfice qui en a été tiré,

- qu'il est établi que M. [L] a détourné les moyens et la clientèle de la société BGC au profit de sa nouvelle société ACR.

Il résulte du rapport du mandataire et des pièces comptables que l'extrait de compte courant d'associé fait apparaître une somme totale de 99.775,05 euros prélevée sur ce compte sur l'exercice 2016 tandis que sur les neuf premiers mois de 2017, les prélèvements personnels de M. [L] se sont élevés à une somme cumulée de 53.290,65 euros.

Ainsi que justement relevé par le ministère public, le compte courant était créditeur au premier janvier 2016 mais que suite à des prélèvements importants de 49.105,96 euros, il est devenu débiteur à compter de septembre 2016. Il est d'autre part fait mention d'une écriture de salaires à hauteur de 50.000 euros sur le compte courant d'associé sans que la passation de cette écriture ne soit justifiée par le moindre élément .

Concernant l'année 2017, alors que le compte courant s'élevait à 894,04 euros en fin d'exercice précédent, M. [L] a effectué à nouveau des retraits importants à hauteur de 53.290,65 euros.

Parallèlement, sur ces périodes, des créances sont restées indues (créances fiscales, sociales, fournisseurs) à hauteur de 165.000 euros environ au 31 décembre 2016 et il en ressort que la trésorerie a été utilisée au bénéfice du gérant au préjudice de la collectivité des créanciers. Il n'importe pas à cet effet que M. [L] ne se soit pas versé de sommes en 2015, ce qui n'exonère pas de fautes commises les années suivantes.

Au regard de l'importance du passif, les versements susvisés sont ainsi disproportionnés à la situation de l'entreprise et M. [L] a fait passer son intérêt personnel avant celui de l'entreprise, portant préjudice à la communauté des créanciers qui auraient pu être désinteressés en l'absence de prélèvements excessifs.

Il est constant par ailleurs que M. [L] a créé une nouvelle société ACR, dont il est dirigeant et associé unique, six mois avant l'ouverture de la procédure collective de la société BGC, les activités des deux sociétés étant similaires, alors qu'il avait indiqué que ce mois-là, l'activité de la société BGC était suspendue en raison de sa trésorerie (ce qui n'est pas exact au vu des déclarations de créances, alors qu'aucun chiffre d'affaires n'apparaissait pour cette période).

Il ressort des relevés bancaires BRA deBGC entre mai et octobre 2017, des virements ont été opérés de compte bancaire de la société ACR à celui de la société BGC pour un montant de 18.028,85 euros en cinq virements.

Aucune opération économique entre les deux sociétés ne justifie ces flux financiers qui révèlent au contraire un transfert d'activité vers la nouvelle société au détriment des créanciers de la société BGC alors qu'aucun passif n'a été transféré. Il résulte de ce faisceau d'indices que M. [L] a donc manifestement privilégié sa nouvelle société, exempte de passif, au détriment de l'ancienne dont la situation était obérée et qui ne présentait plus aucun actif et notamment du matériel de chantier et les véhicules pour lesquels M. [L] n'a fourni aucun justificatif.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu ce troisième grief.

S'agissant de la poursuite abusive d'exploitation déficitaire dans un intérêt personnel

Selon l'article L 653-4 al 4 du code de commerce, est passible de faillite personnelle le dirigeant qui poursuit abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale.

M. [L] soutient :

- que la société BGC était en bonne santé jusqu'à l'apparition de difficultés en 2017 (dette Atlas en mars 2017) puisque sur les exercices 2015 et 2016, l'activité de la société BGC était in bonis,

- que la poursuite d'une activité déficitaire ne peut être sanctionnée que si elle a lieu dans un intérêt personnel et si elle se caractérise par le maintien d'une activité déficitaire sur plusieurs exercices, ce qui n'est pas du tout le cas en l'espèce, que la déclaration de créance de la société Atlas ne remet pas en cause les difficultés de trésorerie.

En réponse, le ministère public fait valoir que cette faute de gestion est là encore caractérisée dès lors :

- que le mandataire judiciaire a relevé l'existence de dettes dues depuis l'exercice 2015 notamment aux Finances Publiques (au titre de l'IS, de la Tva, de la CFE), à l'Urssaf et à la Trésorerie de Saint-Etienne,

- que l'ancienneté de ces dettes et leur importance démontrent que M. [L] a poursuivi une activité qu'il savait déficitaire,

- que contrairement à ce qu'affirme M. [L], les difficultés de la société n'ont pas pour origine le non paiement par la société Atlas d'une de ses factures, la liste des créanciers faisant apparaître que cette société était créancière de la société BGC à hauteur de 57.135,43 euros,

- que M. [L] a indiqué que l'activité de la société BGC avait été suspendue en mai 2017 en raison d'une trésorerie trop tendue et qu'il a pourtant poursuivi l'activité de celle-ci jusqu'en octobre 2017 (chantiers à [Localité 8] et [Localité 9]), comme le démontrent les déclarations de créances des sociétés Locadour et Locarhône,

- que M. [L] a eu un intérêt personnel à la poursuite de cette activité déficitaire puisque ses prélèvements personnels se sont élevés sur 2016 et 2017 à plus de 150.000 euros.

Il a été vu supra que M. [L] retirait des bénéfices financiers de la poursuite de son activité puisqu'il se reversait des montants élevés et qu'il favorisait une nouvelle société dont il était également le responsable, qu'il avait donc intérêt à cette poursuite d'activité.

Dans le même temps, la société faisait face à un endettement conséquent antérieur à 2016 que le gérant ne pouvait ignorer, avec des dettes sociales et fiscales, étant rappelé que la procédure a été engagée sur assignation de l'Urssaf.

M. [L] n'est donc pas fondé à invoquer la seule facture Atlas de 2017 (courriers de relance en juin et juillet 2017) pour prétendre ne subir que des difficultés de trésorerie récentes. Cette société figure en effet en qualité de créancier sur l'état des créances de la société pour une créance de plus de 57.000 euros. De même, il a été vu supra que la société BGC avait bien continué son activité malgré les explications contraires du gérant alors qu'un passif de plus de 150.000 euros existait au moment du jugement d'ouverture.

Le quatrième grief est en conséquence établi, confirmation intervient sur ce point.

Sur la sanction

A titre subsidiaire, M. [L] demande à la cour de ramener la sanction à de plus justes proportions, faisant valoir que la sanction prononcée est disproportionnée et injustifiée compte tenu notamment de sa participation à la procédure collective et de la fixation de la date de cessation des paiements au jour de l'ouverture de la procédure.

Il résulte des éléments vu supra que la société connaissait des dettes depuis l'exercice 2015, et qui existaient toujours au moment de l'ouverture de la procédure collective, que quatre cas de prononcé de faillite personnelle sont retenus en définitive à l'encontre du gérant.

Il ressort des éléments non contestés du dossier que M. [L] a, antérieurement à son activité au sein de la société BGC, exploité une société Bâtiment conseil construction, laquelle a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 20 février 2008 puis d'une clôture pour insuffisance d'actif le19 mai 2010 avec des actifs réalisés de 81.333,41 euros pour un passif vérifié de 639.952,26 euros, qu'il a de même exploité une Eurl Batim placée en liquidation judiciaire le 1er février 2012, qu'il a indiqué au mandataire disposer de mandats sociaux dont ceux d'une Sci et pour la société ACR immatriculée 6 mois avant la procédure de redressement judiciaire de la société BGC.

Il s'en déduit que malgré de sérieuses difficultés de gestion ayant déjà conduit à deux procédures collectives ayant laissé des créanciers impayés, M. [L], sans tirer de conséquences pertinentes et utiles de ses échecs successifs, persiste à gérer des sociétés qui se retrouvent en difficulté au détriment des créanciers tout en en créant parallèlement de nouvelles, exemptes de dettes.

Par ailleurs, l'insuffisance d'actif s'élève à la somme de 153.221,43 euros.

Il doit être tenu compte de tous ces éléments dans l'appréciation de la sanction.

Le tribunal de commerce a ainsi fait une juste appréciation de cette situation en prononçant une faillite personnelle de 10 ans et le jugement doit en conséquence être confirmé sur la sanction appliquée.

Sur les dépens

Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. [L]. En effet, s'agissant d'une sanction personnelle, ces dépens ne peuvent, comme indiqué à tort par le jugement, être à la charge de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déboute M. [G] [L] de sa demande de nullité du jugement.

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la charge des dépens.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne M. [G] [L] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 21/05823
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.05823 ?
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