La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | FRANCE | N°19/05459

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 01 décembre 2022, 19/05459


N° RG 19/05459

N° Portalis DBVX-V-B7D-MQTG









Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 15 juillet 2019



RG : 2016j1859







SAS COMPTOIR GENERAL DES MÉTAUX PRÉCIEUX (CGMP)



C/



[F]

SAS [W] DMP

S.A.S. DPD FRANCE

Compagnie d'assurances AXERIA IARD





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRÊT DU 01

DÉCEMBRE 2022







APPELANTE :



SAS COMPTOIR GENERAL DES MÉTAUX PRÉCIEUX (CGMP)

[Adresse 5]

[Localité 4]



Représentée par Me Sarah GELIN-CARRON, avocat au barreau de LYON, toque : 1508

Assistée de Me Yanick HOULE de la SELARL HOULE, avocat au bar...

N° RG 19/05459

N° Portalis DBVX-V-B7D-MQTG

Décision du

Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 15 juillet 2019

RG : 2016j1859

SAS COMPTOIR GENERAL DES MÉTAUX PRÉCIEUX (CGMP)

C/

[F]

SAS [W] DMP

S.A.S. DPD FRANCE

Compagnie d'assurances AXERIA IARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 01 DÉCEMBRE 2022

APPELANTE :

SAS COMPTOIR GENERAL DES MÉTAUX PRÉCIEUX (CGMP)

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Sarah GELIN-CARRON, avocat au barreau de LYON, toque : 1508

Assistée de Me Yanick HOULE de la SELARL HOULE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

M. [L] [E] [F] exploitant sous l'enseigne [F] TRANSPORTS

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Pierre-yves CERATO de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON, toque : 768

SAS [W] DMP

[Adresse 11]

[Localité 6]

Représentée par Me Marie-caroline BILLON-RENAUD de la SELARL RAMBAUD-BILLON-PARDI AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 742

S.A.S. DPD FRANCE

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547

Assistée de la SELARL DUPUY PEENE, avocat au barreau de TOULOUSE

Compagnie d'assurances AXERIA IARD 

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Jacques VITAL-DURAND de la SELARL VITAL-DURAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : T.1574

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 08 Juillet 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 Octobre 2022

Date de mise à disposition : 01 Décembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, président

- Raphaële FAIVRE, vice-président placé

- Marianne LA-MESTA, conseiller

assistés pendant les débats de Julien MIGNOT, greffier

A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Clémence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat du 2 mai 2016, la SAS Comptoir Général des Métaux Précieux (ci-après la société CGMP), assurée auprès de la SA Axeria Iard a confié à la SAS DPD France, commissionnaire de transport une prestation de transport portant sur un lingot d'or d'une valeur de 192.317 euros à destination de la SAS [W] DMP. La société DPD France a sous-traité cette prestation de livraison à M. [F], voiturier, exerçant sous l'enseigne [F] Transports.

Le 3 mai 2016, la société Laboratoires [W] en a accusé réception selon bordereau comportant la mention « un colis en bon état » et revêtu de la signature et le tampon humide de la société.

Le même jour, la société [W] DMP a adressé un courrier à la société CGMP ainsi libellé : « nous avons réceptionné ce matin un carton acheminé par le transporteur DPD, sous la référence 0313102281015 provenant de la société CGMP, qui nous envoie régulièrement de la marchandise. Après le départ du transporteur, nous avons constaté vers 10h une entaille sur toute la longueur du carton, et celui-ci s'est révélé vide. Nous avons aussitôt prévenu notre client CGMP ainsi que le transporteur DPD ».

Le 13 mai 2016, la société [W] DMP a adressé un courrier à la société DPD et à M. [F] ainsi libellé : « nous vous signalons avoir réceptionné le 3 mai 2016 dans la matinée un colis n°3102821015 envoyé par DPD sis [Adresse 3] et avoir trouvé celui-ci ouvert sur toute sa hauteur. Nous émettons des réserves concernant ce colis ».

La société CGMP a déclaré le vol aux services de police et le sinistre à la société Axeria Iard afin d'obtenir le remboursement des pertes survenues pendant le transport.

Par lettre du 4 octobre 2016, la société Axeria Iard a refusé sa garantie au motif que le colis a été réceptionné sans réserve par la société [W] DMP et que la garantie ne peut être mobilisée après réception du colis par le destinataire.

Après mise en demeure de la société [W] DMP de lui payer la somme de 192.317 euros, demeurée infructueuse, la société CGMP lui a fait délivrer assignation devant le tribunal de commerce de Lyon par acte d'huissier du 9 novembre 2016.

Par acte d'huissier du 5 décembre 2016, la société [W] DMP a appelé en garantie la société DPD France et son sous-traitant M. [F].

Par acte d'huissier du 4 janvier 2017, la société DPD France a fait délivrer assignation à M. [F], exerçant sous l'enseigne [F] Transports, devant le tribunal de commerce de Lyon.

Enfin, par acte du 10 octobre 2017, la société [W] DMP a fait délivrer une assignation en intervention à la société Axeria lARD.

Par jugement du 15 juillet 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :

ordonné la jonction des affaires enregistrées au rôle général sous les numéros 2016J1859, 2016J2032, 2017J84 et 2017J1666,

déclaré irrecevable l'action formée par la société CGMP,

condamné la société CGMP à payer à M. [F] la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral,

déclaré mal fondées les autres demandes formées par les parties et les en a déboutées respectivement,

condamné la société CGMP à payer :

à la société [W] DMP la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée du surplus de sa demande,

à la société Axeria IARD la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

à la société DPD France la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée du surplus de sa demande,

à M. [F] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société CGMP aux entiers dépens.

La société CGMP a interjeté appel par acte du 26 juillet 2019.

Par conclusions du 27 novembre 2019 fondées sur les articles 1134, 1147 et 1789 et suivants du code civil, la société CGMP demande à la cour de':

réformer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

statuant à nouveau,

à titre principal,

juger que la société Axeria Iard doit sa garantie en qualité d'assureur de biens de la société CGMP,

juger que la clause d'exclusion invoquée par la société Axeria Iard est inopposable et inapplicable,

en conséquence,

condamner la société Axeria Iard à lui payer la somme de 173.086 euros assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 juillet 2016,

subsidiairement,

juger que la société [W] DMP a engagé sa responsabilité à son égard en réceptionnant sans réserve un colis éventré,

juger que cette réception l'a privé d'une indemnisation par son assureur,

juger qu'elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer la société [W] DMP de sa responsabilité,

en conséquence,

condamner la société [W] DMP à lui payer la somme de 173.086 euros assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 juillet 2016,

très subsidiairement,

juger que la société [W] DMP ne justifie pas de l'absence de sa faute dans la perte du lingot reçu le 3 mai 2016,

juger que la société [W] DMP a manqué à ses obligation de garde de la chose, et, par la perte de celle-ci, engagé sa responsabilité à son égard,

en conséquence,

condamner la société [W] DMP à lui payer la somme de 192.317 euros assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 juillet 2016,

en tout état de cause,

débouter M. [F] de sa demande au titre d'un préjudice moral,

condamner toutes succombantes à lui payer la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner toutes succombantes aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Gelin-Carron, avocat.

Par conclusions du 19 décembre 2019 fondées sur les articles L.133-1 et suivants du code de commerce, l'article 1253-3 du code des transports et les dispositions du code de la sécurité intérieure, la société [W] DMP demande à la cour de':

à titre principal,

confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception des condamnations prononcées en faveur de M. [F],

subsidiairement,

statuer ce que de droit sur l'appeI interjeté par la société CGMP au titre de sa demande principale tendant à dire et juger que Axeria IARD doit la garantir,

déclarer mal fondée la société CGMP en son action à son encontre,

juger que Ie procès-verbal de constat d'huissier du 17, 18 et 22 août 2016 est entaché de nullité,

écarter par conséquent des débats le procès-verbal de constat du 17 août 2016,

lui donner acte de ce qu'elle conteste toute responsabilité au titre de Ia perte alléguée par Ia société CGMP,

juger que la société CGMP a engagé sa responsabilité entière et exclusive en expédiant des métaux précieux d'une valeur supérieure à 30.000 euros sans respecter les dispositions du code de la sécurité intérieure,

juger que le vol de la marchandise est intervenu avant remise à la société [W] DMP d'un carton vide dans les locaux de la société Laboratoires [W],

juger qu'il appartenait à la société CGMP de formuler des réserves par lettre recommandée avec accusé de réception au commissionnaire de transport et au transporteur,

débouter les sociétés CGMP, Axeria IARD, DPD France et M. [F] de toutes leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,

condamner la société CGMP en paiement d'une indemnité de 5.000 euros pour procédure abusive,

très subsidiairement,

la juger recevable et fondée à faire délivrer assignation en intervention et en garantie à l'encontre de la société DPD France et de Transports [F],

statuer ce que de droit sur les responsabilités des sociétés DPD France et Transports [F] à son égard,

condamner en tant que de besoin DPD France et Transports [F], in solidum ou l'un à défaut de l'autre, à la relever et garantir de toutes les condamnations éventuellement prononcées à son encontre en principal, intérêts, frais, dommages et intérêts et accessoires,

condamner la société CGMP et/ou Axeria IARD et/ou DPD France et/ou Transports [F], en tous les dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Rambaud, avocat et au paiement d'une indemnité de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 30 octobre 2019, la société DPD France demande à la cour de :

sur la forclusion :

débouter la société [W] DMP de sa demande de rejet des débats du constat d'huissier,

constater qu'aucune protestation motivée n'a été adressée au transporteur dans le délai de 3 jours de la livraison,

juger qu'en application de l'article L.133-3 al.1 du code de commerce, l'action est éteinte,

subsidiairement, sur la présomption de livraison conforme :

constater que le destinataire a pris livraison sans réserve,

juger que par application de l'article L.133-1 du code de commerce, il est présumé avoir reçu un colis en bon état,

très subsidiairement, sur l'existence d'une cause exonératoire :

constater que la société CGMP s'est abstenue de lui indiquer le contenu du colis litigieux.

constater que le colis litigieux, à supposer qu'il contienne un lingot, devait faire l'objet d'un transport spécial,

juger que par application de l'article R.613-30 du code de la sécurité intérieure, cette faute est exonératoire de la responsabilité du transporteur,

sur son absence,

constater qu'elle ignorait la nature et la valeur de la marchandise,

juger en conséquence qu'il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir répercuté ces informations ' qu'elle ignorait ' à son sous-traitant les transports [F],

à titre infiniment subsidiaire, sur les limitations d'indemnité,

juger qu'il convient de faire application du contrat type fonds et valeur,

juger que par application du contrat type général, l'indemnisation à la charge du transporteur ne saurait excéder 207 euros,

sur l'action récursoire à l'encontre des Transports [F],

condamner la société Transports [F], par application des dispositions de l'article L.133-1 du code de commerce, à la relever et garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

sur les plus amples demandes,

débouter M. [F] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral,

reconventionnellement,

condamner tout succombant au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner tout succombant aux entiers dépens.

Par conclusions du 30 octobre 2019 fondées sur l'article L.133-3 du code de commerce, M. [F] exploitant sous l'enseigne [F] Transports demande à la cour de :

le dire recevable et fondé en ses conclusions,

à titre principal,

confirmer le jugement déféré,

fixer toutefois son préjudice moral à la somme de 16.000 euros et condamner la société CGMP à lui payer la somme de 16 000 euros à ce titre,

à titre subsidiaire,

si par impossible la cour devait entrer en voie de condamnation à son encontre, limiter le quantum des condamnations à la somme de 207 euros,

si la cour devait estimer que la société CGMP ne saurait être condamnée à l'indemniser de son préjudice moral à hauteur de 16.000 euros, elle condamnera la société DPD France à l'indemniser de ce préjudice moral,

en tout état de cause,

condamner la partie succombant à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société [W] DMP et la société DPD France aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions du 29 octobre 2019 fondées sur l'article L.113-1 du code des assurances et l'article L.133-3 alinéa 1er du code de commerce, la société Axeria IARD demande à la cour de :

constatant que la livraison intervenue dans les locaux de la société Laboratoires [W] chargée de l'accueil des marchandises de la société [W] DMP, avec une réception sans réserve, ne permet pas de mettre en 'uvre la garantie expédition de l'assureur : le transfert de garde étant établi,

constatant en outre l'inadéquation du mode de transport et l'insuffisance du conditionnement d'un lingot d'or de 9 kilos par un simple carton usagé non protégé à l'intérieur, et sans déclaration de valeur,

juger que la garantie est contractuellement exclue dans cette hypothèse au regard d'un conditionnement manifestement défectueux et insuffisant,

constatant qu'aucune protestation motivée n'a été adressée au transporteur dans le délai de trois jours de la livraison,

dire l'action contre le transporteur éteinte et par voie de conséquence, l'action contre son assureur écartée,

débouter en conséquence la société CGMP de sa demande de garantie formée à son encontre et la mettre hors de cause,

confirmer purement et simplement la décision déférée, au besoin par substitution de motifs,

à titre très subsidiaire,

constater que les conditions particulières du contrat « Globale bijoutiers » souscrit par la société CGMP auprès d'elle prévoit en cas d'expédition, une franchise par sinistre de 10% du montant du sinistre, soit la somme de 19.231,70 euros, venant en déduction de toute condamnation éventuelle,

en tout état de cause,

condamner la société CGMP ou qui d'entre autre des parties il appartiendra à lui payer la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la société CGMP aux entiers dépens de première instance et de l'instance d'appel dont distraction au profit de la SELARL Vital-Durand et associés.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 juillet 2020, les débats étant fixés au 19 octobre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

Par ailleurs, s'il est formé appel de l'ensemble du jugement déféré, la cour rappelle que la décision de jonction est une simple mesure d'administration judiciaire, insusceptible de tout recours.

Sur la garantie de la société d'assurance Axeria

Au soutien de sa demande de garantie contre la société Axeria son assureur, la société CGMP fait valoir que le colis comportant un lingot d'or a disparu pendant le transport de sorte que la police s'applique conformément à la clause contractuelle qui stipule que «'la garantie est acquise depuis la remise aux services postaux ou transporteur jusqu'à la réception par le destinataire'», de sorte que la garantie est due pour tout sinistre survenant pendant le transport c'est à dire entre le moment de la remise au transporteur et celui de la réception par le destinataire. Elle ajoute que le fait qu'une réception formelle soit intervenue est sans incidence dès lors le contrat ne stipule aucune exclusion de garantie corrélative et soutient que les photos produites au débat démontrent que le sinistre est survenu pendant le transport. Elle estime en outre que le colis a été réceptionné par la société Laboratoires [W] et non par la société [W] DMP de sorte que la réception sans réserve faite par la première est inopérante, comme non faite au destinataire.

Elle soutient également que la garantie n'est pas conditionnée au recours à un transporteur de fonds. Elle conteste l'application de l'exclusion de garantie en cas de dommage imputable à un mauvais conditionnement ou a un emballage défectueux ou insuffisant, et affirme que le lingot d'or se trouvait dans une enveloppe bulle, placée dans un carton, lui même déposé dans un carton rembourré. Elle indique que la société Axeria a accepté de garantir des envois par messagerie dont il est d'usage qu'ils soient conditionnés dans des cartons. Elle ajoute que la clause d'exclusion est vague et donc non formelle et non limitée, de sorte qu'elle n'est pas valable. Elle estime qu'en tout état de cause, elle ne concerne que l'exclusion des biens insuffisamment protégés contre les chocs et non contre les vols, qu'aucune protection d'un colis postal ne permet d'éviter.

Pour dénier sa garantie, la société Axeria soutient que celle-ci est acquise jusqu'à la réception par le destinataire, et que le colis a bien été réceptionné par la société Laboratoires [W] pour la société [W] DMP, que la lettre de voiture a été signée sans réserve et qu'aucune réserve ultérieure n'a été formulée dans les trois jours. Elle ajoute que le courrier adressé le 13 mai soit 10 jours plus tard par l'expéditeur au transporteur ne mentionne nullement la perte de la marchandise ni une livraison à une mauvaise adresse. Elle soutient que les photos ne permettent pas de déterminer que le vol est survenu pendant le transport alors qu'il en a été accusé réception avec la mention «'bon état'» et sans réserves ultérieures dans le délai de l'article L.133-3 du code de commerce, de sorte que la réception étant intervenue, la garantie n'est pas susceptible d'être mobilisée

Elle reproche à l'appelante de se contredire alors que cette dernière soutient à titre principal qu'aucune réception n'est intervenue du fait de la réception du lingot dans les locaux de la société Laboratoires [W] et soutient à titre subsidiaire qu'aucune erreur n'est intervenue dès lors qu'il résulte du contrat d'huissier du 17 août 2016 et d'un courriel de la société [W] DMP du 25 janvier 2018 que la procédure de livraison mise en place dans la société prévoyait bien une livraison dans les locaux de la société Laboratoires [W].

Elle se prévaut par ailleurs d'une clause d'exclusion de garantie tenant à un mauvais conditionnement ou à un emballage défectueux ou insuffisant, alors que l'appelante admet elle-même ne pas avoir respecté les dispositions du décret du 1er octobre 2012 relatif au transport de fonds qui exige que le transport des marchandises d'une valeur supérieure à 30.000 euros soit réalisée en véhicule blindé, et ce pour des raisons économiques.

La société [W] DMP soutient que le vol est survenu au cours du transport faisant valoir que lorsqu'elle a récupéré le colis elle a constaté le vol, mais n'a pu formuler de réserves sur la lettre de voiture. Elle affirme que le vol n'a pas été commis dans ses locaux car il a été constaté alors qu'il se trouvait encore dans les locaux de la société Laboratoires [W].

Elle fait valoir que s'il a pu arriver que certains colis qui lui étaient destinés soient livrés par erreur ou par volonté du transporteur à la société Laboratoires [W], d'une part il ne pouvait s'agir que de colis sans valeur déclarée, d'autre part, elle n'a jamais donné mandat à la société Laboratoires [W] de réceptionner pour son compte les colis qui lui sont destinés et que cela ne signifie pas l'existence d'une convention ou d'un mandat spécifique, ni même l'existence d'un usage.

Elle se prévaut d'un rapport établi par M. [I], mandaté par son assureur, qui déclare qu'il est impossible que le livreur ne se soit pas aperçu en portant le colis que le poids initial n'était pas le poids réel. Elle indique que les images prises au centre de tri dans lequel le colis a transité laissent apparaître que celui-ci était déjà endommagé et qu'il était particulièrement léger, ce qu'à confirmé M. [F], le voiturier.

Elle affirme par ailleurs que la société Axeria ne peut se prévaloir d'une livraison auprès de la société Laboratoires [W], laquelle n'était pas le destinataire du colis, de sorte que la marchandise a été déposée chez un tiers, la tampon figurant sur la lettre de voiture étant celui de la société Laboratoires [W]. Elle conteste avoir donné mandat à cette dernière de réceptionner les colis et considère que le courrier qu'elle lui a adressé postérieurement au sinistre pour séparer à l'avenir les procédures ne démontre pas l'existence d'un tel mandat. Elle réfute l'existence d'un accueil unique pour les deux sociétés et soutient que le constat d'huissier du 17 août 2016 qui conclu en ce sens, est nul car l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Lyon désignant tout huissier pour réaliser ce constat, autorisait celui-ci a consigner les déclarations en s'abstenant de toutes interpellations autres que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission, laquelle était de récupérer les vidéos ce qui ne l'autorisait pas à questionner les personnels sur les conditions de livraison, de sorte qu'il a outrepassé sa mission.

M. [F] affirme quant à lui que les nombreux bordereaux de livraison versés au débat démontrent que depuis au moins l'année 2015, les colis à destination de la société [W] DMP sont toujours livrés à la société Laboratoires [W], de sorte que le colis a bien été livré au bon destinataire.

La société DPD soutient également que les livraisons des colis sans valeur déclarée s'effectuaient auprès de la société Laboratoires [W], qui était chargée de les réceptionner comme en atteste :

le constat d'huissier, lequel est valable dès lors qu'il ne fait pas état d'une interpellation des déclarants contraire aux termes de l'ordonnance, le panneau indiquant que l'accueil des livraisons s'effectue à 30 mètres, soit dans les locaux de la société Laboratoires [W] constitue un simple constat effectué par l'huissier,

les bons de livraison antérieurs qui mentionnent la société [W] DMP en qualité de destinataire et qui sont signés et revêtus du tampon humide de la société Laboratoires [W],

les déclarations de la société [W] DMP qui ne fait état d'aucun erreur de livraison, ni dans son courrier du 3 mai 2016, ni dans celui du 13 mai 2016,

le fait que la société [W] DMP a ensuite réorganisé ses modalités de livraison pour mettre fin à la réception des colis par la société Laboratoires [W] comme en atteste un courriel du 25 janvier 2018.

Conformément à l'article 1134 alinéa 1 ancien du code civil, applicable en la cause, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

En matière de contrat de transport terrestre l'acceptation de la livraison sans réserve par la signature du destinataire ou de son représentant sur le document de transport, met fin au contrat de transport. La livraison s'entend comme l'opération par laquelle le transporteur remet la marchandise à l'ayant droit qui l'accepte. La preuve de la livraison incombe au transporteur et résulte de la signature du destinataire sur le document de transport, accompagnée selon le cas de son nom ou du cachet de l'établissement. Le destinataire doit avoir manifesté son acceptation de la marchandise qui lui est présentée, en étant mis en mesure d'en vérifier l'état et, le cas échéant, d'assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée.

En l'espèce, l'article H des conditions générales du contrat d'assurance globale bijoutiers souscrit par la société CGMP auprès de la société Axeria stipule que « la garantie est acquise depuis la remise des expéditions aux services postaux (ou au transporteur) jusqu'à la réception par le destinataire (...) ». Le contrat comporte également une clause d'exclusion de garantie stipulant que « dans tous les cas demeurent exclus les dommages imputables à un mauvais conditionnement ou à un emballage défectueux ou insuffisant.»

Par ailleurs, il est constant que selon contrat du 2 mai 2016, la société CGMP a confié à la société DPD France, commissionnaire de transport une prestation de transport portant sur un lingot d'or d'une valeur de 192.317 euros à destination de la société [W] DMP, laquelle prestation de livraison à été sous-traitée à M. [F], voiturier, exerçant sous l'enseigne [F] Transports. Il est également constant que le 3 mai 2016, ce colis, dont il est admis par les parties qu'il n'a fait l'objet d'aucune déclaration de valeur, a été réceptionné selon bordereau portant la mention «'un colis en bon état'» et revêtu de la signature et du tampon humide de la société Laboratoires [W], sans qu'il soit allégué et à fortiori démontré par aucune des parties que l'agent d'accueil qui a réceptionné le colis n'a pas été en mesure d'en vérifier le contenu.

Si la société [W] DMP conteste l'existence d'un mandat donné à la société Laboratoires [W] de réceptionner ce colis, ses affirmations sont d'abord contredites par ses propres déclarations puisque dans deux courriers datés du 3 mai et du 13 mai 2016 adressés respectivement à la société CGMP d'une part et à la société DPD et à M. [F] d'autre part, elle fait état de sa réception du colis le 3 mai 2016, sans jamais faire mention de ce que le colis aurait été livré par erreur à un tiers.

De même, contrairement à ce que soutient encore la [W] DMP, la réception des colis par la société Laboratoires [W] ne résulte pas d'une erreur ou de la volonté du transporteur, mais bien des modalités d'organisation interne aux deux sociétés appartenant au même groupe, comme en atteste'le courriel adressé le 25 janvier 2018 à la société DPD et ainsi libellé': «'suite à une réorganisation interne effective à ce jour, merci de séparer nos livraisons de la façon suivante': [W] DMP': [Adresse 11]. Les laboratoires [W] (2 Espace Henry Vallée) ne feront plus de réception pour [W] DMP ([Adresse 11]). Merci de me confirmer ce changement dans vos bases de données)'».

Cette réception des colis par la société Laboratoires [W] pour le compte de la société [W] DMP est encore corroborée par':

les nombreux bordereaux de livraisons au titre des années 2015 et 2016 versés aux débats mentionnant la société [W] DMP en qualité de destinataire et revêtus de la signature et cachet de la société Laboratoires [W],

le procès-verbal dressé les 17, 18 et 22 août 2016 par Me [S], huissier de justice, constatant que l'accueil de la société [W] DMP se situe dans les locaux de la société Laboratoires [W] situés de l'autre côté de la rue à [Adresse 12] et consignant les déclarations de Mme [J] selon lesquelles les livraisons destinées à la société [W] DMP s'effectuent à cet accueil à l'exception des livraisons concernant des valeurs déclarées, étant relevé que ce constat qui se borne à consigner les déclarations des salariés présents sur place et dont rien ne permet d'établir qu'elles résultent d'une interpellation de ces derniers relativement aux modalités de réception du colis litigieux, n'est entaché d'aucune nullité.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que jusqu'au 25 janvier 2018, la société Laboratoires [W] était chargée de réceptionner, pour le compte de la société [W] DMP, les colis sans valeur déclarée, en un lieu d'accueil unique pour les deux sociétés, situé dans les locaux de la société Laboratoires [W], de sorte que le moyen tiré du défaut de livraison, du fait d'une livraison à un tiers, ne peut prospérer.

La société [W] DMP ne démontre pas davantage que le lingot d'or a été volé pendant le transport. En effet, le rapport du cabinet d'expertise [I], mandaté par l'assureur de la société [W] DMP, établit de manière non contradictoire et se bornant à affirmer d'une part que M. [F] a déclaré le colis comme étant «'très léger'» lorsqu'il l'a chargé dans son poids-lourd et d'autre part qu'il n'est «'pas possible que le livreur ne se soit pas aperçu, en le portant, que le poids initial n'était pas le poids réel'», sans assortir ces allégations de considérations factuelles, est dépourvu de valeur probante, étant également relevé que, contrairement à ce que soutient encore la société [W] DMP, les photocopies noirs et blancs de captures d'écrans des caméras d'un centre de tri de [Localité 13] montrant une chaîne de tri, et qui sont reproduites dans ledit rapport, ne laissent aucunement apparaître que le colis qui y figure, dont au surplus rien ne démontre qu'il s'agit du colis litigieux, serait endommagé.

Enfin quand bien même la possibilité d'une soustraction survenue dans les locaux de la société [W] DMP serait exclue du fait d'un constat de la disparition du lingot alors que le colis se trouvait encore dans les locaux d'accueil communs aux deux sociétés, ce qui résulte des seules déclarations de l'intimée, en tout état de cause une telle affirmation ne fait pas pour autant la preuve d'un vol du lingot durant le transport, alors que rien n'exclut une soustraction dans les locaux de la société Laboratoires [W], laquelle a accusé réception sans réserve du colis, sans qu'il ne soit jamais allégué qu'elle n'a pas été mise en mesure d'en vérifier le contenu.

En considération de l'ensemble de ces éléments, la société Axeria est bien fondée à refuser sa garantie à la société CGMP, alors que l'acceptation de la livraison sans réserve par la signature de la société Laboratoires [W], agissant pour le compte de la société [W] DMP, destinataire, apposée sur le document de transport, met fin au contrat de transport.

Sur la responsabilité de la société [W] DMP

Subsidiairement, la société CGMP soutient que la société Axeria a refusé sa garantie au motif qu'elle n'est acquise que jusqu'à la réception par le destinataire, de sorte que la société [W] DMP qui a accepté de recevoir le colis malgré les ouvertures sur le carton et de le réceptionner sans réserve est responsable de la perte de cette garantie, et qu'elle doit en conséquence l'indemniser à concurrence de la somme qu'elle aurait perçu de l'assureur.

Elle estime que cette dernière ne peut pas s'exonérer en se prévalant d'une erreur commise par le transporteur qui a livré le colis dans les locaux de la société Laboratoires [W], alors que le constat d'huissier du 17 août 2016 démontre que l'accueil de la société se fait dans les locaux de cette dernière et que ce constat n'est pas nul dès lors que l'huissier n'a pas interpellé les salariés mais exécuté sa mission en consignant les paroles prononcées et que cette livraison est conforme au protocole existant jusqu'à sa remise en cause selon courriel du 25 janvier 2018.

Elle considère que l'information donnée par la société [W] DMP quant à l'existence d'une entaille dans le carton n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité, alors que ce signalement a été tardif et qu'en tout état de cause la privation du bénéfice de la police d'assurance souscrire auprès de la société Axeria résulte de la réception, de sorte que l'existence de réserves postérieures est sans incidence sur la perte de la garantie. Elle affirme n'avoir commis aucune faute tenant aux modalités d'envoi du colis, alors qu'elle expédie des métaux précieux par messagerie à la société [W] depuis 1996, que cette dernière n'a jamais émis la moindre protestation ou réserve s'agissant de ce procédé qui constitue un usage dans ce secteur d'activité et qu'il lui appartenait de sensibiliser son personnel ainsi que celui de la société Labotatoires [W] auquel elle a fait seule le choix de confier la réception des colis contenant les métaux précieux.

Elle ajoute qu'en tout état de cause, si elle a commis une faute, celle-ci ne saurait être totalement exonératoire de la responsabilité de la société [W] DMP, laquelle cède seulement devant la force majeure, qui n'est pas caractérisée en l'espèce faute d'imprévisibilité, ce mode de transport étant pratiqué depuis 20 ans entre les parties et les dispositions du code de la sécurité intérieure relative au transport de fonds ne créant aucune obligation entre les parties. Elle considère que la société DPD est seule responsable du dommage pour avoir transporté les métaux en méconnaissance des règles qui régissent ce transport.

Elle se prévaut à titre subsidiaire d'un moyen tenant à la faute commise par la société [W] DMP qui en sa qualité de gardienne du colis était tenue d'une obligation de restitution.

Pour contester sa responsabilité, la société [W] DMP se prévaut d'une faute de la société CGMP tenant au défaut de respect de la législation du 1er octobre 2012 relative au transport de fonds. A ce titre, elle reproche au tribunal d'avoir dit l'action irrecevable alors qu'elle est en réalité non fondée. Elle estime que la faute de l'expéditeur l'exonère de toute responsabilité et soutient que l'appelante aurait dû l'informer de l'envoi du lingot, qu'elle aurait dû le confier à un transporteur de fonds. Elle affirme qu'elle ne pouvait se douter de l'importance du contenu du colis alors que la société CGMP a utilisé un carton ancien et usager et non un colis sécurisé, que si l'ordre de transport avait comporté une valeur la société Laboratoires [W] n'aurait pas accepté sa livraison et la procédure de réception mise en 'uvre chez [W] DMP aurait confirmé que le vol avait été commis au cours du transport . Elle conteste en outre avoir commis une faute et affirme que la société CGMP ne lui a jamais demandé son accord s'agissant de ce mode de livraison, de sorte qu'il ne peut pas lui être reproché de ne pas s'y être opposée. Elle affirme avoir ignoré que le colis serait livré auprès de la société Laboratoires [W] et qu'elle se serait opposée à cette procédure, utilisé par le transporteur par facilité. Elle considère qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir émis de réserve alors que le colis a été remis à la société Laboratoires [W], dont il n'est pas démontré qu'elle lui avait donné mandat de recevoir les métaux précieux et que lorsqu'elle a constaté l'entaille sur le carton elle a immédiatement informé l'expéditeur.

Elle estime en outre que l'appelante, qui a été informée dès le jour même de la disparition du lingot, pouvait parfaitement adresser une lettre de réserve au transporteur dès lors que la protestation motivées visée à l'article L.133-3 du code de commerce peut émaner du destinataire mais aussi de l'expéditeur.

Elle soutient que l'existence de réserves n'est pas nécessaire en cas de perte totale du bien et que l'article L 133-3 du code de commerce ne trouve pas application en cas de perte totale.

Elle estime ainsi que la société CGMP ne peut agir à son encontre sur le fondement d'une perte de chance dès lors que l'appelante est entièrement responsable des conditions de transport et qu'aucun des griefs qu'elle formule à son encontre n'est justifié. Elle ajoute que subsidiairement, il importe de rappeler qu'en matière de perte de chance, l'étendue de la réparation est obligatoirement inférieure à l'avantage qu'aurait procuré la chance perdue.

Selon l'article L.132-8 du code de commerce, le contrat de transport se forme entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier.

L'expéditeur, comme le destinataire, peuvent commettre des fautes susceptibles de porter atteinte à la bonne exécution du contrat de transport. Le donneur d'ordre, est débiteur d'une obligation d'emballage, d'étiquetage et de conditionnement. Il répond des conséquences de son caractère incomplet ou défectueux

Par ailleurs, il résulte des dispositions combinées des articles R613-24 et R613-30, du code de la sécurité intérieure, que les métaux précieux représentant une valeur d'au moins 30 000 euros sont transportés soit dans des véhicules blindés dans les conditions prévues au 1° de l'article R. 613-29, soit avec un équipage d'au moins deux personnes y compris le conducteur dans des véhicules banalisés dans les conditions prévues aux articles R. 613-39, R. 613-40 et R. 613-41.

Enfin, le préjudice de perte de chance s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. Elle doit être mesurée à la valeur de la chance perdue et ne peut être égale à la valeur de cette chance si elle s'était réalisée.

Il incombe à la victime de préciser à quel montant elle évalue ses différents préjudices, l'office du juge consistant alors à en apprécier le bien-fondé et à déterminer, par une appréciation souveraine, la fraction de ces préjudices correspondant à la « perte de chance » de les éviter si l'intimé n'avait pas commis de faute.

En l'espèce, la société [W] DMP, qui déclare être destinataire régulière de marchandises expédiées par la société CGMP qui lui confie depuis de nombreuses années l'affinage de ses métaux précieux, ne saurait utilement soutenir qu'elle ne pouvait se douter de l'importance du contenu du colis litigieux. Elle ne saurait davantage utilement soutenir avoir ignoré que ce colis serait livré au sein des locaux de la société Laboratoires [W] et qu'informée de sa valeur, celle-ci n'aurait pas accepté sa livraison et aurait recouru à la procédure de réception mise en 'uvre chez [W] DMP pour les colis de valeur, alors que l'existence d'une procédure de livraison sécurisée réservée aux colis de valeur et organisée dans les locaux de la société [W] DMP, ne résulte que des seules affirmations de cette dernière, non assortie d'une offre de preuve, lesquelles allégations sont au demeurant contredites par son courriel du 25 janvier 2018 adressé à la société DPD l'informant de la mise en place à compter de cette date d'une réception séparée des colis destinés à chacune des deux sociétés du groupe.

Or, il est désormais établit que le 3 mai 2016 la société [W] DMP a réceptionné par l'intermédiaire de la société Laboratoires [W], le colis litigieux, sans réserve, comme en atteste la mention « colis en bon état » figurant sur le bon de livraison, puis qu'elle a toutefois, dans un second temps, alerté l'expéditeur de la disparition du contenu du colis, comme en atteste son courrier du même jour, rédigé en ces termes : « nous avons réceptionné ce matin un carton acheminé par le transporteur DPD, sous la référence 0313102281015 provenant de la société CGMP, qui nous envoie régulièrement de la marchandise. Après le départ du transporteur, nous avons constaté vers 10 h une entaille sur toute la longueur du carton, et celui-ci s'est révélé vide ».

La société [W] DMP, qui soutient ainsi ne s'être aperçue de la disparition du colis qu'après le départ du transporteur et après en avoir accusé réception, affirme donc s'être abstenue de procéder à un contrôle de la marchandise dont elle n'ignorait pourtant pas la valeur, eu égard à la relation d'affaire ancienne la liant à la société CGMP consistant en l'affinage des métaux précieux de celle-ci, de sorte qu'elle a commis une négligence fautive. Par cette réception sans réserve, elle a mis fin au contrat de transport, privant ainsi l'appelante de sa garantie souscrite auprès de la société Axeria, de sorte qu'elle doit répondre des conséquences de sa négligence.

Le moyen tiré de ce que l'appelante, informée le même jour de la disparition du lingot pouvait émettre elle-même une lettre de réserve au transporteur n'est pas de nature à l'exonérer de sa responsabilité, alors que la société CGMP ne lui reproche pas une perte de la garantie due par le transporteur mais de l'avoir, par cette réception sans réserve, privée du bénéfice de la garantie de son assureur. De même, l'appelante soutient justement que le signalement effectué auprès d'elle postérieurement à la réception, n'exonère pas davantage l'intimée, alors que la privation du bénéfice de la police d'assurance résulte de la cessation du contrat de transport intervenue par la remise du bon de livraison mentionnant une réception sans réserve.

En revanche, comme le soutient justement la société [W] DMP, en expédiant sous colis « anonyme » par l'intermédiaire d'une société de messagerie, un lingot d'or d'une valeur supérieure à 30.000 euros, soit 192.317 euros, sans recourir à un transporteur de fonds, la société CGMP qui a ainsi agit en méconnaissance de la réglementation susvisée s'agissant du transport des métaux précieux, a commis une faute de négligence en s'abstenant de mettre en place les conditions d'un acheminement d'une marchandise de grande valeur selon des modalités de sécurité renforcées.

De même, en procédant à l'expédition dans un simple carton ordinaire d'un lingot d'or, fût-il placé dans une enveloppes bulles elle-même placée dans un carton, ce qui résulte des seules déclarations de l'appelante, la société CGMP, qui a omis de recourir à des modalités de conditionnement propres à garantir de la part de l'ensemble des intervenants de la chaîne d'acheminement une vigilance accrue rendue nécessaire par la valeur de la marchandise, a commis une négligence fautive, alors que l'emballage, obligation propre au donneur d'ordre, est la première des obligations matérielles de l'expéditeur préparatoires au transport, outre le conditionnement, et l'étiquetage de la marchandise.

Pour autant, s'il est incontestable que cette négligence a, à tout le moins facilité la soustraction du lingot, dont il n'est pas contesté par les parties qu'elle semble avoir été rendue possible par une simple entaille pratiquée dans le carton au moyen d'un cutter, cette faute n'a néanmoins pas concouru à la réalisation du dommage dont se prévaut l'appelante et résultant de l'impossibilité d'actionner la garantie « expédition » souscrite auprès de la société Axeria, en raison de la réception sans réserve de la marchandise par le destinataire qui a mis fin au contrat de transport et donc à la garantie de l'assureur.

En considération de ces éléments, la société CGMP est bien fondée à rechercher la responsabilité de la société [W] DMP afin d'obtenir réparation du préjudice que lui cause cette réception sans réserve et résultant de l'impossibilité de ce fait, d'actionner la police d'assurance.

L'intimée est toutefois bien fondée à soutenir que ce préjudice ne peut consister qu'en une perte de chance de bénéficier de la garantie de l'assureur, laquelle perte de chance nécessite pour la cour d'apprécier la probabilité de succès de l'action de la société CGMP contre la société Axeria si la société [W] DMP n'avait pas commis de faute, et ce en tenant compte de toutes les circonstances de la cause.

A ce titre, il convient de relever que seule la survenance d'un vol du lingot d'or pendant le transport est de nature à mobiliser la police souscrite auprès de la société Axeria. Or, cette dernière relève justement que les photographies versées au débat ne permettent pas d'établir que le vol est nécessairement survenu pendant le transport. En outre, la société [W] DMP, selon ses propres déclarations, n'a constaté l'ouverture pratiquée sur le carton et la disparition du lingot que dans un second temps, après que la personne chargée de l'accueil au sein des locaux de réception partagés entre les deux sociétés Laboratoires [W] et [W] DMP a accusé réception sans réserve du colis en bon état, et après le départ du transporteur, de sorte qu'il existe un aléa quant au moment de la survenance du volet sans que les éléments du dossier ne permettent de trancher avec certitude.

Par ailleurs, la société Axeria se prévaut d'une exclusion de garantie tenant à une clause du contrat d'assurance ainsi stipulée : « dans tous les cas demeurent exclus : les dommages imputables à un mauvais conditionnement ou à un emballage défectueux ou insuffisant (un constat d'état devant être enregistré lors de la remise du paquet à chaque opération et pouvant être justifié en cas de sinistre) » et argue de ce que l'absence de recours à un transporteur de fonds caractérise une inadéquation du mode de transport et une insuffisance du conditionnement constitué d'un simple carton non protégé à intérieur. Néanmoins, comme le soutient justement l'appelante, cette clause rédigée en terme vagues, sans précision quant aux caractéristiques que doivent présenter les emballages et les conditionnements, ne permet pas à l'assuré de connaître dans quelles cas et à quelles conditions il n'est pas garanti, étant observé qu'elle fait encore justement valoir que l'assureur a accepté de garantir des envois y compris par messagerie sans imposer de distinction entre les modes de transport selon la nature des marchandises. Enfin, il appartient à l'assureur de rapporter la preuve de l'exclusion de garantie tenant à un mauvais conditionnement, un emballage défectueux ou insuffisant, alors qu'en l'espèce, il se prévaut d'un bon de livraison mentionnant un colis en bon état.

Dès lors, compte tenu de ces éléments, la perte de chance de pouvoir bénéficier de la garantie souscrite auprès de la société Axeria ne saurait être évaluée à plus de 50 %, soit, après application non contestée de la franchise contractuelle de 10%, à la somme de 86.542 euros. Il convient donc de réformer le jugement déféré et de condamner la société [W] DMP à payer cette somme à la société CGMP, laquelle emporte intérêt au taux légal à compter de la présente décision avec capitalisation.

Sur l'appel en garantie de la société [W] DMP contre la société DPD et la société [F]

Pour s'opposer à l'appel en garantie dirigé contre eux, M. [F] et la société DPD soutiennent que l'action contre le transporteur est éteinte faute pour la société [W] DMP d'avoir respecté les exigences de l'article L.133-3 du code de commerce, puisque la réclamation leur a été envoyée le 13 mai 2016, soit 10 jours après la réception et qu'elle ne fait aucunement état de la disparition du lingot d'or mais seulement de ce qu'une ouverture a été constatée sur ce colis. Elles se prévalent également d'une présomption de livraison conforme, alors que le colis a été réceptionné sans réserve. La société DPD conteste toute erreur de livraison, alors qu'il résulte des nombreux bons de livraisons antérieurs, du courriel de réorganisation interne du 25 janvier 2018 des sociétés Laboratoires [W] et [W] DMP et du constat d'huissier des 17, 18 et 22 août 2016, que les livraisons s'effectuaient auprès de la société Laboratoires [W] au sein d'un lieu d'accueil unique pour les deux sociétés. Elle ajoute qu'elle ignorait la valeur de la marchandise transportée, de sorte qu'elle ne pouvait pas répercuter cette information, le seul fait que le contrat porte sur des métaux précieux ne laissant pas présager de leur valeur. M. [F] soutient en outre qu'il n'existe aucune perte totale de ma marchandise de nature à faire échec à la forclusion de l'action par application de l'article L 133-3 du code de commerce alors que le colis a été réceptionné.

La société [W] conteste toute forclusion de son action contre le voiturier et le commissionnaire de transport au motif que l'article L.133-3 précité ne trouve pas application, dès lors qu'il est exclut en cas de perte totale et qu'en l'espèce, la marchandise n'a pas été remise au destinataire. Elle ajoute que la livraison à un tiers s'analyse en un cas de perte totale de la marchandise. Elle fait grief à la société DPD d'avoir omis d'informer M. [F] de la nature de la marchandise et d'avoir, avec la société CGMP méconnu les prescriptions légales de transport, générant un défaut de sécurité qui a conduit à la réception du colis par la société Laboratoires [W] au lieu de la société [W] DPD.

En application de l'article L.133-3 alinéa 1 et 3 du code de commerce, la réception des objets transportés éteint toute action contre le voiturier pour avarie ou perte partielle si, dans les trois jours, non compris les jours fériés, qui suivent cette réception, le destinataire n'a pas notifié au voiturier, par acte extra-judiciaire ou par lettre recommandée, sa protestation motivée. Toutes stipulations contraires sont nulles et de nul effet.

Il résulte de ce texte que, même s'il a émis des réserves, le destinataire doit confirmer auprès du voiturier, selon les formes précisées, les dommages subis par les marchandises. À défaut, toute action en responsabilité contre le transporteur est simplement exclue, de quelque personne qu'elle émane, cette fin de non recevoir étant opposable à l'expéditeur comme au destinataire.

Cette fin de non recevoir profite au commissionnaire dans la mesure où, faute de protestation régulière formulée par le destinataire à la livraison, l'action en responsabilité contre le transporteur, se trouve elle-même éteinte.

L'application de ce texte est exclue en cas de perte totale de la marchandise. En revanche, il n'y a pas lieu d'exclure les dommages non apparents.

En l'espèce, la société [W] DMP qui a réceptionné sans réserve le colis ne peut se prévaloir d'une perte totale de la marchandise, alors que rien ne permet de dire si le lingot d'or se trouvait ou non dans le carton lors de cette réception sans réserve, de sorte que la société [W] DMP qui soutient avoir constaté l'absence du lingot postérieurement à la réception sans réserve, se prévaut d'un dommage non apparent, qui n'exclut pas l'application des dispositions précitées.

Or, la société [W] a adressé à la société DPD, commissionnaire et à M. [F], voiturier, le 13 mai 2016 un courrier ainsi libellée : « nous vous signalons avoir réceptionné le 3 mai 2016 dans la matinée un colis ref 3102821015 envoyé par DPD sis [Adresse 3] et avoir trouvé celui-ci ouvert sur toute sa hauteur. Nous émettons des réserves ». Il s'en suit que l'action de la société [W] DMP contre la société DPD et contre M. [F] est éteinte, cette correspondance leur ayant été adressée 10 jours après la réception sans réserve du colis intervenue le 3 mai 2016.

Sur la demande de M. [F] au titre de son préjudice moral

Au soutien de sa demande indemnitaire, M. [F] fait valoir qu'il a été particulièrement choqué d'avoir été suspecté de vol alors qu'il a travaillé en qualité de transporteur pendant 25 ans sans aucune difficulté, qu'il n'était pas informé du contenu du colis et que s'il l'avait su il n'aurait jamais accepté de transporter ce lingot sans mesures de sécurité adéquates. Il soutient ne jamais avoir caché son intention d'opérer une reconversion professionnelle et affirme que la réalité de son préjudice est attestée par le médecin psychiatre missionné par la caisse de sécurité sociale des indépendants.

La société CGMP soutient que le tribunal de commerce qui l'a condamné à indemniser M. [F] de son préjudice moral a statué ultra petita alors que ce dernier ne sollicitait que la seule condamnation de la société DPD. Elle ajoute qu'elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle n'entretient aucun lien avec M. [F] dont la réalité du préjudice n'est fondée que sur des allégations, la police n'ayant jamais soupçonné celui-ci d'être l'auteur du vol. Elle relève que l'arrêt de travail dont il est fait état est postérieur d'un an aux faits et que M. [F] qui a fait le choix d'une réorientation professionnelle ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de reprendre son activité de transporteur. La société DPD conclue au débouté de la demande indemnitaire formée contre elle.

En l'espèce, il ressort de la lecture du jugement déféré que M. [F] a sollicité en première instance la condamnation de la seule société DPD à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral, de sorte que les premiers juges qui ont condamné la société CGMP à lui payer cette somme ont statué ultra petita.

Par ailleurs, si M. [F] justifie d'un certificat établi par le docteur [K], médecin psychiatre attestant d'une réaction anxio-dépressive modérée à sévère mais particulièrement invalidante comme ayant entravé totalement sa capacité à exercer sa profession de transporteur, avant une réintégration restreinte dans ses fonctions le 16 mars 2018 et une démarche de réorientation professionnelle, il ne démontre aucune faute imputable à la société CGMP et à la société DPD à l'origine de son état de santé. En effet, ce constat médical, seule pièce versée au soutien de sa demande indemnitaire, hormis une convocation à participer aux opérations d'expertise des dommages consécutifs au vol du lingot d'or, qui fait état de relations compliquées avec la société DPD et d'une visite de la police au domicile familial suite au vol du lingot d'or, n'est pas de nature à démontrer une quelconque faute imputable à la société CGMP et à la société DPD à l'origine de son état de santé, étant relevé qu'il n'est pas démontré l'existence d'une mise en cause de M. [F] dans le cadre de l'enquête pénale consécutive au vol et que son arrêt de travail qui date du 27 novembre 2017 est intervenu 18 mois après les faits. Il convient donc de débouter M. [F] de sa demande indemnitaire.

Sur la demande de la société [W] DMP pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser à l'encontre de la société CGMP une faute de nature à faire dégénérer en abus, le droit d'agir en justice. Il n'est pas fait droit à la demande de dommages-intérêts formée à ce titre à son encontre par la société [W] DMP.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société [W] DMP, partie succombante doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés ce qui conduit à l'infirmation des condamnations prononcées à ce titre par le tribunal de commerce. En outre, les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile formées à hauteur d'appel par la société DPD, la société CGMP et M. [F] contre tout succombant constituent des demandes indéterminées, de sorte qu'elles doivent être rejetées. Enfin, l'équité commande de débouter la société [W] DMP et la société Axeria de leur demande au titre de l'article 700 en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute la société CGMP de sa demande de condamnation de la société Axeria à lui payer la somme de 173.086 euros, assortie des intérêts au taux légal capitalisés à compter du 6 juillet 2016,

Condamne la société [W] DMP à payer à la société CGMP la somme de 86.542 euros, outre intérêt au taux légal à compter de la présente décision avec capitalisation,

Déboute la société [W] DMP de son appel en garantie formé contre la société DPD et M. [F],

Déboute M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, formée contre la société CGMP et contre la société DPD,

Déboute la société [W] DMP de sa demande au titre de la procédure abusive,

Déboute l'ensemble des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel,

Condamne la société [W] DMP aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/05459
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;19.05459 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award