AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/04794 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPAV
[O]
C/
Société DERICHEBOURG PROPRETE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 20 Juin 2019
RG : 17/03736
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022
APPELANT :
[T] [O]
né le 08 Septembre 1978 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 8]
représenté par Me Mélanie CHABANOL de la SELARL CABINET MELANIE CHABANOL, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société DERICHEBOURG PROPRETE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Céline VIEU DEL-BOVE de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Septembre 2022
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 16 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Derichebourg Propreté exerce une activité spécialisée dans le nettoyage et l'entretien des établissements privés, publics, industriels et commerciaux.
Elle applique à ce titre les dispositions de la convention collective des entreprises de propreté.
M. [O] a été embauché par la société Derichebourg Propreté, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er septembre 2016, en qualité de chef d'agence, statut cadre, niveau 3 afin de diriger l'agence de [Localité 8].
M. [O] percevait au dernier état de la collaboration une rémunération mensuelle brute de 5 000 euros versée sur treize mois, outre une prime sur objectifs pouvant atteindre 2 mois de salaire de base sur 13 mois.
Courant avril 2017, la société Derichebourg a réorganisé sa région Grand Sud en quatre directions opérationnelles dont la direction Auvergne/Rhône-Alpes dirigée par [Y] [U] sous l'autorité de laquelle se trouve l'agence de [Localité 8].
Dans le même temps, la zone géographique de l'agence de [Localité 8] a été redéfinie par le transfert du département 42 vers l'agence de [Localité 6] et l'absorption des départements 38, 73 et 74.
Par courrier en date du 13 juin 2017, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 21 juin 2017.
M. [O] a été licencié pour faute grave par courrier en date du 28 juin 2017 libellé dans les termes suivants :
'Suite à l'entretien préalable du 21 juin 2017, auquel vous vous êtes présenté seul, nous vous informons de notre décision de vous licencier, en raison des faits suivants :
Les motifs venant à l'appui de cette convocation sont les suivants :
- Négligences graves.
Nous avons connu ces dernières semaines des événements particuliers sur l'agence dont vous avez la charge qui ont mis en exergue les graves lacunes et négligences dont vous avez fait preuve dans l'exercice de vos fonctions et dans le cadre de vos responsabilités.
A titre d'exemple et de manière non exhaustive voici quelques faits illustrant nos propos
Absence de suivi relation clients :
- Client [I] :
Absence de facturation de la prestation de nettoyage des chambres pour la Direction inter-régionale des services pénitentiaires de [Localité 8], ce qui démontre au-delà de l'impact financer pour votre agence votre méconnaissance du BPU.
Absence d'organisation du chantier et prestations spécifique et de vitrerie non planifiées depuis 6 mois.
Non mise en place des cahiers de liaison conformément au CCAP ayant eu pour conséquence une pénalité de 36.000 € sur laquelle vous vous êtes engagée à réaliser des prestations gratuites en guise de compensation mais dont l'impact financier reste identique.
- Client ARGENDIS :
Absence de suivi du client, problème d'organisation du chantier ayant eu pour conséquence un risque de résiliation et rupture de relation commerciale entre vous-même et notre client qui ne souhaitait plus vous avoir comme interlocuteur.
- Client DDT (Direction Départementale et territoriale de l'Ain) :
Vous avez pris l'engagement de mettre en place des fiches de poste pour respecter le CCAP, cela n'a jamais été réalisé, le client menaçait de mettre un terme au contrat.
- Client CHRONOPOST sites de [Localité 7] et St Exupéry :
Le démarrage de ce chantier n'a pas été organisé, le client a résilié le contrat courant mai après un mois et demi de prestation.
- Client IFSI (école d'infirmières de [Localité 4]) :
Mise en état annuel jamais réalisée alors que facturée et contractuelle ce qui a généré de un risque de résiliation de la part du client.
Management des équipes :
De graves dysfonctionnements dans le management de vos équipes se sont faits jours, turn-over important, démissions, salariés nous ayant fait par de leur souhait de quitter l'agence et ont de fait postulé sur d'autres postes en interne.
Il s'avère que votre mode de management n'a jamais reçu l'adhésion de votre équipe et que vous vous êtes isolés et que vous n'avez malgré nos alertes pas cru devoir modifier votre appréhension du sujet.
Le 23 mai 2017, alors que votre équipe inquiète de l'avenir de l'agence de [Localité 8] vous a sollicité pour une réunion avez-vous et aborder les dysfonctionnements de l'agence vous n'avez eu d'autre réaction que de solliciter un départ négocié et abandonner votre poste.
Abandon de poste :
Le 24 mai 2017, à 07h30, vous avez adressé un mail à M. [N] [F] et moi-même faisant part du mail reçu la veille de votre équipe et sollicitant une négociation pour un départ rapide de l'entreprise.
Vous avez alors quitté votre bureau emportant l'ensemble de vos effets personnels, ne laissant ainsi peu de doute sur vos intentions de retour, vous ne vous êtes pas présenté le lendemain et ce n'est, qu'à compter du 26 mai 2017 que votre arrêt de travail pour maladie nous a été transmis.
Un message automatique d'absence était mis en place par vos soins sur votre messagerie outlook dès le 24 mai 2017 au matin.
Attitude déloyale :
Ainsi vous avez choisi d'abandonner votre poste et de procéder à une forme de chantage quant à la négociation de votre départ, votre courrier daté du 12 juin adressé par mail et recommandé en est l'illustration. Vous tentez maladroitement de faire porter la responsabilité à l'entreprise d'une situation que vous avez-vous -même créée, cela ne peut être accepté.
Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Pour toutes ces raisons, compte-tenu de la situation et de votre positionnement, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, nous avons donc décidé de vous licencier pour faute grave.
Votre licenciement pour faute grave prend effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date de première présentation de la présente lettre sans indemnités de préavis ni de licenciement.
Vous trouverez ci-joint une lettre d'information concernant l'accord interprofessionnel du 11 janvier 2008, et son avenant du 18 mai 2009 concernant la portabilité des droits de prévoyance et de santé ainsi qu'un coupon réponse que vous devez nous retourner le plus rapidement possible et au plus tard sous 10 jours.
A l'issue de ces 10 jours, vous recevrez votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation PÔLE EMPLOI.
Nous vous libérons de l'application de toute clause de non concurrence, il vous est donc permis d'exercer toute activité de votre choix.
Nous vous demandons de conserver la plus stricte discrétion sur l'ensemble des activités, affaires, informations ou connaissances, quelle qu'en soit la nature, concernant DERICHEBOURG Propreté que vous avez pu recueillir en raison ou à l'occasion de vos fonctions au service de l'entreprise, Cette obligation de discrétion concerne également l'ensemble des documents que vous détiendriez ou avez été amenée à rédiger dans le cadre de vos fonctions au service de l'entreprise.
Cette obligation de discrétion concerne également l'ensemble des documents que vous détiendriez ou avez été amenée à rédiger dans le cadre de vos fonctions au service de l'entreprise.
Pour finir, vous voudrez bien à réception du présent courrier me contacter, afin d'organiser la restitution de l'ensemble des biens, matériels et documents qui vous ont été confiés par l'entreprise dans le cadre de votre activité professionnelle (notamment véhicule de fonction, papiers du véhicule, téléphone portable, ordinateur portable, carte Total, clefs, badges, ')'
Par requête en date du 23 novembre 2017 M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire et juger que la société Derichebourg Propreté ne lui a pas réglé ses heures supplémentaires, de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Derichebourg Propreté à lui verser diverses sommes à titre de rappels de salaire pour les années 2016 et 2017 et congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé, d'indemnité de préavis et congés payés afférents, et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 20 juin 2019, le conseil de prud'hommes, a :
- dit et jugé que les heures supplémentaires revendiquées par M. [O] ne sont pas dues ;
- dit et jugé que le licenciement notifié par lettre du 28 juin 2017 est fondé sur une faute grave
- débouté M. [O] de toutes ses demandes ;
- débouté les parties de leur demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens
M. [O] a interjeté appel de ce jugement, le 8 juillet 2019.
M. [O] demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris du 20 juin 2019 en qu'il :
a dit et jugé que les heures supplémentaires revendiquées n'étaient pas dues
a dit et jugé que le licenciement notifié par lettre du 28 juin 2017 était fondé sur une faute grave ;
l'a débouté de toutes ses demandes ;
l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant de nouveau,
- dire et juger qu'il n'a pas été réglé de ses heures supplémentaires,
- condamner la société Derichebourg Propreté à lui payer, outre intérêts de droit à compter de la demande :
18 301,04 euros au titre du rappel de salaire sur l'année 2016,
1 830,10 euros au titre des congés payés afférents,
19 567,72 euros au titre du rappel de salaire sur l'année 2017,
1 956,77 euros au titre des congés afférents,
30 600 euros au titre de l'indemnité forfaitaire nette de toutes charges pour travail dissimulé (article L8221-5 du code du travail)
- dire et juger que le licenciement notifié par lettre du 28 juin 2017 ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse,
- condamner en conséquence la société Derichebourg Propreté à lui verser les sommes suivantes
15 300 euros au titre de l'indemnité de préavis (3 mois)
1 530 euros au titre des congés payés afférents
30 600 euros, nets de toutes charges, correspondant à 6 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la société Derichebourg Propreté à lui verser la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Chabanol, avocat sur son affirmation de droit.
La société Derichebourg Propreté demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions
A titre subsidiaire :
- débouter M. [O] de ses demandes indemnitaires ;
A titre infiniment subsidiaire :
- constater que M. [O] ne justifie pas du préjudice qu'il prétend avoir subi et le débouter en conséquence, de ses demandes indemnitaires
En tout état de cause :
- le débouter de ses demandes de rappel de salaire de ce chef et des congés payés y afférents
- le débouter de sa demande indemnitaire au titre d'un prétendu travail dissimulé
- le débouter de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner M. [O] au paiement de la somme de 3 600,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner le même aux entiers dépens d'instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.
SUR CE :
- Sur le licenciement :
Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Derichebourg a licencié M. [O] pour faute grave en invoquant :
1°) une absence de suivi de la relation client en particulier auprès des clients du secteur privé, mais aussi de ceux du secteur public ;
2°) des carences managériales ;
3°) son abandon de poste les 24 et 25 mai 2017 ;
4°) une attitude déloyale.
La société Derichebourg souligne que les manquements de M. [O] à ses obligations professionnelles les plus élémentaires, ainsi que les motifs ayant justifié son licenciement, doivent être appréciés au regard de ses responsabilités, de sa position hiérarchique, mais aussi au regard des conséquences préjudiciables de ses manquements professionnels, dans un contexte de transition structurelle pour laquelle la société devait pouvoir compter sur l'entière coopération de ses chefs d'agence.
Sur le premier grief, la société Derichebourg fait valoir des défaillances stigmatisées avec les clients Argedis ( refus de traiter avec M. [O] ), IFSI ( défaut de mise en état annuelle), Radiance ( réclamations relatives à la non exécution des prestations contractuelles), pour le secteur privé; pour le secteur public, la société Derichebourg mentionne des manquements à l'égard des clients suivants :
- Direction Départementale et Territoriale de l'Ain ( défaut de mise en place des fiches de poste conformes au cahier des clauses administratives particulières),
- Secrétariat Général aux Affaires Régionales d'Auvergne Rhône-Alpes ( retards dans l'exécution du cahier des clauses administratives particulières, défaut de réalisation de prestations spécifiques et de vitrerie notamment)
- Direction Régionale des Finances Publiques ( manquements ayant entraîné l'application d'une pénalité contractuelle de 36 250 euros et la ratification d'un protocole d'accord transactionnel).
M. [O] conteste la réalité de certains manquements et soutient que d'autres ne lui sont pas imputables.
Ainsi, il expose que contrairement à ce qui lui est reproché :
- il a bien adressé les fiches de poste querellées au responsable d'exploitation en charge du client DDT de l'Ain, M. [V] ;
- il a adressé trois factures, le 10 avril 2017 au client [I] ;
- il ne pouvait procéder à la mise en état annuelle auprès du client IFSI ( école d'infirmières de [Localité 4]) dés lors que cette mise en état s'effectuait chaque été et que son licenciement est intervenu avant l'échéance annuelle.
M. [O] indique en outre :
- que le site du client Argedis rencontrait des difficultés pour fidéliser ses salariés bien avant son arrivée ; que la société Derichebourg avait d'ailleurs diligenté une procédure disciplinaire contre le chef d'équipe de ce site; qu'il a tout mis en oeuvre pour conserver ce client.
2°) sur les carences managériales, la société Derichebourg expose qu'elle a été alertée par un turn-over important, des démissions ou encore la démarche de Mme [S], assistante de l'agence de [Localité 8], auprès de M. [O] par un courrier électronique du 23 mai 2017, pour déplorer un déficit de communication au sein de l'agence.
M. [O] indique qu'il a pris ses fonctions dans un contexte de turn-over important ; qu'il s'est vu confier la responsabilité d'une équipe d'agents de maîtrise peu expérimentée ; que les changements fragilisaient nécessairement les équipes et mettaient en péril la fidélisation des clients de l'agence ; qu'à la suite de la démarche de Mme [S], au nom des salariés de l'agence, il a dénoncé l'absence de soutien de sa hiérarchie et la remise en cause systématique de son management par son directeur opérationnel M. [U] lequel continuait à voir ses clients et à traiter directement avec ses subordonnés sans l'en aviser.
M. [O] conteste tout manquement à ses obligations contractuelles et fait valoir au contraire que l'agence de [Localité 8] a connu une augmentation de son chiffre d'affaires de + 51% durant les neuf mois de sa collaboration, alors qu'à sa prise de fonction en septembre 2016, le chiffre d'affaires mensuel de l'agence de [Localité 8] s'élevait à 600 KE et que son résultat net était déficitaire, étant précisé que ces chiffres n'intégraient pas encore les deux nouveaux départements qui lui étaient confiés à l'issue de la réorganisation.
3°) La société Derichebourg fait également grief à M. [O] de s'être présenté sur son lieu de travail le 24 mai 2017, au lendemain de la demande de dialogue de son équipe, d'avoir vidé son bureau en emportant ses effets personnels et d'avoir laissé un message automatique d'absence sur sa messagerie Outlook n'évoquant aucune date de retour.
M. [O] conteste cette version des faits et soutient qu'il s'est présenté à son bureau le 24 mai 2017 à 6H30, que victime d'une crise aiguë en lien avec une intervention chirurgicale programmée le 6 juin 2017, il a consulté son médecin traitant à la première date utile soit le 26 mai, consultation à l'issue de laquelle il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 9 juin 2017. Son arrêt de travail a ensuite été prolongé jusqu'au 24 juin 2017.
M. [O] ajoute que la société Derichebourg n'a subi aucun préjudice du fait de cette absence; qu'elle n'a au demeurant pas cherché à prendre des nouvelles de son salarié à la suite de ce qu'elle qualifie d'abandon de poste; que son absence d'une journée n'est pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis, et qu'elle ne constitue ni une faute grave, ni un abandon de poste puisque cette absence a fait l'objet d'un arrêt de travail.
4°) La société Derichebourg expose que le comportement déloyal de M. [O] résulte de ce que, parallèlement à son abandon de poste, il a adressé un courrier électronique à M. [F], directeur de la région Grand Sud afin de solliciter son départ immédiat dans le cadre d'une rupture négociée, demande qu'il a renouvelée le 12 juin 2016 par courrier électronique doublé d'un courrier recommandé.
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Il ressort des éléments factuels du dossier que l'absence de suivi de la relation clients est illustrée par quelques échanges de courriels, un courrier de relance de la société Radiance du 20 avril 2017 relatif à un défaut de livraison de papier toilettes et de savon pendant plusieurs mois, un protocole transactionnel signé entre la Direction Régionale des Finances Publiques et la société Derichebourg relatif au défaut de remise, à la date du 28 février 2017, des dossiers d'exploitation des 29 sites de la DRFIP Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône et à la volonté de la DRFIP d'appliquer les pénalités de retard conformément au cahier des clauses administratives particulières, soit en l'espèce la somme de 36250 euros HT.
Si ces éléments objectivent des défaillances dans l'exécution des prestations contractuelles, lesquelles sont imputables au chef d'agence qui est garant de leur bonne exécution, force est de constater que la société Derichebourg ne démontre pas que ces défaillances résultent d'un agissement volontaire ou d'une mauvaise volonté caractérisée du salarié. La mauvaise qualité du suivi de la clientèle peut caractériser une insuffisance professionnelle, mais ces faits ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d'une faute et il appartient à l'employeur qui s'est placé sur un terrain disciplinaire d'établir la faute grave qu'il a retenue à l'appui du licenciement.
En ce qui concerne les carences managériales, la société Derichebourg invoque pour l'essentiel la demande de rendez-vous urgente adressée le 23 mai 2017 à M. [U] et à M. [O] par Mme [S] afin de 'connaître l'organisation interne de l'agence de [Localité 8]'. Ce courriel est rédigé comme suit :
' Toute l'équipe ( [R] [X], [G] [E], [A] [S], [D] [B], [L] [K]) avons décidé de vous demander un rendez-vous officiel urgent pour connaître l'organisation interne de l'agence de [Localité 8].
En effet, aujourd'hui, nous nous posons beaucoup de questions quant à l'avenir de cette agence.
Avec le départ éventuel de [R] [X] au 6/06/17, la prise de nouveaux marchés importants, le manque de recrutement fiable ce qui entraîne un manque de personnel, notre motivation s'émousse de plus en plus.
Nous n'avons aucune communication de la part de nos responsables.
Notre avenir est-il encore à DERICHEBOURG''' Nous nous posons vraiment la question. (...)'
Ce courriel a été immédiatement suivi par celui de M. [O] du 24 mai 2017 sollicitant un départ négocié après avoir tiré les conséquences de la situation soit :
- une agence aux équipes jeunes et impatientes,
- des ingérences de sa hiérarchie dans son mode de fonctionnement et dans son management, dont la conséquence est un rejet larvé de son autorité ;
- l'absence de soutien de sa hiérarchie.
M. [O] concluait ledit courriel par les termes suivants :
' Je tire toutes les conséquences de la situation et de mon échec à nager à contre-courant dans cette situation et vous demande de valider un départ négocié très rapide.
La situation est intenable pour moi compte tenu de mon investissement, je vis extrêmement mal cette situation issue d'un manque de soutien de mon encadrement.'
La société Derichebourg conteste le manque de soutien qui lui est reproché en soulignant qu'il appartenait précisément à M. [O] de définir ses besoins et ses objectifs en terme de personnel et qu'il a bénéficié de deux ressources supplémentaires par rapport à son prédécesseur.
Les organigrammes produits par l'employeur mentionnent au 1er décembre 2016, un chef de secteur et deux chefs de site supplémentaires.
Comme pour le premier grief, la cour observe qu'il n'est démontré par la société Derichebourg, ni que les difficultés managériales, certaines au regard des échanges sus-visés, procèdent d'une faute grave, soit d'une volonté délibéré de M. [O], ni que ces difficultés lui sont, en tout état de cause entièrement imputables au regard du contexte de réorganisation de l'agence de [Localité 8].
Le courriel de Mme [S] du 23 mai 2017 interpellait directement tant M. [O] en sa qualité de chef d'agence que M. [U] en sa qualité de responsable d'exploitation régionale, étant précisé que la société Derichebourg initiait dans le même temps, courant juin 2017, une procédure de licenciement contre le responsable d'exploitation de l'agence M. [V].
Ces deux premiers griefs ne sont par conséquent pas constitutifs d'une faute grave.
Concernant son absence à partir du 24 mai 2017, M. [O] produit un premier arrêt de travail initial du 26 mai 2017 au 9 juin 2017 pour anxiété et troubles du sommeil et un second arrêt initial du 6 juin 2017 au 24 juin 2017 établi par le docteur [Z] de la clinique protestante de [Localité 5] . Il produit par ailleurs une attestation du docteur [C] certifiant que M. [O] a contacté le cabinet le mercredi 24 mai 2017 et qu'il n'a pu obtenir un rendez-vous que le vendredi 26 mai suivant, en raison de la fermeture du cabinet.
Il résulte cependant de la chronologie des événements que M. [O] a adressé sa demande de départ négocié le mercredi 24 mai 2017 à 7H30 en faisant état d'une situation intenable pour lui; qu'il a laissé à 9H22 le message électronique suivant: 'Bonjour, absent du bureau, je vous remercie de contacter l'agence. Cordialement'; qu'il n'a fourni aucune explication de nature médicale sur cette absence au moment de son départ de sorte que le lien entre le certificat médical daté du 26 mai 2017 et les causes de son départ le 24 mai, ne résulte pas des éléments du dossier, alors que dans le même temps, M. [O] a exprimé de façon univoque et urgente sa volonté de rompre la relation contractuelle.
Il en résulte que son absence du 24 mai 2017 est injustifiée et doit s'analyser comme un abandon de poste dans un contexte particulièrement troublé par la démarche collective initiée la veille, par les salariés de son agence. Il est par ailleurs constant que M. [O] n'a, à aucun moment, manifesté sa volonté de reprendre le travail à l'issue de cet événement, de sorte que sa volonté de rompre la relation contractuelle est établie et étrangère à toute considération médicale. Dans ces conditions, la société Derichebourg caractérise la faute rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
La faute grave est en conséquence établie. Le jugement déféré doit par conséquent être confirmé en ce qu'il a débouté M. [O] de ses demande d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts au titre du licenciement abusif.
- Sur la demande de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires :
M. [O] sollicite la somme de 18 301,04 euros à titre de rappel de salaire sur l'année 2016 et la somme de 19 567,72 euros à titre de rappel de salaire sur l'année 2017 outre les congés payés afférents, ainsi que la somme de 30 600 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Il expose qu'il a effectué des heures supplémentaires au delà de sa durée de travail conventionnelle de 35 heures hebdomadaires en raison de l'augmentation de sa charge de travail par l'attribution de nouveaux départements et l'absence de recrutements supplémentaires; qu'en l'absence de convention de forfait régularisée entre les parties, il est fondé à solliciter le paiement des rappels de salaires au titre des heures supplémentaires réalisées au delà des 35 heures hebdomadaires.
Pour étayer sa demande, M. [O] communique son agenda électronique pour la période du 1er septembre 2016 au 26 mai 2017 et indique que pour les besoins du service il prenait ses fonctions entre 6h et 7h30 le matin et terminait le soir entre 19h et 20h avec une pause déjeuner de 45 minutes en moyenne. Il ajoute qu'il travaillait également certains dimanches.
La société Derichebourg s'oppose à cette demande en faisant valoir que M. [O] n'a émis aucune revendication au cours de la relation contractuelle s'agissant de l'accomplissement de prétendues heures supplémentaires non régularisées, avant d'abandonner son poste de travail, et qu'il ne démontre pas l'accomplissement d'heures supplémentaires à la demande de sa hiérarchie, ni son intention frauduleuse de dissimuler les heures de travail effectuées.
La société Derichebourg soutient en outre :
- que le tableau objet de la pièce n°10 du salarié a manifestement été établi pour les besoins de la cause et n'a aucune valeur probante ;
- que le relevé d'agenda Outlook fait figurer de manière systématique d'importantes plages horaires intitulées 'travail agence;' et souligne le faible nombre de courriels électroniques destinés à démontrer la réalité des heures supplémentaires.
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Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur doit établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Et selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur doit tenir à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.
Ainsi, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient à l'employeur de fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par son salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant
Le tableau produit par M. [O], lequel comporte le nombre total d'heures effectuées, le nombre d'heures supplémentaires et leur montant après application des taux de majoration de 25% pour les huit premières heures et de 50% au delà de la huitième heure, de la semaine 35 à la semaine 52 de l'année 2016 et de la semaine 1 à la semaine 21 de l'année 2017, répond à l'exigence de précision définie ci-dessus en ce qu'elle permet à la société Derichebourg de faire valoir ses propres éléments.
L'absence de revendication au titre des heures supplémentaires pendant la durée de la relation contractuelle est inopérante dés lors qu'elle ne laisse pas présumer que le salarié a renoncé à faire valoir ses droits.
L'établissement d'un tableau pour les besoins de la cause ne laisse pas davantage présumer que ce tableau ne serait pas conforme à la réalité des heures effectuées.
Enfin, si la société Derichebourg soutient que le salarié ne démontre pas que les heures supplémentaires effectuées l'ont été à la demande de sa hiérarchie, il apparaît que l'horaire contractuel de 35 heures par semaine est incompatible avec les responsabilités et les attributions d'un chef d'agence, a fortiori lorsqu'une réorganisation a pour effet, au cours de la relation contractuelle, d'élargir le périmètre géographique d'intervention de ladite agence comme c'est le cas en l'espèce.
Force est de constater, en tout état de cause :
- que la société Derichebourg ne justifie d'aucun instrument de contrôle du temps de travail,
- que le contrat de travail, qui prévoit que le salarié percevra 'un salaire mensuel de base forfaitaire de 5 000 euros' en précisant que:'En raison de la nature du statut, des fonctions et des responsabilités exercées par Monsieur [T] [O], cette rémunération est indépendante du temps que Monsieur [T] [O] consacrera effectivement à son activité professionnelle', ne prévoit pourtant pas la signature d'une convention de forfait ;
- qu'à défaut de convention de forfait, le contrat de travail aurait dû préciser les horaires de travail de M. [O], ce qu'il ne fait pas.
Il en résulte que la demande de M. [O] en paiement d'heures supplémentaires réalisées au-delà de 35 heures par semaine est justifiée.
En revanche le travail le dimanche et les jours fériés invoqué par M. [O], ne résulte d'aucune demande de sa hiérarchie et aucun élément du débat ne permet de dire que l'employeur ne pouvait ignorer l'existence d'un travail effectué par M. [O] les dimanches et jours fériés. En effet, M. [O] produit seulement quelques emails envoyés les dimanches 19 février 2017, 23 avril 2017, et 30 avril 2017 à des collaborateurs, emails au demeurant sans réponse, qui ne peuvent établir la réalité d'un travail effectué à ces dates.
Il en résulte que la demande de M [O] sera réduite en conséquence et la société Derichebourg sera condamnée à payer au salarié, au titre des heures supplémentaires réalisés, la somme totale de 28 401,57 euros outre la somme de la somme de 2 840,15 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré qui a débouté M. [O] de sa demande à ce titre sera infirmé.
L'article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l'article L 8 221-5 2° du même code dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.
Au terme de l'article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.
Faute pour lui d'établir la volonté de l'employeur de dissimuler les heures supplémentaires réalisées, M. [O] sera débouté de sa demande au titre de l'article L. 8221-5 du code du travail et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
- Sur les demandes accessoires :
Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société Derichebourg qui succombe au moins en partie en ses demandes.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en paiement d'heures supplémentaires formée par M. [O], a débouté ce dernier de sa demande en paiement d'une indemnité de procédure et a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Derichebourg à payer à M. [O], au titre des heures supplémentaires effectuées, la somme de 28 401,57 euros, outre la somme de la somme de 2 840,15 euros au titre des congés payés afférents
CONDAMNE la société Derichebourg à payer à M. [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,
CONDAMNE la société Derichebourg aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE