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16/11/2022 | FRANCE | N°19/04784

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 16 novembre 2022, 19/04784


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/04784 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MO7Y



[K]

C/

Société MERIAL



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Juin 2019

RG : F17/00722







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022







APPELANT :



[I] [K]

né le 18 Juillet 1972 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Laurent CHABRY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS





INTIMÉE :



Société MERIAL

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP E...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/04784 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MO7Y

[K]

C/

Société MERIAL

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 13 Juin 2019

RG : F17/00722

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

[I] [K]

né le 18 Juillet 1972 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Laurent CHABRY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Frédéric NAQUET, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Société MERIAL

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Mélodie SEROR, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Septembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [K] a été embauché par la société Sanofi Pasteur suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 10 avril 2007, en qualité de directeur des ressources humaines adjoint sur le site de [Localité 5].

Le 1er septembre 2014, le contrat de travail de M. [K] a été transféré à la société Merial en application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail.

A compter de cette date, M. [K] a occupé le poste de RH partner opération industrielles, classification 9A, coefficient 600, sur le site de [Localité 7].

Par lettre recommandée en date du 14 octobre 2016, M. [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 25 octobre 2016, reporté au 27 octobre 2016.

M. [K] a été licencié pour cause réelle et sérieuse, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 novembre 2016, dans les termes suivants :

'Nous faisons suite à notre entretien préalable, qui s'est tenu le 27 octobre 2016, en présence de votre manager Madame [N] [W], DRH France.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs qui nous ont conduits à envisager votre licenciement. Le peu d'explications que vous nous avez fournies ne nous a pas permis de modifier notre appréciation des faits, ni d'envisager le maintien de notre relation contractuelle. En conséquence, nous sommes au regret de vous informer que nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour les motifs exposés ci-après.

Vous avez été embauché par Merial SAS le 1er septembre 2014 en qualité de HR Partner Opérations Industrielles Lyon, ce qui correspond à un poste de Direction des RH de Site Industriel dans notre système de classification (grade 14 Watson Wyatt).

Les missions attendues dans ce poste, telles que décrites précisément dans votre description de poste, sont d'être le binôme du Directeur d'établissement en tant que membre du comité de direction du site, de définir la stratégie RH en lien avec la stratégie industrielle d'un établissement de plus de 700 salariés, de mettre en 'uvre la politique RH, de manager une équipe RH, de prendre en charge les relations sociales afin d'assurer la qualité du climat social, de conseiller et aider les managers dans la gestion de leurs collaborateurs et de connaître les salariés de votre périmètre.

Or, nous constatons des insuffisances professionnelles tant dans vos délivrables opérationnels, que dans votre posture vis-à-vis de vos différents interlocuteurs, qui ne sont pas en adéquation avec les responsabilités attendues à un tel niveau de poste.

Nous reprenons ci-après quelques exemples non exhaustifs pour illustrer

nos propos :

o Manque de délivrables opérationnels

o Absence de réponse aux demandes

De nombreuses demandes de votre manager ou de vos différents interlocuteurs, ne sont pas traitées, malgré plusieurs relances. Ces défauts de réponses bloquent souvent les processus et entraînent une charge de travail supplémentaire pour votre équipe, le Directeur de site, voire les managers du site qui doivent pallier à ces manquements.

- Une demande faite le 22 octobre 2014 par votre manager concernant les formations Compliance à mettre en place de façon obligatoire ainsi que le E-learning « Code Ethique » pour les nouveaux arrivants. Vous deviez organiser ces formations et en assurer la traçabilité. Malgré les relances des 23 août 2015, 5 octobre 2015, 18 janvier 2016, 1er février 2016 et 21 mars 2016, vous n'avez jamais répondu à votre manager, ce qui l'a contraint à demander des informations auprès d'un autre RH pour vous permettre d'avancer.

- Une demande d'un manager concernant la montée en compétences de ses équipes et le passage en Commission Hay de ces postes. Malgré plusieurs relances, vous n'avez pas répondu à ses emails. La commission est passée et, lorsque le manager vous a sollicité à nouveau pour savoir ce qu'il en était, vous lui avez répondu que vous aviez oublié.

- Votre manager vous a demandé à plusieurs reprises de faire un compte-rendu des messages clés des réunions CE, CHSCT et DP, destiné à votre équipe ainsi qu'aux managers. Vous ne l'avez fait qu'une seule fois en 2016 alors que cela aurait permis à ces personnes d'être plus au fait de ce qui se passe avec les IRP et d'adapter leur comportement sur le terrain.

o Manque d'implication dans la mise en 'uvre de la politique RH et le suivi des dossiers

Lors de vos prises de parole en public, vous restez très concentré sur les processus RH sans être porteur des enjeux en termes de ressources humaines qui se trouvent derrière les procédures et les outils.

- Lors d'une réunion mensuelle « échanges et information » avec les cadres du site à la fin de l'année 2015, vous avez expliqué comment et quand remplir l'outil Workday mais vous n'avez pas été porteur de l'objectif majeur au-delà de l'outil informatique qui est le développement des collaborateurs, pas même dans l'introduction.

- Lors de la revue des talents organisée sur votre site au cours du 2 e semestre 2016, vous n'avez pas partagé d'appréciation des collaborateurs concernés. Vous êtes resté en retrait et n'avez pas été en capacité de partager une analyse des forces et des faiblesses de chacun. Vous connaissez trop peu les personnes et votre contribution sur l'accompagnement du développement des talents n'est pas celle attendue d'un DRH.

- Depuis des mois, le Directeur du site, vous demande de définir une feuille de route RH (vision, missions, challenges) en lien avec les objectifs stratégiques du site. Vous n'avez fait une proposition que plusieurs mois après. Le Directeur du site a dû reprendre lui-même ce travail, que vous n'avez toujours pas finalisé à ce jour.

- Début 2016, le Directeur Monde des sites industriels, vous a demandé de mettre en place un partenariat avec les écoles d'ingénieurs et les IUT de la région lyonnaise. Il vous a relancé le 9 mai 2016. Vous lui avez alors répondu le lendemain mais, votre réponse n'était pas adaptée aux besoins identifiés, notamment en termes de compétences ciblées et de localisation.

Par comparaison, la même initiative a été lancée à Pirbright (UK) en fin d'année 2015 et dès l'été 2016, un partenariat a été mis en place.

o Manque d'implication vis-à-vis des partenaires sociaux et dans la gestion des relations sociales

Vous mettez en exergue auprès de votre management que vous consacrez 80% de votre temps aux relations sociales. Pourtant, ce sont les membres de votre équipe ou les managers qui préparent la plupart des présentations de réunion. En outre, vous n'avez pas de consistance dans les relations que vous entretenez avec les partenaires. Soit vous donnez des informations superflues, soit vous refusez d'en donner alors que cela permettrait d'apaiser les tensions et de contenter les élus. Les élus font remonter des problématiques non réglées en central de façon trop fréquente. La crédibilité de la fonction RH vis-à-vis de nos partenaires sociaux s'en trouve affectée.

- Une demande relative aux emplois d'été 2016 pour laquelle il n'y avait pas d'enjeu stratégique. Vous l'avez laissée traîner et n'avez pas répondu aux élus en temps utile.

- En juin 2016, lors de la menace de grève aux Monolayers, vous avez commencé à répondre aux mails du délégué syndical CGT mais globalement, sur le site, c'est surtout l'une de vos collaboratrice, le manager du bâtiment et le Directeur d'établissement qui ont géré le dossier et désamorcé le problème.

- Vous n'anticipez pas suffisamment à l'avance les négociations ou l'organisation des informations consultations nécessaires pour le fonctionnement de votre établissement (accord d'établissement équipes de suppléance « Biogénérateurs » arrivé à échéance en mars 2016 et pour lequel les partenaires sociaux vous ont relancé plusieurs fois. 1 ère réunion le 1 er juin 2016, 2 e réunion le 6 septembre 2016 et 3 e réunion prévue le 7 novembre prochain).

o Problématique en termes de posture, d'attitude, de comportement

Votre comportement n'est pas adapté à un poste de direction et nuit à l'image de la fonction RH.

o Manque de soutien à votre équipe et aux managers de l'établissement

Les membres de votre équipe sont obligés de vous relancer ou de pallier à vos manquements afin que les dossiers avancent, ce qui génère une surcharge de travail pour elles. Or, le rôle de modèle, le développement des collaborateurs et le respect de ceux-ci sont des valeurs fondamentales au sein de Merial, a fortiori pour un cadre de direction/supérieur.

- En avril 2016, vous n'avez pas organisé le fonctionnement du service pendant les congés payés. Vous êtes parti en même temps que votre collaboratrice sans prévenir vos interlocuteurs. Vous avez ainsi laissé l'assistante du service seule pour assurer la permanence RH pendant 3 jours, et lui avait laissé faire la revue budgétaire (F1) seule, sans aucune information structurante.

En réponse à l'interrogation du Directeur du site sur le manque de préparation, vous avez répondu que les managers s'étaient mis en lien avec le Contrôle de Gestion et que vous, les RH, étiez en support si besoin. Un tel comportement n'est pas admissible, il est dans votre mission de diriger la revue d'effectif (F1, F2), ce qui vous a été rappelé à plusieurs reprises par le HR Leader des opérations industrielles. Vous n'avez non seulement pas respecté une consigne mais avez mis votre collaboratrice dans une situation délicate vis-à-vis des autres participants.

- Vous n'avez pas assuré de manière optimale l'intégration d'une nouvelle collaboratrice dans votre équipe, alors que celle-ci venait d'un environnement différent. Elle a dû gérer son intégration de façon autonome, sans que vous ne vous préoccupiez de ses besoins.

- Vous vous étiez mis d'accord avec un manager pour recevoir, pendant ses congés payés, deux de ses collaborateurs qui avaient postulé chez Sanofi Pasteur afin de leur expliquer les raisons du gel de leur candidature. Or, vous n'avez pas reçu ces collaborateurs pendant l'absence de leur manager. Il a donc dû gérer, à son retour, la frustration et l'incompréhension de ces personnes.

o Posture inadaptée, comportement négligent

Vous n'avez pas la posture attendue à ce niveau de responsabilité et de grade. Vous ne prenez pas de décision, ni n'animez les réunions. Vous restez en retrait et n'allez pas à la rencontre des salariés de votre périmètre.

Vous laissez trop souvent votre porte et votre volet fermés, ce qui laisse à penser que vous ne souhaitez pas être dérangé. Vous vous comportez comme un technicien RH, alors que vous êtes le Responsable des RH de l'établissement LLG.

- Vous êtes venu à la réunion budgétaire du département Monolayeurs le 17 juin 2016, vous n'avez rien dit et vous êtes endormi. Vous n'avez apporté aucune plus-value, alors que le rôle d'un RH lors d'une réunion de budget est de défendre les demandes de ressources lorsqu'elles sont adaptées aux besoins.

- Lors d'une présentation par un membre de l'IOLT d'une innovation managériale déployée au sein du département GIPE, vous avez eu une attitude de retrait total qui n'est pas admissible en tant que DRH du plus gros site industriel de l'entreprise. Cette personne a fait part de son mécontentement au HR Leader des Opérations Industrielles, qualifiant votre comportement d'irrespectueux, feedback qui vous a d'ailleurs été transmis.

Dès les premiers mois de votre prise de poste, nous avons constaté certaines insuffisances professionnelles. Nous vous avons, tout d'abord, laissé le temps de prendre possession de votre poste, de vous familiariser avec ce nouvel environnement de travail, de prendre connaissance des différents métiers sur le site, et de pouvoir bâtir votre stratégie RH compte tenu des nouveaux enjeux d'un Comité de Direction qui venait de subir plusieurs changements successifs (le Directeur de site a pris son poste en mai 2014, l'assistante RH dans votre service, en juin 2014).

Dès le mois de décembre 2014, le Directeur du site (votre manager lors de votre prise de poste) vous a redit ce qu'il attendait de vous à l'aide d'une cartographie de vos axes de développement déclinant votre description de poste de manière opérationnelle. Il a également mis en place des points hebdomadaires, au cours desquels il vous a fait de nombreux retours sur votre performance.

Vous aviez également des points bi-mensuels avec [N] [W], DRH de Merial SAS (devenue votre manager en janvier 2016).

Le HR Leader des Opérations Industrielles de Merial vous a également proposé son aide, d'échanger sur des pratiques avec d'autres sites industriels, de vous faire aider par un consultant pour travailler à l'organisation de votre service et à l'optimisation de votre performance. Après plusieurs relances et même si vous avez fini par rencontrer le consultant Entreprise & Personnel, vous n'avez rien fait qui ait entrainé des améliorations visibles, ni fait de retour au HR Leader.

A l'issue de votre 1 ère année d'exercice chez Merial, vous avez été évalué en 5 (performance à l'attendu). Il s'agissait pour votre manager de vous encourager dans votre prise de fonction et de tenir compte de votre contexte personnel qui avait été difficile, plus que de mettre en exergue les points qui ne donnaient pas encore satisfaction.

Malgré les nombreux retours négatifs sur votre non-réponse aux attentes (lors de l'évaluation 2015, lors de la fixation des objectifs en début d'année 2016, de l'entretien de mi- année 2016, ou de l'entretien avec le Directeur de site le 4 juillet 2016), et malgré les nombreuses formations dont vous avez bénéficiez au cours de ces 2 dernières années et les échanges réguliers que nous avons pu avoir avec vous, aucune amélioration n'a pu être constatée.

En juillet dernier, plusieurs de vos collaboratrices sont venues spontanément nous faire part de leurs difficultés et du fait que le fonctionnement de l'équipe ne pouvait plus continuer de la sorte, tant la situation avait des conséquences sur leur charge de travail et leur état de sur-stress.

Nous avions certes conscience que vous n'étiez pas au niveau de votre poste mais nous ne pensions pas que cela impactait également vos collègues et nuisait à leur qualité de vie au travail. Nous avons alors décidé de mener une enquête terrain auprès de l'ensemble de vos interlocuteurs qui a révélé la plupart des exemples cités plus haut.

En résumé, se dégage de votre comportement une sorte d'attentisme, comme si les problématiques allaient se résoudre d'elles-mêmes ou que quelqu'un d'autre finirait bien par prendre le problème et le résoudre à votre place. Vos actions et propositions ont été notoirement insuffisantes au regard des problématiques rencontrées sur l'établissement. La plupart du temps, c'est le Directeur du Site ou les membres de votre équipe qui initient ou gèrent les dossiers.

Votre comportement a des conséquences

- sur les collaborateurs que vous managez (amplitudes horaires, compensation au prix d'une surcharge de travail, d'un état de sur-stress),

- sur les relations sociales de l'établissement (tensions dans les instances, problème de positionnement, procédures menées en limite de délai...),

- sur le soutien aux managers (dossiers en suspens, non traités),

- sur les demandes des salariés (mobilité, évolution, etc.),

- et, sur l'image et la crédibilité de la fonction RH.

Votre attitude lors de notre entretien du 27 octobre 2016, dans la lignée de ce que nous venons d'énoncer (retrait et passivité), ne nous a pas permis de modifier notre appréciation et d'envisager le maintien de notre relation contractuelle.

Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse (')'.

Par requête en date du 21 mars 2017, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à 7 743, 88 euros, et de condamner la société Merial à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 13 juin 2019, le conseil de prud'hommes, a :

- dit et jugé que le licenciement de M. [K] pour insuffisance professionnelle est justifié par une cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- débouté M. [K] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Merial de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [K] aux dépens de l'instance

M. [K] a interjeté appel de ce jugement, le 8 juillet 2019.

M. [K] demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien fondées ses demandes,

Y faisant droit,

- réformer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 juin 2019 par le conseil de prud'hommes de Lyon,

Et statuant à nouveau,

- constater l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé par la société Merial,

En conséquence,

- condamner la société Merial à lui payer les sommes suivantes, outre les intérêts au taux légal a compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Lyon :

dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 110 000 euros nets de tout prélèvements sociaux

article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros

- condamner la société Merial aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

La société Merial demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon en date du 13 juin 2019

- constater que le licenciement de M. [K] est fondé sur une cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes

A titre reconventionnel,

- condamner M. [K] aux entiers dépens de l'instance, ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

- Sur le licenciement :

Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.

En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Merial a licencié M. [K] pour cause réelle et sérieuse en invoquant une insuffisance professionnelle caractérisée par :

- un manque de délivrables opérationnels, soit une absence de réponse aux demandes, un manque d'implication dans la mise en oeuvre de la politique RH et le suivi des dossiers, un manque d'implication vis-à-vis des partenaires sociaux et dans la gestion des relations sociales ;

- une posture inadaptée en raison d'une part d'un manque de soutien à son équipe et aux managers de l'établissement, d'autre part, d'un comportement négligent.

La société Merial expose que dès les premiers mois suivant sa prise de poste, M. [K] a suivi de nombreuses formations et bénéficié d'un accompagnement, en raison de ses difficultés dans l'exercice de ses missions.

La société Merial soutient qu'elle a fait preuve de bienveillance à l'égard de M. [K], pendant près de deux ans, en tentant de l'aider à se mettre en conformité avec les exigences de son poste de travail, mais qu'en dépit des efforts déployés, l'absence d'amélioration et l'inadaptation manifeste du salarié à ses fonctions l'ont contraint à procéder à son licenciement pour insuffisance professionnelle.

La société Merial illustre les différents griefs à l'encontre du salarié comme suit.

Sur l'absence de réponses aux demandes, la société Merial produit

- en pièce n°17 : des éléments de témoignages des interlocuteurs de M. [K] et notamment celui de M. [M] ( responsable HSE LPA-LLG ) qui soutient avoir raté un passage en commission dite 'HAY' pour la cotation d'un poste, en raison d'un oubli de M. [K] ;

- en pièce n°18, une demande relative aux supports de formation compliance 2014 adressée par M. [T] le 22 octobre 2014, laquelle n'était toujours pas traitée le 21 mars 2016 ;

- le témoignage de M. [T], directeur de la stratégie industrielle, daté du 26 octobre 2018 qui indique notamment qu'il existait une bonne pratique consistant à adresser les comptes-rendus des messages clés suite aux réunions avec les IRP, aux membres du CODIR, et que M. [K] a mis prés de deux années à satisfaire cette pratique en adressant ses deux seuls comptes-rendus le 24 juin 2016 et le 4 juillet 2016 ;

Sur le manque d'implication dans la mise en oeuvre de la politique RH et le suivi des dossiers, la société Merial se réfère d'une part au témoignage de M. [T] sus-visé, ainsi qu'à celui de M. [U] [Z], ingénieur. La société Merial produit par ailleurs un échange de courriels avec M. [H] [A], directeur monde des sites industriels de la société, en date des 9 et 10 mai 2016 relatifs à la mise en place d'un partenariat avec les écoles d'ingénieurs et les IUT de la région lyonnaise.

En ce qui concerne le manque d'implication vis-à-vis des partenaires sociaux et dans la gestion des relations sociales, ainsi que sur le manque de soutien à son équipe et à ses managers ou encore sur la posture inadaptée et le comportement négligent, la société Merial vise essentiellement les différents éléments de témoignages objet de la pièce n°17, les témoignages de M. [T] et de M. [Z] sus-visés.

La société Merial liste par ailleurs les différentes formations suivies par M. [K] du 28 novembre 2014 au 24 juin 2016, ainsi que les mesures d'accompagnement et de soutien dont il a bénéficié, allant d'une cartographie des axes de développement à la mise en place de points hebdomadaires et bi-mensuels.

M. [K] conteste la réalité de ces griefs. Il invoque la confusion de ladite cartographie, document qu'il juge inexploitable et remet en cause la réalité de l'accompagnement dont il aurait bénéficié en soulignant que la société Merial ne démontre pas même la possibilité de mise en oeuvre de l'organisation alléguée.

M. [K] soutient que la société n'avait auparavant jamais fait le constat de cette prétendue 'insuffisance professionnelle', ainsi qu'en attestent les comptes rendus d'entretien et de performance, les primes qui lui ont été versées, et son dossier disciplinaire entièrement vide. Il conclut que son licenciement a été monté de toute pièce, sans qu'il en connaisse la véritable cause.

****

Il ressort des éléments factuels du dossier que M. [K] a pris ses nouvelles fonctions au sein de la société Merial le 1er septembre 2014 et que l'évaluation de sa performance globale pour l'exercice 2014, laquelle tient compte de l'intégration d'une nouvelle organisation et d'une nouvelle culture d'entreprise, est satisfaisante, M. [K] ayant obtenu la note 5 laquelle correspond à des objectifs atteints ainsi qu'un comportement conforme au souhait de l'employeur.

La revue de performance de la fin de l'année 2015 s'est traduite par le maintien de la note 5 avec la synthèse globale suivante :

' Meilleure prise en compte des différentes dimensions du poste.

Bonne prise en considération du feed-back de fin 2014 et des feed-back que je peux faire au fil de l'eau.

Cela dit, j'attends plus de leadership sur les sujets RH clés du site (ex CODIR strat du 18/12, revue de perf mensuelle....)

De forts enjeux et challenges pour 2016, notamment sur la maîtrise avec la collaboration des acteurs clés du climat social, l'organisation et le management opérationnel de l'équipe RH, l'aspect GPEC ( lien avec les plans de dev des talents, avec le développement du site pour soutenir la croissance de Merial, avec la mise en place de 'pépinière'...), le développement d'un process plus efficace de recrutement, ma mise en place de nouveaux rythmes de travail

( notamment en MSFP et mono).'

Ces évaluations qui rendent compte d'une atteinte globale des objectifs, ne traduisent pas d'insuffisance professionnelle même si des axes d'amélioration sont abordés au cours de l'évaluation.

La société Merial soutient que l'attribution de la note 5 à l'issue de la première année d'exercice avait pour seul but d'encourager M. [K] dans sa prise de fonction et de tenir compte de son contexte personnel difficile, plus que de mettre en exergue les points qui ne donnaient pas encore satisfaction. Mais une telle justification n'est pas acceptable dés lors que l'on ne peut faire dire à une évaluation contradictoirement réalisée ce qu'elle ne dit pas et qu'il appartenait à la société Merial de définir l'insuffisance professionnelle dont elle entend se prévaloir dans le cadre du présent licenciement, que ce soit en termes d'objectifs non atteints ou en terme de comportement inadapté.

En outre, ces évaluations se réfèrent au 'feed back' de la fin de l'année 2014 et aux 'feed back' 'réalisés au fil de l'eau'. La pièce n°10 de la société Merial comporte deux documents intitulés 'Fed Back' ou bilan, lesquels soulignent un nombre très important de points sur lesquels M. [K] n'est, soit pas conforme aux attentes de sa hiérarchie, soit en progrès mais non encore parvenu à l'attendu.

La cour observe cependant que le premier bilan, réalisé en novembre 2014, soit au cours du premier trimestre après sa prise de fonction, a été suivi d'une évaluation satisfaisante qui fait expressément référence à une ' Bonne prise en considération du feed-back de fin 2014 et des feed-back que je peux faire au fil de l'eau'.

Quant au second bilan, il est arrêté au 14 octobre 2016, soit la date de la convocation à l'entretien préalable au licenciement.

Il en résulte des appréciations subjectives établies par l'employeur de façon non contradictoire et dont le caractère péjoratif n'est pas confirmé par deux évaluations successives en 2014 et en 2015.

La cour observe en outre que le manque de délivrables opérationnels reproché au salarié repose essentiellement sur deux exemples concrets, soit le défaut de prise en compte de la demande relative aux supports de formation compliance 2014 et le non respect en 2015 de la bonne pratique sur les comptes rendus des réunions avec les IRP, ainsi que sur des fragments de témoignages objet de la pièce n°17.

Cette pièce n°17 invoquée à l'appui de chacun des griefs reprochés à M. [K] vise les témoignages de plusieurs membres de la direction, ainsi que d'une prénommée [C]. La cour observe qu'il s'agit en réalité de résumés de témoignages qui ne sont ni datés, ni signés, pas plus que les faits qui y sont évoqués en termes généraux. Ainsi, la nommée [C] indique par exemple :

'(...) Pas d'investissement de [I] dans :

- intégration équipe

- développement des collaborateurs (...)

Pour ce qui est de mon intégration sur site, je me suis organisée seule pour rencontrer les mangers, visiter les laboratoires avec les responsables de zones.

Pas dans les problématiques, il s'en fout, il ne nous apporte rien, il nous refile le boulot, il botte en touche, volontairement il ne prend pas, il n'est pas hyper engagé, pas envie.(...)

Est venu à la réunion budgétaire 2h en mono. N'a rien dit, s'est endormi. Aucune plus-value. (...)'

En ce qui concerne le manque de soutien à son équipe et aux managers, la société Merial ne produit aucun élément objectif sur la charge de travail des collaborateurs supposée générée par le comportement de M. [K] et l'appréciation subjective d'un collaborateur sur ce point ne suffit pas à caractériser l'insuffisance professionnelle dés lors que l'employeur, qui contrôle par ailleurs la charge de travail des salariés, doit être en mesure d'évaluer précisément tout dépassement anormal, à fortiori si de tels dépassements résultent des manquements d'un manager.

La même imprécision concernant ce grief résulte du courriel de Mme [W], directrice des ressources humaines, daté du 30 juin 2016 et intitulé 'mid-year'. Mme [W] indique notamment dans ce courriel :

' (...) Après notre entretien, j'ai passé 30 mn avec ton équipe avant de partir et j'ai perçu beaucoup de tensions.

Elles expriment certes de la charge mais aussi des pertes d'efficacité. Cela mériterait d'être creusé. Ce que j'ai compris: parce que tu ne réponds pas à certains mails, cela bloque le process. A évaluer si nécessaire que ça passe par toi ou si tu peux faciliter l'avancement des sujets pour ton équipe. Notamment au regard de ton départ en CP: évacue tout ce qu'il y a dans ton escarcelle avant de partir. Sinon elles vont se retrouver avec le bébé.

Enfin on a reçu une délégation SUD avec [F] cette PM.

Je faix faire une CR à [S] et toi dans un mail séparé, mais [B] et [E] ont aussi mis en exergue que tu laisses des mails en souffrance, que tu ne réponds pas. A voir comment tu peux ou gérer ou accuser réception des demandes.(...)'

Enfin, si Mme [W] liste dans ce courriel un certain nombre d'insatisfactions, il apparaît qu'elle aborde cependant la question de la projection du salarié dans les termes suivants : 'souhait de rester 2 à 3 ans sur ce poste. Tu te dis un peu 'imprégné' du monde IO' Moi je te projette assez en R&D, moins en BO ou siège. Tu n'es pas intéressé par une expertise RH, sauf peut-être développement (poste BR)' (...)' , ce qui n'est pas cohérent avec l'insuffisance professionnelle retenue par l'employeur comme motif du licenciement.

Il appartient à l'employeur qui invoque l'insuffisance professionnelle de son salarié de s'appuyer sur des faits précis que le juge peut contrôler. Ce sont souvent les conséquences vérifiables de l'insuffisance qui établiront cette dernière.

En l'espèce, il résulte des éléments du débat qu'aucune conséquence de l'insuffisance alléguée n'est vérifiable par des éléments objectifs; que la société Merial n'a pas tiré les conclusions, au cours des évaluations du salarié, des constats d'insuffisance dont elle se prévaut; que les résumés de témoignages de salariés réalisés par l'employeur ne peuvent en aucun cas établir des faits précis et circonstanciés.

Il en résulte que l'insuffisance professionnelle ne résulte pas des éléments du débat. Il s'ensuit que le licenciement de M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.

- Sur les dommages-intérêts :

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, M. [K] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [K] âgé de 44 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de neuf années et six mois, de sa capacité à retrouver un emploi équivalent et de ce que le salarié ne produit aucun justificatif relatif à sa situation personnelle et professionnelle depuis son licenciement , la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 70 000 euros bruts , sur la base du salaire moyen des douze derniers mois incluant les primes d'activité perçues au cours de la période (9 147,18 euros).

Le jugement qui a débouté M. [K] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé en ce sens.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.

- Sur les demandes accessoires :

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société Merial.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté la société Merial de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement notifié par la société Merial à M. [K] le 2 novembre 2016 est sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Merial à payer à M. [K] la somme de 70 000 euros bruts de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de la rupture du contrat de travail

ORDONNE d'office à la société Merial le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [K] dans la limite de trois mois d'indemnisation,

CONDAMNE la société Merial à payer M. [K] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,

CONDAMNE la société Merial aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/04784
Date de la décision : 16/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-16;19.04784 ?
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