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16/11/2022 | FRANCE | N°19/04743

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 16 novembre 2022, 19/04743


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/04743 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MO5J



Société RENAULT TRUCKS

C/

[Z]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 17/00745





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022







APPELANTE :



Société RENAULT TRUCKS

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Lau

rent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste TRAN-MINH de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON





INTIMÉ :



[W] ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/04743 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MO5J

Société RENAULT TRUCKS

C/

[Z]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 17/00745

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 16 NOVEMBRE 2022

APPELANTE :

Société RENAULT TRUCKS

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean-baptiste TRAN-MINH de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[W] [Z]

né le 01 Avril 1979 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Thibaut DE BERNON, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Valérie MALLARD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Septembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 16 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [Z] a été embauché par la société Renault Trucks suivant un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 10 septembre 2007, avec reprise d'ancienneté au 10 juin 2007, en qualité de professionnel peintre 4, position 4, coefficient 185, niveau 2, échelon 1, de la convention collective des mensuels des industries métallurgiques du Rhône.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [Z] exerçait les fonctions de professionnel Tôle / emboutissage 4, statut ouvrier, position 4, échelon 2.1.

M. [Z] a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 2 juin 2014, prolongé jusqu'au 31 mars 2016.

M. [Z] a été déclaré inapte par le médecin du travail par deux visites en date du 1er mars et du 15 mars 2016.

Par une lettre en date du 31 mars 2016, la société Renault Trucks informait M. [Z] de l'impossibilité de son reclassement et le convoquait à un entretien préalable à son licenciement fixé au 11 avril 2016.

Le 3 avril 2016, la société Renault Trucks indiquait à M. [Z] qu'elle était en présence de nouveaux éléments permettant éventuellement d'envisager son reclassement.

A compter du 9 mai 2016, M.[Z] était affecté à un poste administratif pour effectuer 40 heures de travail par semaine.

M. [Z] a été placé en dispense d'activité rémunérée à compter du 23 juin 2016, à l'exception d'une période de congés payés du 13 juillet 2016 au 16 août 2016.

Par une lettre en date du 20 octobre 2016, la société Renault Trucks a convoqué M. [Z] à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 3 novembre 2016.

M. [Z] a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, par courrier en date du 14 novembre 2016, ainsi rédigé :

'Nous faisons suite à l'entretien préalable du 03 novembre 2016 pour lequel vous avez été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception ; et auquel vous vous êtes présenté.

Lors de cet entretien, nous avons rappelé la situation.

Le 1er mars2016, lors de votre visite de reprise, le Docteur [Y] [J], Médecin du travail, a indiqué :

« Inapte au poste de cariste Restrictions concernant la station debout prolongée, la station assise prolongée, le port de charge cadencé, le port de charge supérieur à 5kg, les postures de travail penchées en avant, les opérations nécessitant la rotation de la colonne pieds fixés au sol ; les opérations de tirer et de pousser, cadencés

Serait apte à un poste de type administratif, permettant d'alterner les stations assises et debout, et évitant la manutention de charges ».

Lors d'une seconde visite, le 15 mars 2016, le Docteur [Y] [J], a porté les conclusions médicales définitives suivantes :

« Inapte au poste de stockeur TGSE et pas de possibilité de reclassement depuis le 1er mars 2016. Serait apte à un poste administratif, permettant d'alterner les stations assises et debout, et évitant la manutention de charges ».

Vous avez ainsi été déclaré inapte à l'emploi de PROF. TOLE/EMBOUTISS. 4, que vous occupiez en dernier lieu.

Au regard de ces avis, et conformément à nos obligations, nous avons étudié toutes les possibilités permettant votre reclassement au sein de l'entreprise et du Groupe, y compris en envisageant des mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagements du temps de travail.

Comme indiqué lors de l'entretien préalable au licenciement, le Médecin du travail a été associé à cette recherche d'une éventuelle solution de reclassement et nous avons sollicité ses conclusions écrites.

L'ensemble des recherches menées se sont révélées infructueuses et nous sommes donc contraints de constater qu'il n'y a aucun poste disponible dans l'entreprise ou dans le Groupe, correspondant aux prescriptions du Médecin du travail, à votre profil et expérience professionnelle, permettant d'envisager votre reclassement y compris par mutation, transformation, adaptation, ou aménagement d'horaires.

En conséquence, nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour inaptitude médicalement constatée par le Médecin du travail et impossibilité de reclassement.

Votre inaptitude étant d'origine non professionnelle, votre contrat de travail sera rompu à la date de notification de votre licenciement, soit le 14 novembre 2016, date d'envoi de la présente'.

Par requête en date du 22 mars 2017, M. [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire et juger que la société Renault Trucks n'a pas respecté son obligation de reclassement, de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et de la condamner à lui verser une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix, par procès verbal du 30 janvier 2018.

Par un jugement du 25 juin 2019, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a :

- rejeté la demande de M. [Z] tendant à déclarer irrecevables les observations formulées par la société Renault Trucks par note en délibéré reçue le 17 avril 2019,

- dit que le licenciement dont M. [Z] a fait l'objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Renault Trucks à verser à M. [Z] les sommes suivantes :

celle de 8 73 6,36 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

celle de 873,63 euros bruts au titre des congés-payés afférents,

assorties des intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 28 mars 2017, date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure,

celle de 20 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal sur cette somme à compter du prononcé du présent jugement,

- ordonné le remboursement par la société Renault Trucks aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [Z] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de deux mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail,

- dit que le secrétariat greffe en application de l'article R. 1235-2 du code du travail adressera à la Direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l'objet d'un appel,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire étant rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoire à titre provisoire les jugements qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R.1454-14 dans la limite maximum de 9 mois de salaire calculé sur la moyenne des 3 derniers mois,

-fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 210,42 euros,

- condamné la société Renault Trucks à verser à M. [Z] la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Renault Trucks de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Renault Trucks aux entiers dépens de la présente instance,

- rappelé qu'en application de l'article R.1461-1 du code du travail, la présente décision est susceptible d'appel dans un délai d'un mois à compter de sa notification.

La société Renault Trucks a interjeté appel de ce jugement, le 5 juillet 2019.

La société Renault Trucks demande à la cour de :

- faire droit à toutes exceptions de procédure, à l'annulation sinon l'infirmation ou la réformation de la décision déférée en ce qu'elle :

a dit que le licenciement de M. [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse

a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 210,42 euros

l'a condamnée au paiement des sommes suivantes :

8 736,36 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 873,63 euros au titre des congés payés afférents, outre intérêts à compter du 28 mars 2017

20 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre intérêts à compter du jugement

1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens

ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versés dans la limite de deux mois en application de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

Jugeant à nouveau,

A titre principal,

- débouter M. [Z] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- débouter M. [Z] de sa demande au titre d'une indemnité compensatrice de préavis, et des congés payés afférents ;

A titre subsidiaire,

- limiter à six mois de salaire le montant des dommages et intérêts éventuellement alloués à M. [Z] soit à 13 104,54 euros

En tout état de cause,

- fixer le salaire mensuel moyen de M. [Z] à 2 184,06 euros

- débouter M. [Z] de sa demande de doublement de l'indemnité compensatrice de préavis

- le condamner à lui verser la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

M. [Z] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a limité le quantum des condamnations aux sommes suivantes :

20 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre intérêts à compter du jugement

1 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens

- l'infirmer de ces seuls chefs,

Et statuant à nouveau,

- condamner la société Renault Trucks à lui payer les sommes suivantes :

25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance,

Y ajoutant, et en tout état de cause,

- condamner la société Renault Trucks à lui payer la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Thibaut de Bernon, Avocat, sur son affirmation de droit

- débouter la société Renault Trucks de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

- Sur le licenciement :

Il résulte des articles L.1232-1 et L 1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs; en vertu de l'article 1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié; la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

L'article L1226-2 du code du travail dispose que :

'Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.'

Si le médecin du travail a constaté l'inaptitude physique d'origine non professionnelle d'un salarié, l'employeur est tenu à une obligation de reclassement de ce salarié; à ce titre, il doit faire des propositions loyales et sérieuses, et doit assurer l'adaptation du salarié à son emploi en lui assurant une formation complémentaire; l'obligation de reclassement s'impose à l'employeur; à défaut, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.

****

En l'espèce, M. [Z] soutient que les règles du licenciement pour insuffisance professionnelle et impossibilité de reclassement ne pouvaient trouver application dés lors qu'il a été déclaré inapte aux termes d'un avis du médecin du travail du 15 mars 2016 et que la société Renault Trucks l'a reclassé à compter du 9 mai 2016 sur un poste de type administratif conforme aux préconisations du médecin du travail.

M. [Z] soutient par conséquent qu'il s'évince de l'article L. 1226-2 du code du travail que le salarié soit déclaré définitivement inapte à son poste de travail et qu'il n'ait pas d'ores et déjà été reclassé sur un emploi.

M. [Z] conclut que la procédure d'inaptitude a cessé dés lors qu'il a été reclassé, même temporairement, sur un poste administratif conforme aux prescriptions médicales.

M. [Z] indique que la société Renault Trucks ne peut invoquer le caractère provisoire du poste de travail, qu'elle ne produit aucun avenant au contrat de travail alors que celui-ci s'imposait et que le contrat de travail ne pouvait dés lors qu'être à durée indéterminée, le placement ultérieur en dispense d'activité rémunérée étant indifférent.

M. [Z] soulève, en second lieu, le manquement de l'employeur à son obligation légale de reclassement.

Enfin, M. [Z] soutient que la société Renault Trucks a manqué à son obligation conventionnelle de reclassement dés lors quelle n'a pas mis en oeuvre les moyens dont elle disposait en application de l'accord collectif 'Handi'Accord' applicable au sein de la société, lequel accord préconise la mobilisation d'un animateur Handi-accord, du HRBP, du CHSCT et du manager.

Sur le premier point, la société Renault Trucks soutient que le poste administratif attribué à M. [Z] entre ses deux visites de reprise et après la déclaration d'inaptitude n'était, en réalité, qu'un poste provisoire de découpage d'étiquettes, le temps de trouver une solution pérenne et satisfaisante.

Sur la mise en oeuvre de son obligation de reclassement, la société Renault Trucks met en avant ses recherches de reclassement au sein de l'ensemble de ses établissements, ainsi que dans le groupe Volvo, qui l'ont conduite à interroger 36 responsables distincts. Elle souligne en outre qu'elle a présenté le dossier de M. [Z] à son comité mobilité, compte tenu du statut de travailleur handicapé du salarié, et qu'elle s'est rapprochée du cabinet JLO Emploi afin de l'accompagner dans son processus de reclassement.

Le conseil de prud'hommes ayant jugé qu'il n'était pas en mesure de vérifier si l'ensemble des sociétés du groupe avait été consulté, la société Renault Trucks expose que par note en délibéré du 16 avril 2019, elle a produit le registre d'entrées et de sorties du personnel de l'ensemble des sociétés du groupe Volvo implantées dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, pour la période allant du constat d'inaptitude à la fin du mois d'octobre 2016.

La société Renault Trucks ajoute que l'organigramme versé aux débats permet d'identifier les différentes organisations RH qui supervisent les interlocuteurs RH en charge de plusieurs établissements, de sorte que la combinaison des ces pièces permet, contrairement à ce qui a été jugé, de constater qu'elle a effectivement consulté les différentes entités RH au niveau du groupe.

Sur le dernier point, la société Renault Trucks oppose au salarié l'absence de dispositions spécifique de l'accord Handi-Accord qui lui imposerait le respect d'une obligation préalable et spécifique de reclassement consécutive à une inaptitude.

****

Il résulte des deux avis médicaux rendus le 1er mars 2016 et le 15 mars 2016 que M. [Z] a été déclaré inapte au poste de cariste ( 1er avis) et au poste de stockeur TGSE (2ème avis) et que le médecin du travail a, dans les deux avis, envisagé une aptitude à un poste administratif dans les termes suivants :

'(...) Serait ( apte) à un poste de type administratif, permettant d'alterner les stations assises et debout et évitant la manutention de charges.'

Ainsi, par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 mai 2016, la société Renault Trucks faisait la proposition suivante au salarié :

' Au regard des avis du docteur [Y] [J], Médecin du travail en date du 1er mars 2016 et du 15 mars 2016, et conformément à nos obligations, nous avons étudié toutes les possibilités permettant votre reclassement au sein de l'entreprise et du Groupe, y compris en envisageant des mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail.

L'ensemble des recherches menées se sont révélées infructueuses.

Néanmoins, depuis notre entretien du 11 avril 2016, nous sommes en présence de nouveaux éléments. Votre dossier a, notamment, fait l'objet d'une présentation lors d'un comité mobilité.

Toute solution pouvant être mise en oeuvre dans le cadre de l'accord Handi'Accord est également étudiée.

Dans l'attente de l'identification d'un poste disponible dans l'entreprise ou dans le groupe, correspondant aux prescriptions du Médecin du travail, à votre profil et expérience professionnelle, permettant d'envisager votre reclassement, nous vous invitons à reprendre une activité au sein de votre manager hiérarchique, Monsieur [P] [O].

Il vous attend à compter de ce lundi 9 mai 2016 à 05h45 afin de vous confier des missions de nature administrative répondant aux préconisations du Médecin et pour lesquelles il n'a émis aucune contre-indication (...)'

Il résulte des termes univoques de ce courrier, que la proposition faite à M. [Z] porte sur une reprise d'activité pour l'exécution de tâches administratives, sans qu'il soit question d'un nouveau poste, et que la proposition s'inscrit expressément dans l'attente de l'identification d'un poste disponible dans le cadre d'une recherche de reclassement en cours.

Il est par ailleurs constant que M. [Z] a cessé cette activité administrative le 23 juin 2016 et que dans le même temps, soit du 10 juin au 24 août 2016, il s'est soumis à un bilan professionnel adapté réalisé à la demande de la société Renault Trucks par le cabinet JLO Emploi.

M. [Z] n'est par conséquent pas fondé à se prévaloir d'un reclassement acquis sur un poste administratif qui n'était nullement identifié à la date du 9 mai 2016 et alors que la recherche d'un poste de reclassement était en cours, ainsi qu'en atteste notamment l'évocation de son cas lors du comité mobilité du 12 mai 2016 dans les termes suivants :

' Salarié RQTH à l'emboutissage-nous aimerions éviter un licenciement pour inaptitude pour le moment.

Nous recherchons un poste plutôt administratif ( éventuelle piste-service courrier à faire valider par JM ROCHE et le service juridique)'

En ce qui concerne le caractère loyal et sérieux de la recherche de reclassement, le premier juge, après avoir examiné les diligences de la société RenaultTrucks, notamment au travers de la réunion des comités mobilité ainsi que par le recours au cabinet JLO, prestataire externe à la société, a par une juste appréciation des éléments versés aux débats, jugé que l'employeur avait respecté son obligation de reclassement au sein de la SAS Renault Trucks. Le jugement déféré doit par conséquent être confirmé par adoption de motifs sur ce point.

Les possibilités de reclassement devant être recherchées non seulement dans l'établissement où travaille le salarié, mais aussi dans les établissements de l'entreprise ou encore dans toutes les entreprises du groupe situées en France ou à l'étranger en l'état des dispositions légales en vigueur à la date du licenciement, la société Renault Trucks doit par conséquent justifier d'une recherche loyale et sérieuse au niveau du groupe auquel elle appartient.

La société Renault Trucks verse aux débats son registre d'entrées et de sorties du personnel du 15 mars 2016 au 31 octobre 2016 pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, lequel révèle qu'ont été pourvus des postes d'inventoriste (site de Belley), d'assistant commercial (établissement tertiaire Saint Priest), des gestionnaire administration RH (usine de Vénissieux), de magasinier, réceptionnaire ou hôtesse d'accueil (site de Corbas) susceptibles de correspondre 'à un poste de type administratif ' selon les termes de l'avis médical.

La société Renault Trucks produit en outre l'organigramme de la société et du groupe comportant les noms des responsables des ressources humaines, ainsi qu'un récapitulatif des fonctions exercées par un certain nombre d'interlocuteurs.

Il résulte enfin d'échanges de courriels que la société Renault Trucks a, dans un premier temps, par courriel du 16 mars 2016, interrogé un certain nombre d'interlocuteurs RH du groupe; qu'elle a renouvelé sa demande le19 septembre 2016 auprès d'un nombre plus restreint d'interlocuteurs, soit en l'espèce :

- [K] [B]: reponsable Emploi/mobilité RT SAS

- [T] [S]: fonction non précisée ;

- [L] [I]: RH Fonctions commerciales RT Brand ;

- [U] [N] [A]: RH Fonctions commerciales RT Brand ;

- [F] [M]: fonction non précisée ;

- [E] [C]: HR BP RTD [Localité 5] [Localité 6].

M. [Z] fait en conséquence grief à la société Renault Trucks d'avoir laisser s'écouler un délai de huit mois entre les deux sollicitations et d'avoir renoncé à interroger le 19 septembre, plus de 83% des entités qu'elle avait interrogées le 16 mars 2016, alors qu'entre temps, un bilan de compétences avait été réalisé avec le cabinet JLO Emploi.

Il fait également grief à l'employeur de ne pas avoir attendu le terme de la démarche de bilan professionnel adapté en se fondant seulement sur la synthèse à mi-parcours du 24 août 2016.

Il résulte des débats qu'un certain nombre de postes susceptibles de correspondre aux préconisations médicales, à savoir celles d'un poste de type administratif, permettant d'alterner les stations assises et debout et évitant la manutention de charges, ont été pourvus entre le 1er mai 2016 et le 1er juillet 2016 ; que la société Renault Trucks invoque l'absence de postes disponibles conformes aux strictes préconisations médicales et aux pistes d'orientation du cabinet JLO Emploi, sans avoir interrogé le médecin du travail sur la compatibilité entre les postes sus-visés (assistant, magasinier, accueil notamment) et les restrictions médicales.

Il apparaît en outre que si le délai de huit mois écoulé entre les deux interrogations des interlocuteurs RH du groupe s'explique par le temps pris pour établir le bilan de compétences, la société Renault Trucks ne justifie pas en revanche son choix de ne soumettre les premières orientations de ce bilan de compétences qu'à une partie des interlocuteurs RH interrogés le 16 mars 2016 et non à la totalité d'entre eux , étant précisé qu'elle ne précise pas les critères de son choix.

Dés lors, la société Renault Trucks n'est, en tout état de cause, pas en mesure de justifier qu'elle a procédé à une recherche complète de reclassement auprès de l'ensemble des entités du groupe Volvo entrant dans le périmètre de son obligation ,et qu'elle aurait obtenu des réponses négatives de chacune d'entre elles.

Il en résulte que la société Renault Trucks ne justifie pas qu'elle a procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement. Le jugement déféré sera donc confirmé.

- Sur l'indemnité de préavis :

Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement.

La société Renault Trucks ne remettant pas en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a fixé cette somme, soit par référence à l'article 46 de la convention collective applicable laquelle prévoit un préavis de deux mois pour les salariés classés au niveau IV, ainsi qu'aux dispositions de l'accord Handi-Accord prévoyant le doublement de la période de préavis conventionnelle, sera par conséquent condamnée à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

*8 736,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

* 873,63 euros de congés payés afférents.

Le jugement déféré sera ainsi confirmé.

- Sur les dommages-intérêts :

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 anciens du code du travail, M. [Z] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [Z] âgé de 37 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de neuf années, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 17 000 euros, sur la base du salaire moyen des trois derniers mois, soit 2 210,42 euros.

En conséquence, le jugement qui lui a alloué la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé en ce sens et M. [Z] débouté de sa demande pour le surplus.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de deux mois d'indemnisation; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

- Sur les demandes accessoires :

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Renault Trucks les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à M. [Z] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à M. [Z]

STATUANT à nouveau sur ce chef et y ajoutant

CONDAMNE la société Renault Trucks à payer à M. [Z] la somme de 17 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Renault Trucks à payer à M. [Z] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Renault Trucks aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/04743
Date de la décision : 16/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-16;19.04743 ?
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