AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE
COLLÉGIALE
RG : N° RG 19/08662 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MYCV
SAS [4]
C/
URSSAF RHÔNE ALPES
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Tribunal de Grande Instance de SAINT-ETIENNE
du 12 Novembre 2019
RG : 17/00559
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022
APPELANTE :
SAS [4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Michaël RUIMY de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
URSSAF RHÔNE ALPES
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Thomas MERIEN de la SELARL AXIOME AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Nathalie PALLE, Présidente
Bénédicte LECHARNY, Conseiller
Thierry GAUTHIER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
A l'issue d'un contrôle opéré courant 2016, l'URSSAF Rhône-Alpes a notifié à la société [4] une lettre d'observations, le 22 septembre 2016, portant sur plusieurs chefs de redressement au titre des années 2012 à 2014, suivie de la notification, le 28 novembre 2016, d'une mise en demeure de payer la somme de 56 265 euros en cotisations et celle de 11 566 euros en majorations de retard.
La commission de recours amiable ayant rejeté sa contestation des chefs de redressement n°2 et n°5 opérés au titre de la réduction générale des cotisations : rémunération brute - heures de pause, habillage, déshabillage, douche, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Etienne de deux recours, le 31 août 2017, portant respectivement sur les années 2012 et 2013 et sur l'année 2014.
Par jugement du 10 décembre 2018, le tribunal a débouté la société de sa demande en annulation de la mise en demeure de payer, de sa demande en annulation du redressement du fait de la discordance entre la période vérifiée et la période redressée et, avant dire droit sur la demande en annulation des chefs de redressement n°2 et n°5, a ordonné la réouverture des débats pour la production par la société de l'accord d'entreprise dont il est fait état par les parties et de la justification de la rémunération du temps d'habillage par une indemnité forfaitaire mensuelle.
La procédure s'est poursuivie devant le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Etienne.
Par jugement du 12 novembre 2019, le tribunal a :
- confirmé la décision de la commission de recours amiable s'agissant des points 2 et 5 du redressement,
- débouté la société de ses demandes,
Par lettre recommandée du 16 décembre 2019, la société a relevé appel du jugement du 12 novembre 2019, lui ayant été notifié le 18 novembre 2019.
Par ses conclusions n°2 déposées au greffe le 11 septembre 2020, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, la société demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 12 novembre 2019,
A titre liminaire :
- constater que le contrôle a été réalisé au cours de l'année 2016 et portait sur une période vérifiée du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013,
- juger en conséquence que les sommes recouvrées au titre de l'année 2012 sont prescrites,
- prononcer la nullité des opérations de recouvrement et des redressements sur l'année 2012 y afférents et réduire le montant des redressements à la seule année 2013, pour un montant de 39'521 euros dont 6198 euros de majorations,
- ordonner le remboursement des sommes indûment recouvrées limitées au montant de 22'140 euros et les majorations correspondantes pour un montant de 5338 euros,
A titre principal :
- constater que la procédure de recouvrement est entachée de nombreuses irrégularités substantielles,
- prononcer en conséquence la nullité des opérations de recouvrement et des redressements y afférents et ordonner le remboursement de l'ensemble des sommes indûment recouvrées à ce titre et notamment la somme de 75'662 euros correspondant au remboursement annulé au titre des années 2012, 2013, et 2014,
A titre subsidiaire :
- constater que l'URSSAF et le tribunal se sont mépris sur les pratiques et les demandes de la société,
- juger que la société a déduit, à juste titre, des temps d'habillage du dénominateur de la formule de calcul de la réduction générale des cotisations,
- juger que les temps de pause peuvent être intégrés au numérateur de la formule de calcul de la réduction générale dite Fillon,
- juger que les redressements opérés au titre de la réduction n'ont aucun fondement,
-prononcer en conséquence l'annulation de ces redressements et ordonner le remboursement des sommes indûment recouvrées à ce titre correspondant à l'annulation du remboursement opéré pour un montant de 75'662 euros au titre des années 2012, 2013 et 2014.
Par ses conclusions déposées au greffe le 14 décembre 2020, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, l'URSSAF demande à la cour de :
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes, principales et accessoires,
- confirmer le jugement en ce qu'il a confirmé les décisions de la commission de recours amiable s'agissant des chefs de redressement n° 2 et 5,
- valider la mise en demeure du 28 novembre 2016.
A l'audience des débats, la cour a relevé d'office le moyen tiré de l'autorité de la chose jugée du chef du dispositif du jugement du 10 décembre 2018 relatif au rejet de la demande en annulation de la mise en demeure de payer du 28 novembre 2016 et de celui qui a rejeté la demande en annulation du redressement du fait de la discordance entre la période vérifiée et la période redressée, qui rend irrecevables les moyens soulevés par la société tendant aux mêmes fins.
La société s'en est remis à l'appréciation de la cour et l'URSSAF s'est jointe à cette appréciation.
Les parties ont indiqué maintenir et soutenir leurs conclusions écrites.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la régularité de la procédure de recouvrement
La société contrôlée critique expressément le jugement en ce qu'il a retenu qu'il n'existait pas de discordance entre la période vérifiée et la période contrôlée de sorte que le redressement au titre de l'année 2012 était justifiée. Elle fait valoir que la mise en demeure du 28 novembre 2016 étant afférente à une lettre d'observations du 22 septembre 2016, les sommes recouvrées au titre de l'année 2012, soit 22 942 euros et les majorations afférentes, sont prescrites en application de l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale.
Elle ajoute que le redressement encourt la nullité en ce que la lettre d'observations et la réponse de l'inspecteur en charge du contrôle ne lui ont pas permis de connaître le mode de calcul du chef n°1 du redressement d'un montant de 4 796 euros et que la mise en demeure du 28 novembre 2016 est nulle faute de motivation suffisante de nature à lui permettre d'avoir connaissance de la cause, de la nature et de l'étendue de son obligation et en l'absence de transmission du rapport de contrôle.
Ce faisant et sous le couvert d'une demande en nullité de la procédure de recouvrement, la cour observe que la société entend remettre en cause les chefs du dispositif du jugement du 10 décembre 2018, notifié le 20 décembre 2018, contre lequel elle n'a pas relevé appel, l'ayant déboutée de sa demande en annulation de la mise en demeure de payer et de sa demande en annulation du redressement du fait de la discordance entre la période vérifiée et la période redressée.
En ce qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au dispositif du jugement du 10 décembre 2018, devenu irrévocable, la demande de la société est irrecevable par application des articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.
- Sur le redressement au titre de la réduction générale des cotisations sur les bas salaires (chefs de redressement n°2 et n°5 : réduction générale des cotisations - rémunération brute - heures de pause, habillage, déshabillage, douche)
Il résulte des articles L. 241-13, III, et D. 241-7 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable aux cotisations exigibles du 1er janvier 2012 jusqu'au 31 décembre 2014, que la rémunération des temps de pause, d'habillage et déshabillage versée en application d'une convention ou d'un accord collectif étendu en vigueur au 11 octobre 2007 est exclue de la rémunération annuelle du salarié prise en compte pour le calcul du coefficient de réduction des cotisations sur les bas salaires, peu important qu'elle corresponde à la rémunération d'un temps effectif de travail.
Et il résulte de l'article D. 241-7 , dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, que la valeur du salaire minimum de croissance retenu au numérateur du calcul du coefficient de la réduction générale des cotisations est déterminée sur la base de la durée légale du travail et lorsque la rémunération contractuelle est fixée sur une durée inférieure à la durée légale, le salaire minimum de croissance doit être corrigé à proportion de la durée du travail réellement effectué.
En l'espèce, il est constant que l'article 6.2.4 de la convention collective de l'alimentation : industries alimentaires diverses prévoit une indemnité forfaitaire mensuelle, dont le montant est fixé à 7,62 euros, pour compenser le temps d'habillage et de déshabillage du personnel obligé de porter une tenue spécifique et l'accord d'entreprise du 9 mai 2000 modifié relatif à la réduction du temps de travail, dont l'URSSAF ne conteste pas l'application, prévoit que les temps d'habillage et de déshabillage du personnel obligé de porter une tenue de travail fournie par l'employeur sont compensés par l'attribution d'une pause de 20 minutes rémunérée et considérée comme du travail effectif.
Alors qu'aux termes de la lettre d'observations l'inspecteur du recouvrement avait considéré qu'étant assimilés dans l'entreprise à du travail effectif, les temps d'habillage et de déshabillage ne pouvaient être déduits de la rémunération à prendre en compte pour le calcul du coefficient de réduction et, qu'en tout état de cause, s'ils devaient ne pas être considérés comme du travail effectif leur déduction au dénominateur de la formule de calcul nécessiterait une pondération du SMIC au numérateur, il demeure que la commission de recours amiable de l'URSSAF a, quant à elle, admis la neutralisation de ce temps d'habillage et de déshabillage rémunéré sous la forme de 20 minutes de pause par jour au dénominateur de la formule de calcul servant à définir la rémunération annuelle applicable, tout en considérant que seules les heures réellement effectuées devaient être prises en compte, amenant à une pondération du SMIC au numérateur à proportion de la durée du travail réellement effectué et ayant pour effet de priver d'effet un éventuel recalcul.
Et alors qu'elle soutient que sa demande consistait uniquement à la déduction des sommes précisément prévues par la convention collective de branche au titre des opérations d'habillage et de déshabillage et non par l'accord collectif d'entreprise, force est de constater que, dans sa lettre du 11 octobre 2016 à l'appui de sa contestation de la lettre d'observations, la société contrôlée expliquait que la rémunération du temps d'habillage ne faisait pas l'objet d'une ligne sur le bulletin de paie mais que celui-ci était rémunéré par une contrepartie sous la forme de 20 minutes de pause par jour, intégrée dans le salaire de base.
Il s'en déduit qu'à hauteur d'appel, comme devant les premiers juges, ne reste en débat que la question de l'intégration au numérateur du coefficient de réduction générale des cotisations sur les bas salaires du temps de pause nécessité par l'habillage et le déshabillage du personnel obligé de porter une tenue de travail fournie par l'employeur.
En l'occurrence, alors que, d'une part, la durée hebdomadaire de travail qui est de 35 heures dans l'entreprise inclut le temps d'habillage et de déshabillage rémunéré sous la forme d'un temps de pause de 20 minutes par jour, intégré dans le temps de travail de 7 heures par jour et dans le salaire de base, et conventionnellement considéré comme du temps de travail effectif pendant lequel le salarié demeure à la disposition de son employeur, d'autre part, que le temps de pause n'est pas au nombre des cas énumérés par l'article D. 241-7 du code de la sécurité sociale prévoyant une correction du salaire minimum de croissance à proportion de la durée du travail lorsque celle-ci est différente de la durée légale, il n'y a pas lieu de porter au numérateur de la formule de calcul de la réduction générale sur les bas salaires un SMIC minoré comme le soutient l'URSSAF, de sorte que, par infirmation du jugement, les chefs n°2 et n°5 du redressement qui ne sont pas fondés doivent être annulés et l'URSSAF condamnée à rembourser à la société contrôlée la somme qu'elle a payée au titre de ces deux chefs du redressement annulés, soit la somme de 67 831 euros.
- Sur les dépens:
L'URSSAF, partie succombante, est tenue aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et contradictoirement,
INFIRME le jugement rendu le 12 novembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Etienne en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
PRONONCE l'annulation des chefs n°2 et n°5 de redressement et condamne l'URSSAF Rhône-Alpes à rembourser à la société [4] la somme de 67 831 euros,
CONDAMNE l'URSSAF Rhône-Alpes aux dépens.
La greffière, La présidente,