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09/11/2022 | FRANCE | N°19/08830

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 09 novembre 2022, 19/08830


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/08830 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MYOP



[A]

C/

Société GROUPEMENT LOGISTIQUE DU FROID



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lyon

du 21 Novembre 2019

RG : F17/04043





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022







APPELANT :



[W] [A]

né le 19 Juin 1957 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité

3]



représenté par Me Gabrielle MILLIER de la SELARL AEQUITAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Gilles GELEBART, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES







INTIMÉE :



Société GROUPEM...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/08830 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MYOP

[A]

C/

Société GROUPEMENT LOGISTIQUE DU FROID

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lyon

du 21 Novembre 2019

RG : F17/04043

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

[W] [A]

né le 19 Juin 1957 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Gabrielle MILLIER de la SELARL AEQUITAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Gilles GELEBART, avocat au barreau de MACON/CHAROLLES

INTIMÉE :

Société GROUPEMENT LOGISTIQUE DU FROID

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Elodie STIERLEN de la SELARL CARABIN-STIERLEN AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Septembre 2022

Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [W] [A] a été embauché par la société Groupement Logistique du Froid, suivant contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 1993, en qualité de comptable, coefficient 150 de l'annexe 3 de la convention collective des transports routiers.

A compter du 1er août 2007, M. [A] a occupé les fonctions de directeur administratif et des ressources humaines.

En 2016, le groupe STG auquel appartient la société Groupement Logistique du Froid, a décidé de réorganiser la gestion de la paie au niveau du groupe en mettant en place un nouveau logiciel.

Par lettre en date du 13 novembre 2017, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 23 novembre 2017.

Par requête en date du 24 novembre 2017, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 6 décembre 2017, la société Groupement Logistique du Froid a notifié à M. [A] son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Au dernier état de ses conclusions, M. [A] a demandé au conseil de prud'hommes de condamner la société Groupement Logistique du Froid à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour exécution déloyale du contrat de travail et de rappel d'heures supplémentaires et de treizième mois.

Par jugement en date du 21 novembre 2019, le conseil de prud'hommes, a :

- rejeté les demandes en résiliation judiciaire du contrat de travail, paiement de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et paiement de rappel d'heures supplémentaires

- condamné la société Groupement Logistique du Froid (GLF) à verser à M. [A] les sommes suivantes :

1 256,59 euros bruts au titre de complément de 13ème mois,

125,65 euros bruts au titre de congés payés afférents,

- rappelé les dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail et fixé la moyenne brute des salaires des trois derniers mois à la somme de 4 268 euros

- dit que le licenciement de M. [A] repose sur une cause réelle et sérieuse

- débouté M. [A] de ses autres demandes

- débouté la société Groupement Logistique du Froid de ses autres demandes

- condamné la société Groupement Logistique du Froid aux dépens de l'instance.

M. [A] a interjeté appel de ce jugement, le 19 décembre 2019.

M. [A] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement

à titre principal sur la résiliation judiciaire, et subsidiairement sur le licenciement,

- de condamner la société GLF à lui payer la somme de 120 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- de condamner la société GLF à lui payer la somme de 30 000 euros nets à titre de dommages- intérêts pour exécution déloyale du contrat.

- de condamner la société GLF à payer les sommes suivantes :

16 720,17 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires

1 672,01 euros bruts au titre des congés afférents

- d'assortir les condamnations prononcées des intérêts légaux à compter de la saisine du conseil, soit le 24 novembre 2017, pour les condamnations de nature salariale ; et à compter du prononcé de l'arrêt pour les condamnations indemnitaires

- de condamner la société GLF à lui payer la somme de 3 000 euros par application

des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- d'ordonner la délivrance de documents de fin de contrat établis conformément à l'arrêt à venir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard après 15 jours à compter du prononcé.

La société Groupement Logistique du Froid demande à la cour :

à titre principal,

- de confirmer le jugement

à titre subsidiaire, si la cour devait déclarer fondée la résiliation judiciaire du contrat de travail ou déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- de réduire à de plus justes proportions le montant des dommages intérêts alloués

en tout état de cause,

- de débouter M. [A] de sa demande de 3 000 euros fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- de condamner M. [A] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- de condamner M. [A] aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Laffly, avocat sur son affirmation de droit.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

M. [A] n'ayant pas critiqué dans sa déclaration d'appel le chef du jugement relatif au complément de treizième mois qui lui a été alloué et la société GLF n'ayant pas formé appel incident à ce titre, le jugement sera confirmé en ce qui concerne cette disposition.

Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

M. [A] fait valoir qu'il n'a jamais signé de convention de forfait annuel en jours et que, de toute façon, les conditions de validité du forfait annuel en jours n'ont jamais été respectées (entretien annuel), de sorte que la durée hebdomadaire du travail qui lui est applicable est la durée légale de 35 heures.

L'employeur fait valoir que M. [A] produit des horaires type qu'il aurait effectués sur la base notamment de plusieurs attestations de salariés et affirme que ces éléments ne sauraient attester des horaires revendiqués.

****

La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié, la convention étant établie par écrit.

En l'espèce, seul est produit un avenant au contrat de travail daté du 27 septembre 1993 stipulant que M. [A] a été embauché le 1er juillet 1993 en qualité de comptable et que d'un commun accord, la période d'essai est prorogée de trois mois, soit jusqu'au 31 décembre 1993.

En l'absence de convention de forfait annuel en jours, la demande en paiement d'heures supplémentaires formée par M. [A] est recevable.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des dispositions de l'article précité et de celles des articles L. 3171-2, alinéa 1er, et L. 3171-3 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [A] produit les éléments suivants, à l'appui de sa demande :

- des relevés de pointage de septembre 2013 qui concernent en effet une période prescrite

- une attestation de Mme [U], assistante de M. [A], du 10 décembre 2006 au 7 août 2015, qui affirme que celui-ci travaillait tard le soir et qu'il lui arrivait de finir ses journées de travail à 20 heures, voire 23 heures et que c'était lui qui se chargeait des entretiens disciplinaires ou d'information avec les équipes de nuit et restait en ce cas jusqu'à la prise du service de nuit à 22 heures, ou revenait dans la nuit

- l'attestation de M. [T], représentant du personnel ayant assisté M. [A] lors de l'entretien préalable au licenciement, selon laquelle il a vu à plusieurs reprises M. [A] partir très tard le soir au moment des paies

- l'attestation de M. [L], directeur d'exploitation dans l'entreprise du 1er décembre 2012 au 31 juillet 2015, dont il résulte que M. [A] arrivait entre 7 heures 45 et 8 heures et partait régulièrement à 20 heures

Il affirme dans ses conclusions que sa journée de travail commençait à 8 heures et se terminait à 19 heures 30 et qu'il prenait une heure et quart de pause pour déjeuner, de sorte que sa durée de travail effectif s'est élevée à 50 heures par semaine sur les trois dernières années de la relation de travail.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en apportant ses propres éléments.

L'employeur critique le caractère probant des éléments ci-dessus apportés par le salarié, alors que ce n'est pas à ce dernier de supporter seul la charge de la preuve de ses horaires de travail, cette preuve étant partagée. Il ajoute simplement sans apporter de pièces sur ce point que M. [A] était libre de son emploi du temps et que rien ne permet d'indiquer que ses heures n'étaient pas compensées par des temps de repos ou des arrivées plus tardives.

Au vu de ces éléments, il est établi que M. [A] a accompli des heures supplémentaires.

Il y a lieu de fixer la créance en résultant à la somme revendiquée par lui et de condamner la société GLF à lui payer la somme de 16 720,17 euros, outre celle de 1 672,01 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents.

Le jugement qui a rejeté ce chef de demande sera infirmé.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Lorsqu'un salarié introduit une action en résiliation judiciaire du contrat de travail et est par la suite licencié, le juge doit au préalable statuer sur la demande de résiliation et n'apprécie le bien fondé du licenciement que s'il ne fait pas droit à la demande de résiliation judiciaire.

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations contractuelles pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi justifier la rupture à ses torts.

M. [A] invoque les manquements suivants commis par l'employeur :

- la modification unilatérale de ses fonctions

- l'exécution déloyale de son contrat de travail.

M. [A] soutient que le service des ressources humaines de la société GLF, filiale du groupe STG, dont il est le directeur, a été peu à peu dépossédé de la totalité de ses missions qui ont été soit transférées au siège du groupe, soit déléguées à la direction de la filiale ou à Mme [N], embauchée par la société GLF en qualité de référente régionale des ressources humaines.

Il affirme que ce n'est pas seulement le service paie qui a été centralisé au niveau du groupe, mais aussi la gestion des repos compensateurs, les contrats de travail, les ruptures de contrat, les arrêt-maladie, les déclarations d'accident du travail, les déclarations et paiements aux URSSAF, caisses de retraite, prévoyance et mutuelle. Il ajoute que les recrutements ont été réaffectés à la direction et à la responsable administrative de la société GLF, certaines de ces missions lui ayant été retirées dès la fin 2016.

La société, après avoir fait observer que M. [A] avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail postérieurement à l'entretien préalable, dans le délai de réflexion imparti à l'employeur pour notifier la sanction, ce qui démontre que les griefs énoncés ne caractérisaient pas l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail, soutient que le salarié n'avait pas uniquement pour mission de saisir les bulletins de salaire, les contrats de travail et les déclarations d'accident du travail et qu'à aucun moment, il ne s'est trouvé sans mission au cours de la relation de travail, puisqu'il était chargé d'accompagner la réussite de la migration de la paie et de recentrer les missions 'RH' sur le coeur de métier (tel que répertorier et valoriser les compétences des salariés, répondre aux demandes des opérationnels, améliorer les conditions de travail).

****

La responsable paie du groupe, Mme [B], a écrit le 2 mai 2016 que, dans le cadre du projet de migration de l'outil paie, une phase d'analyse et de rédaction des paramétrages de la GTA (gestion des temps et activités) allait démarrer et que cette GTA serait déployée sur l'ensemble des sites et de la population salariée et intérimaire du groupe au 1er décembre 2016, à savoir enregistrement des absences, congés payés ... validation d'éléments de rémunération, décompte du temps de travail.

Le compte-rendu de l'équipe paie du groupe (société STG) du 17 mai 2016 montre qu'à l'occasion du point d'étape sur la centralisation, le groupe s'était interrogé sur la répartition des missions avec les filiales 'pour voir si on crée une version avec ou sans personnel sur site' et qu'il avait défini son propre rôle de la manière suivante : 'nos missions vont au-delà de la simple production de bulletins. Nous intervenons sur l'administration du personnel, la gestion des dossiers du personnel, le suivi du disciplinaire en lien avec les référents RH, la production des données sociales pour les IRP.'

Lors de la réunion extraordinaire du CHSCT de la société GLF du 29 juillet 2016, la direction a informé les membres du comité de ce qu'un nouveau prestataire serait en charge du nouveau logiciel de paie à partir du 1er décembre 2016 et qu'une période de tests était programmée, le but de ce programme étant de faciliter la tâche du service des ressources humaines. La direction a confirmé en réponse à la question qui lui était posée à ce sujet que la mise en place de ce système n'entraînerait aucune réduction de personnel au sein du service concerné (service des ressources humaines).

Le 16 décembre 2016, la société GLF a envoyé une lettre à M. [A] (comme aux autres salariés de l'entreprise) en lui annonçant que l'outil de troisième génération SIHR (système d'informations des ressources humaines) serait utilisé à compter du 1er mai 2017 et permettrait de prendre en charge de manière globale et sécurisée l'ensemble des aspects liés aux ressources humaines de l'entreprise : établissement du nouveau bulletin de salaire, gestion administrative automatisée, gestion prévisionnelle des emplois et compétences, référentiel métier, formation etc...)

Le 2 novembre 2017, M. [A] a écrit au directeur des ressources humaines du groupe STG : 'je n'ai pas été convié au pointage des premières feuilles de paie de notre nouveau logiciel, ce qui faisait jusqu'à ce jour partie intégrante de mon poste; c'est dommage car j'ai participé activement au projet. Depuis vendredi 27 octobre 2017, j'ai remarqué un changement dans les relations avec ma hiérarchie.'

M. [A] a écrit à nouveau le 9 novembre 2017 à ce directeur des ressources humaines qu'il avait été choqué de ne pas avoir été convié au contrôle des premières paies sur le nouveau logiciel, qu'en ce qui concerne le projet 'GTA' (gestion des temps et activités) auquel il devait participer au 1er trimestre 2017, il était prévu qu'il se déplace plusieurs fois au siège du groupe, mais que tous ses déplacements avaient été annulés et qu'il n'avait reçu aucune communication en ce qui concerne la 'mobilisation du personnel GTA'. Il a signalé que le service ressources humaines s'était appauvri de deux personnes, l'une ayant démissionné fin septembre, l'autre étant tombée malade le 13 octobre 2017 et que, sur un effectif de trois, il ne restait plus que lui, que tout ceci était extrêmement troublant d'autant plus qu'avec la centralisation des tâches ressources humaines, son périmètre de travail diminuait de mois en mois.

Au cours de la réunion extraordinaire du CHSCT du 20 novembre 2017, à l'observation qui lui était faite par les membres du comité 'sur les trois salariés qui composent le service des ressources humaines, l'une a démissionné, la deuxième est en arrêt-maladie et le responsable fait l'objet d'une mise à pied conservatoire', la direction a répondu qu'il n'y avait aucune volonté de mettre à l'écart ces personnes.

Mme [V] [C], l'une des trois salariées du service des ressources humaines, avait notamment signalé le 18 novembre 2016 à l'inspection du travail :

- que le service des ressources humaines de la société GLF avait été reçu le 13 septembre 2016 par le directeur qui leur avait annoncé que les travaux de paie seraient dorénavant effectués au siège: paies, charges, contrats de travail, suivi des arrêts de travail ('on nous enlève notre travail'), non pas pour des raisons d'économie mais uniquement pour harmoniser les process entre les sites, que le projet avait du retard et qu'on aurait alors besoin sur le site de GLF d'1,6 personne pour le service ressources humaines arrondi à deux, mais qu'aucune feuille de route, ni tâche n'avaient été évoquées

- que la centralisation des services paie avait été confirmée en janvier 2017

- que le service n'avait pas d'information sur son devenir malgré ses demandes.

Mme [C] a ajouté dans une lettre du 2 novembre 2017 à l'intention de l'inspection du travail:

- que le directeur des ressources humaines et elle avaient fait la dernière session de paie sans compter leurs heures supplémentaires pour boucler la paie en raison du 'rétroplanning serré du groupe'

- que le 6 octobre 2017, leurs mots de passe avaient été changés sans qu'ils soient prévenus

- qu'elle avait demandé à la référente ressources humaines du groupe ce que deviendrait son poste puisqu'elle n'avait plus rien à faire, mais qu'une semaine après, elle n'avait toujours pas de réponse

- que toutes les tâches étaient centralisées au siège social ou le seraient bientôt ou seraient faites par les responsables de service

- que les recrutements ne transitaient toujours pas par le service, que les membres du service étaient cantonnés à transmettre les documents administratifs et qu'il fallait encore transmettre des données pour former l'assistante ressources humaines qui ferait les payes au siège social.

Mme [C] indique dans cette seconde lettre qu'elle a craqué et qu'elle est en arrêt de travail depuis le 13 octobre 2017.

Mme [H], troisième salariée du service des ressources humaines de la société GLF, a quant à elle démissionné le 25 août 2017 en ces termes : 'Vous m'annoncez le 13 septembre 2016 que mon poste va être supprimé suite à la centralisation des paies qui est faite au sein du groupe STG; en mars 2017, je refuse votre demande (d'aller seconder la personne du service litige) et reçois alors un avertissement (...) Vous apprenez que le projet de centralisation est reporté en septembre 2017 (...) Vous annoncez qu'il n'y aura pas de suppression de poste au service RH mais malgré cela, je suis mise à l'écart du projet de gestion du temps et des absences nécessaire à la centralisation des paies. Cela fait presqu'un an que je sais que mon avenir chez GLF est compromis et que l'avenir du service des ressources humaines l'est également. Nous n'avons aucune information de votre part sur ce que nous allons devenir. Nous sommes tenus à l'écart de certaines missions qui devraient normalement nous concerner(...)'

La dépossession des missions du service des ressources humaines de la société GLF et de celles de M. [A] en sa qualité de directeur de ce service est donc établie par les documents ci-dessus.

Elle est corroborée par :

- des échanges de courriels d'octobre et novembre 2017 montrant que M. [A] a envoyé au siège les arrêts de travail des salariés, les indemnités journalières perçues et le suivi des visites médicales pour que le siège puisse contrôler les bulletins de salaire, suivant les instructions de Mme [N], référente des ressources humaines de la région Rhône Alpes, par le contenu des offres de recrutement des gestionnaires de paie du groupe faisant ressortir que ceux-ci étaient également chargés de la gestion des ressources humaines, par les échanges de courriels d'octobre 2017 entre M. [A] et le directeur de la société qui lui demande 'la prochaine fois' de l'avertir des rendez-vous avec le médecin du travail dans le cadre des études de poste et de le convier à ces rendez-vous

- le compte-rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT du 20 novembre 2017 ci-dessus évoquée reprenant les réponses apportées par la direction aux membres du comité : 'la paie d'octobre sera faite au siège, ainsi que les charges sociales, les déclarations d'accident du travail, les attestations maladie, la formation seront effectuées par le siège, la partie intérim et le recrutement sont gérés par la direction et les responsables de service'

- le tableau des missions des ressources humaines produit par l'employeur répartissant les différentes tâches entre le siège, la filiale et les ressources humaines de la filiale, faisant notamment apparaître que le service des ressources humaines de la filiale, soit est entièrement déchargé de certaines tâches (embauche, gestion de la mutuelle, suivi des permis, arbitrage et validation de la formation, recrutement des cadres, entretiens annuels), soit perd son autonomie pour d'autres tâches qu'il exerce désormais conjointement avec le siège ou avec la direction de la filiale (en matière de rédaction et de suivi disciplinaire, de recrutement des ouvriers et employés, de représentation du personnel)

- un article de la revue interne du groupe qui explique le fonctionnement de la nouvelle organisation des ressources humaines : 'une nouvelle direction RH groupe comprenant un pôle paie groupe et un pôle développement RH groupe pour piloter en central, avec l'aide des représentants RH régionaux (cinq référents RH régionaux nommés pour déployer au sein de la région et en coordination avec le directeur régional et les directeurs de site la politique RH définie au niveau du groupe), la promotion interne, le recrutement de nouveaux talents, la formation des collaborateurs et pour développer la gestion des carrières et des compétences en interne.

Or, l'employeur n'apporte aucun élément permettant de contredire les pièces du salarié sur la matérialité de la suppression des tâches essentielles du service des ressources humaines de la filiale, ni même démontrant qu'il a répondu aux interrogations et alertes de M. [A] et des deux salariées de son service. Il n'a pas justifié non plus des motifs pour lesquels les déplacements 'GTA' du salarié au siège avaient été annulés en 2017.

Les pièces produites par l'employeur sont essentiellement, soit des échanges de courriels intervenus en 2018, postérieurement au licenciement de M. [A], soit des courriels destinés à établir le bien-fondé de la mesure de licenciement prononcée à l'égard du salarié auquel il est reproché dans la lettre de licenciement :

- le non accomplissement de certaines tâches, de nombreuses erreurs de saisie et le non-respect des process au cours des mois de septembre et octobre 2017 correspondant à la période de fin de préparation de la bascule et de réalisation de la bascule du logiciel traduisant le refus manifeste du salarié de s'impliquer dans le projet de migration et la mise en place d'un logiciel de temps pourtant indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise

- de nombreuses erreurs et le non traitement de dossiers au mois d'octobre 2017, caractérisant un manquement évident à la réalisation des tâches les plus élémentaires de ses fonctions de directeur des ressources humaines.

Juste avant la décision du groupe de réorganiser le traitement de la paie et les missions précédemment attribuées aux services des ressources humaines des filiales, M. [A], dont l'ancienneté était alors de 23 ans dans l'entreprise et de 9 ans dans le poste, avait pourtant bénéficié d'un entretien individuel annuel le 15 mars 2016, à l'issue duquel son savoir faire et son professionnalisme avaient été évalués comme étant conformes aux attentes ou supérieurs aux attentes, tandis que le résultat des expériences et réalisations et celui de l'implication et de la motivation avaient été jugés supérieurs aux attentes.

Après que le salarié eut indiqué que les faits marquants de la période écoulée étaient : 'trois directeurs différents, deux référents RH différents, remplacement assistante, élection des représentants du personnel (CE, DP)', l'évaluateur avait également conclu : M. [A] a dû à nouveau se familiariser avec un nouveau patron et en attendant, a animé seul la plupart des réunions CE/DP.'

Il apparaît ainsi qu'en novembre 2017, des insuffisances sont subitement imputées au salarié, en lien avec la finalisation de la migration du logiciel de paie, insuffisances reprises dans un courriel adressé le 6 novembre 2017 par Mme [Z], responsable paie du groupe, à M. [M], directeur de la société GLF, et à Mme [N], référente des ressources humaines de la région, dont M. [A] n'a pas été destinataire. Les difficultés évoquées sont datées du mois de mai 2017.

Mme [Z] indique en effet que l'équipe en place sur le site composée de M. [A] et Mme [C] 'a failli le mois de la bascule', 'M. [A] n'a pas réalisé les travaux préparatoires dont il avait la responsabilité', 'nous avons identifié la filiale comme étant en difficulté dès le mois de mai', 'je vous renvoie le plan d'action qui avait été décidé pour la région sud est suite au report de mai à octobre, vous y constaterez que GLF suscitait déjà des inquiétudes', '[W] ([A]) n'ayant lui-même pas assez pratiqué SMART n'a pas pu accompagner les managers GTA', 'aussi je vous invite à revoir votre organisation en interne'.

Or, le salarié n'a jamais reçu de mise en garde et l'employeur a engagé la procédure de licenciement une semaine après avoir reçu ce courriel.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, M. [A] rapporte la preuve qui lui incombe de ce qu'à la date à laquelle il a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail, il avait perdu la responsabilité de la plupart des tâches qui relevaient de ses fonctions de directeur du service des ressources humaines d'une filiale, qu'il exécutait jusque là à la satisfaction de son employeur malgré un environnement changeant.

Cette perte de responsabilités dans le cadre d'une réorganisation globale des activités du service des ressources humaines constituait bien une modification substantielle des fonctions de M. [A] et donc un manquement de l'employeur d'une gravité telle qu'il empêchait la poursuite de la relation de travail.

Il y a lieu en conséquence de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [A] aux torts de l'employeur, avec effet à la date du licenciement, soit le 6 décembre 2017.

En application de l'article L1235-3 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017- 1387 du 22 septembre 2017, compte-tenu de la date d'effet de la rupture, l'effectif de l'entreprise étant supérieur à 10 salariés, à défaut de réintégration, le salarié qui avait 24 années complètes d'ancienneté dans l'entreprise peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 17,5 mois de salaire brut.

Compte-tenu des circonstances de la rupture et de l'âge du salarié (60 ans), il y a lieu de condamner la société à payer à M. [A], qui percevait un salaire mensuel brut de 4 472,12 euros euros bruts, heures supplémentaires incluses, la somme de 78 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi.

En application de l'article L1235-4 du code du travail, la société doit être condamnée d'office à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois d'indemnités.

Il convient d'ordonner à la société GLF de remettre à M. [A] ses documents de fin de contrat rectifiés et un bulletin de salaire récapitulatif conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation du prononcé d'une astreinte.

Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

M. [A] fait notamment valoir à l'appui de cette demande les trois faits suivants, dont il soutient qu'ils s'inscrivent dans un contexte managérial délétère organisé par l'employeur, se manifestant par une détérioration relationnelle soudaine avec sa hiérarchie et un déni constant de la situation du service des ressources humaines, ce qui a durement impacté son moral et sa santé :

- il a présenté le 14 octobre 2016 une demande de deux jours de congé pour les 27 et 28 octobre 2016, mais un seul jour de congé lui a été accordé, sans aucune explication, quoiqu'il ait précédemment renoncé à certains de ses congés

- le 6 novembre 2017, bien qu'il vienne d'écrire à M. [M], son directeur, qu'il est seul et débordé, Mme [C] étant en arrêt-maladie, celui-ci lui demande de lui envoyer un tableau et le relance par téléphone à cet effet, alors qu'il a accès à tous les fichiers 'RH'

- d'octobre 2016 à avril 2017, l'employeur l'a toujours fait voyager en seconde classe alors que ses déplacements en train au siège devaient s'effectuer en 1ère classe, et les hôtels qui lui étaient réservés étaient parfois 'quasi-miteux'.

En ce qui concerne ce dernier grief, le salarié produit la page 8 de la convention collective datée décembre 1971 selon laquelle l'entreprise rembourse le prix des billets utilisés par l'ingénieur ou cadre et s'il s'agit d'un déplacement en chemin de fer ou en bateau, le voyage est effectué en 1ère classe, ainsi que ses billets de train montrant qu'il a voyagé en seconde classe.

L'employeur admet qu'il a fait voyager M. [A] en seconde classe mais explique que le directeur, M. [M], voyageait aussi en seconde classe, ce qui ne ressort que du propre courriel de ce dernier du 22 octobre 2018 (postérieur au licenciement) 'pour info, je voyage en seconde classe également (comme tout le monde)'.

Les trois faits allégués, dont la matérialité n'est pas sérieusement discutée mais dont l'employeur estime de son côté qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs et ne peuvent dès lors caractériser l'exécution déloyale du contrat de travail qui lui est reprochée, commis dans le contexte qui a été établi ci-dessus, présentent un caractère fautif.

En tout état de cause, les manquements de l'employeur qui ont justifié la résiliation du contrat de travail à ses torts, repris à l'appui de la présente demande en dommages et intérêts, se sont produits pendant l'exécution du contrat de travail.

Le salarié justifie avoir fait l'objet d'un arrêt de travail du 13 novembre 2017, jour de la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement, jusqu'au 1er décembre 2017.

Le médecin du travail, par certificat daté du 16 novembre 2017, indique qu'il voit à sa demande M. [A] qui lui fait part des relations conflictuelles avec son entreprise et qu'il constate une dégradation de son état de santé et la présence d'un syndrome anxio-dépressif (baisse de l'humeur, troubles du sommeil, troubles anxieux).

M. [A] justifie dès lors avoir subi un préjudice en lien avec l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur.

Il convient de condamner la société à payer à M. [A] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.

Le recours de M. [A] étant accueilli pour l'essentiel, la société GLF doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [A] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société GLF à payer à M. [W] [A] un complément de treizième mois et l'indemnité de congés payés afférents et a mis les dépens à la charge de la société

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [W] [A] aux torts de l'employeur, avec effet au 6 décembre 2017

CONDAMNE la société GLF à payer à M. [W] [A] la somme de 78 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur

CONDAMNE la société GLF à payer à M. [W] [A] les sommes suivantes :

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'exécution déloyale du contrat de travail

- 16 720,17 euros, à titre de rappel d'heures supplémentaires, et 1 672,01 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents

ORDONNE à la société GLF de remettre à M. [A] ses documents de fin de contrat rectifiés et un bulletin de salaire récapitulatif conformes aux dispositions du présent arrêt

REJETTE la demande d'astreinte

CONDAMNE d'office la société GLF à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois d'indemnités

CONDAMNE la société GLF aux dépens d'appel

CONDAMNE la société GLF à payer à M. [W] [A] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/08830
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;19.08830 ?
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