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09/11/2022 | FRANCE | N°19/08601

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 09 novembre 2022, 19/08601


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/08601 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MX6O



Société VFD

C/

[N] [W]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 18 Novembre 2019

RG : F17/03993

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022







APPELANTE :



Société VFD

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Jacques AGUIRAUD

de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Cécile CURT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Anne-sophie MEYZONNADE, avocat au barrea...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/08601 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MX6O

Société VFD

C/

[N] [W]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 18 Novembre 2019

RG : F17/03993

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022

APPELANTE :

Société VFD

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Cécile CURT de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Anne-sophie MEYZONNADE, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[E] [N] [W]

né le 28 Janvier 1960 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Pascale REVEL de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Alexis PERRIN, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Septembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société des Voies Ferrées du Dauphiné, ci-après dénommée VFD, exerce une activité de transport interurbain de voyageurs dans les départements de l'Isère et du Rhône.

Courant 2006, la régie des VFD qui exploitait le réseau des transports routiers relevant de la compétence du département de l'Isère s'est transformée en société d'économie mixte via une participation de Keolis à 15% de son capital.

M. [N] [W] a été embauché initialement par la régie départementale des VFD, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 avril 1984, en qualité de mécanicien stagiaire, puis à compter du 1er juillet 2006 par la SEM-VFD.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [N] [W] occupait le poste de chef d'atelier, statut agent de maîtrise, groupe 5 annexe 3, coefficient 185, et percevait une rémunération mensuelle brute de 3 771,68 euros.

A compter du 8 septembre 2014, M. [N] [W] a été placé en arrêt maladie et prolongé jusqu'au 16 décembre 2016.

Le 19 décembre 2016, lors de la première visite médicale de reprise, le médecin du travail déclarait M. [N] [W] inapte à son poste de travail et préconisait de le revoir dans trois semaines après étude de poste.

A la suite de la seconde visite médicale, le 11janvier 2017, le médecin du travail rendait un avis d'inaptitude dans les termes suivants :

'Inapte définitif au poste. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.

La société VFD a notifié à M. [N] [W] l'impossibilité de son reclassement, par un courrier en date du 10 février 2017.

Par courrier du 15 février 2017, la société VFD a convoqué M. [N] [W] à un entretien préalable, fixé au 28 février 2017.

La société VFD a licencié M. [N] [W] pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par courrier du 3 mars 2017 ainsi libellé :

'Suite à notre entretien en date du 28février 2017, au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [T] [V], représentant du personnel, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour impossibilité de reclassement suite a la constatation de votre inaptitude d'origine non professionnelle, pour les motifs que nous vous avons exposés lors de cet entretien et que nous vous rappelons ci-après.

Vous avez été embauché au sein de notre société le 01/07/2006 avec reprise d'ancienneté au 02/04/1984 et exercez au dernier état de la relation contractuelle les fonctions de Chef d'Atelier au sein de notre dépôt de [Localité 7] appartenant at notre établissement [Localité 5]- [Localité 8].

Suite aux deux visites médicales de reprises qui ont eu lieu les 19 décembre2016 et le 11 janvier 2017, le médecin du travail, le Dr [P], vous a déclaré inapte définitif; en ces termes : inapte définitif au poste. L'état de santé du salarié fait obstacle a tout reclassement dans un emploi.

Conformément à nos obligations, et après nous être rapprochés des services de la Médecine du travail, nous avons procédé a une large recherche de reclassement vous concernant au sein de notre société et auprès de notre filiale, mais également auprès des actionnaires de notre société er nos partenaires.

Toutefois, après recherches approfondies de reclassement, au besoin par voie de mutation ou transformation de poste. il s'avère qu'aucun poste adapté à vos compétences professionnelles et compatible avec votre état de santé n'a pu être identifié au sein de notre société et de sa filiale mais également auprès des actionnaires de notre société et nos partenaires ; comme nous l'avons écrit le 10 février 2017, après consultation des délégués du personnel lors d'une réunion qui s'est déroulée le 9 février 2017.

En conséquence, par la présente, et eu égard aux explications qui précède, nous nous voyons contraints de vous notifier votre licenciement en raison de l'impossibilité devant laquelle nous nous trouvons de procéder à votre reclassement sur une poste compatible avec votre état de santé, conforme aux préconisations du médecin du travail et adapté à vos compétence, suite à votre inaptitude d'origine non professionnelle telle que constatée par les services de la médecine du travail le 11 janvier 2017 (...).

Le solde de tout compte ainsi que les documents de fin de contrat de M. [N] [W] lui ont été envoyés par courrier du 30 mars 2017.

Par courriers du 3 avril 2017 et du 4 août 2017, M. [N] [W] a contesté son solde de tout compte.

Par requête en date du 17 novembre 2017, M. [N] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, que la société VFD a exécuté de manière déloyale le contrat de travail et a violé son obligation de préserver la santé et la sécurité de son salarié, et de condamner la société VFD à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité, et de rappel de salaire.

Par un jugement en date du 18 novembre 2019, le conseil de prud'hommes, a :

- dit que la société VFD a exécuté de manière déloyale le contrat de travail de M. [N] [W] en manquant à son obligation de sécurité.

- dit que le licenciement intervenu pour inaptitude n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.

- fixé le salaire mensuel moyen brut de M. [N] [W] à 3 711,68 euros

- condamné la société VFD à verser à [N] [W] les sommes suivantes :

10 000 euros nets au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

7 900,43 euros nets au titre du rappel de l'indemnité conventionnelle de licenciement

35 000 euros nets a titre de dommages et intérêts au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse

7 543,36 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 754,34 euros au titre des conges payes afférents

1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonné d'office en application de l'article L.1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS VFD aux organismes concernes des indemnités de chômage perçues par M. [N] [W] licencié dans la limite de 3 mois.

- débouté M. [N] [W] du surplus de ses demandes.

- débouté la SAS VFD de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée aux dépens de l'instance.

La société VFD a interjeté appel de ce jugement, le 13 décembre 2019.

La société VFD demande à la cour de:

- réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

- juger que le licenciement pour inaptitude physique d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement de M. [N] [W] repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter M. [N] [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [N] [W] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] [W] aux entiers dépens de l'instance.

M. [N] [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 18 novembre 2019 du conseil de prud'hommes de Lyon, sauf sur le montant des dommages-intérêts

en conséquence :

- condamner la société VFD à lui verser la somme de 20 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et manquement à l'obligation de sécurité,

- condamner la société VFD à lui verser la somme de 70 000 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement du 18 novembre 2019 du conseil de prud'hommes de Lyon en toutes ses dispositions

A titre infiniment subsidiaire, sur la demande de rappel de salaire au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamner la société VFD à lui verser la somme de 6 703,59 euros à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement

En tout état de cause

- condamner la société VFD à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société VFD aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

- Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail :

M. [N] [W] expose que la SEM VFD a été confrontée à des difficultés économiques qui ont eu des répercussions sur les conditions de travail des salariés; que l'atelier de maintenance de [Localité 7] a subi une baisse des investissements qui a impacté les effectifs. Ainsi, ce service qui comptait sept agents de maintenance lorsqu'il en a pris la direction en 2005, ne comportait plus que deux mécaniciens en 2014.

M. [N] [W] indique que des efforts ont été demandés aux salariés par la direction, dans le contexte de la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui a conduit à la suppression de 25 postes et par voie de conséquence, à une augmentation de sa charge de travail, les effectifs de la maintenance sur le site de [Localité 7] étant réduits au strict minimum.

M. [N] [W] soutient que cette situation a atteint son paroxysme lorsqu'il s'est retrouvé, en plus de activité hebdomadaire, à réaliser quasi exclusivement les astreintes inhérentes au service maintenance et ce pour les périodes de nuit et de week-end.

La société VFD soutient pour sa part que :

- M. [N] [W] n'a jamais protesté sur les conditions d'exécution de son contrat de travail durant toute la durée de sa relation contractuelle alors qu' en raison de sa qualité de chef d'atelier, il avait l'obligation de l'alerter en cas de difficultés rencontrées par les équipes de son périmètre et notamment en matière de charge de travail ;

- elle s'est tenue à appliquer les engagements contractuels prévus aux termes du contrat de travail du salarié, et ce dans le respect des obligations légales et conventionnelles ; les temps de repos légaux et conventionnels ont été respectés durant toute la durée de la relation contractuelle; le salarié a pu prendre tous ses congés ; il n'a jamais émis la moindre réserve ou opposition concernant la réalisation d'astreintes, et il n'était donc pas exposé à un rythme travail insoutenable susceptible de porter atteinte à sa santé et à sa sécurité et contraire aux dispositions légales et conventionnelles

En tout état de cause, la SEM VFD oppose à M. [N] [W] son absence de justification du quantum revendiqué en réparation du préjudice allégué.

****

Au soutien de sa demande, M. [N] [W] invoque les conclusions du rapport d'observations de la chambre régionale des comptes sur les comptes et la gestion de la société d'économie mixte des VFD pour les exercices 2006 à 2011. Ce rapport souligne que la situation catastrophique de l'entreprise résulte en partie des orientations stratégiques arrêtées par le département et procède à une analyse précise du contrôle actionnarial de la SEM, de son activité, de sa gestion stratégique et opérationnelle, ainsi que de sa gestion des ressources humaines.

Or, M. [N] [W] qui soutient principalement que la réduction des effectifs, particulièrement ceux de l'atelier de maintenance de [Localité 7], est en cause dans la dégradation de son état de santé, ne produit que des extraits du rapport sus-visé, lesquels extraits ne comportent pas les développements du paragraphe 8 relatif à la gestion des ressources humaines.

La cour constate que les développements objet du paragraphe 8 du rapport ne sont pas versés au débat alors même qu'ils contiennent une analyse de la structure des effectifs, des conditions de travail, de la sécurité des salariés qui intéressent directement le débat sur la question de la loyauté dans l'exécution du contrat de travail, de sorte que le rapport de la chambre régionale des comptes ne peut être utilement invoqué au soutien de la demande du salarié.

M. [N] [W] s'appuie par ailleurs sur des articles de presse ainsi que sur ses bulletins de salaire pour la période de février 2014 à septembre 2014 qui révèlent un nombre de jours d'astreintes allant de six jours en juillet à un maximum de 28 jours en septembre, pour un total sur la période, de 153 jours.

Si le salarié soutient que cette situation l'a conduit à être continuellement sur le qui-vive, y compris sur ses temps de repos, force est de constater d'une part, qu'il a perçu des primes d'astreinte, que ses bulletins de salaires mentionnent plusieurs périodes de congés payés ( du 10 au 13 février 2014; du 3 au 7 mars 2014; du 22 au 30 avril 2014 ; du 7 au 31 juillet 2014 et le 1er août 2014), et qu'il ne justifie par ailleurs, par aucun élément, du nombre d'interventions réalisées dans le cadre de ces astreintes, alors qu'une telle indication permettrait d'apprécier directement la surcharge de travail générée par l'insuffisance des effectifs.

Il en résulte que M. [N] [W] ne démontre pas en quoi le nombre de jours d'astreintes figurant sur ses bulletins de salaire au cours de la période de février à septembre 2014 serait constitutif d'une exécution déloyale du contrat de travail.

Par ailleurs, la preuve de ce que le salarié a personnellement supporté une surcharge de travail due au vieillissement du matériel roulant augmentant ainsi les actes de maintenance et à la baisse des effectifs et qu'il a subi de ce fait un préjudice n'est pas rapportée.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société VFD à verser à M. [N] [W] la somme de 10 000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et du manquement à son obligation de sécurité.

- Sur le licenciement :

Il résulte des articles L.1232-1 et L 1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs; qu'en vertu de l'article 1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié; la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

M. [N] [W] soutient :

- que son licenciement pour inaptitude est la conséquence du comportement particulièrement déloyal de l'employeur qui l'a sciemment exposé à des conditions de travail dégradées, matérialisées notamment, par la nécessité pour le salarié d'être continuellement à la disposition de l'entreprise ;

- que l'employeur a manqué à ses obligations quant au respect de la procédure de licenciement pour inaptitude en espaçant les visites médicales de reprises de plus de trois semaines, et que l'avis d'inaptitude ne fait pas état de la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;

- que la société VFD ne verse pas au débat l'ensemble des réponses des sociétés qu'elle a interrogées dans le cadre des recherches de reclassement, de sorte que l'on peut légitimement s'interroger sur la recherche loyale et sérieuse de reclassement.

La société VFD fait valoir en réponse :

- que l'inaptitude prononcée par le médecin du travail n'a pas de lien avec l'activité professionnelle de M. [N] [W] ;

- que la procédure d'inaptitude est respectée puisqu'elle a procédé à une étude de poste et des conditions de travail le 8 janvier 2017, et que les examens médicaux ont été espacés de deux semaines au minimum ;

- qu'elle bénéficiait d'un cas de dispense de reclassement, mais qu'elle a néanmoins entrepris des recherches en son sein et à l'intérieur du groupe; que cependant, compte tenu des restrictions médicales et de l'absence de postes disponibles, ces recherches loyales et sérieuses n'ont abouti à aucune proposition de reclassement, ce que les délégués du personnel ont admis à l'unanimité.

****

La loi du 8 août 2016 a réformé la procédure d'inaptitude. Les nouvelles dispositions s'appliquent à toute première visite médicale effectuée à compter du 1er janvier 2017, date d'entrée en vigueur du décret du 27 décembre 2016.

En l'espèce, la première visite d'inaptitude ayant eu lieu le 19 décembre 2016, ce sont les dispositions antérieures à la loi du 8 août 2016 qui s'appliquent.

Ainsi, l'article L1226-2 du code du travail ancien dispose que :

'Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.'

Si le médecin du travail a constaté l'inaptitude physique d'origine non professionnelle d'un salarié, l'employeur est tenu à une obligation de reclassement de ce salarié; à ce titre, il doit faire des propositions loyales et sérieuses, et doit assurer l'adaptation du salarié à son emploi en lui assurant une formation complémentaire; l'obligation de reclassement s'impose à l'employeur; à défaut, le licenciement est privé de cause réelle et sérieuse.

- sur l'origine de l'inaptitude :

Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse lorsque le comportement fautif de l'employeur est à l'origine de l'inaptitude du salarié.

En l'espèce, M. [N] [W] soutient que la société VFD a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail et à son obligation de sécurité et que cette situation a directement causé son inaptitude.

Mais les éléments apportés par le salarié, examinés ci-dessus, n'ont pas permis de caractériser les conséquences dommageables en ce qui concerne le salarié des manquements allégués contre la société VFD, de sorte qu'il n'est pas établi que l'inaptitude de M. [N] [W] serait imputable à la faute de l'employeur laquelle ne saurait résulter de la seule mention, par le médecin du travail, que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

- sur la date du second avis médical :

M. [N] [W] soutient que la société VFD n'a pas respecté la procédure de licenciement pour inaptitude, soit en l'espèce les dispositions de l'article R. 4624-42 du code du travail selon lesquelles: '(...) S'il ( le médecin du travail) estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l'avis médical d'inaptitude intervient au plus tard à cette date (...)'

M. [N] [W] indique que les deux visites médicales sont espacées de plus de trois semaines et que l'avis d'inaptitude ne fait pas état de la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée.

L'article R. 4624-42 du code du travail n'étant entré en vigueur qu'à compter du 1e janvier 2017, ses dispositions ne sont pas applicables en l'espèce. C'est l'article R 4624-31 ancien, dans sa version issue du décret n°2012-135 du 30 janvier 2012 en vigueur jusqu'au 1er janvier 2017 qui s'applique, qui dispose que:' Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé :

1° une étude de poste

2°une étude des conditions de travail dans l'entreprise

3° deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant des examens complémentaires (...)'.

Le délai de quinze jours entre les deux avis médicaux prévus par l'article R 4624-31 ancien doit s'entendre comme un délai minimum destiné à protéger le salarié contre un avis d'inaptitude rendu de façon hâtive.

Le dépassement de ce délai n'est pas de nature à priver le licenciement pour inaptitude de M. [N] [W] de cause réelle et sérieuse, et ce d'autant plus qu'il résulte des pièces versées aux débats que l'employeur a sollicité le lendemain du premier avis d'inaptitude la convocation du salarié à la seconde visite médicale afin de la lui transmettre, prenant acte de ce que cette convocation ne pourrait intervenir que dans un délai de trois semaines en raison de la fermeture des locaux de la médecine du travail pour la fin de l'année 2016 et qu'une étude de poste serait réalisée le vendredi 6 janvier 2017 au centre de [Localité 7].

Le fait que l'avis d'inaptitude ne fasse pas état de la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée, ne prive pas davantage le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Il n'en résulte aucun manquement au respect de la procédure de licenciement pour inaptitude opposable à la société VFD.

- sur l'obligation de reclassement pour inaptitude :

M. [N] [W] s'interroge sur l'exhaustivité des recherches de reclassement de la société VFD dés lors qu'alors qu'elle soutient avoir interrogé la société Keolis, elle ne produit pas le courrier de cette dernière, pas plus qu'elle ne verse aux débats l'ensemble des registres d'entrée et de sortie du personnel de l'entreprise et des groupes auxquels elle appartient.

La société VFD souligne en réponse que le médecin du travail ayant spécifié que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, elle est en droit de se prévaloir d'une dispense de reclassement.

Nonobstant cette dispense, la société VFD fait valoir :

-qu'elle a pris le soin d'interroger toutes les entités du groupe sur l'existence de postes de reclassement disponibles qui soient conformes aux préconisations du médecin du travail, par courrier détaillé du 12 janvier 2017 accompagné du CV du salarié ;

- qu'elle n'a reçu aucune réponse positive, en interne, comme à l'intérieur du groupe ;

- que la responsable administrative de centre, Mme [Y] a interrogé lé médecin du travail pour obtenir des précisions en vue du reclassement ;

- que le compte-rendu d'entretien d'inaptitude du 24 janvier 2017 révèle que M. [N] [W] ne souhaitait pas être affecté à un poste au sein d'un autre dépôt.

Compte tenu des termes du second avis médical lequel indique expressément que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la société VFD est en droit de se prévaloir d'une dispense de reclassement.

Il en résulte qu'il ne peut être reproché à la société VFD de ne pas avoir procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement, que le licenciement notifié à M. [N] [W] le 3 mars 2017 en raison de son inaptitude et d'une impossibilité de reclassement est fondé, et que le jugement déféré qui a jugé son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse doit être infirmé.

M. [N] [W] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.

- Sur le rappel d'indemnité de licenciement :

M. [N] [W] a perçu une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de

26 814, 11 euros.

Il sollicite à titre principal, un rappel de 7 900,43 euros au motif que son indemnité de licenciement s'élèverait en fait à la somme de 34 714,54 euros calculée sur la base du salaire moyen des douze derniers mois, soit 3 711,68 euros.

Il sollicite à titre subsidiaire un rappel de 6 703,59 euros à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement au titre d'une indemnité légale de 33 517,70 euros se décomposant comme suit:

(1/5 x 3 771,68 euros x30, 66) + ( 2/15 x 3 771,68 euros x 20,66)

La société VFD s'oppose à cette demande en soutenant :

- qu'elle a appliqué strictement l'article 18 de l'annexe III de la convention collective nationale des transports routiers et auxiliaires de transport selon lequel :

' Dans le cas de rupture du contrat individuel de travail du fait de l'employeur entraînant le droit au délai-congé, l'employeur versera au technicien ou agent de maîtrise congédié une indemnité de congédiement calculée en fonction de l'ancienneté dans les conditions suivantes :

a) Technicien ou agent de maîtrise justifiant de 2 ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur: indemnité calculée à raison de 1/10 de mois par année de présence sur la base du salaire effectif de l'intéressé au moment ou il cesse ses fonctions.

b)Technicien ou agent de maîtrise justifiant d'au moins 3 ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur: indemnité calculée à raison de 3/10 de mois par année de présence sur la base du salaire effectif de l'intéressé au moment ou il cesse ses fonctions'.

- que l'indemnité conventionnelle de licenciement pour les techniciens et les agents de maîtrise doit en conséquence être calculée sur la base du montant du dernier salaire reçu par le salarié et non sur la base des douze derniers mois de salaire ;

- que M. [N] [W] ne saurait se prévaloir d'une application distributive des dispositions légales et conventionnelles ;

- que la méthode de calcul de l'indemnité de licenciement prévue par la convention collective des transports routiers est plus favorable que celle prévue par la loi, de sorte qu'elle s'impose.

****

L'indemnité conventionnelle de licenciement se substitue à l'indemnité légale si elle est plus favorable au salarié. La comparaison s'effectue de façon globale de sorte que la disposition la plus favorable s'applique dans son intégralité même si l'une des composantes est moins avantageuse que celle prévue par la loi.

Dés lors, pour fixer le montant de l'indemnité due au salarié, le juge doit comparer le montant de l'indemnité de licenciement calculée conformément aux règles conventionnelles, avec celui de l'indemnité déterminée selon les règles légales, seule la plus élevée de ces deux indemnités étant due.

Le calcul proposé par M. [N] [W] à titre principal,qui résulte d'un panachage entre la formule de calcul de l'indemnité conventionnelle et la prise en compte de la moyenne des douze derniers mois de salaire, n'est dès lors pas fondé.

En revanche, le calcul de l'indemnité légale proposé par M. [N] [W] à titre subsidiaire, par application de la formule issue de l'article R. 1234-2 du code du travail avec prise en compte du douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement conformément aux dispositions de l'article R. 1234-4 du code du travail est manifestement plus avantageux que le calcul par application de la formule conventionnelle.

La demande de rappel d'indemnité légale de licenciement formée par M. [N] [W] est par conséquent fondée et la société VFD sera condamnée à payer à ce dernier, à ce titre, la somme de 6 703, 59 euros.

Le jugement déféré qui a accordé à M. [N] [W] la somme de 7 900, 43 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement sera infirmé en ce sens.

- Sur les demandes accessoires :

Compte tenu de l'issue du litige, chacune des parties succombant partiellement en ses demandes, conservera à sa charge ses propres dépens de première instance et d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties ne justifient pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure

STATUANT à nouveau,

DÉBOUTE M. [N] [W] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

DÉBOUTE M. [N] [W] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

DÉBOUTE M. [N] [W] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents

CONDAMNE la société VFD à payer à M. [N] [W] la somme de 6 703,59 euros à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement

REJETTE les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

DIT que chacune des parties conserve la charge de ses dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/08601
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;19.08601 ?
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