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09/11/2022 | FRANCE | N°19/08467

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 09 novembre 2022, 19/08467


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/08467 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXUN



[G]

C/

Société VITACUIRE



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 12 Novembre 2019

RG : 18/03845









COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022







APPELANT :



[U] [G]

né le 29 Décembre 1977 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité

3]



représenté par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société VITACUIRE

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, av...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/08467 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXUN

[G]

C/

Société VITACUIRE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 12 Novembre 2019

RG : 18/03845

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

[U] [G]

né le 29 Décembre 1977 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société VITACUIRE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Christophe BIDAL de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Septembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Vitacuire est spécialisée dans la fabrication industrielle et la commercialisation de pain et de pâtisserie fraîche.

Elle emploie environ 130 salariés et applique les dispositions de la convention collective nationale des cinq branches industries alimentaires diverses.

M. [G] a été embauché par la société Vitacuire, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 13 juin 2005, en qualité de conducteur de ligne.

Le 15 novembre 2017, la société d'interim Adequat 022 a informé la société Vitacuire de ce que Mme [L] [A], intérimaire ayant débuté une mission d'interim au sein de la société Vitacuire, en qualité d'agent de fabrication, depuis le 28 septembre 2017, s'était plaint du comportement déplacé de son chef d'équipe, M. [G].

Par courrier en date du 23 novembre 2017, M. [G] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 30 novembre 2017.

M. [G] a été licencié pour faute par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 7 décembre 2017, dans les termes suivants :

'Monsieur,

Suite à des faits récents, nous avons été amenés à envisager votre licenciement pour faute grave.

Assisté de Madame [W] [X], représentante du personnel, vous avez été reçu en entretien préalable le jeudi 30 novembre 2017 par Monsieur [D] [O], Directeur Industriel et Madame [M] [Z], Chargée Développement Ressources Humaines par délégation du signataire de la présente.

Après enquête, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs ci-dessous.

Pour rappel, vous avez été embauché le 13 juin 2005 en qualité de Conducteur de Ligne. Vous êtes actuellement affecté à la ligne conditionnement apéritifs.

Le Conducteur de Ligne est garant de l'application de la politique Hygiène et Sécurité des aliments sur sa ligne. Il assure une responsabilité d'animation et d'accompagnement du personnel travaillant sur la ligne : transmission des consignes, information, organisation des pauses'Il forme ou veille à la formation des nouveaux arrivants.

Le mercredi 15 novembre 2017, une salariée intérimaire, Mademoiselle [F] [A], a quitté son poste de travail, puis l'entreprise en pleurant. Elle motive son départ par votre attitude à son égard.

Suite à un entretien avec elle en présence de la responsable de l'agence d'intérim ADEQUAT, nous avons pris la décision de faire une enquête en interne pour suspicion de harcèlement sexuel suivi de harcèlement moral après son refus.

Au cours de cet entretien, Mademoiselle [A] a décrit votre comportement disant que « vous lui tourniez autour », « vous étiez aux petits soins pour elle ». Elle vous aurait alors dit qu'elle était gênée car les autres salariés parlaient de votre attitude vis-à-vis d'elle. Vous n'avez pas cessé. Elle en a également parlé à la conductrice de ligne avec laquelle elle avait débuté, celle-ci est alors intervenue auprès de vous.

Suite à cette intervention, en présence de votre collègue conductrice de ligne, vous avez eu un nouvel échange avec Mademoiselle [A], échange au cours duquel vous lui avez demandé « si vous aviez son numéro de téléphone, si vous lui aviez demandé de sortir avec vous ».

Elle reconnaît avoir répondu par la négative, car dit-elle, vous ne la laissiez pas parler.

Vous avez alors décidé de ne plus lui adresser la parole, allant jusqu'à saluer les autres salariés de la ligne, mais pas elle.

Cette situation a duré jusqu'à son départ. Mademoiselle [A] dit avoir « craqué », ne supportant plus votre attitude à son égard.

Ce mercredi 15 novembre, vous avez demandé à votre seconde d'aller dire à Mademoiselle [A] qu'elle devait travailler, alors que pendant le changement de format, elle avait vidé les poubelles, seule tâche qu'elle savait pouvoir faire sans consigne.

L'enquête interne a été faite par deux salariés de l'entreprise et Madame [Z], à l'exception de votre entretien qui a été fait sans la présence de Madame [Z] pour vous permettre une totale liberté d'expression.

Les premiers éléments de l'enquête ont semblé confirmer les dires de Mademoiselle [A].

Nous vous les avons exposés lors de votre entretien.

Vous avez dit ne pas avoir une attitude qui aurait pu être mal interprétée par Mademoiselle [A], ne pas avoir eu de gestes déplacés, ne pas l'avoir approchée. Vous l'avez qualifiée de « louche ».

Vous reconnaissez l'échange suite à l'intervention de votre collègue conductrice de ligne, de même avoir décidé de ne plus lui parler. Vous lui avez dit « tu connais ton boulot, je fais le mien ».

Toutefois, vous n'avez pas jugé utile d'alerter votre hiérarchie de cette situation.

Vous ne justifiez pas pourquoi vous avez pris cette décision alors qu'il relève des missions du conducteur de ligne d'aviser sa hiérarchie du comportement des intérimaires, ce que vous respectiez habituellement.

Vous reconnaissez avoir demandé à votre seconde d'aller lui dire de travailler. Vous ne comprenez pas pourquoi elle est partie. Vous dites avoir « la conscience tranquille ». Les arguments que vous avez présentés lors de votre entretien n'ont pas permis de conclure que les accusations formulées par Mademoiselle [A] étaient non fondées. Il a toutefois été décidé de poursuivre l'enquête après vos entretiens. Plusieurs témoignages parlent d'attitude ambiguë vis-à-vis de Mademoiselle [A], mais aussi vis-à-vis d'autres intérimaires.

Nous concluons que votre comportement à l'égard des jeunes femmes travaillant sous votre responsabilité n'est pas admissible.

Lors de l'enquête, il a également été évoqué que vous vous absentiez beaucoup de votre poste de travail et que vous téléphoniez à côté de votre ligne, nous avons donc été amenés à approfondir ces points.

Nous avons visionné les caméras de surveillance du site sur plusieurs jours entre le 2 octobre et le 21 novembre 2017. Nous constatons que vous prenez presque chaque jour, des temps de pause d'une durée très supérieure à la durée fixée par accord collectif qui est de 35 minutes au total.

Par exemple, nous avons relevé des durées de nuit de 98 minutes le 2 octobre, 129 minutes le 9 octobre puis en journée de 84 minutes le 13 novembre et 69 minutes le 20 novembre.

Nous avons également été surpris de vous voir entrer dans le vestiaire des femmes à la fin de votre poste de nuit. Vous avez lors de l'entretien reconnu les faits, justifiant un de ces passages par la restitution d'un chargeur de portable à une femme.

Nous avons constaté que malgré votre ancienneté, vous n'appliquiez pas certaines consignes d'hygiène alimentaire et que vous étiez passé par deux fois dans le couloir des locaux sociaux en tenue blanche. Pendant votre poste de nuit, vous êtes entré dans la chambre froide, sans couvrir cette tenue blanche d'une blouse bleue comme cela est la règle.

Le respect constant de ces règles d'hygiène alimentaire est un impératif compte tenu de nos certifications internationales qui sont soumises à des audits inopinés. En qualité de Conducteur de Ligne, vous devez donner l'exemple.

En ce qui concerne le fait que vous téléphoniez régulièrement à votre poste de travail, nous avons recueilli plusieurs témoignages en ce sens.

Nous vous rappelons si nous tolérons que les salariés aient leur téléphone portable dans l'atelier, l'usage du téléphone personnel doit être limité pendant le temps de travail aux cas graves et urgents (article 9 du règlement intérieur de l'entreprise). Pour des questions d'hygiène alimentaire, ces appels doivent d'ailleurs se faire hors du poste de travail en sortant des locaux de production.

Vous avez d'ailleurs fait l'objet de rappels verbaux de la part de votre hiérarchie lorsque parfois vous avez été surpris téléphone à la main.

Il s'agit là encore d'un manquement grave à votre obligation d'exemplarité.

L'ensemble de ces faits est constitutif d'un comportement fautif et motive votre licenciement par leur accumulation (...)'.

Par requête en date du 14 décembre 2018, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon afin de contester son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de demander la condamnation de la société Vitacuire à lui verser une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par un jugement en date du 12 novembre 2019, le conseil de prud'hommes, a :

- dit qu'il existe une cause réelle de licenciement et que cela est suffisamment sérieux pour le confirmer ;

- débouté M. [G] de la totalité de ses demandes ;

- débouté la société Vitacuire de ses demandes ;

- condamné M. [G] aux entiers dépens de l'instance.

M. [G] a interjeté appel de ce jugement, le 10 décembre 2019.

M. [G] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris

Statuant à nouveau

- dire et juger ses demandes recevables et bien fondées

En conséquence,

- dire et juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse

- dire et juger inconventionnels les plafonds d'indemnisation du licenciement

- condamner la société SAS Vitacuire au paiement des sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse 28 000 euros

article 700 du code de procédure civile 2 500 euros

condamnation aux dépens

La société Vitacuire demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et y ajoutant, de condamner M. [G] à lui verser une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 500 euros.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

- Sur le licenciement :

Il résulte des articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.

En vertu de l'article L.1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société Vitacuire a licencié M. [G] pour comportement fautif en invoquant :

- son comportement déplacé et harcelant à l'égard de Mme [A]

- plusieurs dépassements des temps de pause

- le non respect des règles d'hygiène relatives à l'accès en chambre froide

- l'utilisation du téléphone portable.

La société Vitacuire indique qu'à l'occasion de l'enquête menée sur le comportement de M. [G] à l'égard de Mme [A], elle a été informée par d'autres salariés de l'entreprise que ce dernier ne respectait pas les dispositions du règlement intérieur et les consignes d'hygiène relatives notamment aux temps de pause, à l'usage du téléphone personnel sur le lieu de travail et aux conditions d'accès aux chambres froides.

M. [G] conteste la réalité de ces griefs et reproche à la société Vitacuire de produire des avertissements ou courriers de recadrage anciens, lesquels ne peuvent être pris en compte puisqu'ils ne figurent pas dans la lettre de licenciement

M. [G] conteste tout comportement déplacé que ce soit à l'égard de Mme [A] ou de toute autre femme et produit les témoignages favorables de plusieurs salariées ayant travaillé avec lui comme Mme [V] [N], Mme [J] [Y] ou encore Mme [K] [S].

M. [G] expose que pour justifier des temps de pauses excessifs, la société Vitacuire a versé au débat un constat d'huissier pris sur la base d'un système de vidéo surveillance mise en place par l'employeur; que ce moyen de preuve est illicite et que cette pièce est par voie de conséquence irrecevable; qu'elle ne permet pas, en tout état de cause, à la société Vitacuire, de justifier de temps de pause excessifs.

M. [G] demande que les photographies issues de ce constat d'huissier , s'agissant du non-respect des règles d'hygiène, soient écartées ; il fait valoir qu'en tout état de cause, elles ne permettent pas de conclure à la réalité des allégations de l'employeur

Enfin, M. [G] soutient que le grief tiré de l'utilisation du téléphone portable ne repose sur aucun élément objectif matériellement vérifiable et devra nécessairement être écarté.

****

Sur le comportement déplacé à l'égard de Mme [A], la société Vitacuire s'appuie sur les conclusions d'une enquête interne qu'elle a confiée à Mme [C] [B], déléguée syndicale CGT, à M. [E] [H], membre désigné du CHSCT et à Mme [M] [Z], représentante de la Direction, enquête dont il ressort que M. [G] a eu un comportement déplacé à l'égard de Mme [A], en lui faisant à plusieurs reprises des avances sur le lieu de travail; que M. [G] est un 'dragueur', qui 'essayait avec tout le monde' et notamment avec les jeunes intérimaires; que Mme [A] s'est confiée sur la situation auprès de collègues dont l'une est intervenue auprès de M. [G] pour lui demander de cesser 'de faire du rentre dedans'; qu'à compter de ce moment, M. [G] aurait décidé de ne plus parler à Mme [A] et de ne plus la saluer.

La société Vitacuire indique que les responsables de l'enquête ont tour à tour reçu Mme [A], M. [G] ( hors la présence de Mme [Z], représentant la direction), ainsi que les salariés de l'atelier où travaillaient M. [G] et Mme [A].

M. [G] fait grief à la société Vitacuire de s'appuyer uniquement sur une synthèse d'entretiens réalisés par la direction; il estime en conséquence qu'il ne s'agit pas d'une enquête objective et contradictoire du CHSCT quand bien même l'un des ses membres serait présent.

M. [G] souligne enfin que les propos recueillis au cours de cette enquête ne sont retranscrits que partiellement et que la synthèse produite n'est accompagnée d'aucun document permettant de vérifier qui en est l'auteur.

La cour observe que l'enquête interne menée par la société Vitacuire a donné lieu à des échanges avec plusieurs salariés mais que les propos tenus dans le cadre de cette enquête sont retranscrits très partiellement et de façon anonyme.

La société Vitacuire ne produit qu'une synthèse des-dits entretiens alors que la gravité des accusations portées contre M. [G] impose de pouvoir apprécier de façon très précise les déclarations des différents témoins. Faute pour la société Vitacuire de produire ces témoignages et notamment celui de la principale intéressée, Mme [A], la cour n'est en mesure d'apprécier, ni la réalité du comportement incriminé, ni sa gravité.

Les mêmes observations peuvent être faites s'agissant de l'usage du téléphone personnel sur le lieu de travail, grief qui résulte des doléances d'un certain nombre de salariés entendus au cours de l'enquête précitée, mais dont les témoignages ne sont pas produits, de sorte que ni les circonstances exactes de l'utilisation par M. [G] de son téléphone portable, ni la fréquence de ces utilisations pendant le temps de travail ne sont déterminées par les termes du débat.

Les deux griefs tirés du comportement déplacé de M. [G] à l'égard de Mme [A], et de l'utilisation du téléphone personnel sur le lieu de travail ne sont dès lors pas établis établis par les éléments du débat.

La société Vitacuire expose qu'à l'occasion de l'enquête menée sur le comportement de M. [G], elle a été informée que ce dernier ne respectait pas en outre, les dispositions du règlement intérieur et les consignes d'hygiène relatives notamment aux temps de pause, et aux conditions d'accès aux chambres froides. Elle indique que ces révélations ont été confirmées par les caméras de vidéo-surveillance de l'accès à l'atelier.

La société Vitacuire verse aux débats un constat d'huissier du 25 septembre 2018 relatif à la lecture des enregistrements de la vidéo-surveillance ayant permis le calcul des temps de pause de M. [G], étant précisé que la période visionnée est celle des 2 octobre 2017, 9 octobre 2017, 13 novembre 2017 et 20 novembre 2017.

M. [G] conteste ce constat au motif que la vidéo-surveillance mise en place par l'employeur constitue un moyen de preuve illicite, faute pour la société Vitacuire d'avoir répondu à la sommation qui lui a été faite de produire d'une part la consultation du comité d'entreprise, d'autre part, l'information de la CNIL.

M. [G] soulève, à titre surabondant, qu'il n'est pas possible pour l'employeur de conserver les vidéos plus d'un an. Il en conclut qu'aucun élément du débat ne justifie ses pauses.

Sur la liceité de la vidéo-surveillance, la société Vitacuire soutient que M. [G] était parfaitement informé de l'existence d'une caméra de vidéo-surveillance à l'entrée du bâtiment et qu'il ne s'agit pas d'un outil de contrôle des salariés.

****

Aux termes de l'article L.1222-4 du code du travail, 'Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.'

Et l'article 9 du code civil ainsi que l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales disposent que chacun a droit au respect de sa vie privée (...)

Ainsi si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise.

Mais, ne sont soumis à l'obligation d'information préalable du salarié que les dispositifs de surveillance mis en place spécialement pour contrôler l'activité professionnelle des salariés, de sorte que l'information préalable du salarié ne se justifie pas lorsque le système de surveillance n'est pas destiné à contrôler l'activité du salarié.

En l'espèce, la caméra de vidéo-surveillance dont l'enregistrement a été exploité est située dans un couloir d'accès aux locaux de l'entreprise. Dans ce couloir se trouve un panneau d'affichage portant une feuille de renseignement intitulée 'Rappel Caméras de surveillance' indiquant que le site est équipé de caméras de vidéo surveillance dont les images sont enregistrées et rappelant que l'information est inscrite dans le règlement intérieur de l'entreprise dont l'article 4 est retranscrit.

Il en résulte que le dispositif de vidéo-surveillance mis en place par la société Vitacuire n'avait par pour objet de contrôler l'activité des salariés mais de sécuriser les locaux, que les salariés étaient informés de l'existence de ce dispositif, de sorte que l'exploitation des enregistrements ne constitue pas un mode de preuve illicite en dépit du fait que la société Vitacuire a conservé ces enregistrements au-delà du temps prévu par la loi.

Mais, faute de tout autre élément, les images issues du dispositif de vidéo-surveillance, qui ne permettent qu'un calcul du temps écoulé entre les différents passages de M. [G] dans le couloir, aux dates incriminées, ne suffisent pas à démontrer que l'intéressé aurait dépassé les temps de pause qui lui étaient accordés.

Enfin, la société Vitacuire soutient qu'il ressort du constat d'huissier que M. [G] ne respectait pas les consignes d'hygiène relatives à l'accès en chambre froide, mais aucune mention du constat d'huissier ne porte sur cette problématique. Ainsi le non respect de l'obligation de quitter la blouse blanche à chaque sortie de l'atelier ou encore le non respect de l'obligation de couvrir la blouse blanche d'une sur blouse bleue pour le passage en zone noire, conformément aux consignes générales en vigueur dans l'entreprise, ne peuvent se déduire de la tenue portée par le salarié sur les images de vidéo-surveillance alors que les différentes zones ne sont pas matérialisées de façon objective sur les images.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que la société Vitacuire n'établit pas les faits qu'elle impute à M. [G]. Il s'ensuit que le licenciement de M. [G] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef.

- Sur les dommages- intérêts :

M. [G] demande d'écarter le plafond d'indemnisation résultant de l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité au visa de :

- l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958

- la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail

- l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 sur le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée

- l'arrêt du 8 septembre 2016 du comité européen des droits sociaux

- la jurisprudence de plusieurs conseils de prud'hommes.

****

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de l'article 24 de la charte sociale européenne ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

En conséquence et en application de l'article L.1235-3 du code du travail issu de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, M. [G] qui avait une ancienneté de douze années et six mois au sein de l'entreprise Vitacuire, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité comprise entre trois mois de salaire brut et onze mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [G] âgé de 39 ans lors de la rupture, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un emploi similaire, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier, de la rupture, doit être indemnisé par la somme de 17 000 euros. En conséquence, le jugement qui a rejeté la demande de M. [G] sera infirmé en ce sens et M. [G] sera débouté de sa demande pour le surplus.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.

- Sur les demandes accessoires:

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société Vitacuire.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

STATUANT à nouveau et y ajoutant

DIT que le licenciement notifié par la société Vitacuire à M. [G] le 7 décembre 2017 est dépourvu de cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la société Vitacuire à payer à M. [G] la somme de 17 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

ORDONNE d'office à la société Vitacuire le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [G] dans la limite de trois mois d'indemnisation,

CONDAMNE la société Vitacuire à payer à M. [G] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

REJETTE toute demande contraire ou plus ample des parties

CONDAMNE la société Vitacuire aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/08467
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;19.08467 ?
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