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09/11/2022 | FRANCE | N°19/08392

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 09 novembre 2022, 19/08392


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/08392 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXPP



[U]

C/

Société AUSY



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lyon

du 28 Novembre 2019

RG : F 18/01078









COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022







APPELANT :



[J] [U]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Clémence RIC

HARD, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société AUSY

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat pl...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/08392 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MXPP

[U]

C/

Société AUSY

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lyon

du 28 Novembre 2019

RG : F 18/01078

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 09 NOVEMBRE 2022

APPELANT :

[J] [U]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Clémence RICHARD, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société AUSY

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Paul VAN DETH de la SELEURL Société d'Exercice libéral d'Avocat ISNAH, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Anne-sophie BERTON, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Septembre 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Anne BRUNNER, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Novembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [U] a été embauché par la société Aptus, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 juillet 2008, en qualité d'ingénieur d'études, statut cadre, position 1.2, coefficient 100 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et sociétés de conseils, dite 'SYNTEC'.

Le 1er juillet 2011, le contrat de M. [U] a été transféré à la société Ausy, en application de l'article L.1224-1 du code du travail.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [U] occupait le poste d'ingénieur, échelon 3, statut cadre, coefficient 150, position 2.3 et percevait un salaire mensuel brut fixe de 4 139,11 euros, outre une partie variable de 4 000 euros annuels.

M. [U] a démissionné de ses fonctions, le 12 février 2018, en évoquant des manquements de la société Ausy :

' Par la présente lettre, je vous informe de ma prise de décision de quitter l'entreprise AUSY.

Je vous présente, ainsi, ma démission de mon poste de chef de projet CFD pour le compte client EDF, à compter de la réception de ce courrier.

Les points suivants exposent les raisons pour lesquelles je suis contraint de démissionner :

- La modification de la structure de ma rémunération en supprimant, de façon unilatérale, ma part variable sur objectif (PVSO) pour l'année 2018. De ce fait, je subis un manque à gagner de 4 000 € annuels.

- Le désaccord avec le mode de management et la gestion des projets en ER. En effet, je désavoue la stratégie actuelle qui consiste en l'utilisation des gains de charge pour financer la gestion des inter-contrats (fausse imputation sur les projets en cours). Cette gestion nuit à la prospérité de l'entreprise au profit des intérêts personnels. Les gains de productivité que j'ai réussi à générer depuis neuf ans, de par une expertise et compétences reconnues par le client EDF, devraient être, à mon sens, un outil dans le développement de l'équipe CFD (super calculateur, logiciel de calcul, '). L'offre AUSY deviendrait, par conséquent, concurrentielle dans un marché très tendu.

- La perte du contrat nous liant à EDF SEPTEN le 4 janvier dernier. La non-concertation avec les chefs de projet sur la proposition commerciale me semble une des raisons principales de cet échec. En outre, AUSY, dans son offre commerciale, a continué à proposer un TJM évalué sur une base horaire non justifiée de 7,8 au lieu de 7,3 horaire réel.

- Le refus d'intégrer dans ma rémunération brute, comme réclamé, les frais de repas qui m'étaient octroyés en guise de salaire. Seuls 10 € ont été réintégrés sur les 17 € par jour. Les 7 € restants ont été convertis en déplacements fictifs sur [Localité 5].

Conformément aux termes de mon contrat de travail, j'effectuerai la totalité de mon préavis d'une durée de trois mois. Dans ces conditions, mon contrat de travail expirera le 13 mai 2018.

Le jour de mon départ de l'entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail, ainsi qu'une attestation Pôle Emploi.'

Par requête en date du 13 avril 2018, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de requalifier sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement nul, de constater que la société Ausy a commis de graves manquements dans l'exercice de la relation contractuelle, de constater qu'elle ne lui a plus précisé les objectifs dont dépendent sa rémunération variable et de condamner la société Ausy à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, d'indemnité de licenciement, d'indemnité pour violation du statut protecteur, de rappel de salaire et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour absence de fourniture d'objectif et de paiement d'une partie du salaire sous la forme de remboursement de frais fictifs.

Par un jugement du 28 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon, a :

- dit que la société Ausy n'a pas commis de graves manquements dans l'exercice de la relation contractuelle ;

- dit que la démission de M. [U] ne s'analyse pas en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement nul mais s'analyse en une démission ;

En conséquence,

- débouté M. [U] de sa demande de constater que la société Ausy ne lui a plus précisé les objectifs à réaliser depuis le mois de janvier 2018, objectifs dont dépendait le calcul de sa rémunération variable ;

- débouté M. [U] de sa demande de constater que la société Ausy a commis de graves manquements dans l'exercice de la relation contractuelle ;

- débouté M. [U] de sa demande de requalifier sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en un licenciement nul ;

- rejeté la demande de rappel de salaire de 2 000 euros bruts au titre de sa prime variable pour la période de janvier au jour de la rupture du contrat de travail, outre 200 euros au titre des congés payés afférents ;

- rejeté la demande de la somme de 2 000 euros nets de CGS- CRDS à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale au titre de l'absence de fourniture de tout objectif concernant la part variable ;

- rejeté la demande de la somme de 5 000 euros nets de CGS-CRDS à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale au titre du paiement d'une partie du salaire en remboursement de frais fictifs ;

- rejeté la demande de la somme de 56 173,68 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- rejeté la demande de la somme de 15 353,57 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

- rejeté la demande de la somme de 7 741,25 euros au titre de l'indemnisation de la violation de son statut protecteur ;

- rejeté la demande de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté la demande de l'employeur au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à chacune des parties ;

- rejeté les autres demandes.

M. [U] a interjeté appel de ce jugement, le 9 décembre 2019.

M. [U] demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a laissé les dépens à chacune des parties

En conséquence, statuant à nouveau,

- condamner la société Ausy à lui verser la somme brute de 2 000 euros à titre de rappel de salaire afférent à sa prime variable pour la période de janvier au jour de la rupture du contrat de travail, outre 200 euros au titre des congés payés afférents,

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 2 000 euros, nets de CGS- CRDS à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale au titre de l'absence de fourniture de tout objectif concernant la part variable

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 5 000 euros, nets de CGS- CRDS à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale au titre du paiement d'une partie du salaire en remboursement de frais fictifs

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 676 euros, nets à titre de rappel de salaire

- requalifier sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement nul

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 56 173,68 euros nets de CSG-CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 15 353,57 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- condamner la société Ausy à lui verser la somme de 7 741,25 euros au titre de l'indemnisation de la violation de son statut protecteur.

- ordonner la communication par la société Ausy de ses documents de fin de contrat rectifiés ce, dans un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jours de retard, la cour se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte.

En tout état de cause,

- condamner la société Ausy à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société Ausy aux entiers dépens

La société Ausy demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en son intégralité,

Et en tout état de cause

A titre principal,

- dire et juger que la prise d'acte de M. [U] s'analyse en une démission

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes

A titre subsidiaire,

- ramener le quantum des demandes sollicitées à de plus justes proportions

- débouter M. [U] de sa demande de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur

En tout état de cause

- condamner M. [U] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [U] aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 juin 2022.

SUR CE :

M. [U] soutient que son courrier de démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, dans la mesure où il expose explicitement être « contraint » à la démission en raison des griefs qu'il reproche à la société et qu'il liste dans son courrier de démission.

M. [U] invoque, contre l'employeur, les manquements suivants :

- le défaut de fixation de ses objectifs à compter de janvier 2018 (1°) et le défaut de versement de sa prime variable sur objectifs (2°)

- le refus d'intégrer dans sa rémunération brute les frais de repas ainsi que des frais journaliers octroyés en guise de salaires, et le maintien d'une pratique de frais fictifs destinés à maintenir aux salariés leur niveau de rémunération ( 3°)

M. [U] demande à la cour de requalifier sa démission en une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul dés lors qu'il bénéficiait d'une protection à compter du 9 janvier 2018 en raison de sa candidature aux élections des membres du CHSCT.

****

1°) sur l'absence de signature de fiche d'objectifs :

M. [U] soutient que depuis le mois de janvier 2018, la société Ausy ne lui a plus jamais donné, en début de semestre, les objectifs chiffrés dont le niveau d'atteinte permettait de déterminer le pourcentage de la prime variable qui lui était due.

Le salarié ajoute qu'au jour de la rupture de la relation contractuelle, la société n'avait toujours pas régularisé la situation, de sorte qu'il est fondé à réclamer, à titre de rappel, le montant maximal de sa rémunération variable à compter de janvier 2018, soit la somme de 2 000 euros, outre la somme de 200 euros au titre des congés payés afférents.

La société Ausy fait valoir que le seul fait qui pourrait lui être reproché est le retard pris pour établir les lettres d'objectifs; que ce retard pris en février 2018, est dû au départ de M. [H], directeur technique, au cours de ce même mois; que M. [U] a été informé que faute de fixation des objectifs du premier semestre 2018, sa rémunération lui serait versée selon les mêmes critères que ceux de la période précédente, de sorte qu'il ne s'agit pas là d'un manquement de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La société Ausy souligne que M. [U] a quitté la société de façon précipitée alors même qu'elle lui avait assuré quelques jours plus tôt, le 31 janvier 2018, que ses objectifs lui seraient remis de façon imminente.

Elle soutient que les véritables raisons ayant conduit M. [U] a quitté ses fonctions résident dans son désaccord avec son mode de management et de gestion des projet ER, qui relèvent du pourvoir de direction de l'employeur, et qui ne sauraient en aucune mesure constituer un quelconque manquement à l'égard du salarié.

****

Il est constant que lorsque le contrat de travail prévoit que la rémunération variable dépend d'objectifs fixés annuellement, le défaut de fixation des dits objectifs par l'employeur constitue un manquement justifiant la prise d'acte de la rupture par le salarié.

En l'espèce, le contrat de travail signé entre M. [U] et la société Aptus ne prévoit aucune clause déterminant la périodicité de réévaluation des objectifs.

La périodicité appliquée par la société Ausy peut cependant se déduire de la communication à M. [U] de fiches de bilan réalisées par M. [H] pour 2016 et 2017, faisant référence à des évaluations semestrielles ( S1 et S2), ce qui est conforme aux explications du salarié qui indique qu'une lettre d'objectifs lui était remise, à la fin de chaque semestre, pour le nouveau semestre et que la fiche d'objectifs pour le semestre à venir était adressée en même temps que la signature du bilan des objectifs du semestre passé.

Ainsi, les objectifs personnels du second semestre 2017 ont fait l'objet d'un bilan le 30 janvier 2018 signé par M. [U] et M. [H], dont il résulte que M. [U] a atteint ses objectifs et ,en conséquence, 100% de sa prime variable pour le semestre, soit la somme de 2000 euros.

Il résulte par ailleurs d'un courriel du 13 février 2018, soit le lendemain de sa démission, que M. [U] a été informé du maintien de sa rémunération variable dans les termes suivants :

' Bonjour [J],

c'est avec regret que je prends note de ta décision.

Concernant ton courrier, je souhaite par ce mail, rétablir certains points:

-concernant ta rémunération variable, celle-ci n'est absolument pas remise en cause et ta structure de rémunération n'a pas été modifiée. Le départ de [O] a uniquement créé un retard dans la rédaction de la lettre définissant tes objectifs. Elle te sera remise par son remplaçant. Ta partie variable te sera versée sur les mêmes critères que ceux de la précédente période, et au prorata temporis. (...)'

Ce courrier est postérieur à la lettre de démission du salarié de sorte qu'il ne saurait être invoqué par la société Ausy pour soutenir que M. [U] était parfaitement informé des raisons du retard dans la remise de sa lettre d'objectifs. Mais, s'il est constant que sa lettre d'objectifs pour le premier semestre 2018 n'a pas été remise au salarié, la cour observe :

- d'une part, que la ratification des objectifs personnels pour l'année 2017 a été régulière,

- que le salarié a atteint 100% de sa rémunération variable pour cette période,

- d'autre part, qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que l'employeur aurait eu la volonté de modifier la structure de cette rémunération variable, faute de toute discussion entre les parties à ce sujet entre le bilan du 30 janvier 2018 et la démission du 12 février 2018.

Compte tenu des circonstances, et du constat de l'absence d'incident relatif à sa rémunération variable, M. [U] ayant toujours perçu le maximum de sa rémunération variable au cours de la relation contractuelle, le défaut de fixation des objectifs relatifs au premier semestre 2018 ne constituait pas, à la date du 12 février 2018, un motif suffisamment grave de nature à empêcher la poursuite de la relation contractuelle.

2°) sur la demande de rappel de salaire au titre de la rémunération variable :

La société Ausy s'oppose à cette demande en faisant valoir que les lettres d'objectifs précisent expressément que la prime variable n'est versée qu'à l'unique condition que l'intéressé soit salarié et non démissionnaire de la société au dernier jour de la période correspondante.

La société Ausy soutient que M. [U] ayant démissionné le 12 février 2018, il est sorti des effectifs le 13 mai 2018 et n'était plus dans les conditions de versement de la prime à la date du 30 juin 2018.

La société Ausy fait valoir à titre subsidiaire, que sa condamnation ne pourrait excéder la somme de 1 500 euros, soit le paiement de la prime en cas d'objectifs atteints au prorata temporis de son temps de présence.

****

Lorsque le calcul de la rémunération variable dépend d'éléments qui n'ont pas été précisés et fixés par l'employeur, celui-ci ne peut imposer au salarié une diminution de cette rémunération laquelle doit être payée intégralement pour chaque exercice.

Il en résulte que M. [U] est par conséquent fondé à solliciter le paiement de 100% de sa prime variable sur objectifs pour le premier semestre 2018, soit la somme de 2 000 euros, outre la somme de 200 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré qui a débouté M. [U] de cette demande sera donc infirmé en ce sens.

Mais le manquement à l'exécution loyale du contrat de travail ne pouvant résulter d'un retard dans la fixation des objectifs, lequel n'est, compte tenu de la démission intervenue le 12 février 2018, que de quelques jours, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'absence de fourniture de tout objectif relatif à la part variable de sa rémunération.

3°) sur la pratique de frais fictifs :

M. [U] soutient que la société Ausy payait à ses salariés des frais journaliers limités à 17 euros bruts par jour en lieu et place du paiement d'un salaire brut majoré. Il soutient qu'à la suite d'un redressement Urssaf à la fin de l'année 2016, la société Ausy a décidé de modifier ses pratiques et a obligé les salariés qui étaient payés en partie par le remboursement de frais journaliers supérieurs à 7,5 euros par jour, d'accepter de déclarer des déplacements fictifs destinés à substituer aux indemnités de repas des indemnités de déplacement toujours fictives.

M. [U] expose que :

- la société Ausy a organisé une véritable consultation de ses salariés afin de maintenir leur niveau de rémunération en faux frais déguisés et qu'elle est même allée jusqu'à proposer aux salariés d'établir différentes simulations afin de décider quel système de paiement de faux frais ils préféraient ;

- une 'calculette de frais' a été établie afin que chaque salarié puisse calculer le net annuel leur revenant en cumulant leur net imposable et le paiement des frais fictifs pour choisir la nouvelle solution ;

- le comité d'entreprise de la société Ausy a conçu spécialement un site internet afin de réaliser un sondage auprès des salariés de la société quant au paiement de nouveaux frais fictifs en lieu et place des frais de repas préalablement payés.

La société Ausy fait valoir en réponse :

1°) que les frais de déplacement de M. [U] sont parfaitement justifiés :

- qu'aucune disposition législative ne définit les règles de prise en charge des frais professionnels qui doivent simplement ne pas être manifestement disproportionnés au regard des montants engagés ;

- qu'elle a consenti, conformément à la convention collective applicable et à l'accord d'entreprise relatif aux conditions d'exercice de missions, à prendre en charge, à la demande du salarié, 50% de l'abonnement de son titre de transport TCL et la prise en charge de ses allers-retours à l'agence d'[Localité 5] compte tenu de ses déplacements fréquents ;

- que les déplacements de M. [U] lui étaient donc remboursés dans la limite de 252 euros après qu'il ait adressé à la société le justificatif de son abonnement ainsi que son permis de conduire et sa carte grise et après qu'il ait rentré personnellement dans le logiciel de la société, ses déplacements ;

2°) que l'établissement des ordres de mission résulte de la négociation intervenue entre le manager et le salarié en considération des besoins de la mission et de l'éloignement géographique du salarié ;

3°) qu'à la lecture de la pièce n°17 du salarié, force est de constater que la demande de notifier à l'ordre de mission six allers-retours [Localité 6]-[Localité 5] émane de M. [U] lui-même et non de la société, et que le salarié a toujours signé ses ordres de mission acceptant que ses aller/retour à [Localité 5] soient limités au nombre de 6 par an pour un montant de 252 euros.

4°) que l'argumentaire de M. [U] consiste à soutenir que la société a imposé à ses salariés de déclarer des frais fictifs 'afin d'échapper au paiement de toutes cotisations sociales et fiscales sur une partie du salaire', alors que le salarié avait l'opportunité d'opter pour la mise en place de tickets restaurant et la revalorisation de son salaire brut et que M. [U] a précisément opté pour le remboursement de ses aller-retours à [Localité 5] afin de bénéficier d'une rémunération nette annuelle plus importante.

****

Au soutien de ses explications sur l'existence de frais de repas et de déplacements fictifs destinés à minorer le salaire, M. [U] apporte les éléments suivants :

- ses propres écrits dont il ressort qu'un accord aurait été passé pour transférer une partie de ses frais annuels en salaire et l'autre partie en frais de transport ;

- le courriel que M. [R] [A], ingénieur d'études salarié d'Ausy, a adressé à M. [X] [E] le 23 janvier 2017, pour se plaindre notamment d'avoir à inventer de faux trajets à [Localité 7] alors qu'il est domicilié à 550 m de son lieu de travail, et sollicitant de remettre dans le salaire brut, la part de ses frais non pris en charge par l'employeur, soit 5,5 euros par jour ;

- le courriel adressé le 26 février 2018 par lequel Mme [W], en sa qualité de déléguée syndicale centrale CFE-CGC, secrétaire du comité d'entreprise, élue du CHSCT et déléguée du personnel de [Localité 6], interpelle la direction de la société Ausy sur la situation de M. [U] au regard des faux frais non remboursés après plus de six mois, ainsi que sur la modification de la structure de sa rémunération ;

- ses bulletins de salaire indiquant qu'à compter du mois de mars 2017, son salaire de base est passé de 3 877,88 euros à 4 139,11 euros et que dans le même temps, il a cessé de percevoir des frais de repas qui représentaient 17 euros par jour soit 2 725 euros par an.

Le salarié soutient, dans un courriel du 15 mars 2017, l'existence d'un accord passé en présence de M. [V] et de M. [E] selon lequel ses frais journaliers, soit 17 euros, représentant 2 725 euros par an, devaient être répartis en salaire à hauteur de 1 250 euros et le reste, soit 1 475 euros en frais de transports, mais force est de constater que cet accord ne repose que sur les déclarations du salarié et n'est pas objectivé par les pièces versées aux débats.

En effet, si M. [U] fait état de frais fictifs, il apparaît cependant que ces frais correspondent à des ordres de mission qu'il a signés et pour l'établissement desquels il a donné, par exemple, les instructions suivantes :

- courriel du 23 mars 2017 :

' Bonjour [D],

un aller- retour [Localité 6]-[Localité 5] vaut 252 euros minimum ( 600 km). Je te propose ainsi de notifier sur mon ordre de mission 6 aller-retour annuel.

Le remboursement de titre de transport (carte TCL) reste à hauteur de 50%'

Ainsi, M. [U] a notamment signé un ordre de mission le 24 janvier 2018, soit quelques jours seulement avant sa démission, lequel ordre de mission mentionne des déplacements fréquents à l'agence Ausy d'[Localité 5] et un remboursement dans la limite de 6 AR/an et de 252 euros par déplacement.

Il résulte également des pièces versées aux débats que M. [U] a fourni le 12 avril 2017 un ordre de mission signé, ainsi qu'une copie de sa carte grise et de son permis de conduire, ces dernières pièces étant sans aucune utilité dans l'hypothèse de frais fictifs.

En outre, ces remboursements sont mentionnés sur les bulletins de salaire de l'intéressé, à hauteur de 2 x 252 euros en avril 2017, 252 euros en juillet 2017, en octobre 2017, en décembre 2017 ou encore en décembre 2018.

Et M. [U] ne démontre aucune corrélation entre l'augmentation de son salaire à compter du mois de mars 2017 et l'intégration d'une somme supposée correspondre aux anciens frais de déplacements fictifs, postérieurement au redressement de l'URSSAF.

Il résulte de ce qui précède que M. [U] n'établit pas l'existence de faux frais qui auraient conduit l'employeur à minorer son salaire. M. [U] sera par conséquent débouté de sa demande de rappel de salaire. Le salarié sera également débouté de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail au motif du paiement d'une partie de son salaire en frais. Le jugement déféré sera confirmé en ce sens.

Les manquements invoqués à l'appui de la demande de requalification de sa démission n'étant pas caractérisés, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé que la démission de M. [U] ne s'analysait pas en une prise d'acte aux torts de l'employeur.

En l'absence de requalification de sa démission en prise d'acte aux torts de l'employeur, M. [U] n'est pas fondé à invoquer le statut de salarié protégé aux fins de voir sa prise d'acte produire les effets d'un licenciement nul, ni en sa demande d'indemnisation pour violation de son statut protecteur. Le jugement déféré doit être confirmé en ce sens.

- Sur les demandes accessoires :

La société devra remettre au salarié un bulletin de salaire rectifié conformément au présent arrêt.

Le jugement étant confirmé, il n'y a pas lieu d'ordonner la remise de documents de fin de contrat rectifiés.

Il n'y a pas lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a laissé les dépens à la charge de chacune des parties et en ce qu'il les a déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Chacune des parties succombant partiellement en ses demandes conservera la charge de ses propres dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire de

2 000 euros bruts au titre de la prime variable pour la période de janvier 2018 au jour de la rupture du contrat de travail, outre la somme de 200 euros au titre des congés payés afférents

STATUANT à nouveau sur ce chef,

CONDAMNE la société Ausy à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros à titre de rappel de salaire au titre de sa rémunération variable pour la période de janvier 2018 à la rupture du contrat de travail, outre la somme de 200 euros de congés payés afférents

ORDONNE à la société Ausy de remettre à M. [U] un bulletin de salaire conforme au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification

REJETTE la demande en fixation d'une astreinte

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel

DIT que les parties conservent la charge de leurs dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/08392
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;19.08392 ?
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