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25/10/2022 | FRANCE | N°20/07469

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale d (ps), 25 octobre 2022, 20/07469


AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE





COLLÉGIALE



RG : N° RG 20/07469 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NKGG





Société [4]



C/

[U]

CPAM DU RHONE







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 30 Novembre 2020

RG : 19/03625





AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS





COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE D



PROTECTION SOCIALE



ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022






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APPELANTE :



SAS [4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître MAZILLE, avocat au même barreau







INTIMÉS :



[J] [U]

né le 29 Septembre 1970

[...

AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE

COLLÉGIALE

RG : N° RG 20/07469 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NKGG

Société [4]

C/

[U]

CPAM DU RHONE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de LYON

du 30 Novembre 2020

RG : 19/03625

AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022

APPELANTE :

SAS [4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître MAZILLE, avocat au même barreau

INTIMÉS :

[J] [U]

né le 29 Septembre 1970

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Karine THIEBAULT, avocat au de la SELARL CABINET MELANIE CHABANOL, avocat au barreau de LYON, substituant Me Mélanie CHABANOL,

CPAM DU RHONE

[Localité 3]

représentée par madame [B] [E], audiencière, munie d'un pouvoir

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 24 Mai 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Nathalie PALLE, Présidente

Bénédicte LECHARNY, Conseiller

Thierry GAUTHIER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 25 Octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [J] [U] (le salarié), salarié de la société [5] - [4] (l'employeur) en qualité de poseur de voies ferrées, a souscrit le 13 mars 2012 une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 98 pour une « sciatique par hernie discale L4-L5 », accompagnée d'un certificat médical initial établi le 23 novembre 2011, faisant état des constatations suivantes : « Lombosciatique L5 gauche sur protusion discale L4-L5 et arthropathie hypertrophique articulaire postérieure responsable d'une sténose canalaire ».

Après enquête et saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 6], la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la caisse) a notifié aux parties une décision de refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle.

Sur contestation du salarié et après avis favorable d'un deuxième CRRMP, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a, par jugement du 25 septembre 2017, dit que la maladie déclarée par le salarié devait être prise en charge par la caisse.

Les lésions ont été déclarées consolidées le 22 janvier 2018 avec séquelles non indemnisables.

Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, le 6 septembre 2013 et s'est vu allouer une pension d'invalidité de 2e catégorie, le 25 mars 2015.

Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle, le salarié a saisi la caisse puis, en l'absence de conciliation, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, qui par jugement du 30 novembre 2020, a :

- dit que la maladie professionnelle du salarié est la conséquence de la faute inexcusable de l'employeur,

avant-dire droit sur l'indemnisation et sur les autres demandes,

- ordonné une expertise médicale du salarié, aux frais avancés de la caisse,

- condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- réservé les dépens.

Le jugement lui ayant été notifié le 1er décembre 2020, l'employeur en a relevé appel par lettre recommandée du 28 décembre 2020.

Par conclusions adressées à la cour le 9 septembre 2021 et maintenues à l'audience du 24 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, l'employeur demande à la cour de :

A titre principal :

- réformer le jugement déféré,

en conséquence,

- débouter le salarié de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable formulée à son encontre,

A titre subsidiaire :

- constater l'absence de majoration de rente ou d'indemnité en capital compte tenu du taux de 0 % définitivement attribué au salarié,

- ramener à de plus justes proportions les indemnités allouées au titre de la provision et de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions adressées à la cour le 18 mai 2022 et maintenues à l'audience du 24 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, le salarié demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- dire et juger la décision à intervenir commune et opposable à la caisse qui devra faire l'avance des frais,

- condamner la société au versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux dépens de l'instance.

Étant observé la nature du litige, la caisse n'entend pas formuler d'observations sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur mais demande à la cour de dire et juger qu'en application des dispositions des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, dans l'hypothèse de la reconnaissance d'une telle faute, elle procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance, directement auprès de l'employeur, y compris les frais relatifs à la mise en 'uvre de l'expertise.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la faute inexcusable

L'employeur fait valoir essentiellement que :

- la seule reconnaissance d'une maladie professionnelle ne peut suffire à caractériser la conscience du danger ; le fait que le salarié ait été exposé à de la manutention de charges ne suffit pas à démontrer que l'employeur devait avoir conscience d'un danger ; il est difficile de considérer que l'employeur avait ou aurait dû avoir du danger alors que le salarié n'était pas exposé depuis cinq ans aux risques pathogènes décrits par le tableau ;

- le salarié a été déclaré apte à son poste de poseur de voies ferrées lors de la visite médicale d'embauche, aptitude sans aucunes restrictions médicales empêchant ainsi l'employeur d'avoir conscience d'un quelconque danger ; la société n'a jamais été alertée par le salarié ou tout autre salarié de difficultés rencontrées quant au port de charges lourdes ; si le salarié a bénéficié d'arrêts maladie, ces derniers n'ont jamais été déclarés au titre d'une maladie professionnelle ; en l'absence d'une quelconque alerte ou d'un quelconque lien établi entre les absences du salarié et la maladie professionnelle, l'employeur ne saurait être condamné au titre d'une faute inexcusable ;

- le salarié ne rapporte aucun élément permettant de considérer que l'employeur n'avait pas mis à sa disposition l'ensemble des équipements de protection nécessaires ; il a bénéficié d'une « pochette d'accueil du nouvel arrivant » et d'une formation « accueil sécurité » ; il a attesté avoir reçu, le 8 février 2010, préalablement à son intervention sur le chantier, une formation à la sécurité adaptée à ses fonctions ; il a été soumis à une évaluation s'agissant de la « sécurité avant embauche » et a signé une attestation « sécurité » le 17 mai 2010 ; il disposait lors de son embauche d'une attestation de « formation sécurité entreprises extérieures » permettant de considérer que l'employeur s'est assuré de ses connaissances en termes de sécurité, remplissant ainsi son obligation de mettre en place des mesures de prévention.

Le salarié réplique que :

- il a exercé la profession de poseur de voies ferrées depuis le 3 avril 2007 pour le compte de l'employeur, d'abord dans le cadre de contrats de mission puis dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 mai 2010 ;

- compte tenu des tâches effectuées dans le cadre de ses fonctions, de la manutention quotidienne de charges lourdes (matériaux, machines), attestée par de nombreux salariés, et de la manipulation de machines vibrantes, l'employeur avait nécessairement connaissance ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé ;

- pour autant, l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, ne justifiant ni de l'établissement d'un document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), ni de la mise en place de moyens adaptés pour lui éviter d'avoir à manipuler des matériaux lourds, ni de la délivrance d'actions de formation ou d'information pour lui apprendre les bonnes postures et prévenir les maladies ; plus particulièrement, il n'est pas l'auteur de la signature portée sur l'attestation de formation « sécurité » du 17 mai 2010, l'employeur ayant pour habitude de faire signer des documents aux intérimaires et salariés recrutés le jour de leur prise de poste, et particulièrement des attestations de formations, alors même qu'aucune formation ne leur était dispensée, ainsi qu'il ressort de plusieurs attestations ;

- une pratique répandue au sein de l'entreprise consistait à manipuler et déplacer des matériels ou engins d'envergure lorsque les aides mécaniques étaient en panne et, d'une manière générale, les règles de sécurité élémentaires, notamment en matière de port de charges lourdes, n'était pas respectées au sein de l'entreprise.

Sur ce,

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient au salarié, sauf présomptions non applicables en l'espèce, de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut.

La cour observe, en premier lieu, que l'employeur ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie déclarée par le salarié.

S'agissant de la conscience du danger, il y a lieu de rappeler que celle-ci s'apprécie objectivement en considération de celle qu'un employeur normalement avisé aurait dû avoir, compte tenu notamment de son importance, de son organisation et de la nature de son activité, et qu'elle réside dans la connaissance que cet employeur a eue ou aurait dû avoir du danger généré par son activité pour ses salariés.

En l'espèce, il ne peut être contesté que la nature même de l'activité de l'employeur (travaux ferroviaires) et des fonctions exercées par le salarié (poseur de voies ferrées) impliquent des risques liés à la manutention manuelle de charges lourdes (traverses et rails, matériaux), à la manipulation d'outils lourds et/ou vibrants (tronçonneuse à rail, tirefonneuse, perceuse, boulonneuse, bourreuse manuelle, cric ...) et à des contraintes posturales intenses (travail penché en avant), risques que l'employeur ne pouvait ignorer.

Compte tenu de la nature de ces travaux, l'employeur est particulièrement mal fondé à soutenir en appel qu'en présence d'avis d'aptitude sans restriction de la médecine du travail et en l'absence d'une quelconque alerte ou d'un quelconque lien établi entre les absences du salarié et son activité professionnelle, il ne pouvait avoir conscience d'un quelconque danger.

Dès lors, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'employeur qui ne pouvait ignorer que le salarié devait manipuler des charges lourdes, avait ou devait avoir conscience des risques auxquels ce dernier était exposé et qu'il devait prendre les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Or, les premiers juges ont par des motifs détaillés et pertinents que la cour adopte justement retenu que l'employeur ne rapportait pas la preuve qu'il avait fait bénéficier le salarié d'une formation pratique aux gestes et postures adaptée et suffisante, alors qu'il ressort par ailleurs des attestations produites qu'il était expressément demandé aux salariés de travailler manuellement lorsque les aides mécaniques étaient en panne.

En cause d'appel, l'employeur ne produit aucun nouvel élément de nature à combattre les constatations des premiers juges, étant observé, d'une part, que le document intitulé « évaluation sécurité avant embauche » ne comporte aucun nom, de sorte que rien ne permet de le rattacher au salarié, d'autre part, que l'attestation de sécurité du 17 mai 2010, aux termes de laquelle le salarié reconnaît « être en possession du matériel nécessaire à [sa] protection individuelle » et s'engage « à respecter les consignes de sécurité relatives [son] poste de travail » et à se « conformer au règlement intérieur de l'entreprise », comporte une signature qui ne présente aucune similitude avec celle du salarié figurant sur d'autres documents.

Pour confirmer le jugement déféré, la cour rappelle enfin qu'il n'appartient pas au salarié d'établir que l'employeur n'avait pas mis à sa disposition l'ensemble des équipements de protection nécessaires, mais à l'employeur de rapporter la preuve contraire, ce qu'il ne fait pas en l'espèce.

Il doit être déduit de ce qui précède que l'employeur qui avait ou aurait dû avoir conscience du risque auquel était exposé le salarié, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger et a commis ainsi une faute inexcusable. Le jugement entrepris est donc confirmé.

2. Sur les conséquences de la faute inexcusable

Le jugement déféré est encore confirmé en ce qu'il a ordonné, aux frais avancés de la caisse, une expertise pour l'évaluation du préjudice du salarié. Le contenu de la mission confiée à l'expert est confirmé, sachant qu'il appartiendra au pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant après dépôt du rapport d'expertise, de se prononcer sur le bien-fondé des demandes qui seront formulées par le salarié.

Les lésions du salarié ayant été déclarées consolidées avec séquelles non indemnisables, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas ordonné la majoration d'une quelconque rente ou d'un quelconque capital.

3. Sur les frais irrépétibles et les dépens

La décision déférée est enfin confirmée en sa disposition relative aux frais irrépétibles.

Compte tenu de la confirmation du jugement ayant retenu la faute inexcusable de l'employeur, il convient de condamner ce dernier aux dépens d'appel et à payer au salarié la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a dû engager en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [4] à payer à M. [J] [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [4] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale d (ps)
Numéro d'arrêt : 20/07469
Date de la décision : 25/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-25;20.07469 ?
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