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19/10/2022 | FRANCE | N°22/01283

France | France, Cour d'appel de Lyon, 2ème chambre a, 19 octobre 2022, 22/01283


N° RG 22/01283 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OD66









Décision du

TJ de St ETIENNE

1ère Chambre Civile

du 22 mars 2021









[V] [O]

[X] [J]



C/



LA PROCUREURE GENERALE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



2ème chambre A



ARRET du 19 OCTOBRE 2022







APPELANTS





M. [O] [V]

né le 5 février 1983 à [Loc

alité 4] (Tunisie)

[Adresse 2]

[Adresse 2]





Représenté par Me Jean-Pierre GALICHET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE





(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/000324 du 20/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)







Mme [J] ...

N° RG 22/01283 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OD66

Décision du

TJ de St ETIENNE

1ère Chambre Civile

du 22 mars 2021

[V] [O]

[X] [J]

C/

LA PROCUREURE GENERALE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

2ème chambre A

ARRET du 19 OCTOBRE 2022

APPELANTS

M. [O] [V]

né le 5 février 1983 à [Localité 4] (Tunisie)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jean-Pierre GALICHET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/000324 du 20/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

Mme [J] [C] [X]

née le 28 décembre 1969 à [Localité 3] (Alpes Maritimes)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Jean-Pierre GALICHET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/000325 du 20/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)

INTIMEE

Mme LA PROCUREURE GENERALE

représentée par Mme Laurence CHRISTOPHLE, substitut général

[Adresse 1]

[Adresse 1]

******

Date de clôture de l'instruction : 6 septembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 septembre 2022

Date de mise à disposition : 19 octobre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Isabelle BORDENAVE, présidente

- Georges PEGEON, conseiller

- Géraldine AUVOLAT, conseillère

assistés pendant les débats de Sophie PENEAUD, greffière.

Et en présence d'Emmanuelle RENARD, élève avocate.

A l'audience, un membre de la Cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

Signé par Isabelle BORDENAVE, présidente, et par Sophie PENEAUD, greffière, à laquelle la minute a été remise par la magistrate signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 17 décembre 2019, M. le procureur de la République du tribunal de grande instance de Saint-Étienne, après enquête conduite sur le signalement du maire de Saint-Étienne au projet d'union entre Mme [J] [X], née le 28 décembre 1969 à Nice, et M. [O] [V], né le 5 février 1983 en Tunisie, à [Localité 4], s'est opposé à ce projet de mariage, considérant qu'il existait des indices sérieux permettant d'établir que les futurs époux poursuivaient en réalité l'objectif de régulariser la situation de M. [V], de nationalité tunisienne.

Par jugement du 22 mars 2021, le tribunal judiciaire de Saint-Étienne s'est déclaré compétent pour connaître du litige, avec application de la loi française, a débouté les parties de leur demande de mainlevée de l'opposition à mariage formée par M. le procureur de la République, de leurs demandes d'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les a condamnés in solidum au paiement des dépens, recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Par déclaration enregistrée le 14 février 2022, M. [V] et Mme [X] ont relevé appel de cette décision.

L'affaire a été suivie en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile et une ordonnance du 29 mars 2022 a fixé la date d'audience au 14 septembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de conclusions notifiées le 25 mars 2022, Mme [X] et M. [V], vu les articles 8,12 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article 146 du code civil, les articles 175-1 et suivants du code civil, demandent à la cour d'infirmer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, d'ordonner la mainlevée de l'opposition à mariage, de dire n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et de statuer ce que de droit sur les dépens.

Ils rappellent que M. [V], de nationalité tunisienne, réside en France depuis 2011, sans être titulaire d'un titre de séjour,que le couple s'est rencontré à [Localité 3] en septembre 2016, débutant une relation amoureuse, vivant en concubinage, avant de se pacser en septembre 2017, puis fin 2018 de déposer un dossier de mariage.

Ils précisent que, pour des raisons financières, ils ont décidé de venir s'installer à [Localité 5], annulant la demande de mariage déposée initialement à [Localité 3], et indiquent avoir déposé une nouvelle demande de mariage à [Localité 5] le 16 juillet 2019, laquelle a donné lieu, après enquête, à opposition du procureur de la République du 17 décembre 2019.

Ils soutiennent qu'ils justifient de plus de cinq années de vie commune, et indiquent que l'enquête diligentée a mis en évidence le fait que Mme [X] n'est pas sous l'influence de son futur mari, et que ce dernier paraissait sincère dans sa déclaration et son amour pour sa future femme.

Ils rappellent que le droit de se marier est un droit fondamental, qu'il est tout à fait licite pour un couple de se marier, avec entre autres pour objectif de favoriser le droit au séjour du conjoint, à condition que ce ne soit pas exclusif, et que la jurisprudence exige la preuve que l'un des époux au moins poursuit exclusivement un but étranger à l'union matrimoniale.

Ils indiquent que l'enquête pénale en cours n'est pas versée aux débats et qu'aucune diligence n'est justifiée depuis plus de deux années.

Ils précisent produire de nombreuses attestations, établissant leur volonté de vivre ensemble, pour solliciter l'infirmation du jugement.

Par conclusions du 22 avril 2022, Mme la procureure générale conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation aux dépens.

Mme la procureure générale fait observer que le parquet général n'a pas été mis en situation de discuter les pièces communiquées.

Sur le fond, il est rappelé qu'une première demande de mariage avait été déposée à la mairie de [Localité 3], laquelle a fait l'objet d'un sursis le 29 avril 2019, et que, compte tenu du déménagement, la procédure a été transmise au parquet de [Localité 5] ; il est indiqué que Mme [X] avait précisé à l'enquêteur qu'elle souhaitait annuler le mariage, étant sous contrainte morale, et influence toxique, depuis 2016, de M. [V].

Mme la procureure générale rappelle qu'un second dossier a été déposé le 16 juillet 2019, et que, dans le cadre de celui-ci, Mme [X] avait de nouveau exprimé la contrainte subie de la part de M. [V], précisant avoir déposé plainte pour manipulation et abus de faiblesse à [Localité 3].

Elle précise que l'enquête a permis de constater la vie commune du couple, que devant les services de police, Mme [X] n'a pas maintenu ses déclarations, confirmant cependant l'existence de violences verbales, et faisant état d'un changement de comportement depuis leur installation à [Localité 5].

Par un second jeu d'écritures du 1er septembre 2022, Mme la procureure générale indique avoir réussi à se faire communiquer les procédures pénales, lesquelles ont été classées sans suite, mais maintient ses demandes, soutenant que ces procédures font ressortir la grande vulnérabilité de Mme [X] et sa crainte à l'égard de M. [V], notant d'ailleurs que le Pacs conclu le 7 septembre 2017 a été rompu le 6 novembre 2018, et que les parties ne peuvent expliquer cette rupture par leur volonté de se marier, alors que la loi n'impose nullement la dissolution du Pacs comme préalable.

Il est rappelé que, lors de son audition dans le cadre de l'enquête le 30 avril 2019, Mme [X] avait reconnu qu'elle était vulnérable, sous contrainte morale et influence toxique, et que, depuis 2016, elle était victime de chantage affectif et d'isolement de la part de M. [V], précisant avoir peur de lui et disait avoir été influencée par ce dernier pour déménager à [Localité 5].

Il est également rappelé que, lors du second dépôt de dossier de mariage le 16 juillet 2019, et lors de son audition devant l'officier d'état civil le 9 octobre 2019, Mme [X] avait de nouveau exprimé la contrainte subie pour se marier, précisant que M. [V] avait indiqué que si cela ne marchait pas à [Localité 5] il déposerait un dossier dans une autre ville ; elle s'était déclarée prisonnière de leurs relations, pressée par lui pour se marier.

Elle n'a pas confirmé ces déclarations devant le service de police qui enquêtait à l'adresse de [Localité 5], et Mme la procureure générale conclut que les pièces versées en procédure ne remettent pas en cause la vulnérabilité et l'emprise de M. [V], considérant qu'il existe un doute sérieux et persistant concernant son consentement au mariage.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions récapitulatives visées ci-dessus pour un exposé plus précis des faits, prétentions, moyens et arguments des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2022, l'affaire a été plaidée le 14 septembre 2022 et mise en délibéré ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de relever que la décision déférée a tranché, au regard de la nationalité tunisienne de M. [V], les questions de compétence et de loi applicable, et que ces points ne sont pas remis en cause par les parties dans leurs dernières écritures, seul étant discuté le bien fondé de l'opposition au mariage.

Aux termes des dispositions de l'article 146 du code civil, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.

En application des dispositions de l'article 175-2 du même code, lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l'audition prévue par l'article 63, que le mariage envisagé est susceptible d'être annulé au titre de l'article 146 de ou de l'article 180, l'officier de l'état civil peut saisir sans délai le procureur de la République.

Ce texte précise que le procureur de la République, après avoir utilisé la possibilité de décider d'un sursis à la célébration, fait connaître, par décision motivée, à l'officier de l'état civil, s'il s'oppose à la célébration.

Il ressort des éléments du dossier que M. [O] [V] et Mme [J] [X] ont déposé, auprès de la mairie de [Localité 5], le 16 juillet 2019, un dossier de mariage.

Le procureur de la République de [Localité 5], saisi par lettre du 10 octobre 2019, émanant de l'adjoint au maire de la ville de [Localité 5] a, après avoir ordonné deux sursis à la célébration, formé opposition à la célébration du mariage le 9 décembre 2019, cette opposition étant régulièrement signifiée aux parties par acte d'huissier le 17 décembre 2019.

Par acte du 20 octobre 2020, les intéressés ont contesté cette décision, sollicitant que soit ordonnée la levée de l'opposition à mariage.

Il appartient au ministère public de rapporter la preuve de l'absence de consentement, auquel est assimilée l'absence de volonté matrimoniale d'au moins un des futurs époux.

Au soutien de sa demande d'opposition à mariage, Mme la procureure générale communique une première enquête, diligentée à [Localité 3], où le couple résidait avant de s'installer à [Localité 5], laquelle a fait l'objet d'un classement sans suite.

Il ressort de l'examen de cette enquête :

- que le couple avait déposé un dossier de mariage à [Localité 3] le 18 janvier 2019,

- que suite à l'audition de chacun des futurs époux, l'officier d'état civil a émis, le 9 avril 2019, un avis défavorable à l'union, suspectant un défaut d'intention matrimoniale et mettant en exergue la possible fragilité affective et psychologique de la future épouse,

- qu'il a précisé notamment qu'en fin d'entretien, Mme [X] avait exprimé son refus de se marier, et fait part de sa crainte de la réaction de M. [V] face à ce refus,

- que le 29 avril 2019, le procureur de la République de [Localité 3] a pris une décision de sursis à célébration de mariage, en notant qu'il existait des doutes sérieux quant à l'intention matrimoniale, précisant que Mme [X] avait été mariée et divorcée à deux reprises, et qu'elle avait été placée sous mesure de protection jusqu'en 2006,

- que le procureur de la République de Nice a décidé, dans un tel contexte, de faire diligenter une enquête pénale,

- que la visite domiciliaire du studio, et l'enquête de voisinage, ont permis de confirmer l'existence d'une communauté de vie entre les intéressés,

- que Mme [X], entendue le 30 avril 2019, a indiqué avoir été placée sous curatelle entre 1995 et 2005 suite à sa vulnérabilité,

- qu'elle a déclaré être sous le coup d'une expulsion locative, M. [V] l'ayant influencée pour s'installer à [Localité 5], et a confirmé avoir dit à l'officier d'état civil qu'elle ne souhaitait plus se marier, mais craignait la réaction de son compagnon, et se disant sous l'influence toxique de ce dernier depuis octobre 2016, ayant voulu le quitter à maintes reprises, sans pouvoir le faire, par peur,

- qu'elle a précisé que M. [V] voulait se marier avec elle pour obtenir indûment un titre de séjour, faisant état de pressions psychologiques, de chantage affectif, de menaces de suicide, de manipulations, et par ailleurs de violences volontaires à son encontre, avec dépôts de plainte, retirés par la suite,

- qu'elle a fait part de sa crainte, de sa volonté d'annuler la procédure de mariage,

- que M. [V] ne s'est pas présenté à la convocation,

- que la procédure a finalement fait l'objet d'un classement sans suite par le parquet de Nice le 10 juin 2022.

Parallèlement, une autre procédure d'enquête, ayant fait l'objet d'un classement sans suite en mars 2018, est transmise par le parquet général, enquête faisant suite à un dépôt de plainte par Mme [X] à l'encontre de M. [V].

Dans son audition du 20 janvier 2018 par les services de police de [Localité 3], cette dernière a dénoncé des faits de violences de la part de son compagnon, disant avoir déjà été frappée par le passé, et sequestrée, sans voir déposé plainte, et avoir été menacée de mort à diverses reprises, si elle le quittait.

Mme [X] s'est de nouveau présentée aux services de police le 24 janvier 2018, pour retirer cette plainte, en disant que M. [V] avait pris ses affaires et était parti.

L'enquête alors diligentée a permis de relever que Mme [X] était connue en tant que victime, pour des faits identiques, ayant déposé six mains courantes depuis 2006, pour menaces et violences de ses divers compagnons, dont une en 2017 à l'encontre de M. [V], deux interventions au domicile du couple étant par ailleurs notées.

C'est dans ce contexte qu'a été déposé, le 16 juillet 2019, un second dossier de mariage devant l'officier d'état civil de [Localité 5], ville où le couple avait déménagé, dossier ayant donné lieu à l'opposition à mariage soumise à la cour.

Le courrier adressé par l'adjoint délégué au procureur de la République de [Localité 5], daté du 10 octobre 2019 fait état de doutes sur la réalité de l'intention matrimoniale alors que :

- Mme [X] pense que M. [V] veut se marier uniquement pour obtenir une régularisation administrative, parlant de la manipulation de son conjoint,

- M. [V] est en situation irrégulière,

- Mme [X] présente un état de fragilité (fâchée avec sa mère, frères éloignés, pas d'amis) et un passé amoureux avec trois compagnons en situation irrégulière.

L'audition de Mme [X], réalisée le 9 octobre 2019, permet en effet de retenir :

- que le couple s'est pacsé à [Localité 3] en septembre 2017, le pacs ayant été dissous un an après, car les parties voulaient se marier,

- que M. [V] l'a pressée de se marier, et lui a dit, après leur arrivée à [Localité 5], que 'si cela ne marchait pas, ils déposeraient un dossier dans une autre ville',

- qu'elle a indiqué ne pas se sentir prête à se marier, qu'elle ne croit pas que M. [V] va rester avec elle, qu'elle se sent prisonnière, n'arrivant pas à se séparer de lui,

- que M. [V] n'a pas de marques d'affection pour elle, lui ayant dit de l'embrasser dans le couloir devant l'officier d'état civil présent,

- qu'elle a déposé plainte pour abus de faiblesse.

Dans le cadre de cette audition, Mme [X] a indiqué qu'elle s'était mariée à 18 ans avec un tunisien, que tous ses amis lui disaient qu'il se mariait pour les papiers, que le couple est

resté marié trois ans, qu'elle a ensuite eu un enfant avec un homme sans papiers, puis s'est à nouveau mariée avec un homme en situation irrégulière, restant un mois et demi avec ce dernier, contre lequel elle a déposé plainte pour violences.

L'audition de M. [V] permet notamment de retenir que celui-ci indique que le couple envisage d'avoir deux ou trois enfants (étant rappelé que si M. [V] est né en 1983, Mme [X] est née en 1969, étant dès lors âgée de 50 ans lors de cette audition) et que les familles ne se connaissent pas, ce dernier maintenant l'existence d'un mariage d'amour.

La synthèse de l'enquête mariage, réalisée le 3 décembre 2019 par les services de police note :

- que Mme [X], réentendue, a indiqué que lorsqu'elle s'était rendue en mairie pour l'audition elle sortait du travail, était fatiguée, a dit n'importe quoi, ne pensait pas ce qu'elle a dit,

- que pour le dossier de [Localité 3] elle allait être explusée et devait partir vite,

- que l'enquêteur n'a pas trouvé Mme [X] sous l'influence de M. [V] comme le lui a confirmé le témoin de mariage,

- que Mme [X] a apporté des bagues et des photographies du couple,

- que M. [V] a paru sincère lors de son audition,

- que le couple vivait ensemble depuis 2016, s'étant pacsé en 2017,

- que M. [V] n'avait pas respecté entièrement l'assignation à résidence, et faisait toujours l'objet d'une obligation de quitter le territoire national.

Lors de son audition par les services de police, le 27 novembre 2019, Mme [X] est en effet revenue sur ses déclarations antérieures à la mairie de [Localité 3] ou de [Localité 5], disant qu'elle avait eu des doutes, puis regretté.

Elle a précisé que les faits de violences étaient de l'histoire ancienne, que tout se passait correctement depuis leur installation à [Localité 5], a confirmé l'absence de tout contact avec sa famille, et a indiqué vouloir finaliser son projet de mariage.

Interrogé le 2 décembre 2019, M. [V] a maintenu pour sa part qu'il s'agissait d'un mariage d'amour ; questionné sur la différence d'âge, il a précisé que l'amour n'avait pas d'âge et a contesté toute fragilité psychologique ou vulnérabilité de Mme [X].

La personne désignée comme témoin de M. [V] a été entendue dans le cadre de cette enquête, et a indiqué n'avoir rencontré ce dernier qu'une fois avec sa femme, qu'ils lui ont alors demandé d'être le témoin de M. [V], comme ne connaissant personne à [Localité 5].

La personne désignée comme témoin de Mme [X] a précisé avoir fait sa connaissance en avril 2019 sur le Bon Coin, avoir ensuite sympathisé, précisant que Mme [X] faisait état d'une relation sans difficulté, et indiquant ne pas la trouver influençable, et considérer qu'il s'agissait d'un mariage d'amour.

M. [V] et Mme [X] communiquent pour leur part divers justificatifs de vie commune depuis des années, des photographies, et trois attestations de proches, connus sur [Localité 3], dont il ressort :

- que le couple se fréquentait à [Localité 3] en 2017, avait fait part de son intention de se marier, a dû quitter [Localité 3] suite à expulsion de logement, avait une réelle intention matrimoniale,

- que le couple était uni et agréable, avec un sincère projet de mariage.

Les trois autres attestations, de personnes domiciliées à [Localité 5], émanent soit de commerçants qui les voient ensemble, soit du médecin traitant qui les suit depuis 2019, mais n'apportent pas d'éléments probants sur la volonté matrimoniale.

Il convient de relever que, malgré une opposition à mariage signifiée le 17 décembre 2019, les parties n'ont saisi le tribunal d'une demande de main levée de celle-ci que le 20 octobre 2020, suite à ordonnance sur requête rendue le 21 août 2020, et que par ailleurs, alors que le jugement a été rendu le 22 mars 2021, jugement non signifié, ils ont attendu près d'une année, soit le 14 février 2022, pour en relever appel, situation qui ne peut qu'interroger sur la volonté matrimoniale.

Les éléments ci-avant développés soulignent la fragilité de Mme [X], cette dernière indiquant d'ailleurs avoir été placée sous mesure de curatelle une dizaine d'années, et faisant état de ses diverses relations antérieures avec des personnes sans titre de séjour, et contre lesquels elle a déposé diverses mains courantes.

Ces éléments témoignent par ailleurs d'une situation d'isolement (rupture familiale) qui a pu conduire Mme [X] à proposer à M. [V] de s'installer chez elle dès le jour de leur rencontre, comme l'une et l'autre le précisent dans leurs auditions, et soulignent également une relation de couple chaotique, ayant donné lieu, ainsi que l'indique Mme [X] dans une de ses auditions, à une séparation après des faits de violences.

Cette dernière a, au moins à trois reprises, fait part, devant deux officiers d'état civils différents, puis devant les services de police, du fait qu'elle n'était pas disposée à se marier, de l'emprise exercée sur elle par M. [V], et du fait que celui-ci cherchait à régulariser sa situation administrative, ne montrant pas d'affection à son égard, régularisation que M. [V] ne dément d'ailleurs pas, tout en maintenant que ce n'est pas là le but poursuivi par ce projet de mariage.

Au regard de ces divers éléments, il apparaît que le défaut de consentement est suffisament caractérisé pour confirmer le jugement déféré, qui a débouté les parties de leur demande de main levée à opposition à mariage formée par M. le procureur de la République de [Localité 5], étant relevé que les circonstances de la cause, et notamment la fragilité de Mme [X] et l'emprise exercée sur elle par M. [V] conduisent à retenir que cette opposition ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux qui sont les leurs, au nombre desquels le droit de se marier et le droit au respect de la vie privée.

M. [V] et Mme [X], qui succombent en leur appel, seront condamnés aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, après débats en chambre du conseil, et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement déféré,

Condamne M. [V] et Mme [X] aux dépens.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Signé par Isabelle Bordenave, présidente de chambre, et par Sophie Peneaud, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 2ème chambre a
Numéro d'arrêt : 22/01283
Date de la décision : 19/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-19;22.01283 ?
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