AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 18/00073 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LOKY
[I]
C/
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4] E
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 14 Décembre 2017
RG : F16/03337
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2022
APPELANT :
[Z] [I]
né le 06 Février 1961 à [Localité 3] (69)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Eddy NAVARRETE de la SCP COTTET-BRETONNIER NAVARRETE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE :
SELARL JEROME [M], représentée par Me [E] [M], ès-qualités de Liquidateur Judiciaire de la société ENTREPRISE [J] [N]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Emmanuelle SIMON, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Nathalie PALLE, Présidente
Bénédicte LECHARNY, Conseiller
Thierry GAUTHIER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La S.A.S Entreprise [J] [N] avait une activité de menuiserie charpente.
Par contrat à durée indéterminée du 3 octobre 2005, la société Entreprise [J] [N] (la société) a embauché M. [I] en qualité de conducteur de travaux, 1er échelon B, position VI coefficient 845 de  la convention  collective du bâtiment, moyennant  un salaire de 3 313,55 euros.
Le 21 octobre 2015, à la suite d'une cession de parts sociales par M. [N], gérant et ait l'unique associé de la SARL entreprise [J] [N], M. [I] est devenu associé minoritaire de la société à hauteur de 45% des parts.
Par jugement du 16 mars 2016 du tribunal de commerce de Lyon, la société a été placée en redressement judiciaire et la SELARL AJ Partenaires et Maître [P] ont été désignés respectivement en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaire.
Dans un courrier du 20 avril 2016, le mandataire judiciaire a indiqué à M. [I] ne pas reconnaître sa qualité de salarié en le laissant inscrire sa créance au passif de la liquidation judiciaire, au motif qu'il détenait 45% des parts sociales, une procuration bancaire totale, une délégation de signature totale et permanente, qu'il était caution du prêt consenti par la société, n'était pas lié au gérant par un lien de subordination et détenait les mêmes pouvoirs que celui-ci.
Par ordonnance du 10 mai 2016, le juge commissaire a autorisé le licenciement économique de neuf salariés, en raison de la suppression de neuf postes dont celui de coordinateur de travaux.
Après l'avoir convoqué à un entretien préalable, par courrier du 20 juin 2016, l'administrateur judiciaire a notifié à M. [I] son licenciement pour motif économique, sous réserve de la reconnaissance de sa qualité de salarié.
Par jugement du 14 septembre 2016, le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société et a désigné Maître [P] en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 21 octobre 2016, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon, aux fins de voir reconnaître sa qualité de salarié et d'obtenir la condamnation de la société à lui payer des rappels de salaire et les indemnités de congés payés afférents, l'indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour violation des critères d'ordre, une indemnité au titre de l'article 700 ainsi que la remise sous astreinte du bulletin de salaire de septembre 2016.
Par jugement du 14 décembre 2017, retenant que la qualité de salarié de M. [I] n'était pas avérée notamment en l'absence de lien de subordination caractérisant le contrat de travail, le conseil de prud'hommes a déclaré irrecevables les demandes de M. [I] et a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salarié a relevé appel de ce jugement, le 4 janvier 2018.
Par jugement du 31 décembre 2018, le tribunal de commerce a ordonné le transfert des mandats confiés à Maître [P] et la SELARL AJ Partenaires à la SELARL [E] [M], représentée par Maître [M].
Dans ses conclusions auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. [I] conclut à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et demande à la cour de :
- fixer au passif de la société [J] [N] les sommes suivantes :
- 2 654,15 euros bruts, pour la période du 1er mars au 15 mars 2016, outre 265,42 euros bruts de congés payés afférents,
- 1 260,82 euros bruts, pour la période du 23 août au 3l août 2016, outre 126,08 euros bruts de congés payés afférents,
- 3 812.36 euros bruts pour la période du 1er septembre au 22 septembre 2016 outre - 381,24 euros bruts de congés payés afférents,
- 20 689,87 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,
- 31 452 euros à titre de dommages-intérêts pour violation des critères d'ordre,
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner la remise des bulletins de salaire de septembre 2016 sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
- fixer au passif de la société les dépens de l'instance,
- dire et juger la décision à intervenir opposable aux AGS en toutes ses dispositions.
Le salarié fait valoir qu'il est entré dans l'entreprise à compter d'octobre 2005, en vertu d'un contrat à durée indéterminée, au poste de conducteur de travaux et, au dernier état de ses fonctions, il percevait un salaire mensuel de 5242 euros bruts comme l'indiquent ses fiches de paye.
Il rappelle que les dirigeants sociaux peuvent cumuler, dans une même société, un contrat de travail avec leur mandat social, à condition que le contrat de travail correspondant à un emploi effectif.
Il souligne qu'il était associé minoritaire, qu'il occupait l'emploi effectif de conducteur de travaux, dans le cadre duquel il avait la charge du suivi des chantiers publics et privés sur lesquels l'entreprise intervenait, ainsi qu'en attestent plusieurs clients fournisseurs et partenaires de l'entreprise et, comme tous les salariés de l'entreprise il était lié par un lien de subordination à M. [N], le gérant.
Il souligne que le mandataire liquidateur ne démontre pas le caractère fictif de ce contrat ; qu'il était associé non majoritaire, qu'il ne disposait d'aucun pouvoir de décision ; qu'il ne détenait aucune procuration sur l'ensemble des comptes de la société mais seulement sur le compte de l'entreprise auprès de la Banque populaire et que la délégation de signature concernait uniquement les factures et devis bon de commande et non les documents administratifs, comptables ou les contrats d'engagement du personnel.
A l'appui du non-respect des critères d'ordre, il fait valoir que le mandataire judiciaire a créé artificiellement une catégorie distincte afin de ne pas appliquer les critères d'ordre alors qu'ils étaient deux à occuper le poste de conducteur de travaux.
Dans ses conclusions d'intervenante volontaire, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la SELARL [E] [M] représentée par Maître [M], en sa qualité de liquidateur judiciaire, conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de :
' à titre principal, déclarer recevable et bien fondée son intervention volontaire eu égard au jugement de liquidation judiciaire de la société Entreprise [J] [N] et au jugement portant transfert des mandats à la SELARL [E] [M],
' à défaut, prononcer une interruption d'instance dans l'attente de sa mise en cause par l'appelant,
' confirmer le jugement,
' rejeter l'ensemble des demandes de M. [I],
Subsidiairement :
' statuer ce que de droit sur le rappel de salaire du 1er au 15 mars 2016, du 23 au 31 août 2016 et du 1er au 22 septembre 2016 ;
' rejeter les demandes de congés afférents sur les rappels de salaire, ces derniers devant être réglés par la caisse des congés payés du bâtiment,
' dire et juger que l'indemnité de licenciement ne saurait excéder la somme de 19'317,13 euros,
' dire et juger que les critères d'ordre n'avaient pas à être appliqués, les deux seuls salariés de la catégorie professionnelle «conducteur de travaux» dont M. [I] ayant été licencié, M. [X] relevant de la catégorie professionnelle chef d'équipe dès son embauche,
- rejeter la demande indemnitaire pour violation des critères d'ordre de licenciement,
' rejeter les demandes plus amples ou contraires,
' condamner M. [I] à payer à la SELARL [E] [M] , ès-qualités, la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux dépens.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que, bien que titulaire d'un contrat de travail apparent, M. [I] n'a jamais été placé dans un lien de subordination juridique à l'égard de l'entreprise. Il était associé à hauteur de 45 %, également titulaire de la signature sur un compte bancaire au nom et pour le compte de la société. Ce pouvoir de signature bancaire est totalement étranger aux fonctions techniques revendiquées en qualité de conducteur de travaux. Il était caution de la société à hauteur de 60'000 euros démontrant un intérêt accru dans la gestion de la société. Une salariée interrogée sur l'existence d'un lien de subordination à l'égard du dirigeant a précisé que M. [I] avait exactement les mêmes prérogatives que le dirigeant. Les fonctions techniques dont il se prévaut correspondent à l'objet social de la société et sont donc incluses dans le mandat social de gérant de fait. Il ne fait aucun doute que le contrat de travail a été signé par M. [I], la signature qui y est apposée n'étant pas celle du dirigeant de droit. Enfin, M. [I] indiqué spontanément qu'il ne recevait aucune directive pas même du dirigeant. Le liquidateur judiciaire estime que la preuve est ainsi apportée d'une cogestion de fait et, en tout état de cause, d'une absence totale de lien de subordination.
Dans ses conclusions auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'AGS-CGEA conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et au rejet de toutes les prétentions contraires et, en tout état de cause, elle demande à la cour de :
' dire et juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et L. 3253-8 et suivants du code du travail, que dans les termes et conditions résultant  des dispositions des articles L. 3253-19, L. 3253-20, L. 3253-21 et L. 3253-15 du code du travail et L. 3253-17 du même code ;
' dire et juger que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
' la mettre hors dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur.
Il résulte des articles L. 1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement de travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant une rémunération.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements.
La preuve de l'existence d'un contrat de travail incombe à celui qui s'en prévaut mais, en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve étant rappelé que la qualité d'associé d'une société à responsabilité limitée n'est pas exclusive de celle de salarié.
En l'espèce, M. [I] produit aux débats un écrit intitulé contrat de travail à durée indéterminée, daté et signé du 3 octobre 2005, ainsi que des bulletins de paie. Il est par ailleurs constant qu'à compter du 21 octobre 2005, M. [I] est devenu associé minoritaire de la société.
L'existence d'un contrat de travail écrit et la délivrance par la société de fiches de paie créant l'apparence d'un contrat de travail, il revient au liquidateur judiciaire, représentant l'employeur, d'en démontrer le caractère fictif en rapportant la preuve que la relation de travail ne s'inscrivait pas dans un rapport de subordination.
Le liquidateur judiciaire produit aux débats :
- la fiche de renseignements destinée à l'Unedic-AGS, signée par M. [I], le 22 mars 2016, dans laquelle celui-ci a déclaré avoir une procuration bancaire - totale-, détenir une délégation de signature qu'il qualifie de -permanente- pour la signature des -factures, devis et bons de commandes -, qu'il est caution à hauteur de - 60 000 euros- pour une durée de -10 ans- de la société [J] [N] dont il déclare qu'il est associé à hauteur de 45%, et sous la question -de qui recevez-vous les directives '- la cour constate que M. [I] a répondu en barrant d'un trait l'espace prévu à cet effet, ce dont il peut se déduire que M. [I] estimait ne pas recevoir de directives,
- le courriel du 5 avril 2016 de Mme [U] [R], laquelle, alors interrogée par le mandataire judiciaire sur la détention par M. [I] d'une procuration bancaire totale et sur les instructions que celui-ci prétendait recevoir du gérant, répond en précisant que M. [I] a «une procuration sur notre compte Banque populaire mais pas sur le Crédit mutuel» et
qu'« il a les mêmes prérogatives que le gérant»,
- le contrat de travail du 21 décembre 2011 de M. [K] dont la cour constate que la signature, sous le cachet du libellé de la société, présente de nombreuses similitudes avec les signatures de comparaison qui figurent sous le nom de M. [I] dans le contrat de travail du 3 octobre 2005 et dans la fiche de renseignements que celui-ci a renseignée, le 22 mars 2016.
Ainsi s'il n'est pas contestable que M. [I] exerçait un travail dans l'entreprise, ainsi que le confirme plusieurs chefs d'entreprises clientes qui relatent dans les attestations produites par M. [I] avoir eu, avec lui, des relations commerciales et de suivis de chantiers, celui-ci bénéficiait, pour ce faire, d'une délégation de signature lui permettant d'établir des devis et des factures ainsi que d'une procuration sur un des comptes bancaires de l'entreprise, qu'il jouissait d'une autonomie telle qu'il estimait lui-même ne recevoir aucune directives du gérant de la société, qu'il était perçu comme ayant les mêmes prérogatives que le gérant et que, contrairement à ce qu'il prétend, il avait pu recruter un salarié dont il avait signé le contrat de travail au nom et pour le compte de la société, ce dont il résulte que la preuve est apportée qu'il n'existait pas de relation de subordination caractérisant le contrat de travail entre M. [I] et la société Entreprise [J] [N], la circonstance que seul le gérant en exercice avait assuré la conduite de la procédure collective étant indifférente à cet égard.
En l'absence de lien de subordination, le contrat de travail apparent présente un caractère fictif et M. [I] ne peut prétendre à la qualité de salarié.
Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [I].
Compte tenu de l'issue du litige, le jugement est également confirmé en ce qu'il a condamné M. [I] aux dépens et a rejeté sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Pour le même motif, M. [I], succombant dans ses prétentions, supporte les dépens d'appel et sa demande au titre des frais irrépétibles est rejetée.
L'équité et la situation économique de chacune des parties ne commande pas de faire droit aux demandes du liquidateur judiciaire au titre des frais non compris dans les dépens exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
REJETTE les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [Z] [I] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,