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05/10/2022 | FRANCE | N°18/01613

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 octobre 2022, 18/01613


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 18/01613 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LR7A



Société CREDIT MUTUEL SUD EST

C/

[T]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 15 Février 2018

RG : 15/00326



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2022







APPELANTE :



Société Le CREDIT MUTUEL SUD-EST

[Adresse 1]

[Localité 6]



représenté

e par Me Marie-laurence BOULANGER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Maxence VERVOORT, avocat au barreau de LYON







INTIMÉ :



[G] [T]

né le 24 Juillet 1963 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Local...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 18/01613 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LR7A

Société CREDIT MUTUEL SUD EST

C/

[T]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 15 Février 2018

RG : 15/00326

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 OCTOBRE 2022

APPELANTE :

Société Le CREDIT MUTUEL SUD-EST

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Marie-laurence BOULANGER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Maxence VERVOORT, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[G] [T]

né le 24 Juillet 1963 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Emmanuel MOUCHTOURIS de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS SAINT CYR AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Juin 2022

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [T] a été embauché par la caisse fédérale de Crédit Mutuel de Strasbourg, groupe Crédit Mutuel CIC, suivant contrat de travail à durée indéterminée, le 1er octobre 1985.

M. [T] a été nommé directeur de la caisse de Crédit Mutuel de [Localité 7], le 12 mars 2013, niveau cadre, et percevait une rémunération annuelle brute de 57 948,41 euros.

Par une lettre en date du 15 mai 2014, M. [T] a été rétrogradé au poste de chargé de clientèle, statut technicien, à compter du 20 mai 2014.

Par une lettre en date du 3 juin 2014, la société Crédit Mutuel a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un licenciement pour faute grave, le 17 juin 2014.

La société Crédit Mutuel a convoqué une nouvelle fois, M. [T] à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave, suite à la découverte de nouveaux faits, par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 juillet 2014. L'entretien s'est déroulé le 11 juillet 2014.

M. [T] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du16 juillet 2014.

Par requête en date du 28 janvier 2015, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société Crédit Mutuel à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité de préavis et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix, par procès verbal en date du 29 septembre 2016.

Par un jugement en date du 15 février 2018, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a :

- dit que le licenciement de M. [T] n'est pas fondé sur une faute grave mais a une cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- condamné le Crédit Mutuel à payer à M. [T] les sommes suivantes :

107 000 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

13 521,51 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre 1 352,15 euros au titre des congés payés afférents

- condamné la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires

- fixé à 4 829 euros brut la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire de M. [T]

- condamné le Crédit Mutuel Sud- Est aux dépens.

La société Crédit Mutuel a interjeté appel de ce jugement, le 6 mars 2018.

La société Crédit Mutuel demande à la cour de :

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave de M. [T]

A titre principal :

- constater que les faits reprochés à M. [T] dans la lettre de notification du licenciement du 16 juillet 2014 n'avaient pas fait l'objet d'une précédente sanction, le salarié ayant refusé la mesure de rétrogradation proposée ;

- constater que l'ensemble des faits reprochés dans la lettre de notification du licenciement du 16 juillet 2014 doivent être examinés ;

- dire et juger que ces faits caractérisent une faute grave privant le salarié d'indemnité de licenciement et de préavis ;

En conséquence,

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 15 février 2018

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes à ce titre

A titre subsidiaire :

- constater que les faits fautifs constituent a minima une cause réelle et sérieuse de licenciement

- constater que la convention collective applicable est la convention collective de Crédit Mutuel selon avenant du 13 avril 2011 ;

- réformer la décision du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a alloué à M. [T] un montant correspondant à l'indemnité conventionnelle de licenciement applicable au personnel des banques ;

- dire et juger que seule est due à M. [T] l'indemnité légale de licenciement, soit la somme de 40 107,52 euros, en cas de rejet du caractère de gravité de la faute.

Sur sa demande reconventionnelle en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 15 février 2018 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et alloué sur ce fondement la somme de 1 000,00 euros à M. [T] ;

Statuant à nouveau :

- condamner M. [T] au paiement de la somme de 2.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

- condamner M. [T] à lui payer et lui porter la somme de 3 000,00 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.

En tout état de cause

- débouter M. [T] du surplus de ses demandes ;

- débouter M. [T] de son appel incident ;

- condamner le même aux entiers dépens ;

Si la Cour devait faire droit aux demandes à caractère indemnitaire de M. [T]

- dire et juger que ces sommes s'entendent comme brutes de CSG et de CRDS.

Elle soutient :

- que le licenciement de M. [T] est fondé d'une part, sur des faits l'ayant tout d'abord amené à lui proposer une rétrogradation disciplinaire, refusée par ce dernier et, d'autre part, sur d'autres faits dont elle a eu connaissance après la mesure de rétrogradation disciplinaire refusée et l'entretien préalable consécutif à ce refus

- que la mesure de rétrogradation disciplinaire initialement acceptée par M. [T] par courrier en date du 14 mai 2014, n'a jamais été appliquée puisque M. [T] n'a pas régularisé l'avenant à son contrat de travail adressé par la Direction le 15 mai 2014, qu'il n'a jamais pris le poste de chargé de clientèle initialement prévu le 20 mai 2014, et qu'il a fait part de son refus par courrier en date du 27 mai 2014

- que M. [T] a effectué des mouvements bancaires non autorisés au profit de Mme [Z], personne sans lien avec la société, à qui il a octroyé des prêts sans respecter les procédures internes de garanties, qu'il a effectué une mauvaise gestion du dossier de Mme [L], ce qui l'a placée dans une situation d'endettement importante, ce qui constitue un comportement professionnel non conforme à ses attentes, et qu'il a validé trois dossiers de sociétés (SARL Alco, SCI B et Bimmobilier et société AB Services) en octroyant des prêts au-delà de ses délégations, sans solliciter d'autorisation préalable du Service des engagements

- que M. [T] a commis de graves abus dans le cadre du remboursement de ses notes de frais, à savoir, le non-respect de la procédure de remboursement des frais de transport et d'hébergement et le remboursement abusif de certains frais, et que c'est donc en toute connaissance de cause du caractère falsifié de ces documents que M.[T] s'est fait rembourser des frais qui n'ont jamais été réellement engagés

- que M. [T] a fait l'objet d'un grave manquement contractuel en faisant une fausse déclaration d'accident de la circulation d'un collaborateur et en impliquant ce dernier dans cette fraude

- que M. [T] a tenu des propos totalement inacceptables, déplacés et racistes, rapportés par Mme. [L], alors salariée de la Caisse de [Localité 7] Totem, à la fin du mois de février 2014, et qu'il a confirmé avoir tenu ces propos

- que ces nombreux et graves manquements imputables à M. [T], rendaient impossible son maintien au poste de Directeur d'agence.

M. [T] demande à la cour de :

- requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est à lui verser la somme de 115 896,82 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est à lui verser la somme de 107 000 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement outre l'indemnité légale de préavis de 13 521,51 euros assortie de l'indemnité de congés payés sur preavis de 1 352,15 euros et de l'indemnité du 13ème mois de 4 829 euros ;

- condamner la Caisse de Crédit Mutuel du Sud Est à lui verser la somme de 30 000 euros au titre des dommages et intérêts supplémentaires eu egard aux circonstances du licenciement;

- condamner la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est à lui verser la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- assujettir à l'intérêt légal majoré, toutes les condamnations pécuniaires n'en bénéficiant pas de droit ;

- condamner la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il soutient :

- que dans le cadre de l'octroi d'un prêt à Mme [Z], il a parfaitement respecté les limites de sa délégation et que le Crédit Mutuel ne rapporte pas la preuve de l'absence de formalisme qui lui est reproché dans ce dossier

- que les griefs relatifs aux ' nombreux achats de capsules de café', de 243,30 euros et les accusations de racisme et d'antisémitisme ne sont pas sérieux

- que le Crédit Mutuel ne prouve pas qu'il était convenu entre la direction et lui qu'elle ne prendrait en charge les allers-retours entre la Caisse et son domicile jusqu'à la fin de l'année 2013 qu'à la condition qu'ils s'effectuent en train et qu'il ne pouvait, dès lors, prétendre au remboursement de trajets en voiture

- que le Crédit Mutuel a fait preuve d'archement à son encontre, notamment par le biais des nombreuses attestations qui n'apportent aucune preuve et qui dévoilent des faits de sa vie privée, en l'occurrence une ex-liaison

- que les faits qui lui sont reprochés à savoir l'enregistrement d'écritures enregistrées au débit de la Caisse de [Localité 7] sans contrepartie contractuelle au moment de leur comptabilisation, concernant Madame [Z] bénéficiaire d'opérations de crédit et l'augmentation du taux d'endettement de Mme [L] par l'octroi d'un crédit, ne reposent que sur une note interne qui constitue, pour la Caisse du Crédit Mutuel, une preuve à soi-même qui n'est étayée par aucun document comptables, et que ces faits ne constituent pas une faute grave, de sorte que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.

L'ordonnance de clôture a été rendue 15 juin 2022.

SUR CE :

Sur le licenciement :

Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement que le Crédit Mutuel Sud-Est a licencié M. [T] pour faute grave en invoquant :

- le non respect et le contournement des règles de procédure interne dans l'accomplissement d'opérations bancaires anormales au profit de Mme [Z] d'une part et de Mme [L], ancienne collaboratrice de la caisse du crédit mutuel du Sud-est d'autre part ;

- le non respect des règles de procédure en vigueur dans l'entreprise dans le cadre de trois dossiers de prêts à des sociétés ;

- le remboursement abusif de notes de frais s'agissant de remboursements indus de frais de déplacement et de frais d'hébergement,

- une fausse déclaration, le 11 décembre 2013, relative à l'accident de son collaborateur, M. [U] afin que les réparations du véhicule soient prises en charge par l'assurance du Crédit Mutuel;

- la tenue de propos antisémites à la fin du mois de février 2014 en présence de Mme [L], salariée de la caisse à [Localité 7].

Le Crédit Mutuel Sud Est expose que M. [T] ayant finalement refusé la rétrogradation qu'il avait acceptée par courrier du 14 mai 2014, l'employeur est fondé à invoquer d'une part les faits qui l'ont dans un premier temps conduit à proposer une rétrogradation disciplinaire, d'autre part les faits dont il a eu connaissance après cette proposition.

Le juge départiteur a considéré qu'il lui appartenait essentiellement d'examiner les nouveaux faits ayant justifié le nouvel entretien préalable dés lors que M. [T] avait été antérieurement sanctionné par une rétrogradation acceptée dans un premier temps et refusée par la suite.

***

Par courrier du 15 avril 2014, le Crédit Mutuel Sud Est a proposé à M. [T] de le sanctionner par une mesure de rétrogradation au poste de chargé de clientèle, niveau 5, statut technicien, en lui reprochant :

- d'avoir entre le 14 août 2013 et le 18 octobre 2013, effectué douze virements d'un montant total de 19 290 euros à partir d'un compte interne de la CCM [Localité 7] Totem vers les comptes de tiers non clients de la CCM [Localité 7] Totem et majoritairement membres de la famille M, dont Mme [I] M., cliente de la CCM d'Ammerschwir dont M. [T] était le directeur jusqu'en mars 2013, et ce sans contrepartie contractuelle au moment de leur comptabilisation;

- d'avoir incité un de ses collaborateurs victime d'une agression suite à un accident de la route à déclarer qu' il s'agissait d'un accident de l circulation survenu pendant les heures de travail afin que l'intégralité des dégâts matériels soit prise en charge par le contrat groupe;

- d'avoir tenu des propos déplacés à caractère antisémite en déclarant, notamment: 'qu'il fallait réinstaller des cheminées au sein de la CCM au vu de la typologie des clients de la CCM [Localité 7] Totem' .

M. [T] a accepté sa rétrogradation par courrier du 14 mai 2014 et le Crédit Mutuel lui a remis par courrier du 15 mai 2014, un avenant à son contrat de travail consacrant ladite rétrogradation et l'informant qu'il disposait d'un délai de dix jours pour saisir la commission de recours interne.

M. [T] ayant refusé de signer l'avenant relatif à sa rétrogradation et ne s'étant pas présenté à la caisse d'Horbourg-Wirh pour prendre ses nouvelles fonctions le 30 mai 2014, le Crédit Mutuel Sud Est a informé son salarié par courrier du 3 juin 2014 qu'il était amené à engager une procédure de licenciement pour motif disciplinaire à son encontre.

La rétrogradation emportant modification du contrat de travail, l'employeur ne peut infliger une telle mesure à titre disciplinaire qu'avec l'accord du salarié. En cas de refus du salarié dans les deux mois qui suivent, l'employeur peut prononcer une autre sanction, notamment un licenciement, y compris pour faute grave si les faits le justifient.

La lettre de licenciement doit énoncer les motifs de la rupture et ne peut se limiter à faire référence aux fautes visées par la notification de la sanction initialement envisagée.

En l'espèce, il est constant que la mesure de rétrogradation a été refusée par M. [T] ; que la société Crédit Mutuel Sud-Est a licencié M. [T] pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du16 juillet 2014 laquelle reprend expressément les faits ayant donné lieu à la proposition de rétrogradation et ajoute des faits découverts postérieurement à cette proposition, de sorte que le conseil de prud'hommes était tenu d'examiner chacun de ces faits et non pas seulement les 'nouveaux faits découverts ayant justifié un second entretien préalable'.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce sens et la cour examinera l'ensemble des faits visés par la lettre de licenciement.

1°) le non respect et le contournement des règles de procédure interne dans l'accomplissement d'opérations bancaires anormales au profit de Mme [I] [Z] d'une part et de Mme [W] [L], ancienne collaboratrice de la caisse du crédit mutuel du Sud-est d'autre part:

Il est ainsi reproché à M. [T] d'avoir opéré des virements, à la mi-août 2013, sur les comptes de Mme [Z] [I] ou de membres de sa famille, destinataires non clients à la date des dits virements, pour un montant total de 19 290 euros, à partir d'un compte interne de la caisse ; d'avoir octroyé à Mme [Z] un premier prêt de 30 000 euros le 30 décembre 2013, puis un second prêt de 44 700 euros le 11 mars 2014 sans aucune garantie.

M. [T] soutient que ces opérations étaient régulières, en vertu de la délégation de signature inhérente à ses fonctions de directeur lui permettant l'octroi de prêts à des particuliers avec un sous-plafond de 150 000 euros en crédit à la consommation et un sous-plafond de 50 000 euros en crédit de fonctionnement.

Il indique qu'il s'agissait de transférer les comptes de Mme [I] [Z] de l'agence d'[Localité 3] à celle de [Localité 7] et que ce transfert n'a été autorisé par le nouveau directeur de l'agence d'[Localité 3] qu'après un délai de trois mois.

Il soutient que le grief ne repose que sur une note interne de l'inspection fédérale du Crédit Mutuel datée du 25 mars 2014, qui n'est étayée par aucun document comptable et qui a été rédigée fort opportunément au moment même où il a refusé sa réintégration.

Il résulte de ladite note que les anomalies ont perduré jusqu'à la fin de l'exercice 2013, avant qu'un compte courant soit ouvert à Mme [Z] le 21 décembre 2013 et débité sans provisions pour solder le compte interne de la caisse. Les deux prêts octroyés à Mme [Z] ont servi à consolider ce compte et le Crédit Mutuel indique à la date du 25 mars 2014 qu'une partie des revenus de la cliente est domiciliée et que son encours de crédits ressort à 45KE.

Si M. [T] justifie des montants maximums de prêts autorisés par sa délégation de signature, il ne justifie pas en revanche de la régularité des virements opérés vers des destinataires non clients du Crédit Mutuel, dés lors qu'il résulte des propres explications du salarié que le transfert des comptes de Mme [Z] n'a été autorisé qu'a posteriori, soit trois mois après les virements litigieux.

En ce qui concerne le dossier de Mme [W] [L], désignée comme ' Melle B.' dans la lettre de licenciement, ancienne collaboratrice de la caisse du Crédit-Mutuel, il est reproché à M. [T] d'avoir permis à celle-ci de puiser dans la réserve de 25 000 euros de passeport de crédit , ce qui a eu pour conséquence d'aggraver son endettement, avec un taux d'effort à 70% entraînant nécessairement un accroissement dans le temps de son endettement et ce alors que la capacité de remboursement d'un emprunteur ne doit jamais dépasser 35%.

M. [T] soutient que l'octroi d'un nouveau crédit à Melle [L] a été réalisé dans les limites de l'autorisation d'un directeur d'agence et de ses pouvoirs et le Crédit Mutuel ne produit aucun élément objectif sur le taux d'endettement de Melle [L], de sorte que ce grief ne peut être retenu contre M. [T].

2°) le non respect des règles de procédure en vigueur dans l'entreprise dans le cadre de trois dossiers de prêts à des sociétés:

Il est reproché à M. [T] d'avoir octroyé des prêts à trois sociétés (Sarl Alco, Sci B et B Immobilier et AB Services), au delà de ses délégations, et sans solliciter d'autorisation préalable du service des engagements, soit :

- 379 150 euros à la Sarl Alco le 30 avril 2013

- 488 220 euros à la SCI B et B Immobilier le 25 avril 2014

- 322 300 euros à la société AB Services le 6 mai 2014.

M. [T] n'a pas conclu sur ce point.

3°) le remboursement abusif de notes de frais s'agissant de remboursements indus de frais de déplacement et de frais d'hébergement :

Il est reproché à M. [T] :

- le non respect de la procédure de remboursement des frais de transport et d'hébergement

- le remboursement abusif de certains frais d'hébergement et de transport au- delà de la limite autorisée par l'employeur ou sur la base de fausses factures, ou encore la prise en charge de frais non professionnels.

Le Crédit Mutuel indique que dans le cadre ses déplacements entre [Localité 6] et [Localité 5], il avait été convenu avec M. [T] que la Caisse de Crédit Mutuel du Sud-Est prenne en charge ses frais de déplacement en train, à raison d'un aller-retour par semaine entre la caisse et son domicile à [Localité 5] jusqu'à la fin de l'année 2013 et que M. [T] était autorisé à se déplacer en voiture, de manière exceptionnelle, afin de rechercher un appartement à [Localité 6].

Le Crédit Mutuel soutient qu'en dépit d'un rappel à l'ordre du 19 juin 2013, M. [T] a violé ses engagements en se faisant rembourser ses déplacements réguliers en voiture et en se faisant rembourser ses frais de train et de voiture de janvier à mai 2014, à hauteur de 1 372,14 euros d'indemnités kilométriques indues et de 1 172,10 euros de frais de transport SNCF indus

M. [T] soutient qu'il n'est pas mentionné dans la convention de transfert que les allers-retours entre [Localité 5] et l'agence de [Localité 7] devaient se faire exclusivement en train, mais ne conclut pas sur la question de la prise en charge de ses frais de déplacement au- delà du mois de décembre 2013.

Par courrier du 8 mars 2013, M. [O], directeur des ressources humaines du Crédit Mutuel confirmait à M. [T], d'une part, sa nomination au poste de directeur de la CCM [Localité 7] Totem à compter du 12 mars 2013, d'autre part la prise en charge, pendant une durée de 9 mois, de son hébergement.

La convention de transfert tripartite signée le 21 février 2013 entre la caisse de crédit mutuel du sud est, la caisse fédérale de crédit mutuel et M. [T] ne comporte aucune mention relative au remboursement des frais de déplacement ou d'hébergement.

Par courriel du 4 juin 2013, M. [O] a demandé à M. [T] de respecter l'accord initial prévoyant des déplacements en train, en lui rappelant que la prise en charge des frais de déplacement en voiture devait rester exceptionnelle.

La cour observe que l'accord invoqué par le Crédit Mutuel n'a pas été formalisé, et qu'à l'exception du rappel à l'ordre sus-visé du 4 juin 2013, aucun élément du débat ne permet d'en connaître les modalités.

La cour observe en second lieu que le Crédit Mutuel verse aux débats des fiches de remboursement de frais pour la période du 6 janvier 2014 au 15 mai 2014 qui font essentiellement état de trajets en train entre [Localité 5] et [Localité 6], ainsi que de déplacements en voiture aux dates suivantes: 17 et 22 mars 2014, 29 avril 2014, 3, 13 et 15 mai 2014, dates correspondant à des demandes de paiement d'indemnités kilométriques au titre de ses déplacements entre [Localité 6] et [Localité 7].

En l'absence d'accord formalisé au sujet de la prise en charge des frais de déplacement, il ne résulte pas des éléments du débat de remboursements indus de frais de déplacements entre [Localité 5] et [Localité 6], ni aucune violation des accords supposés conclus sur ce point entre les parties.

Concernant l' hébergement du salarié à [Localité 6], le Crédit Mutuel expose que M. [T] a continué à se faire rembourser ses frais d'hébergement pour un montant de 3 435,20 euros de janvier à mai 2014 sans y être autorisé et en produisant de surcroît de fausses factures au nom de M. [G] [R]. Le Crédit Mutuel s'appuie notamment sur une attestation de M. [C], gérant de l'établissement [Localité 6] City Home du 20 avril 2015, ainsi que sur trois attestations de Mme [A] [N], cliente de la caisse de Crédit Mutuel [Localité 7] Totem, qui se présente comme ayant été la maîtresse de M. [T] à compter du 13 février 2014 et selon qui M. [T] ne pouvait être hébergé au sein de l'établissement [Localité 6] City Home en avril et mai 2014 dans la mesure où il logeait chez elle.

M. [T] souligne les incohérences entre ces différents témoignages et dénonce à la fois le procédé consistant à dévoiler des aspects intimes de sa vie privée et le fait inhabituel d'avoir fait attester de façon mensongère une ex-liaison.

Sont versées aux débats, des factures correspondant à des nuits d'hôtel, repas et taxes de séjour au [Localité 6] City Home, pour les périodes suivantes :

- du 20 au 24 janvier 2014

- du 27 au 31 janvier 2014

- du 3 au 27 mars 2014

- mois d'avril 2014

- mois de mai 2014,

Il en résulte que ces factures sont au nom de M. [G] [R] Crédit Mutuel [Localité 7], que seules les factures des mois de janvier et mars 2014 portent le tampon et la signature du gérant M. [X] [C] ainsi que sa signature, et que ce dernier déclare qu'il n'a pu héberger M. [R](/[T]) 'à la période des deux factures' (celles non visées par lui), étant tombé gravement malade à compter du 18 mars 2014.

M. [T] ne fournit aucune explication au fait que les factures ne soient pas à son nom, que M. [C] déclare qu'il n'y a pas eu d'hébergement aux mois d'avril et mai 2014, que les factures litigieuses ne soient pas tamponnées par le gérant contrairement aux facture précédentes, et qu'elles portent le même numéro, en l'espèce 793, alors que chaque facture porte un numéro distinct.

Il en résulte une présomption sérieuse de fausses factures que M. [T] ne combat par aucun élément.

4°) une fausse déclaration, le 11 décembre 2013, relative à l'accident de son collaborateur, M. [U] afin que les réparations du véhicule soient prises en charge par l'assurance du Crédit Mutuel ;

Il résulte du compte-rendu d'entretien préalable à la mesure de rétrogradation du 10 avril 2014 signé par M. [O] et M. Simon, délégué syndical que M. [T] a confirmé avoir couvert un collaborateur de la CCM [Localité 7] Totem victime d'une agression suite à un accident de la route, qui a déclaré qu'il s'agissait d'un accident survenu lors d'un déplacement professionnel afin que l'intégralité des frais soit prise en charge par le contrat groupe.

Compte tenu des termes du compte-rendu sus-visé et en l'absence de tout élément sur les circonstances précises de cette fausse déclaration, ce fait, même non contesté par le salarié qui n'a pas conclu sur ce point, ne peut être retenu comme constitutif d'une faute grave au soutien du licenciement.

5°) la tenue de propos antisémites à la fin du mois de février 2014 en présence de Mme [L], salariée de la caisse à [Localité 7]:

Pour ce dernier grief, comme pour le précédent, le Crédit Mutuel se réfère au compte-rendu de l'entretien préalable à la mesure de rétrogradation à l'exception de tout autre élément.

Or, en l'absence du témoignage circonstancié de Melle [L], seul témoin cité des propos antisémites imputés à M. [T], et au regard de dernières écritures du salarié qualifiant ces accusations de 'lamentables', l'aveu invoqué par la caisse ne saurait résulter du seul compte rendu d'entretien mentionnant que M. [T] confirme les propos et les remet dans leur contexte.

Il ressort des éléments factuels du dossier que le non respect des règles de procédure interne dans l'accomplissement d'opérations bancaires anormales au profit de Mme [I] [Z], ainsi que le remboursement abusif de frais d'hébergement sont établis.

Il s'agit de faits suffisamment graves pour compromettre le lien de confiance inhérent à la relation contractuelle et qui rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis; la faute grave est donc établie. Il s'ensuit que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave. Le jugement qui a dit que le licenciement de M. [T] n'est pas fondé sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse sera donc infirmé en ce sens et M. [T] sera débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de ses demandes d'indemnité de licenciement et de préavis.

M. [T] fait valoir que les conditions du licenciement ont été particulièrement vexatoires, et que le fait, entre autres, de lui avoir prêté sans la moindre preuve des propos antisémites relève de l'inacceptable.

Toutefois, le salarié ne démontre pas l'existence de circonstances vexatoires dans la conduite de la procédure de licenciement susceptibles d'ouvrir droit à une indemnisation.

La demande de dommages et intérêts formée à ce titre doit être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

- Sur les demandes accessoires :

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par M. [T].

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages et intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de circonstances vexatoires du licenciement et la demande en paiement d'une indemnité de treizième mois

INFIRME le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à payer au salarié une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de procédure et l'a condamné aux dépens

STATUANT à nouveau sur ces chefs,

DIT que le licenciement notifié à M. [T] le 16 juillet 2014 est fondé sur une faute grave

DÉBOUTE M. [T] de ses demandes en paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité de congés payés afférents

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel

CONDAMNE M. [T] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 18/01613
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;18.01613 ?
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