AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/06731 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MTUJ
SASU CYGERMA
C/
[Z]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 02 Septembre 2019
RG : F17/01742
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2022
APPELANTE :
SASU CYGERMA
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Eric JEANTET de la SCP D'AVOCATS JURI-EUROP, avocat au barreau de LYON,et ayant pour avocat plaidant Me Jean-philippe VALLON de la SCP PYRAMIDE AVOCATS, avocat au barreau de VIENNE
INTIMÉ :
[L] [Z]
né le 24/07/1986 à [Localité 3] ( Albanie)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Jean-Michel LAMBERT, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 18 Mai 2022
Présidée par Sophie NOIR, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Patricia GONZALEZ, présidente
- Sophie NOIR, conseiller
- Catherine CHANEZ, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 09 Septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente et par Ludovic ROUQUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [L] [Z] a été embauché en qualité de plongeur à compter du 27 mars 2006 par la société Anax qui exploitait un restaurant dénommé 'le petit glouton' situé à [Localité 2], dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.
À compter du 1er juillet 2016, le contrat de travail a été transféré à la société Cygerma cessionnaire du fonds de commerce.
Par avenant du 1er juillet 2016, les parties ont redéfini le cadre du contrat de travail, M. [L] [Z] étant désormais nommé au poste d'aide cuisinier-plongeur polyvalent.
La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.
Le salarié a fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires sous la forme :
- d'un rappel de bonne conduite le 26 septembre 2016 pour s'être absenté à 3 reprises de son poste de travail durant le mois de septembre 2016 sans prévenir l'employeur ou en le prévenant tardivement et sans justificatif médical
- d'un avertissement le 6 octobre 2016 suite à un nouveau retard le 28 septembre 2016 sans prévenir l'employeur ainsi que le 30 septembre 2016
- d'un avertissement le 11 janvier 2017 en raison de plusieurs absences injustifiées le 1er janvier 2017, le 9 janvier 2017 et de plusieurs retards de 15 à 20 minutes à chaque prise de poste
- d'une mise à pied disciplinaire de 2 jours le 20 février 2017 en raison d'absences injustifiées le 1er janvier 2017, le 9 janvier 2017 et entre le 20 janvier et le 26 janvier 2017 ainsi qu'en raison de plusieurs retards à sa prise de poste.
Le 4 mars 2017, le salarié a quitté son service de façon anticipée et n'est pas venu travailler le 5 mars 2017.
À son retour dans l'entreprise le 6 mars 2017 à 15 heures, l'employeur lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé avec accusé réception du 8 mars 2017, l'employeur l'a mise en demeure de justifier de son absence entre le 4 mars 2017 et le 6 mars 2017 à 15 heures.
Par lettre recommandée avec accusé réception du même jour la société Cygerma l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 mars 2017.
Le salarié ne s'est pas présenté à cet entretien préalable.
Il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé réception du 27 mars 2017 rédigé ainsi :
' Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements constitutifs d'une faute grave. En effet, le 4 mars dernier, vous avez abandonné votre poste de travail en cours de service et vous avez été absent le 5 mars 2017 jusqu'au 6 mars 2017 à 15 heures (au lieu d'une prise de poste à 14h30), sans aucune explication ni aucun justificatif de votre part.
Lors de votre retour le 6 mars à 15 heures, je vous ai notifié verbalement votre mise à pied à titre conservatoire compte tenu de ce nouveau comportement fautif.
Suivant courrier recommandé en date du 8 mars 2017 doublé d'un envoi simple, nous vous avons mis en demeure de justifier de votre absence pour la période susvisée.
Nous vous rappelons qu'aux termes de l'article 11 de votre contrat de travail et de l'article 29 de la convention collective applicable, si vous ne pouvez rejoindre votre poste de travail, vous êtes tenu sauf en cas de force majeure, d'aviser sans délai par tout moyen utile votre employeur de votre absence outre, en cas de maladie ou d'accident, adressé sous 48 heures un certificat médical constatant l'incapacité résultant et justifiant votre absence au travail.
Vous ne nous avez fourni aucun justificatif ni aucune explication.
Vous avez transmis le 10 mars 2017, après votre convocation à entretien préalable, un arrêt de travail couvrant la période du 7 mars 2017 au 7 avril 2017 mais ne venant pas justifier la période d'absence reprochée.
Vous ne vous êtes par ailleurs pas présenté à l'entretien préalable auquel vous étiez convoqué à la date du 21 mars 2017.
Outre le fait que nous ne pouvons tolérer un tel comportement, qui constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles, vous ne pouvez ignorer que compte tenu de la très petite taille de la structure, votre attitude désorganise profondément l'activité de l'entreprise.
Votre persistance à ne pas répondre à nos demandes d'explications et justifications dénote de votre insubordination.
Nous vous rappelons par ailleurs que vos absences inopinées et injustifiées conduisent les autres membres du personnel à devoir pallier votre carence qui ne peut être anticipée, le tout avec une perte de qualité pour notre clientèle qui n'est pas acceptable et préjudicie aux intérêts de l'entreprise.
Nous vous rappelons également que ce n'est pas la première fois que ce type de reproches est formulé, avec un rappel à l'ordre notifié le 26 septembre 2016, une lettre d'avertissement notifiée le 6 octobre 2016, un second avertissement notifié le 11 janvier 2017 et la notification d'une mise à pied disciplinaire le 20 février 2017.
Manifestement et malgré ces multiples sanctions préalables, vous n'avez pas estimé nécessaire de modifier votre comportement.
Aussi nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave (...)'.
M. [L] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une contestation de ce licenciement le 9 juin 2017.
Par jugement du 2 septembre 2019 le conseil des prud'hommes de Lyon a :
- dit que le licenciement est abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamné la société Cygerma à payer à M. [L] [Z] les sommes suivantes :
1117,34 euros au titre du rappel de salaire correspondant la mise à pied conservatoire
3032,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,29 euros au titre des congés payés afférents
3336,0 8 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- condamné la société Cygerma à payer à M. [L] [Z] la somme de 15'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamné la société Cygerma à payer à M. [L] [Z] la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société Cygerma à rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées au salarié licencié dans la limite de 3 mois
- débouté la société Cygerma de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamné la société Cygerma aux entiers dépens de l'instance.
La société Cygerma a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 2 octobre 2019.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2020 elle demande à la cour :
- de réformer en toutes ses dispositions le jugement
Statuant à nouveau
- de dire et juger bien-fondé le licenciement pour faute grave de M. [L] [Z]
En conséquence
- de débouter M. [L] [Z] de l'intégralité de ses prétentions
- de condamner M. [L] [Z] au paiement de la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- de le condamner aux entiers dépens
A titre subsidiaire
- de dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2020, M. [L] [Z] demande pour sa part à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qui concerne :
la requalification de la rupture du contrat de travail en un licenciement abusif et dépourvu de cause réelle et sérieuse
la condamnation de la société Cygerma à lui payer les sommes suivantes :
1117,34 euros au titre du rappel de salaire correspondant la mise à pied conservatoire
3032,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,29 euros au titre des congés payés afférents
3336,0 8 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
Statuant à nouveau
- de condamner la société Cygerma à lui payer les sommes suivantes :
131,10 euros au titre des congés payés afférents à la mise à pied conservatoire
19'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner la société Cygerma aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 22 mars 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement :
Par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail, ce dernier dans sa version antérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
En l'espèce, il résulte des termes de la lettre de licenciement retranscrits ci-dessus que le salarié a été licencié en raison des faits suivants :
- un abandon de poste le 4 mars 2017
- une absence injustifiée du 5 mars 2017 au 6 mars 2017 à 15 heures malgré une mise en demeure du 8 mars 2017 d'avoir à justifier de cette absence
- une prise de poste avec une demi-heure de retard le 6 mars 2017
- une désorganisation consécutive de l'activité de l'entreprise et une dégradation de la qualité pour la clientèle
- un refus persistant de répondre aux demandes explications et justifications de l'employeur caractérisant une insubordination
- plusieurs sanctions disciplinaires antérieures pour des faits similaires n'ayant pas entraîné une modification de son comportement.
Le salarié ne conteste pas avoir quitté l'entreprise de façon anticipée le 4 mars 2017 et n'avoir regagné son poste de travail que le 6 mars 2017 à 15 heures.
Il fait valoir que cette absence est le résultat d'une dégradation de son état de santé et plus précisément d'une souffrance psychologique résultant de la pression exercée par l'employeur.
Cependant, les attestations de plusieurs salariés versées aux débats par la société Cygerma ne font aucunement état d'une telle pression pas plus de que d'une dégradation de l'état de santé de M. [L] [Z] et témoignent au contraire des efforts de l'employeur pour garantir de bonnes conditions de travail aux salariés.
En revanche, ces collègues de travail de M. [L] [Z] témoignent des absences inopinées de ce dernier, de la nécessité pour eux de le remplacer au pied levé et des difficultés ainsi générées à la fois dans leur organisation personnelle mais également dans la qualité du service rendu aux clients du fait du ralentissement des prestations.
M. [F] [G], cuisinier, témoigne plus précisément de ce que, le 4 mars 2017, 'vers 18h30-19h', il a constaté que le poste de travail de M. [L] [Z] était très sale, qui lui a demandé de le nettoyer ce que M. [Z] a refusé de faire, que quelques minutes plus tard un autre salarié responsable de l'hygiène de la cuisine lui a demandé de participer au nettoyage avant l'affluence du samedi soir et que le salarié lui a répondu : 'c'est bon, je me casse' avant de rentrer chez lui.
L'abandon de poste est ainsi établi et M. [L] [Z] reconnaît avoir regagné son poste de travail le 6 mars 2017 avec une demi-heure de retard, point sur lequel il ne donne aucune explication.
S'agissant de l'absence injustifiée du 5 au 6 mars 2017, le contrat de travail fait obligation au salarié d'informer l'employeur dans les meilleurs délais de toute absence en cas de maladie ou de force majeure, ce que M. [Z] reconnaît ne pas avoir fait.
Il soutient en avoir été empêché par le fait de l'employeur en raison de la mise en demeure et de la convocation à entretien préalable du 8 mars 2017 qui ne lui ont pas laissé le temps de 's'expliquer sur l'absence litigieuse'.
Cependant, le salarié n'explique pas en quoi cette mise en demeure lui a interdit de fournir les justificatifs de son absence et, s'agissant de ses explications, l'employeur fait à juste titre valoir qu'il ne s'est pas présenté à la convocation entretien préalable dont l'objet est justement de recueillir les explications du salarié sur les faits qui lui sont reprochés, sans justifier de son impossibilité de s'y rendre ou même de demander le report de l'entretien.
Enfin, l'envoi simultané de la mise en demeure de fournir un justificatif d'absence et de la convocation à entretien préalable ne démontre pas que l'employeur avait déjà pris sa décision de licencier le salarié avant l'entretien préalable.
L'existence de l'absence injustifiée est donc matériellement établie.
Enfin, la société Cygerma verse aux débats plusieurs sanctions disciplinaires antérieures à la convocation à entretien préalable qui démontrent que M. [L] [Z] avait déjà été sanctionné à plusieurs reprises pour des faits de même nature depuis le 26 septembre 2016.
Même si l'absence de réponse aux demandes d'explication et de justificatifs de l'employeur ne suffit pas à caractériser l'existence d'une insubordination, les autres griefs matériellement établis constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
En conséquence le licenciement est bien fondé sur une faute grave.
Le jugement déféré sera donc infirmé et de ce chef ainsi qu'en ce qu'il a condamné la société Cygerma à payer à M. [L] [Z] un rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité légale de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, M. [L] [Z] supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Il sera également condamné à payer à la société Cygerma la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant :
DIT que le licenciement est fondé sur une faute grave ;
DEBOUTE M. [L] [Z] de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNE M. [L] [Z] à payer à la société Cygerma la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [L] [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, La présidente,