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09/09/2022 | FRANCE | N°19/05794

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 09 septembre 2022, 19/05794


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 19/05794 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MRMG





[V]



C/

SAS CHALLANCIN







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Lyon

du 09 Juillet 2019

RG : 16/03640











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2022







APPELANTE :



[P] [V]

[Adresse 1]

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représentée par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société CHALLANCIN

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Gerbert RAMBAUD de la SELARL RAMBAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON su...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/05794 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MRMG

[V]

C/

SAS CHALLANCIN

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Lyon

du 09 Juillet 2019

RG : 16/03640

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 09 SEPTEMBRE 2022

APPELANTE :

[P] [V]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société CHALLANCIN

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Gerbert RAMBAUD de la SELARL RAMBAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Elodie CHRISTOPHE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Mai 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Patricia GONZALEZ, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Catherine CHANEZ, Conseiller

Assistés pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 09 Septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente, et par Ludovic ROUQUET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société Challancin exerce une activité dans le secteur de la propreté.

Elle applique la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés.

Mme [P] [V] a été embauchée par la société SLE Propreté à compter du 2 juin 1998 en qualité d'agent de propreté dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 97h50 par mois.

Le contrat de travail a été transféré à la société Mouette Propreté le 1er avril 1999.

La société Mouette Propreté a été cédée à la société Guy Challancin et le contrat de Mme [V] lui a été transféré à compter du 12 juillet 2013.

Au dernier état de la relation contractuelle Mme [V] occupait l'emploi de chef d'équipe dans le cadre d'un contrat de travail à temps complet.

La salariée a exercé plusieurs mandats de représentante du personnel.

Elle a participé à un mouvement de grève sur le site de Grand [Localité 3] Habitat qui a débuté le 27 avril 2016.

Par courrier recommandé avec accusé réception du 6 mai 2016, l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 19 mai 2016.

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 6 au 29 mai 2016 et du 24 juin au 31 juillet 2016.

Elle a repris son poste à compter du 1er août 2016.

Compte tenu de la qualité de déléguée du personnel titulaire, de membre du comité d'établissement et de déléguée syndicale CGT, l'employeur a sollicité une autorisation de licenciement - pour faute grave - auprès de l'inspection du travail le 4 juillet 2016.

Par courrier du 5 septembre 2016, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement.

La salariée de nouveau été placée en arrêt de travail du 13 septembre au 4 novembre 2016.

Par décision du 3 avril 2017 le Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 3 mars 2017, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 5 septembre 2016 et refusé le licenciement de Mme [P] [V].

Par jugement du 18 septembre 2018 le tribunal administratif de Lyon a rejeté la requête en annulation de la décision du ministre du travail du 3 avril 2017 présentée par la société Guy Challancin, décision qui a été confirmée par la cour administrative d'appel de Lyon le 13 juin 2019.

Entre-temps, la société Challancin a de nouveau convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier du 15 septembre 2016 et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.

Par décision du 9 novembre 2016, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement et la société a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision.

Le 30 novembre 2016, Mme [P] [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon de plusieurs demandes de dommages-intérêts et d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Par ordonnance du 28 juin 2017 la formation des référés du conseil des prud'hommes de Lyon, saisi par la salariée le 26 avril 2017 :

- a ordonné à la société Guy Challancin de payer à Mme [P] [V] la somme de 2015,25 euros bruts en règlement de compléments de salaire

- a ordonné à la société Guy Challancin de transmettre à l'organisme de prévoyance les éléments permettant l'indemnisation de Mme [P] [V] sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard à compter du 8e jour suivant la notification de l'ordonnance

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte

- a condamné la société Guy Challancin à payer à Mme [P] [V] la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 22 janvier 2020, le médecin du travail a déclaré Mme [P] [V] inapte à son poste de travail.

La société Guy Challancin a licencié Mme [P] [V] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement rendu le 9 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon en sa formation de départage a :

- déclaré irrecevable la demande de liquidation d'astreinte prononcée par la formation de référé,

- condamné la société Challancin à verser à Mme [V] :

outre intérêts légaux à compter de la présente décision

- 12.100 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur,

- 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [V] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Challancin de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Challancin aux entiers dépens de la présente instance.

Mme [P] [V] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 7 août 2019.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 mars 2022, elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 9 juillet 2019 en ce qu'il a retenu que l'employeur n'avait pas respecté les dispositions relatives aux repos compensateurs,

- le réformer pour le surplus en ce qu'il a débouté la salariée :

- de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents à hauteur de 33.137,18 euros et de 3.313,72 euros,

- de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé à hauteur de 21.000 euros,

- de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité à hauteur de 5.000 euros,

- de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral à hauteur de 50.000 euros,

- de sa demande de liquidation de l'astreinte à hauteur de 1.320 euros,

- de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 80.000 euros au titre de la rupture du contrat de travail,

Statuant à nouveau,

- dire et juger qu'elle a réalisé des heures supplémentaires non rémunérées par la société Challancin,

En conséquence,

- condamner la société Challancin à lui verser les sommes suivantes :

- 33.137,18 euros à titre de rappel de salaire,

- 3.313,72 euros au titre des congés payés afférents,

- 21.000 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

- 31.891,86 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur,

- dire et juger que l'employeur a violé l'obligation de sécurité,

En conséquence,

- condamner la société Challancin à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

En conséquence,

- condamner la société Challancin à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- liquider l'astreinte prononcée contre la société Challancin par ordonnance du 28 juin 2017,

Par conséquent,

- condamner la société Challancin à lui verser la somme de 1.320 euros correspondant à la liquidation de l'astreinte,

- condamner la société Challancin à lui verser la somme de 80.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de l'emploi,

Y ajoutant,

- lui allouer la somme de 2.500 euros en cause d'appel au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner la société Challancin aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 16 mars 2022, la société Challancin demande pour sa part à la cour de :

- infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il l'a condamnée à verser la somme de 12.000 euros au titre du repos compensateur,

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lyon en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses demandes,

Statuant à nouveau :

- juger que l'employeur n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat de travail,

- juger que l'employeur a réglé l'ensemble des heures travaillées par Mme [V],

- juger qu'il n'y a pas eu violation des dispositions liées au repos compensateur,

- juger qu'il n'y a pas de travail dissimulé,

- juger qu'il n'existe aucun manquement relatif à la durée du travail, à l'obligation de sécurité résultat et qu'il n'y a eu aucun fait pouvant être qualifié de harcèlement moral,

- juger que la demande de Mme [V] à hauteur de 80.000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi est une demande nouvelle qui doit juger irrecevable,

- juger à titre subsidiaire que cette demande est infondée,

- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [V] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

À titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de «constatations» ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.

Sur la demande de rappel d'heures supplémentaires :

La durée légale du travail effectif de 35 h par semaine prévue à l'article L.3121-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article 3121-22 du même code.

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments de contrôle de la durée du travail. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [V] soutient qu'elle a été contrainte d'effectuer des heures supplémentaires afin de réaliser l'ensemble de ses missions, sans qu'elles ne lui soient rémunérées.

Elle précise :

- qu'elle travaillait du lundi au vendredi de 7h30 à 21h soit plus de 12 heures de travail par jour et 60 heures par semaine

- que les heures supplémentaires qui lui ont été rémunérées étaient des heures de délégation

- que l'employeur a compensé l'absence de paiement des heures supplémentaires par le versement de primes exceptionnelles quasiment chaque mois

- que l'employeur ne justifie pas de ses horaires de travail effectifs.

La société Challancin fait valoir en réplique :

- que la salariée n'apporte aucun élément permettant de démontrer qu'elle travaillait de 7h30 à 21h chaque jour

- que la salariée déclarait elle-même ses heures de travail et qu'elle n'a jamais déclaré les heures supplémentaires dont elle réclame désormais le paiement

- qu'elle n'a jamais informé l'employeur de ces rappels d'heures supplémentaires, qui en ignorait l'existence

- que la salariée ne rapporte pas la preuve ce que les heures supplémentaires payées correspondent en réalité à des heures de délégation

- qu'elle a réglé à la salariée les heures supplémentaires dont elle était connaissait l'existence

- que les primes d'expérience et de fin d'année versées à la salariée ont été payées en application des dispositions conventionnelles et du contrat de travail et non pas chaque mois en règlement des heures supplémentaires

- que les heures de travail étaient payées sur la base du déclaratif des salariés eux-mêmes et que ces déclaratifs n'ont pas été conservés dans la mesure où les bulletins de paie n'étaient pas contestés.

Mme [P] [V] verse aux débats un tableau récapitulant ses horaires de travail quotidiens - de 6h à 15h pendant le mois de décembre 2013 puis de 7h30 à 21 h - entre le 2 décembre 2013 et le 19 février 2016.

Ces tableaux font en outre état d'un certain nombre d'heures supplémentaires rémunérées à 25% ou à 50%.

De son côté, la société Guy Challancin ne produit pas d'élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée et reconnaît dans ses écritures avoir détruit les déclaratifs de Mme [P] [V], ce dont elle ne rapporte pas la preuve.

La cour relève en outre que l'employeur, qui allègue aujourd'hui ne pas avoir eu connaissance des heures supplémentaires effectuées ou encore que ces heures n'étaient pas justifiées, n'a pas contredit le conseil de Mme [P] [V] qui, dans son courrier du 14 septembre 2016, dénonçait le fait que les heures supplémentaires étaient régulièrement rémunérées sous la forme de prime.

L'existence des heures supplémentaires alléguées par Mme [P] [V] est ainsi établie, pour un montant de 59 311,98 euros.

Après déduction de la somme totale de 26 174,80 euros d'ores et déjà payée au titre des heures supplémentaires, l'employeur sera condamné au paiement d'un rappel de 33 137,18 euros, outre 3313,71 euros de congés payés y afférents.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

L' article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l'article L. 8221-5, 2° du même code dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Aux termes de l' article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut ainsi se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie et il incombe au salarié de rapporter la preuve d'une omission intentionnelle de l'employeur.

En l'espèce, Mme [V] fait valoir que la société Guy Challancin a intentionnellement dissimulé une partie de son activité dans la mesure où elle était parfaitement consciente de la charge de travail qui lui était imposée et qu'elle lui a versé à plusieurs reprises des primes exceptionnelles afin de ne pas lui payer la totalité des heures supplémentaires.

La société Challancin réplique que les heures supplémentaires effectuées par la salariée lui ont toujours été payées et qu'elles figurent sur les bulletins de paie, lesquels n'ont jamais été contestés par Mme [P] [V] alors que cette dernière, en sa qualité de représentante du personnel, avait parfaitement connaissance des règles applicables en la matière.

Si l'employeur ne précise ni ne justifie des motifs à l'origine du paiement à Mme [P] [V] d'une prime exceptionnelle de 300 euros au mois de janvier 2016, de 100 euros au mois de mars 2016 et de 97,82 euros au mois d'avril 2016, ces trois règlements, à eux seuls, ne permettent pas d'établir que l'employeur a ainsi voulu rémunérer des heures supplémentaires.

La dissimulation intentionnelle d'activité n'est donc pas établie.

En conséquence la cour, confirmant le jugement de ce chef, rejette la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur la demande de dommages et intérêts pour violation des dispositions relative aux repos compensateurs :

Il résulte de l'article L. 3121-11 du code du travail, dans sa rédaction applicable, que :

- la contrepartie obligatoire en repos est due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel au salarié défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou à défaut par une convention ou un accord de branche ;

- à défaut d'accord collectif, un décret détermine ce contingent annuel et les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ;

- toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos fixée à 50% pour les entreprises de 20 salariés au plus et 100% pour celles de plus de 20 salariés.

En vertu de l'article D. 3121-14 du code du travail, le salarié qui, du fait de la rupture de son contrat de travail, n'a pas été en mesure de formuler la demande de repos compensateurs à laquelle il avait droit, reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.

L'indemnité de la contrepartie obligatoire en repos a le caractère de salaire et donne donc lieu à une indemnité de congés payés afférents.

Au visa de l'article L3121-11 du code du travail Mme [V] sollicite des dommages et intérêts pour non-respect des dispositions relatives aux repos compensateurs.

Elle soutient qu'elle a effectué un nombre d'heures important dépassant le contingent annuel de 220 heures fixé à l'article D3121-14-1 du code du travail durant les années 2014, 2015 et 2016.

La société Challancin réplique que la salariée ne démontre pas avoir effectué des heures supplémentaires autres que celles qui lui ont été payées et que la somme de 12000 euros accordée par le jugement déféré est excessive.

Cependant, il est jugé plus haut que, durant les années 2014 à 2016, Mme [P] [V] a réalisé des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées et il n'est pas contesté que la salariée n'a donc pas été mise en mesure de prendre les contreparties obligatoires en repos au titre des heures supplémentaires dépassant le contingent de 220 heures par an.

Le détail des calculs de Mme [P] [V] figurant en page 16 de ses conclusions n'étant pas discuté, la cour condamne la société Guy Challancin à payer à Mme [P] [V] la somme de 28 992,60 euros de dommages et intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité :

Aux termes de l'article L4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés ; l'employeur doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.

Selon l'article L. 3121-34 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause : « La durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf dérogations accordées dans des conditions déterminées par décret ».

L'article L3121-35 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause dispose que : 'Au cours d'une même semaine, la durée du travail ne peut dépasser quarante-huit heures'.

Selon l'article L. 3121-33 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes.

Les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne, du respect des temps de pause fixées par le droit interne et du respect du seuil communautaire fixant à 11 heures consécutives la période minimale du repos journalier, preuves qui incombent à l'employeur.

Selon l'article R 4624-16 du code du travail dans sa version applicable entre le 1er juillet 2012 et le 1er janvier 2017 : 'Le salarié bénéficie d'examens médicaux périodiques, au moins tous les vingt-quatre mois, par le médecin du travail. Ces examens médicaux ont pour finalité de s'assurer du maintien de l'aptitude médicale du salarié au poste de travail occupé et de l'informer sur les conséquences médicales des expositions au poste de travail et du suivi médical nécessaire.

Sous réserve d'assurer un suivi adéquat de la santé du salarié, l'agrément du service de santé au travail peut prévoir une périodicité excédant vingt-quatre mois lorsque sont mis en place des entretiens infirmiers et des actions pluridisciplinaires annuelles, et, lorsqu'elles existent, en tenant compte des recommandations de bonnes pratiques existantes.'

En l'espèce, Mme [V] affirme que la société Guy Challancin n'a pas respecté son obligation de sécurité et fait valoir :

- qu'elle a été contrainte d'effectuer de nombreuses supplémentaires au-delà des limites maximales quotidienne et hebdomadaire de travail en raison d'une surcharge de travail l'ayant obligée à travailler régulièrement 12 heures par jour et plus de 60 heures par semaine,

- qu'elle ne bénéficiait d'aucune pause, ne disposant que de quelques minutes afin de déjeuner sur son lieu de travail,

- que l'employeur n'a pas respecté ses obligations en matière de suivi périodique auprès de la médecine du travail,

- que la société Guy Challancin l'a contrainte à utiliser des produits de nettoyage industriels dangereux notamment le produit 'Sprint Spitfire', potentiellement cancérigène, sans lui fournir d'équipement de protection individuelle spécifique (gants, masques et lunettes de protection) nécessaires.

La société Challancin réplique :

- qu'elle a rempli son obligation en organisant les visites médicales mais qu'elle a été confrontée à plusieurs obstacles à savoir la nécessité de 'mettre à jour l'administration du personnel' et notamment l'organisation des visites médicales auprès de la médecine du travail après la reprise en 2013 des actifs de la société La Mouette, placée en liquidation judiciaire, mais également en raison la nécessité de relancer à de nombreuses reprises les services de la médecine du travail pour obtenir un rendez-vous

- qu'elle a convoqué Mme [P] [V] à toutes les visites médicales de reprise

- qu'en revanche la salariée l'a mise dans l'impossibilité d'organiser les visites médicales et cela plusieurs reprises en les décalant ou en les annulant sans la prévenir, qu'ainsi, le 22 novembre 2016, Mme [P] [V] ne s'est pas présentée à une visite de reprise obligatoire

- que la salariée ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle a été mise en contact avec des produits dangereux durant l'exécution de ses missions de chef d'équipe qui ne comprenaient aucune prestation de nettoyage mais uniquement des tâches administratives, de pilotage du marché et de gestion des équipes et qu'elle n'a pas bénéficié des éléments de protection nécessaires

- que du fait de sa certification OHSAS 18001, elle est auditée sur ses procédures de management, ce qui est un gage de respect des règles de sécurité au travail et qu'elle a d'ailleurs un taux d'accident du travail bien inférieur à celui de la branche

- que la salariée ne rapporte pas non plus la preuve du non-respect des durées maximales de travail.

Il résulte de ce qui est jugé plus haut au titre de la demande de rappel d'heures supplémentaires que l'employeur ne rapporte pas la preuve du respect des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail.

Il en va de même du respect des temps de pause.

S'agissant de l'organisation des visites médicales périodiques, l'employeur ne justifie pas avoir sollicité l'organisation d'une telle visite médicale dans les 24 mois suivant le transfert du contrat de travail de sorte que le manquement à son obligation est établi.

En revanche la seule fiche technique du produit Taski Sprint Spitfire Spray et le document unique d'évaluation des risques professionnels mis à jour au mois de mars 2018 faisant état de la manipulation de produits susceptibles d'entraîner des risques en matière de projection dans les yeux, d'inhalation, d'irritation et de brûlures ne suffit pas à établir que la salariée a été personnellement exposée à de tels produits à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

Mme [P] [V] ne précise et ne démontre pas le préjudice subi du fait du manquement de l'employeur à son obligation de la soumettre à une visite médicale périodique.

En revanche les manquements de l'employeur à son obligation de respect des temps de pause et de respect des durées quotidiennes et hebdomadaires maximales de travail ont incontestablement causé un préjudice à la salariée en terme de fatigue, que ces prescriptions visent à éviter.

Au vu de la durée des manquements (de décembre 2013 à février 2016) la cour fixe à 3000 euros le montant des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice subi.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Selon l'article L1152-3 du code du travail : 'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

Un acte isolé et unique ne peut pas constituer un harcèlement moral, quand bien même cet acte se serait maintenu dans le temps

En l'espèce, Mme [V] soutient qu'après son élection comme représentante du personnel et déléguée syndicale, et sa participation active au mouvement de grève du 27 avril 2016, l'employeur a, en représailles, 'multiplié les agissements constitutifs de harcèlement moral'.

Elle précise que :

-au moment du mouvement de grève, l'employeur lui a retiré un avantage en nature dont elle bénéficiait depuis plusieurs années en la contraignant à restituer son véhicule de fonction- utilisé à la fois pour ses déplacements professionnels et dans le cadre de l'exercice de ses mandats - pendant la période de grève :

- il lui a imposé une modification de ses conditions de travail sans autorisation de l'inspecteur du travail en lui imposant de rendre son véhicule de fonction chaque soir à l'établissement de [Localité 4] à l'issue de la suspension du contrat de travail consécutif à la fin du mouvement de grève :

- ses collègues chefs d'équipe pouvaient quant à eux rentrer chez eux avec le véhicule mis à leur disposition :

L'employeur soutient que les six véhicules mis à la disposition des salariés étaient des véhicules de service n'ayant vocation à être utilisés que pendant le temps de travail.

Hormis ses propres déclarations consignées dans deux courriers datés du 19 août 2016 et du 9 septembre 2016, Mme [P] [V] ne produit aucun élément démontrant qu'avant le mouvement de grève du 26 avril 2016, elle bénéficiait d'un véhicule de fonction dont elle conservait l'usage dans sa vie personnelle. La cour relève au contraire que son contrat de travail stipule que le véhicule utilisé au sein de la société ne peut être utilisé pour son compte personnel.

Elle ne peut donc reprocher à l'employeur de lui avoir retiré son véhicule de service pendant la suspension du contrat de travail entre le 27 avril et le 1er août 2016, ni d'avoir modifié son contrat ou ses conditions de travail en lui imposant de remettre chaque soir ce véhicule à l'établissement de [Localité 4] à compter de reprise du 1er août 2016.

La salariée ne rapporte pas non plus la preuve de ce que ses collègues chef d'équipe pouvaient quant à rentrer chez eux avec le véhicule mis à leur disposition et le seul fait que l'employeur n'a pas contesté les termes de son courrier du 19 août 2016 par lesquels elle dénonçait ce fait ne suffit pas à caractériser un aveu.

Ces faits ne sont pas matériellement établis.

- quelques jours après lui avoir demandé la restitution de son véhicule de fonction, l'employeur a déposé plainte contre elle pour abus de confiance sans attendre ses explications :

- quelques semaines après avoir déposé cette première plainte, l'employeur a déposé une plainte contre X pour des faits d'escroquerie

- lors de son audition dans le cadre de ce dépôt de plainte, le directeur de l'établissement de [Localité 4] M. [C] l'a clairement visée, indiquant qu'elle aurait fait engager des salariés qui, en réalité, ne fournissaient aucune prestation de travail et que les rémunérations ainsi perçues auraient été utilisées pour financer un réseau de trafic de stupéfiants :

- ces deux plaintes ont été classées sans suite et l'employeur savait pertinemment qu'aucune infraction ne pouvait lui être reprochée puisqu'il n'ignorait pas qu'elle conservait son véhicule le soir, le week-end et pendant les congés payés et qu'il savait qu'elle ne procédait à aucune embauche au sein de la société :

Mme [P] [V] verse aux débats la copie d'un compte rendu d'une enquête et d'une décision de classement datée du 7 avril 2017 révélant que, le 29 avril 2016, le responsable de la société Guy Challancin, M. [C], a déposé plainte contre elle et d'autres salariés grévistes pour avoir refusé de restituer leur véhicule de service à la demande de l'employeur au moment du mouvement de grève du 27 avril 2016, que les véhicules ont finalement été restitués le 6 mai 2016 et que, lors de son audition, la salariée a déclaré qu'ils avaient le droit d'utiliser les véhicules car cela était prévu aux contrats de travail.

Ce fait est matériellement établi.

En revanche, il n'est pas démontré que l'employeur avait connaissance de l'absence d'infraction pénale.

Mme [P] [V] justifie également au moyen d'une synthèse émanant de la section du traitement direct du parquet de Lyon de ce que M. [C] a déposé plainte pour escroquerie contre elle le 13 mai 2016. Dans cette plainte, le représentant de l'employeur lui reproche d'avoir organisé un système visant à faire embaucher du personnel par l'entreprise. Ces personnes n'allaient pas au travail mais restaient chez elles pour se livrer à du trafic de stupéfiants, Mme [P] [V] récupérait une partie de leur rémunération et redistribuait le reste à ses collaborateurs.

Cette plainte a été classée sans suite après enquête, toutes les recherches étant négatives.

Ce fait est matériellement établi.

- moins de 10 jours après le début de la grève, l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable à licenciement le 6 mai 2016 en faisant état auprès du comité d'entreprise de griefs prescrits ou infondés, ce que l'inspecteur du travail a confirmé en rejetant la demande d'autorisation de licenciement, confirmé en cela par la cour administrative d'appel de Lyon :

- l'employeur savait que sa demande d'autorisation de licenciement n'avait aucune chance d'aboutir et il a néanmoins maintenu la procédure pour exercer une pression sur elle :

- le 29 septembre 2016 l'employeur a sollicité une autorisation de licenciement sans enquête et sans l'entendre, sur la base de la seule dénonciation de sa collègue de travail Mme [K] qui l'accusait de menaces de mort, dont la plainte a été classée sans suite et qui a finalement reconnu lors de l'enquête du CHSCT réalisée à la demande de Mme [P] [V] que cette dernière ne l'avait jamais menacée de mort :

- l'employeur a maintenu son recours contre la décision de refus d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail alors qu'il avait connaissance de ce que Mme [K] avait reconnu l'absence des menaces de mort :

La salariée verse aux débats la copie de la convocation à entretien préalable du 6 mai 2016 succédant de quelques jours à la grève du 27 avril 2016 et la fiche de consultation du Comité d'entreprise sur le projet de son licenciement pour faute grave.

Dans ce dernier document, il est fait grief à Mme [P] [V] d'avoir pointé comme présents sur le site Grand [Localité 3] Habitat ou en heures supplémentaires des salariés qui étaient absents et ce en mars 2015, décembre 2015, février, mars (du 7 au 16, les 12 et 26), et avril 2016.

Les faits n'étaient pas prescrits puisque certains d'entre eux dataient de mois de deux mois au jour de la convocation et que l'employeur est fondé à prendre en considération un fait antérieur de plus de deux mois si le comportement fautif du salarié, caractérisé par le renouvellement de faits fautifs de même nature, s'est poursuivi.

Il résulte de la lecture de l'arrêt du 13 juin 2019 que, parmi tous les griefs invoqués au soutien de la procédure de licenciement initiée le 6 mai 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a finalement retenu comme matériellement établis et/ou fautifs uniquement les pointages des 9 décembre 2015, 11 décembre 2015 et 26 avril 2016 concernant Mme [N] [V], alors que cette dernière passait des examens à la faculté de droit.

Cependant, au vu de l'ancienneté de Mme [P] [V], du caractère isolé des faits et de l'absence de sanction disciplinaire antérieure, le juge administratif a considéré que le Ministre du travail n'avait pas fait, dans les circonstances de l'espèce, une inexacte application des dispositions du code du travail en estiment que la faute commise n'était pas suffisamment grave pour justifier le licenciement.

Hormis la prescription des faits fautifs, les faits invoqués par Mme [P] [V] sont matériellement établis.

En revanche, aucun élément ne démontre que l'employeur avait connaissance avant la décision de la cour administrative d'appel que la demande d'autorisation de licenciement n'avait aucune chance d'aboutir.

Il n'est donc pas établi que la société Guy Challancin a abusivement maintenu la procédure de licenciement initié le 6 mai 2016 dans le seul but d'exercer une pression sur la salariée.

Par courrier du 15 septembre 2016, l'employeur a de nouveau convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire suite à un courrier de Mme [K] datée du 12 septembre 2016 indiquant que Mme [P] [V] l'avait menacée de mort le jour même et décrivant un choc psychologique important.

L'employeur ne conteste pas avoir initié la procédure de licenciement sur la base de ces seules déclarations de Mme [K], sans enquête préalable, l'attestation de Mme [D] [E] produite en pièce 18 dans laquelle cette dernière indique avoir retrouvé Mme [P] [V] en état de choc le 12 septembre 2016 au matin étant datée du 22 septembre 2016.

Il n'est pas contesté que la plainte déposée par Mme [K] a été classée sans suite et il est établi par le compte rendu de son audition par le CHSCT du 17 octobre 2016 dans le cadre de l'enquête sollicitée par la salariée que Mme [K] a avoué à cette occasion que Mme [V] ne l'avait pas menacée de mort, précisant en outre devant les membres du CHSCT qu'elle n'était 'plus trop en accord avec son attestation faite le 12 septembre 2016".

La chronologie des événements démontre également que, malgré cette enquête du CHSCT s'étant achevée le 10 novembre 2016 et dont il ne conteste pas avoir eu connaissance, l'employeur a néanmoins formé un recours le 28 novembre 2016 contre la décision de l'inspecteur du travail de refus d'autoriser le licenciement.

Les faits sont matériellement établis.

- elle a été particulièrement affectée par le comportement de l'employeur, notamment en raison de la plainte déposée à son encontre et a été placée en arrêt de travail entre les mois de mai et de juin 2016, elle a tenté de reprendre son activité professionnelle au mois d'août 2016 et l'employeur a volontairement empêché une reprise du travail dans des conditions sereines

en :

lui interdisant de rentrer chez elle avec son véhicule professionnel alors que les autres chefs d'équipe étaient autorisés à le faire

refusant de lui remettre des clés et des badges d'accès fonctionnel indispensables pour mener à bien ses missions

lui imposant de se déplacer sur '5 lots' alors qu'il avait indiqué lors d'une réunion du CH SCT qu'il convenait d'attribuer un seul lot de par le chef d'équipe :

- en raison de ce comportement de l'employeur, elle a de nouveau été placée en arrêt de travail à compter du 13 septembre 2016 pour un syndrome dépressif réactionnel dont elle n'avait jamais souffert auparavant et qu'elle n'a jamais repris avant sa déclaration d'inaptitude :

Il ressort de l'attestation de paiement des indemnités journalières produite en pièce 4 par la salariée que cette dernière a été placée en arrêt maladie durant les périodes suivantes :

- du 6 mai au 29 mai 2016

- du 24 juin au 31 juillet 2016

- du 13 septembre au 4 novembre 2016

- du 23 novembre au 31 décembre 2016.

Aucun élément médical n'est versé aux débats pour démontrer que les différents arrêts de travail étaient motivés par un syndrome dépressif réactionnel.

Le lien entre le comportement de l'employeur et les arrêts de travail du 6 au 29 mai 2016 n'est pas établi et la preuve du motif invoqué par Mme [V] n'est pas rapportée dans la mesure où il n'est pas prouvé que l'employeur lui a interdit de rentrer chez elle avec son véhicule professionnel alors que les autres chefs d'équipe étaient autorisés à le faire.

Le seul courrier adressé à l'employeur par la salariée le 19 août 2016 dans lequel cette dernière dénonce l'absence de remise des badges et des clés nécessaires pour effectuer les contrôles sur les différents sites et s'étonne de devoir se déplacer sur les 5 lots alors qu'il a été indiqué aux membres du CHSCT que la nouvelle organisation nécessite de mettre en place un chef d'équipe par lot - éléments qui ont été contestés par l'employeur dans son courrier de réponse du 7 septembre 2016 - n'est corroboré par aucun élément et ne suffit pas à établir que l'arrêt de travail du 13 septembre 2016 est imputable au comportement de l'employeur.

Contrairement à ce que soutient la salariée, l'arrêt de travail du 13 septembre 2016 n'a pas été régulièrement prolongé jusqu'à la déclaration d'inaptitude mais uniquement jusqu'au 4 novembre 2016.

Les faits ici invoqués par la salariée ne sont pas matériellement établis.

- pendant la suspension du contrat de travail, l'employeur a continué ses actes de pression en :

tardant volontairement à transmettre les attestations de salaire la CPAM

transmettant des attestations de salaire erronées notamment sur le montant de sa rémunération

ne lui payant pas spontanément la totalité du complément de rémunération dû en application de l'article 4. 9 de la convention collective

ne transmettant par à l'organisme de prévoyance les éléments nécessaires à sa prise en charge au titre du complément de rémunération dû en application de l'article 8 de la convention collective et en n'exécutant pas avant le mois de septembre 2017 la condamnation prononcée sur ce point par l'ordonnance du 28 juin 2017 du conseil des prud'hommes.

Aucune des pièces versées aux débats ne permet d'établir que l'employeur a volontairement tardé à transmettre les attestations de salaire à la CPAM à chaque arrêt de travail ni que Mme [P] [V] a, de ce fait, dû attendre plusieurs semaines avant de percevoir les indemnités journalières.

Il n'est pas non plus démontré que la société Guy Challancin a transmis des attestations de salaire erronées à la CPAM.

Il résulte des pièces versées aux débats qu'au mois de décembre 2016, l'employeur a payé à Mme [P] [V] un complément de salaire de 677,32 euros en application des dispositions de l'article 4.9.1 de la convention collective nationale des entreprises de propreté au titre de l'arrêt de travail du 13 septembre au 4 novembre 2016 et la somme de 319,39 euros au titre de l'arrêt de travail du 23 novembre au 28 décembre 2016 et que, par ordonnance du 28 juin 2017, la formation des référés du conseil des prud'hommes de Lyon l'a condamné à un rappel de complément de salaire pour cette période d'un montant de 2015,25 euros bruts.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, ce complément de salaire ne concerne pas des périodes durant lesquelles la salariée était en grève de sorte qu'il était bien tenu de le payer.

De plus, la société Guy Challancin ne rapporte pas la preuve que le retard de paiement est dû à une transmission tardive du bordereau d'indemnités journalières de sécurité sociale.

L'absence de versement spontané de la totalité du complément de rémunération dû en application de l'article 4. 9.1 de la convention collective est ainsi matériellement établie.

La convention collective des entreprises de propreté et services associés prévoit à l'article 8.1.6 le paiement par l'organisme de prévoyance d'une prestation dite 'de complément' à l'indemnité de l'article 4.9.1, d'une durée variable selon l'ancienneté du salarié.

L'ordonnance de référé du 28 juin 2017 a également condamné sous astreinte l'employeur à transmettre à l'organisme de prévoyance les éléments permettant l'indemnisation de la salariée au titre de l'arrêt de travail du 13 septembre 2016 après avoir relevé que cette dernière n'avait jamais perçu la moindre indemnisation de la part de l'organisme de prévoyance à ce titre.

La salariée justifie d'une relance adressée par son conseil à l'employeur par courrier du 4 août 2017 motivée par le défaut d'exécution de la condamnation et il est constant que la salariée a été indemnisée au mois de septembre 2017 c'est-à-dire un an après son arrêt de travail.

Or, l'employeur ne justifie pas du motif de ce retard de paiement.

La matérialité de ce fait est également établie.

À l'issue de cette analyse il apparaît que parmi tous les faits invoqués par la salariée au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral il est établi qu'après la grève du 27 avril 2016:

- l'employeur a déposé plainte à 2 reprises :

- le 29 avril 2016 pour abus de confiance contre elle et d'autres salariés grévistes pour avoir refusé de restituer leur véhicule de service lors du mouvement de grève du 27 avril 2016

- le 13 mai 2016 pour escroquerie

- ces deux plaintes ont été classées sans suite

- le 6 mai 2016, l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable à licenciement qui n'a pas été autorisé par l'inspecteur du travail

- le 29 septembre 2016 l'employeur a sollicité une autorisation de licenciement sans enquête et sans l'entendre, sur la base de la seule dénonciation de sa collègue de travail Mme [K] qui l'accusait de menaces de mort, dont la plainte a été classée sans suite et qui a finalement reconnu lors de l'enquête du CHSCT réalisée à sa demande que Mme [P] [V] ne l'avait jamais menacée de mort

- l'employeur a maintenu son recours contre la décision de refus d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail alors qu'il avait connaissance de ce que Mme [K] avait reconnu l'absence des menaces de mort

- pendant la suspension du contrat de travail, l'employeur :

- ne lui a pas payé spontanément la totalité du complément de rémunération dû en application de l'article 4. 9 de la convention collective

- n'a pas transmis à l'organisme de prévoyance les éléments nécessaires à sa prise en charge au titre du complément de rémunération dû en application de l'article 8 de la convention collective et n'a pas exécuté avant le mois de septembre 2017 la condamnation prononcée sur ce point par l'ordonnance du 28 juin 2017 du conseil des prud'hommes

- la salariée a été placée à plusieurs reprises en arrêt de travail

Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Guy Challancin démontre que le dépôt de plainte du 29 avril 2016 était justifié par le refus de Mme [P] [V] de restituer son véhicule de service durant la suspension de son contrat de travail en raison du mouvement de grève, peu important que la plainte ait par la suite été classée sans suite.

De même, il apparaît que même si l'autorisation de licenciement a finalement été refusée, la convocation à entretien préalable à licenciement du 6 mai 2016 n'est pas abusive dans la mesure où les faits invoqués n'étaient pas prescrits et où l'inspecteur du travail a retenu la matérialité de plusieurs des anomalies de pointage reprochées par la société Guy Challancin à Mme [P] [V].

En revanche, la seconde plainte déposée contre Mme [P] [V] par l'employeur le 13 mai 2016 était abusive, la synthèse de l'affaire établie par le parquet de Lyon indiquant que 'toutes les recherches étaient négatives, les renseignements donnés par M. [C] étaient non vérifiés'.

De plus, l'employeur ne justifie pas des raisons pour lesquelles il a maintenu la seconde procédure de licenciement initiée contre la salariée le 29 septembre 2016 alors que Mme [K] avait reconnu le caractère mensonger de sa dénonciation.

Enfin, la société Guy Challancin ne justifie pas non plus des raisons pour lesquelles elle n'a pas payé spontanément à la salariée la totalité du complément de rémunération dû en application de l'article 4. 9 de la convention collective, n'a pas transmis à l'organisme de prévoyance les éléments nécessaires à la prise en charge de cette dernière au titre du complément de rémunération dû en application de l'article 8 de la convention collective et n'a pas exécuté avant le mois de septembre 2017 la condamnation prononcée sur ce point par l'ordonnance du 28 juin 2017 par le conseil des prud'hommes.

Ce faisant, l'employeur ne rapporte pas la preuve que les agissements dénoncés par Mme [P] [V] ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est ainsi établi que Mme [P] [V] a bien été victime de harcèlement moral.

Au vu des éléments versés aux débats, la cour évalue à la somme de 5 000 euros le montant des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice subi.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de liquidation de l'astreinte :

Mme [V] demande la liquidation de l'astreinte prononcée par ordonnance de la section des référés du conseil des prud'hommes de Lyon le 28 juin 2017 qui a condamné la société Guy Challancin à transmettre à l'organisme de prévoyance les éléments permettant son indemnisation par l'organisme de prévoyance sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de l'ordonnance.

Elle fait valoir que l'employeur n'avait pas transmis les éléments permettant son indemnisation par l'organisme de prévoyance avant le mois de septembre 2017 soit avec un retard de 66 jours, qu'en conséquence, elle est fondée à solliciter la liquidation de l'astreinte.

Cependant, le premier juge a considéré à juste titre que, dans la mesure où la section des référés du conseil des prud'hommes de Lyon s'était réservé le pouvoir de liquider l'astreinte, il n'y avait pas lieu de faire doit à cette demande.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte d'emploi :

L'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

A l'appui d'une demande indemnitaire pour perte d'emploi, Mme [V] soutient :

- que l'employeur ne lui a pas réglé les nombreuses heures supplémentaires effectuées volontairement,

- qu'elle a été privée de repos compensateurs et a réalisé des heures de travail au-delà du contingent annuel,

- que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité,

- qu'elle a subi des faits de harcèlement moral rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle,

- qu'elle a subi 'un préjudice important sur le plan moral, financier et professionnel en raison des manquements imputables à l'employeur'.

Cependant, Mme [P] [V] ne justifie pas de ce que son inaptitude est en lien avec des manquements de l'employeur à ses obligations.

En conséquence la cour, confirmant le jugement de ce chef, rejette la demande de dommages et intérêts pour perte d'emploi.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, la société Guy Challancin supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ailleurs, Mme [P] [V] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Guy Challancin à lui payer la somme de 300 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, et de condamner cet employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 2000 euros au titre des frais qu'elle a dû exposer en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable la demande de liquidation d'astreinte ;

- rejeté la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts pour perte d'emploi ;

INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant :

CONDAMNE la société Guy Challancin à payer à Mme [P] [V] les sommes suivantes :

- 33 137,18 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et 3313,71 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 28 992,60 euros de dommages et intérêts au titre de la contrepartie obligatoire en repos ;

- 3000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

DIT que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales ;

CONDAMNE la société Guy Challancin à payer à Mme [P] [V] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Guy Challancin aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/05794
Date de la décision : 09/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-09;19.05794 ?
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