La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/09/2022 | FRANCE | N°18/00495

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale c, 08 septembre 2022, 18/00495


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 18/00495 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LPLW





[G]



C/

SAS [D]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 16 Janvier 2018

RG : 16/02547



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE C



ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022













APPELANTE :



[U] [G]

née le 30 Mai 1955 à [Localité 5]

[Adresse 1

]

[Localité 3]



représentée par, Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON





INTIMÉ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 18/00495 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LPLW

[G]

C/

SAS [D]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 16 Janvier 2018

RG : 16/02547

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE C

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022

APPELANTE :

[U] [G]

née le 30 Mai 1955 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par, Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

ayant pour avocat plaidant Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société [D]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Brice paul BRIEL de la SELARL SOCIAL JURISTE, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Nathalie PALLE, Présidente

Bénédicte LECHARNY, Conseiller

Thierry GAUTHIER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 08 Septembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société [D] (la société) a une activité de plomberie zinguerie.

Mme [U] [G] (la salariée) a été embauchée à compter du 3 juin 2002 en qualité de secrétaire, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée puis d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 septembre 2002.

Par courrier remis en main propre le 11 mai 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique, qui s'est tenu le 23 mai 2016.

A cette occasion, la société lui a remis un courrier d'information sur les modalités d'application du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et sur le motif économique du licenciement envisagé.

La salariée a adhéré au CSP le 25 mai 2016 et a été radiée des effectifs de la société le 13 juin 2016.

Le 13 juillet 2016, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon aux fins de voir constater l'exécution déloyale du contrat de travail par la société, de voir juger que son licenciement ne repose sur aucun motif économique et de voir condamner son employeur à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 16 janvier 2018, le conseil de prud'hommes, statuant en sa formation paritaire, l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes.

La décision lui ayant été notifiée le 17 janvier 2018, la salariée en a relevé appel le 23 janvier 2018.

Par conclusions notifiées le 25 octobre 2018, la salariée demande à la cour d'infirmer dans son intégralité le jugement et de :

1. Sur l'exécution du contrat

- condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

166'071,24 euros à titre de rappel de salaire conformément au principe « à travail égal, salaire égal », outre 16'607,12 euros au titre des congés payés afférents,

5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de mise en place réelle de formation,

2. Sur la rupture du contrat

- dire et juger mal fondé le licenciement intervenu,

à titre subsidiaire,

- constater la perte injustifiée de l'emploi,

en conséquence,

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

70'000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail,

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux dépens.

Dans des conclusions n°1 notifiées le 4 juillet 2018, la société demande à la cour de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement attaqué et d'admettre sa demande reconventionnelle en lui allouant la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 27 mai 2020, la société a notifié des conclusions n° 2 et des pièces nouvelles n° 22 à 25

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 mai 2020.

Par conclusions du 20 juillet 2020, la salariée a demandé à la cour d'écarter les conclusions adverses et les pièces notifiées la veille de l'ordonnance de clôture, au motif qu'elle n'a pas disposé d'un temps utile et suffisant pour organiser sa défense.

Par des nouvelles conclusions du 9 février 2022, elle a modifié ses conclusions du 25 octobre 2018, sollicitant, en sus des demandes de rappel de salaire et de dommages-intérêts déjà formées :

In limine litis,

- à titre principal, le prononcé du rabat de la clôture à la date de l'audience de plaidoiries du 14 avril 2022,

- à titre subsidiaire, le rejet des dernières conclusions prises par la société et notifiées le 27 mai 2020, de même que des pièces adverses 22, 23, 24 et 25,

- la condamnation de la société à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, outre celle de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 5 avril 2022, la société a demandé à la cour de :

- confirmer que les écritures et pièces qu'elle a transmises le 27 mai 2020 l'ont été antérieurement à la clôture,

- constater que les conclusions transmises à la salariée le 9 février 2022 l'ont été postérieurement à la clôture,

en conséquence,

- rejeter les conclusions transmises par la salariée le 9 février 2020 2 postérieurement à la clôture.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur l'incident de communication des dernières conclusions et pièces de l'intimée et la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Selon les articles 802 et 803 du code de procédure civile, auxquels renvoie l'article 907, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office ; l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

Le dépôt de conclusions et de pièces la veille de l'ordonnance de clôture ne saurait constituer une cause grave au sens de l'article 803 et être un motif de révocation de l'ordonnance de clôture.

Selon l'article 15 du même code, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait et de droit sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elle produisait et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chaque soit à même d'organiser sa défense.

Enfin, l'article 135 prévoit que le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

Il appartient au juge d'apprécier si les écritures et pièces de dernière heure sont de nature à compromettre les droits de la partie adverse et à porter atteinte au principe de la contradiction.

En l'espèce, les conclusions n° 2 communiquées par la société intimée le 27 mai 2020, veille de l'ordonnance de clôture, plus de 18 mois après les dernières conclusions de l'appelante, développent de nouveaux moyens qui ne sont pas présentés de manière formellement distincte, contrairement aux exigences de l'article 954 du code de procédure civile.

En outre, la société a produit à cette occasion neuf nouvelles pièces (bulletins de paye de Mme [B] [D]) regroupées sous les numéros de pièces 22, 23, 24 et 25, dont l'appelante n'a, compte tenu du nombre, pas été en mesure de prendre connaissance avant la clôture de l'instruction.

L'impossibilité pour elle de répondre à ces conclusions et pièces est de nature à compromettre ses droits et à porter atteinte au principe de la contradiction.

Au vu de ce qui précède, la cour rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, déclare irrecevables les conclusions notifiées par la salariée postérieurement à celle-ci et fait droit à la demande subsidiaire de la salariée tendant à voir les conclusions et pièces notifiées par la société la veille de l'ordonnance de clôture écartées des débats.

Par conséquent, la cour se référera, s'agissant de la salariée, aux conclusions notifiées le 25 octobre 2018, et, s'agissant de la société, aux conclusions de la société transmises par voie électronique le 4 juillet 2018, ainsi qu'aux pièces communiquées sous les numéros 1 à 21.

2. Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

2.1. Sur la demande de rappel de salaire pour violation du principe d'égalité de traitement

La salariée fait valoir que :

- le principe « à travail égal, salaire égal » oblige l'employeur à verser la même rémunération à tous les salariés effectuant un travail de même valeur ou, au moins, à justifier toutes les disparités de salaire par des éléments objectifs, matériellement vérifiables et étrangers à toute discrimination prohibée ;

- en l'espèce, elle a été amenée à exercer des tâches dévolues à Mme [D], épouse et mère des gérants successifs, cette dernière n'étant présente dans l'entreprise que les matins et bénéficiant de neuf semaines de congés par an ;

- alors qu'elle exerçait les mêmes tâches et responsabilités, ou à tout le moins des tâches de valeur identique, elle ne percevait pas la même rémunération, l'écart entre les deux salaires étant de 4 613,09 euros par mois, soit 166'071,24 euros sur trois ans.

La société réplique que :

- la revendication de la salariée n'est pas fondée et ne résulte que d'un ressentiment exacerbé à l'encontre de son employeur de fait, à savoir Mme [D], épouse du dirigeant créateur et mère du dirigeant actuel ;

- les fonctions de la salariée était celles d'une secrétaire, tandis que celles de Mme [D] sont celles d'une assistante de direction, aux compétences comptables, ainsi qu'en attestent la fiche de fonctions correspondante, le cabinet comptable, ou encore les antécédents professionnels de l'intéressée.

Sur ce,

Au regard du respect du principe « à travail égal, salaire égal », une différence de traitement entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale doit reposer sur des raisons objectives et pertinentes dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

Aux termes de l'article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement. Il incombe ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments justifiant sa décision.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la salarié percevait une rémunération inférieure à celle perçue par Mme [D].

Il ressort par ailleurs des pièces produites aux débats et des explications des parties que la salariée avait été embauchée en qualité de secrétaire, poste qu'elle occupait toujours au moment de son licenciement, et que Mme [D], qui avait été recrutée en qualité d'aide-comptable, occupait le poste d'assistante de direction à la date du licenciement de la salariée.

Pour justifier de la réalisation de travaux de valeur égale, la salariée se contente de verser aux débats une attestation d'une ancienne de collègue de travail qui atteste que la salariée « est capable d'assurer et assurait seule les tâches effectuées par Mme [D] », qu'elle assurait notamment « la gestion des plannings et le secrétariat seule » et que « sur le temps de présence de [B] [D] (les matins), [elles étaient] sans cesse dérangées par les questionnements de Mme [D] sur comment faire telles ou telles tâches ».

Cette seule attestation est très insuffisante à établir que la salariée effectuait, ainsi qu'elle le soutient, des travaux de valeur égale à ceux réalisés par Mme [D], c'est-à-dire, outre ses tâches de secrétariat, des travaux de comptabilité, alors, d'une part, qu'elle ne justifie pas, à la différence de Mme [D], de compétences comptables ou d'une expérience professionnelle antérieure dans ce domaine, d'autre part, qu'il résulte du témoignage de Mme [T], ancienne salariée du cabinet d'expertise comptable de la société, que « lors de [s]es nombreuses interventions pour l'établissement des bilans, [la salariée] n'a jamais à [sa] connaissance réalisé de travaux comptables ni de gestion commerciale » et qu'elle « ne s'occupait que de travaux de secrétariat, d'accueil téléphonique des clients et de la gestion du planning des salariés », et, enfin, que l'appelante reconnaît elle-même, dans le courrier qu'elle a adressé à son employeur le 19 juillet 2016, qu'elle était « amenée à réaliser quasiment toutes les tâches administratives de l'entreprise, hormis l'établissement des bulletins de salaire et la comptabilité ».

En l'absence de production aux débats d'éléments de fait permettant de caractériser une différence de traitement entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire.

2.2. Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de mise en place réelle de formation

La salariée rappelle que l'absence de formation professionnelle continue pendant une durée importante constitue un manquement de l'employeur à son obligation de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper son emploi et entraîne pour l'intéressé un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer. Elle reproche à la société d'avoir usurpé sa signature pour des formations dont elle n'a pas bénéficié mais qui permettaient à l'employeur de bénéficier d'aides financières publiques.

La société verse aux débats une attestation de l'organisme de formation qui certifie avoir dispensé des formations à la salariée et soutient que l'accusation de pratiques frauduleuses est mensongère. Elle fait valoir en outre, à supposer que l'employeur ait manqué à son obligation de formation, que l'indemnisation n'a pas à être automatique, faute d'un préjudice démontré, ce que se dispense de faire la salariée.

Sur ce,

Selon l'article L. 6321-1, alinéas 1, 3 et 4, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme.

Pour établir qu'elle n'a pas bénéficié des trois actions de formation datées des 29 novembre 2012, 26 à 29 novembre 2013 et 10 à 12 décembre 2013, la salariée verse aux débats la copie de feuilles de présence, ainsi qu'un rapport d'analyse graphologique daté du 4 septembre 2017 qui conclut, « avec les réserves qu'implique un travail sur photocopie », que « les signatures apposées sur les 3 feuilles de présence D1, D2, D3, ne sont très probablement pas de la main de [la salariée] » et présentent « de fortes similitudes avec celle de M. [D] apposée sur D6 ».

En réplique, la société produit un courrier de la société Amigest du 17 février 2017 qui confirme avoir « dispensé une formation SAGE/APINEGOCE à la société [D] [...] aux dates suivantes :

- le 29 novembre 2012 selon notre facture FA05081 du 04/12/2012 aux stagiaires suivantes : Mme [D] [B] et Mme [G] [U]

- les 26/27 et 29 novembre 2013 et les 10/11 et 12 décembre 2013 selon notre facture FA 06965 du 12/12/201 (sic) aux stagiaires suivantes : Mme [D] [B] [...], Mme [G] [U], « uniquement gestion » et Mme [V] [H] [...] ».

L'attestation délivrée par l'organisme de formation et le nombre de signatures figurant sur les feuilles de présence démontrent que les actions de formation contestées ont bien été dispensées à autant de personnes que de salariés inscrits. Or, la salariée qui dénie sa signature ne soutient pas et n'offre pas d'établir qu'un autre salarié ou qu'un tiers à l'entreprise aurait assisté, en ses lieu et place, auxdites formations.

Par ailleurs, à supposer que la salariée n'ait effectivement pas bénéficié de ces trois actions de formations organisées en 2012 et 2013, force est de relever qu'elle ne soutient pas n'avoir bénéficié d'aucune formation pendant toute la durée du contrat de travail ou sur une durée importante, étant observé que l'existence d'une éventuelle fraude aux aides publiques, qui ne relève pas de la compétence du juge prud'homal, est sans incidence sur la solution du litige.

Aussi convient-il de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts.

3. Sur le licenciement

3.1. Sur le bien-fondé du licenciement pour motif économique

La salariée fait valoir que la preuve de l'existence de difficultés sérieuses et pérennes à l'origine du licenciement économique n'est aucunement rapportée.

La société réplique que la loi travail du 8 août 2016 considère que la baisse significative du chiffre d'affaires est constituée dès lors qu'on la constate sur au moins un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ; qu'au début de 2016, l'activité de la société s'est brutalement détériorée, avec un chiffre d'affaires en forte baisse de plus de 40 % sur les quatre premiers mois de l'année, à telle enseigne que l'expert-comptable de la société a jugé utile d'alerter sa cliente sur la nécessité de prendre un certain nombre de mesures eu égard à une conjoncture particulièrement défavorable ; qu'au cours de cette même période, la société a rencontré d'importantes difficultés de trésorerie au point d'être contrainte de demander une autorisation de découvert à sa banque d'un montant de 50'000 euros.

Sur ce,

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable à la date de la rupture du contrat de travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Et selon l'article L. 1233-16, alinéa 1er du même code, la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur

Comme tout autre licenciement, le licenciement pour motif économique doit, en application de l'article L. 1233-2, être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, la rupture du contrat de travail n'est pas intervenue à proprement parler dans le cadre d'un licenciement mais en conséquence de l'acceptation par la salariée d'un contrat de sécurisation professionnelle que lui a proposé la société lors de l'entretien du 23 mai 2016 préalable au licenciement.

Selon l'article L. 1233-65 du code précité, le contrat de sécurisation professionnelle a pour objet l'organisation et le déroulement d'un parcours de retour à l'emploi, le cas échéant au moyen d'une reconversion ou d'une création ou reprise d'entreprise. Ce parcours comprend des mesures d'accompagnement, notamment d'appui au projet professionnel, ainsi que des périodes de formation et de travail.

L'article L. 1233-67 dispose que l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail. Toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la proposition de contrat de sécurisation professionnelle.

Dans le cadre d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit énoncer le motif économique de la rupture soit dans le document écrit d'information sur le contrat de sécurisation professionnelle remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre que l'employeur doit adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié de la proposition convention, dans tout autre document écrit remis ou adressé au salarié au plus tard au moment de son acceptation.

À défaut de remise effective au salarié concerné de ce document énonçant le motif économique de la rupture préalablement à l'acceptation par lui du contrat de sécurisation professionnelle, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, la salariée s'est vu remettre le 23 mai 2016, lors de l'entretien préalable à son licenciement, le dossier relatif au contrat de sécurisation professionnelle et un courrier de la société exposant les motifs conduisant à son licenciement pour motif économique dans les termes suivants :

« [...] Depuis plusieurs mois déjà, la société ['] a dû faire face à un fort ralentissement des commandes clients.

En effet, à fin avril 2016, nous constatons une diminution significative de chiffre d'affaires d'environ 40 % par rapport à l'an passé en cumul sur les quatre premiers mois de l'année. Ainsi, alors que le cumul du chiffre d'affaires pour la plomberie et la zinguerie s'élevait à 620 K€ au 30 avril 2015, il ne représente plus que 376 K€ au 30 avril 2016 ; alors que les charges fixes telle que la masse salariale sont restées stables.

Du fait de la réduction de l'effectif de plombiers et du maintien de l'effectif de zingueurs, force est de constater que cette chute de chiffre d'affaires est liée à l'activité plomberie.

Ainsi, en votre qualité de secrétaire, vous avez notamment pour mission de gérer le planning de l'activité plomberie qui comptait 5 plombiers à votre embauche. Aujourd'hui, et depuis un an, l'équipe ne comptabilise plus que 2 plombiers, ce qui réduit significativement votre activité au sein de l'entreprise.

Ainsi, depuis plusieurs mois l'entreprise se trouve confrontée à une baisse durable et constante de son chiffre d'affaires dans un environnement conjoncturel particulièrement défavorable.

Le niveau du chiffre d'affaires réalisé ne permet donc plus de supporter les charges d'exploitation, notamment les charges de personnel administratif (3 salariés), engagées par la société.

Cette chute importante et durable du chiffre d'affaires s'est également accompagnée d'une détérioration des résultats financiers de l'entreprise.

La situation n'est donc pas sans impact sur la trésorerie qui tend à se dégrader au fil des mois.

Le volume de notre activité, notamment l'activité plomberie à laquelle vous êtes étroitement liée, subit une régression plus que significative.

De plus, tous les indicateurs économiques ne traduisent aucun signe majeur de reprise de l'activité pour les prochains mois à venir, le carnet de commandes témoignant de cette situation préoccupante.

Aujourd'hui, ces indicateurs nous conduisent à réorganiser notre mode de fonctionnement, afin de rationaliser nos coûts de fonctionnement et de permettre la sauvegarde la compétitivité de l'entreprise pour en assurer sa pérennité.

En conséquence, et dans le cadre de cette réorganisation, nous considérons que ces sérieuses difficultés économiques rendent impossible le maintien de votre contrat de travail et nous conduisent donc à envisager la suppression définitive de votre poste de secrétaire. ['] ».

Ce courrier répond aux exigences légales dès lors que les faits qui y sont énoncés sont précis et matériellement vérifiables et qu'ils indiquent que le licenciement a pour motif économique la suppression de l'emploi de la salariée consécutive aux difficultés économiques rencontrées par la société.

En cas de contestation du motif économique du licenciement, le juge doit vérifier que les difficultés économiques de l'entreprise sont suffisamment sérieuses et qu'elles ne revêtent pas un caractère purement conjoncturel et passager.

En l'espèce, la société produit aux débats :

- les comptes de résultat provisoires arrêtés aux 30 avril 2016 et 30 juin 2016 qui mettent en évidence un résultat d'exploitation déficitaire de - 12 723 euros à la fin du mois d'avril 2016 (contre un résultat bénéficiaire de 56 108 euros à la même date de 2015) et de - 15 539 euros à la fin du mois de juin 2016 (contre un résultat bénéficiaire de 67 984 euros à la même date de 2015),

- un courriel adressé à la société par la Banque populaire Loire et Lyonnais le 26 juillet 2016 qui lui « confirme la mise en place d'une autorisation de découvert de 50'000 € »,

- deux courriers du préfet du Rhône datés des 11 avril et 13 mai 2016 autorisant la société à placer son établissement en activité partielle pour les périodes suivantes : du 11 avril au 15 mai 2016 pour 4 salariés pour un nombre total de 700 heures et du 17 au 20 mai 2016 pour 3 salariés pour un total de 83 heures,

- un courrier de l'expert-comptable de la société datée du 4 mai 2016 qui constate, au vu des éléments transmis par la société, « que le chiffre d'affaires de la société à fin avril est en forte baisse (de l'ordre de 40 %) » et qui l'invite « à faire de nouvelles économies afin de pallier cette brusque baisse d'activité », en poursuivant « la rationalisation de [ses] frais de personnel, notamment administratifs ».

Au vu de ces pièces, c'est à bon droit et par une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu l'existence de difficultés économiques avérées et non passagères de la société nécessitant la suppression de l'emploi occupé par la salariée.

Contrairement à ce qu'affirme la salariée, le caractère prétendument artificiel de ces difficultés ne saurait être déduit du financement, un an auparavant, d'un véhicule de fonction, ni de l'exécution de travaux sur des biens appartenant à des membres de la famille [D], la société justifiant de l'établissement et du règlement des factures correspondantes.

3.2. Sur la recherche de reclassement

La salariée fait valoir qu'elle ne s'est vu proposer aucune offre de reclassement, ni même une proposition de diminution de son temps de travail.

La société réplique que n'appartenant pas à un groupe, la société, seule entité juridique existante comportant en son sein neuf salariés, était dans l'impossibilité de proposer un reclassement à la salariée, faute de poste disponible.

Sur ce,

Selon l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

L'employeur doit exécuter loyalement son obligation de reclassement, à défaut le licenciement se trouve sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, si la recherche de solutions de reclassement ne s'impose qu'au sein de l'entreprise lorsque celle-ci n'appartient pas à un groupe, en présence d'un groupe, la possibilité de reclassement doit s'apprécier à l'intérieur de celui-ci, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent à l'employeur d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

En l'espèce, la société qui ne fait partie d'aucun groupe, est une structure de taille réduite au sein de laquelle le reclassement n'était pas possible, y compris après adaptation du poste de travail. En effet, au vu des pièces produites en délibéré par la société à la demande de la cour, il apparaît que l'effectif de la société, à la date du licenciement, était de neuf salariés, outre le président non titulaire d'un contrat de travail et cinq apprentis qui ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise conformément à l'article L. 1111-3, 1°, du code du travail.

Il n'est donc pas établi que cette dernière a failli à son obligation de reclassement et ce moyen ne peut conduire à qualifier le licenciement de la salariée comme étant sans cause réelle et sérieuse.

Au vu de ce qui précède, la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé le licenciement pour motif économique bien fondé et a retenu que la société n'avait pas failli à son obligation de recherche de reclassement.

3.3. Sur l'ordre des licenciements

La salariée soutient qu'elle appartenait à la même catégorie professionnelle que Mme [D] et reproche à la société de n'avoir appliqué aucun critère d'ordre entre les deux salariées.

La société réplique que la salariée était la seule secrétaire de la société, Mme [D] occupant un poste d'assistante de direction avec une fonction comptable attachée à sa formation et une fonction commerciale. Elle ajoute que Mme [D], créatrice de la société aux côtés de son mari, est entrée au service de la société le 1er janvier 1993 et continue d'assister son fils dans la gestion de l'affaire.

Sur ce,

Selon l'article L. 1233-5 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 applicable au litige, lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.

L'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse mais est de nature à causer au salarié un préjudice, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de son emploi, qui doit être intégralement réparé, selon son étendue, par l'octroi de dommages-intérêts.

Sauf lorsque l'employeur ne doit opérer aucun choix parmi les salariés à licencier ou sauf accord collectif conclu au niveau de l'entreprise ou à un niveau plus élevé, les critères d'ordre des licenciements pour motif économique doivent être mis en oeuvre au niveau de l'entreprise, à l'égard de l'ensemble du personnel appartenant à la même catégorie professionnelle.

La catégorie professionnelle, qui sert de base à l'établissement de l'ordre des licenciements, concerne l'ensemble des salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

En l'espèce, contrairement aux allégations de l'appelante, il a été jugé plus avant que la salariée n'exerçait pas dans l'entreprise des fonctions de même nature que celles de Mme [D]. Il ressort encore du registre d'entrée et de sortie du personnel qu'à la date du licenciement envisagé, la salariée avait seule la qualité de secrétaire, de sorte qu'en l'absence d'autres salariés appartenant à la même catégorie professionnelle qu'elle, il n'y avait aucun choix à opérer.

Au vu de ce qui précède, il convient de retenir que la société n'a pas méconnu les dispositions relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique et de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande indemnitaire.

4. Sur les demandes accessoires

Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d'appel, il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

La salariée, partie perdante, est déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et est condamnée aux dépens d'appel.

Il n'apparaît pas contraire à l'équité, en revanche, de laisser à la charge de la société ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort par mise à disposition au greffe,

REJETTE la demande de Mme [U] [G] de révocation de l'ordonnance de clôture et déclare irrecevables ses conclusions notifiées le 9 février 2022,

ÉCARTE les conclusions de la société [D] transmises par voie électronique le 27 mai 2020, ainsi que ses pièces n° 22 à 25,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [U] [G] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale c
Numéro d'arrêt : 18/00495
Date de la décision : 08/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-08;18.00495 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award