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07/07/2022 | FRANCE | N°19/03967

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 07 juillet 2022, 19/03967


N° RG 19/03967

N° Portalis DBVX - V - B7D - MNBQ















Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 09 avril 2019



Chambre 1 cab 01 B



RG : 14/10803







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 07 Juillet 2022







APPELANTE :



SA CIC LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse 4]

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représentée par la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocat au barreau de l'AIN









INTIMES :



M. [R] [K] [W]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5] (ROUMANIE)

[Adresse 3]

[Adresse 3]







Mme [M] [Z]

née le [Date naissance 2] ...

N° RG 19/03967

N° Portalis DBVX - V - B7D - MNBQ

Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 09 avril 2019

Chambre 1 cab 01 B

RG : 14/10803

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 07 Juillet 2022

APPELANTE :

SA CIC LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représentée par la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST, avocat au barreau de l'AIN

INTIMES :

M. [R] [K] [W]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5] (ROUMANIE)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Mme [M] [Z]

née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 6] (ITALIE)

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Maître Hélène COGNE, avocat au barreau de LYON, toque : 87

******

Date de clôture de l'instruction : 10 Mars 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 29 Septembre 2021

Date de mise à disposition : 25 novembre 2021, prorogée au 27 janvier 2022, puis au 31 mars 2022, au 5 mai 2022, 30 juin 2022 et au 7 juillet 2022, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

******

Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne WYON, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Annick ISOLA, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

*****

Suivant offre du 22 août 2004 acceptée suivant acte authentique du 26 octobre 2004, la société lyonnaise de banque (la banque) a consenti à M. [W] et Mme [Z] un prêt immobilier d'un montant de 679'200 francs suisses, soit une contre-valeur au moment du contrat de 424'500 euros, remboursable sur 240 mois et moyennant un TEG de 2,51 % indexé sur le Libor 12 mois.

A la suite d'impayés, la banque a prononcé la déchéance du terme le 21 octobre 2013.

Par acte d'huissier de justice du 29 août 2014, M. [W] et Mme [Z] ont fait assigner la banque devant le tribunal de grande instance de Lyon afin d'obtenir la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel en raison du calcul du TEG sur la base d'une année de 360 jours au lieu d'une année civile, la restitution du trop-perçu d'intérêts et la condamnation de la banque pour manquement à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde au titre de l'assurance qu'ils ont souscrite et au regard de la dangerosité du prêt spéculatif pour acquérir un bien immobilier situé en France. Ils ont contesté la déchéance du terme et ont demandé qu'il soit ordonné à la banque de leur communiquer un tableau d'amortissement actualisé en vue de la poursuite de l'exécution du prêt.

Par jugement du 9 avril 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a condamné la banque à leur payer 60'000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir manqué à son devoir d'information relatif à l'opportunité de souscrire ou non certaines garanties d'assurance et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Le 6 juin 2019, la banque a relevé appel des chefs de cette décision l'ayant condamnée au paiement de 60'000 euros à titre de dommages et intérêts et ayant rejeté ses autres demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 2 août 2019, la banque demande, en substance, à la cour de confirmer le jugement du 9 avril 2019 sauf en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [W] et Mme [Z] la somme de 60'000 euros et a rejeté sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite le rejet de toutes les demandes adverses et la condamnation solidaire de M. [W] et Mme [Z] à lui payer 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Selarl Bernarsconi, Rozet, Monnet-Suety, Forest, de Boysson.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 4 novembre 2019, M. [W] et Mme [Z] qui ont formé appel incident reprennent devant la cour les demandes qu'ils ont formées devant les premiers juges, à savoir :

- la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel à compter du 29 août 2009 et la condamnation de la banque à leur restituer 16'061,92 euros au titre des intérêts versés en trop pour la période de septembre 2009 à janvier 2017, somme à parfaire ;

- sur la responsabilité de la banque au titre de son manquement à ses obligations d'information et de conseil s'agissant de l'assurance, sa condamnation à leur payer le montant des échéances réglées depuis le licenciement de M. [W] en mars 2009 soit la somme de 150'723,06 euros, à parfaire ;

- sur la responsabilité de la banque au titre de son manquement à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde au regard de la dangerosité d'un prêt spéculatif en devises suisses, la condamnation de la banque à les indemniser de leur préjudice sur le fondement de la perte de chance qui est selon eux totale. Ils évaluent leur préjudice au différentiel pour chaque échéance de crédit entre le montant de l'échéance en appliquant le taux de conversion en vigueur au moment du contrat et le montant des échéances successives en cas d'application du taux de conversion successifs entre l'euro et le franc suisse, avec un taux de conversion de 0,625.

- en raison de l'irrégularité de la déchéance du terme prononcée par la banque à une date à laquelle aucune somme n'était due, qu'il leur soit donné acte de ce qu'ils s'engagent à reprendre le paiement des échéances à raison de 2 227,98 euros compte tenu de la substitution du taux d'intérêt légal et qu'il soit ordonné à la banque de produire un tableau d'amortissement réactualisé.

Ils réclament la condamnation de la banque à leur verser 10'000 euros en réparation de leur préjudice moral et financier et 8 000 euros d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa condamnation à prendre en charge les dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Me Hélène Cogné, avocat, ainsi que l'exécution provisoire du 'jugement' à intervenir. Ils sollicitent le rejet des demandes adverses.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mars 2020.

MOTIVATION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

- sur la déchéance de la banque de son droit aux intérêts conventionnels :

En application des articles 1907 du code civil, L. 313-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et R. 313-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2002-927 du 10 juin 2002, la mention, dans l'acte de prêt, d'un taux conventionnel calculé sur la base d'une année autre que l'année civile n'est sanctionnée que lorsque ce calcul a généré au détriment de l'emprunteur un surcoût d'un montant supérieur à la décimale prévue à l'article R. 313-1 précité et seulement par la déchéance totale ou partielle du droit du prêteur aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge.

En l'espèce, les emprunteurs critiquent l'utilisation par la banque d'un TEG calculé sur la base d'une année de 360 jours sans même alléguer et encore moins démontrer que le taux réel de leur prêt soit supérieur d'au moins 0,1 % au taux figurant dans l'acte de prêt.

Le jugement qui les a déboutés de leur demande sur ce point sera confirmé.

- sur le manquement de la banque à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde s'agissant de l'assurance :

M. [W] et Mme [Z] font valoir que les documents qui leur ont été remis ne permettent pas de connaître quelles garanties ils ont souscrites et que l'option qu'ils ont choisie n'est pas mentionnée sur le bulletin d'adhésion. Ils précisent que la notice d'information prévoit plusieurs types de garantie qui, selon l'option choisie, couvrent le décès, la perte totale et irréversible d'autonomie, l'incapacité temporaire de travail supérieure à 90 ou 180 jours et/ou l'invalidité permanente, ces garanties pouvant encore être complétées par une garantie perte d'emploi selon l'option choisie. Ils ajoutent que la banque n'a pas proposé à M. [W] une assurance adaptée à son métier de photo-reporter qui connaît des risques particuliers dans certaines zones de conflit.

La banque répond qu'en page 2 du contrat, il est indiqué que la cotisation à l'assurance (assurance décès et assurance(s) optionnelle(s) en cas d'option) s'élève à 271,68 francs suisses par mois, qu'il est indiqué que l'emprunteur déclare avoir parfaite connaissance des conditions et modalités de cette assurance, que le notaire qui a établi l'acte a nécessairement constaté la parfaite compréhension et le parfait consentement des emprunteurs assurés, et qu'il n'est pas établi que M. [W] ait été soumis à un risque particulier en 2004 au regard des pièces qu'il a produites lors de la souscription du prêt, qu'il était alors décrit comme journaliste ou éditeur d'actualités, de sorte qu'aucun risque professionnel particulier n'était à envisager.

Elle ajoute que les intimés affirment que M. [W] s'est trouvé dans la totale incapacité d'exercer son métier à la suite d'un traumatisme lors d'un reportage mais ne le prouvent pas, leur pièce n°2 indiquant au contraire qu'il a été traité selon le code « risque 10 - maladie» et que s'il s'était agi d'un accident professionnel ou d'une maladie professionnelle, le risque aurait été codé 41 ou 42.

Elle affirme n'avoir pas eu connaissance d'un tel risque et qu'au surplus si celui-ci avait été avéré, M. [W], doté d'une formation solide et ancien rédacteur en chef adjoint d'Euronews, aurait su attirer son attention sur ce point.

Il est constant depuis 2007 qu'en matière d'assurance de groupe, le banquier qui doit remettre à l'emprunteur la notice établie par l'assureur est en outre tenu d'un devoir général d'information, de conseil et de mise en garde qui lui impose en particulier de vérifier l'adéquation de la garantie proposée aux besoins de l'assuré (cf 2e Civ., 31 mars 2022, pourvoi n° 20-18.129 , 2e Civ., 20 janvier 2022, pourvoi n° 19-25.259).

Ainsi que l'a relevé le premier juge, les termes clairs du contrat d'assurance souscrit permettaient aux intimés de connaître l'étendue des garanties souscrites, et la notice d'information qui leur a été remise décrivait les autres risques susceptibles d'être garantis.Toutefois ces documents sont insuffisants à établir que la banque a explicitement éclairé les emprunteurs, âgés respectivement de 41 et 45 ans lorsqu'ils ont souscrit ce contrat de prêt d'une durée de 20 ans, sur l'opportunité de souscrire ou non les garanties optionnelles et qu'elle a satisfait à son devoir d'information, aucune fiche de renseignements renseignée par les emprunteurs n'étant du reste produite, ni aucune pièce justificative de leurs situations patrimoniale et financière à la date du contrat de prêt.

Ceux-ci ont dès lors perdu une chance de contracter une assurance plus étendue susceptible de les garantir lorsque M. [W] est tombé malade et a perdu son emploi.

M. [W] et Mme [Z] indiquent que M. [W] a perdu son emploi en 2009 suite à cette maladie qui l'a rendu inapte à son poste et qu'il n'a pas retrouvé de travail, de sorte que leur préjudice correspond aux échéances qui ont couru depuis son licenciement en mars 2009 soit 150'723,06 euros.

Le préjudice subi par les emprunteurs ne correspond pas au montant des échéances impayées à compter du licenciement de M. [W], la réparation de la perte d'une chance devant être mesurée au regard de la chance perdue et ne pouvant être égale à l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée. En l'espèce, il y a lieu d'évaluer cette perte de chance à 50 % de la somme réclamée et, confirmant le jugement déféré sur la perte de chance mais l'infirmant sur le montant du préjudice, de condamner la banque à payer aux intimés la somme de 75'361,25 euros à ce titre.

- Sur le manquement aux obligations d'information, de conseil et de mise en garde au regard de la dangerosité d'un prêt spéculatif en devises suisses pour l'acquisition d'un bien immobilier situé en France :

M. [W] et Mme [Z] font valoir qu'ils sont des consommateurs non avertis et que la banque était tenue à leur égard d'une obligation d'information renforcée, d'autant que le prêt proposé était complexe et comportait des risques liés au taux de change. Ils indiquent n'avoir pas été mis en mesure d'évaluer ces risques et qu'ils n'en ont pris conscience qu'avec l'évolution du cours du franc suisse.

La banque répond que les emprunteurs avaient un niveau intellectuel et culturel élevé, M. [W] étant titulaire d'une maîtrise de sciences politiques et parlant six langues et Mme [Z] étant journaliste, que le contrat était clair et le risque de change explicité en page 3 du contrat, étant précisé que le bénéfice de change profitait à l'emprunteur et que le prêt libellé en francs suisses était remboursé à partir d'un compte en francs suisses alimenté par les revenus en francs suisses de M. [W] qui travaillait en Suisse, de sorte qu'aucune conversion n'était prévue.

Par des motifs que la cour adopte, les premiers juges ont considéré que M. [W] et Mme [Z] n'étaient pas des emprunteurs avertis mais que ceux-ci ne rapportent pas la preuve d'un risque d'endettement excessif né de l'octroi du prêt à la date de sa souscription, qu'ils étaient parfaitement informés du caractère variable du taux d'intérêt applicable, et qu'en l'absence de tout manquement caractérisé de la banque à ses obligations, les demandes des emprunteurs devaient être rejetées.

- sur la déchéance du terme :

La banque produit le courrier du 21 octobre 2013 (pièce 6) adressé à chacun des emprunteurs par pli recommandé avec avis de réception pour les informer qu'en raison des impayés, elle prononçait la déchéance du terme de leurs prêts, ceux-ci devenant de ce fait intégralement et immédiatement exigibles, et les mettant en demeure de lui rembourser pour le 15 octobre 2013 au plus tard la somme totale de 467'372,46 francs suisses.

Le décompte joint fait apparaître un retard d'échéances de 27'918,26 francs suisses au total à cette date. La banque produit également la copie des relevés du compte bancaire du couple dont il résulte que les échéances du prêt n'étaient pas payées depuis l'échéance du 15 janvier 2013 comprise.

Il en résulte ainsi qu'en ont décidé les premiers juges que la déchéance du terme a été valablement et régulièrement prononcée, le jugement méritant confirmation sur ce point.

La procédure de saisie immobilière à laquelle ont été confrontés les intimés n'étant pas exclusivement imputable à la faute de la banque, leur demande en réparation de leur préjudice moral et financier sera rejetée.

La société Lyonnaise de banque qui succombe supportera les dépens. Il sera fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [W] et de Mme [Z], la demande de la banque étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 9 avril 2019 en ce qu'il a condamné la société Lyonnaise de banque à payer à M. [W] et Mme [Z] la somme de 60'000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Et statuant à nouveau de ce chef :

Condamne la société Lyonnaise de banque à payer à M. [W] et Mme [Z] la somme de 75 361,25 euros à ce titre ;

Confirme le jugement sur le surplus et y ajoutant :

Condamne la société Lyonnaise de banque aux dépens, avec droit de recouvrement direct en application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me Hélène Cogné, avocat, ainsi qu'à payer à M. [W] et Mme [Z] 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa demande sur ce point étant rejetée.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 19/03967
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;19.03967 ?
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