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06/07/2022 | FRANCE | N°19/02370

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 06 juillet 2022, 19/02370


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE



N° RG 19/02370 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MJIF



Société JST TRANSFORMATEURS

C/

[B]



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 14 Mars 2019

RG : F 16/02877



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 06 JUILLET 2022









APPELANTE :



Société JST TRANSFORMATEURS

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Lauren

t LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Bruno DEGUERRY de la SELARL DEGUERRY, PERRIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON




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AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/02370 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MJIF

Société JST TRANSFORMATEURS

C/

[B]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 14 Mars 2019

RG : F 16/02877

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 06 JUILLET 2022

APPELANTE :

Société JST TRANSFORMATEURS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Bruno DEGUERRY de la SELARL DEGUERRY, PERRIN ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[J] [B]

né le 04 Novembre 1959 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me François DUMOULIN de la SELARL FRANCOIS DUMOULIN, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mai 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseiller

Antoine MOLINAR-MIN, Conseiller

Assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 Juillet 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

[J] [B] a été embauché à compter du 2 janvier 1978 par la société JEUMONT-SCHNEIDER, devenue la SAS JST TRANSFORMATEURS, en qualité d'ouvrier, P1, NII, échelon 1, coefficient 170, suivant contrat de travail écrit à durée indéterminée soumis à la convention collective départementale des mensuels des industries métallurgiques du Rhône (IDCC 0878).

Au cours de la relation de travail, [J] [B] a notamment été promu à compter du 1er juin 2012 aux fonctions de chef d'équipe puis, à compter du 1er juin 2013, au niveau IV, échelon 2, coefficient 270 de la classification dans ces mêmes fonctions.

Le 22 janvier 2015, la SAS JST TRANSFORMATEURS a conclu un accord majoritaire avec les organisations syndicales représentatives afin de « déterminer le contenu du Plan de sauvegarde de l'emploi, dans le cadre du projet de restructuration de la société » qu'elle avait présenté au comité d'entreprise réuni le 25 novembre 2014 et portant sur la suppression de 38 postes, homologué par la DIRECCTE le 2 mars 2015.

La candidature de [J] [B] à un départ volontaire selon les modalités prévues par l'accord majoritaire du 22 janvier 2015 a été rejetée par son employeur.

[J] [B] a été élu en qualité de délégué du personnel titulaire le 8 juin 2015, puis en qualité de membre suppléant du comité social et économique en juin 2019.

Le 29 juillet 2016, [J] [B] a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, et de demandes indemnitaires et salariales afférentes à la rupture du contrat de travail.

Par jugement en date du 14 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon ' section industrie, statuant en formation de départage, a :

PRONONCÉ la résiliation judiciaire du contrat de travail de [J] [B] aux torts de l'employeur au jour de la décision ;

DIT que cette résiliation judiciaire produisait les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur ;

CONDAMNÉ en conséquence la SAS JST TRANSFORMATEURS à verser à [J] [B] les sommes suivantes :

avec intérêts au taux légal à compter du 16 août 2016, date de réception de la convocation par l'employeur devant le bureau de conciliation valant mise en demeure,

- 50 232,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 6 750,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 675,09 euros au titre des congés payés afférents

- 35 597,61 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 4 511,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

- 48 000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement nul ;

DIT que [J] [B] sera dispensé d'exécuter le préavis ;

DIT que la SAS JST TRANSFORMATEURS devra transmettre à [J] [B] dans le délai d'un mois suivant la notification de la décision une attestation Pôle Emploi indiquant comme motif de rupture la résiliation judiciaire du contrat de travail, un certificat de travail mentionnant comme date de rupture le jour de la notification de la décision, et mentionnant le délai de préavis de deux mois postérieur à cette date, indemnisé mais non exécuté, ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision, sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé un délai d'un mois suivant la notification du jugement et dit que la présente formation se réserve le droit de liquider cette astreinte ;

CONDAMNÉ la SAS JST TRANSFORMATEURS à verser à [J] [B] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTÉ la SAS JST TRANSFORMATEURS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire étant rappelé qu'en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoire à titre provisoire les jugements qui ordonnent le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l'article R. 1454-14 dans la limite maximum de 9 mois de salaire calculé sur la moyenne des 3 derniers mois ;

FIXÉ la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 3 955,29 euros :

CONDAMNÉ la SAS JST TRANSFORMATEURS aux entiers dépens de l'instance.

La SAS JST TRANSFORMATEURS a interjeté appel de cette décision le 4 avril 2019.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mars 2022 et auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS JST TRANSFORMATEURS sollicite de la cour de :

RÉFORMER le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 14 mars 2019 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [B] aux torts de l'employeur et lui a alloué les sommes suivantes :

- 50 232,18 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 6 750,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 675,09 euros au titre des congés payés afférents

- 35 597,61 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 4 511,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 48 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIRE ET JUGER qu'elle n'a commis aucune faute justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [B] et par voie de conséquence le débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul, de sa demande d'indemnité conventionnelle de licenciement, de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, de sa demande d'indemnité pour violation du statut protecteur, de sa demande d'indemnité de congés payés et de sa demande au titre des frais de procès ;

Reconventionnellement,

CONDAMNER Monsieur [B] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

LE CONDAMNER aux entiers dépens de l'instance.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 13 avril 2022, auxquelles il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, [J] [B] sollicite de la cour de :

A titre principal,

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 14 mars 2019 en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur et condamner la société JST TRANSFORMATEURS au versement de dommages-intérêts pour licenciement nul et d'une indemnité conventionnelle de licenciement ;

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 14 mars 2019 en ce :

- qu'il a condamné la société JST TRANSFORMATEURS à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter du 16 août 2016 :

- 6 750,94 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 675,09 euros au titre des congés payés afférents

- 35 597,61 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 4 511,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés

- dit qu'il sera dispensé d'exécuter le préavis ;

- dit que la SAS JST TRANSFORMATEURS devra lui transmettre dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision une attestation Pôle Emploi indiquant comme motif de rupture la résiliation judiciaire du contrat de travail, un certificat de travail mentionnant comme date de rupture le jour de la notification de la présente décision, et mentionnant le délai de préavis de deux mois postérieur à cette date, indemnisé mais non exécuté, ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision, sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard passé un délai de un mois suivant la notification du jugement et dit que la présente formation se réserve le droit de liquider cette astreinte ;

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 14 mars 2019 en ce qu'il a condamné la société JST TRANSFORMATEURS à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

JUGER que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul à la date de la décision de la cour ;

JUGER que l'astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard dont est assortie l'obligation de remise des différents documents liés à la rupture est applicable passé un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

PORTER le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués en raison du licenciement nul à la somme de 131 000 euros ;

CONDAMNER la société JST TRANSFORMATEURS au versement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2019 à hauteur de 48 000 euros et outre intérêts légaux à compter de la date de l'arrêt pour le surplus ;

PORTER le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 54 187,47 euros ;

CONDAMNER la société JST TRANSFORMATEURS au versement de cette indemnité, outre intérêts au taux légal à compter du 16 août 2016 ;

CONDAMNER la société JST TRANSFORMATEURS à lui verser la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

CONFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 14 mars 2019 en toutes ses dispositions et condamner la société JST TRANSFORMATEURS à lui verser la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par lui en cause d'appel.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 14 avril 2022, et l'affaire fixée pour être plaidée à l'audience du 3 mai suivant.

SUR CE :

- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

La SAS JST TRANSFORMATEURS soutient en substance, à l'appui de sa demande, que :

- Monsieur [B] a saisi le juge prud'homal près de quinze mois après la mise en oeuvre de la nouvelle organisation mise en 'uvre au sein de la société, de sorte que sa demande de résiliation judiciaire est fondée sur des griefs anciens lors de la saisine du juge le 29 juillet 2016 ;

- suite à son refus des postes de « team leader » et de « référent production » qui lui avaient été proposés, [J] [B] avait accepté les nouvelles modalités organisationnelles ;

- ainsi, dès lors que c'est au moment où il statue que le juge doit apprécier les manquements invoqués et non en se plaçant à la date à laquelle ils se seraient prétendument déroulés, l'exécution par le salarié de ses nouvelles tâches sans réserve, désaccord ou protestation permettait de constater que les hypothétiques manquements de l'employeur n'étaient pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ;

- l'introduction du poste de « Team leader » lors de la réorganisation n'avait pas vocation à faire disparaître les attributions des postes préexistants comme celui de « Chef d'équipe » qu'occupait Monsieur [B], et le refus de l'intéressé d'occuper les postes de « Team leader » et de « Référent production » a conduit l'employeur, sans modification de son contrat de travail, à lui confier les fonctions afférentes à l'emploi de « Référent technique » sans la moindre opposition de sa part ;

- la réorganisation de l'entreprise a été effectivement mise en 'uvre en avril 2015, soit avant l'élection de [J] [B] aux fonctions de délégué du personnel le 8 juin 2015, à une période durant laquelle il ne bénéficiait d'aucune protection exorbitante du droit commun ;

- la seule référence à la lettre de l'administration du travail du 12 mai 2016 ne permet pas au salarié d'établir la matérialité des manquements dénoncés, alors notamment que les échanges avec l'inspection du travail avaient permis de communiquer l'ensemble des pièces et justificatifs nécessaires sur la situation de [J] [B] de sorte qu'aucun grief n'a finalement été retenu à l'encontre de la société par l'administration du travail ;

- lors de la mise en oeuvre de la réorganisation, Monsieur [B], qui était occupé à une poste de « Chef d'équipe - Qualification ouvriers ' niveau IV ' Echelon 2 ' Coefficient 270 » n'a connu aucune modification de son contrat de travail puisque la société a veillé à lui garantir des fonctions conformes à l'accord du 21 juillet 1975 relatif à la classification des mensuels de la métallurgie, de sorte que la mise en 'uvre par l'employeur d'un simple changement des conditions de travail pouvait parfaitement être imposé à l'intéressé par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction ;

- en tout état de cause, même à considérer que le changement aurait constitué une modification du contrat de travail du salarié, celui-ci y avait donné son accord ;

- [J] [B] ne démontre pas la disparition des organigrammes dont il se prévaut ;

- la société JST TRANSFORMATEURS n'a jamais entendu supprimer ou modifier le contrat de travail de Monsieur [B] de sorte qu'elle n'avait pas à lui proposer une modification de son contrat de travail et ce pour quel que motif que ce soit y compris pour motif économique ;

- en tout état de cause, et subsidiairement, il doit être fait application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui encadrent les dommages et intérêts susceptibles d'être alloués au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, tandis que le salarié ne peut prétendre à aucune réparation au titre de la violation de son statut protecteur, son mandat de représentant du personnel ayant pris fin le 8 juin 2019.

[J] [B] fait notamment valoir, en réponse, que :

- Alors qu'il encadrait jusqu'alors entre 6 et 10 personnes en sa qualité de chef d'équipe, il s'est vu imposer à compter du second trimestre 2015 une modification de son contrat de travail puisqu'il n'a plus exercé aucune responsabilité technique ou managériale attachée à sa fonction de chef d'équipe, du fait de la création des fonctions de « team leader » et « référents production » assurant à compter de cette période les responsabilités techniques et managériales qui relevaient antérieurement de la fonction de chef d'équipe, et pour lesquelles aucune proposition formelle ne lui a été faite ;

- La perte de ses responsabilités techniques et managériales est d'ailleurs matérialisée par la suppression de toute mention du concluant sur l'organigramme de présentation de l'organisation de la production puissance, alors que ce dernier était expressément nommé les années précédant la réorganisation de l'activité « Puissance » ;

- le poste de monteur équipement référent qui lui a été confié requiert un niveau d'exigences conventionnelles moindre que celles de chef d'équipe qu'il occupait jusqu'alors ;

- son contrat de travail a été modifié, son poste ayant même été supprimé, ainsi que l'a conclu l'inspection du travail, du fait de la réorganisation de l'activité « Puissance » effectivement mise en oeuvre en septembre 2015 et en tout cas postérieurement à la proclamation des résultats de l'élection des délégués du personnel au 8 juin 2015 et, par conséquent, de l'acquisition du bénéfice de la protection spéciale liée à son mandat de représentant du personnel ;

- Dans ces circonstances, la modification unilatérale et illicite du contrat de travail et de ses conditions de travail par la société JST TRANSFORMATEURS caractérise un manquement manifeste de la société défenderesse à ses obligations légales, lequel caractérise une exécution gravement fautive du contrat de travail rendant impossible la poursuite dudit contrat et justifiant sa résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l'employeur.

- Les agissements de la société JST TRANSFORMATEURS sont d'autant plus fautifs que cette dernière a sciemment contourné les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi puisque, la fonction de chef d'équipe étant effectivement supprimée, celle-ci aurait nécessairement dû être intégrée dans le licenciement collectif pour motif économique ;

- en mettant en 'uvre distinctement la réorganisation des activités de production « Puissance » et le licenciement collectif pour motif économique, la société défenderesse l'a sciemment privé du « bénéfice » des mesures notamment indemnitaires du plan de sauvegarde de l'emploi au sein duquel il aurait nécessairement dû être intégré du fait de la suppression effective des postes de chef d'équipe ;

- Il a rapidement saisi l'inspection du travail de cette situation puis, en l'absence de réponse de l'employeur à l'inspecteur du travail, saisi le conseil de prud'hommes ;

- Si la suppression des fonctions antérieurement occupés par l'intimé a été effective lors de la mise en oeuvre du projet de réorganisation en 2015, la société JST TRANSFORMATEURS a cessé progressivement de lui fournir du travail jusqu'à parvenir à une situation unanimement constatée, de « non-travail » en dépit d'une présence effective dans l'entreprise ;

- la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul si le salarié était titulaire d'un mandat de représentation du personnel ou d'une protection liée à la candidature aux élections au jour de la demande, la résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans le cas contraire ;

- le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir jusqu'à l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande, laquelle inclut la période instituée par le législateur à l'expiration du mandat.

* * * * *

Il résulte des articles L. 2411-1 et suivants du code du travail qu'aucune modification de son contrat de travail ou aucun changement de ses conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé et qu'en cas de refus par celui-ci de ce changement, l'employeur doit poursuivre le contrat aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité administrative d'une demande d'autorisation de licencier.

Or, il apparaît en l'espèce que :

- la SAS JST TRANSFORMATEURS a élaboré à compter de janvier 2015 un projet de réorganisation de sa branche « puissance », emportant notamment suppression des fonctions de chefs d'équipe au profit d'emplois de « team leader », d'une part, et de « référents techniques », d'autre part, et ayant notamment donné lieu à consultation du comité d'entreprise lors de ses réunions des 25 mars et 22 mai 2015 et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail lors de ses réunions des 27 mars et 28 avril 2015 ;

- [J] [B] occupait à cette période l'emploi de chef d'équipe au sein du service « PHK » de la SAS JST TRANSFORMATEURS, et a été élu en qualité de délégué du personnel le 8 juin 2015 ;

- la SAS JST TRANSFORMATEURS a procédé au cours du second semestre 2015 à la mise en 'uvre effective de la réorganisation interne qu'elle envisageait, avec la nomination puis la prise de poste en septembre 2015 des nouveaux « team leaders » et « référents techniques » et la régularisation ultérieure des avenants afférents aux contrats de travail des intéressés ;

- [J] [B] a été affecté à compter de septembre 2015 aux fonctions de « monteur équipement référent » au sein de l'unité de production « Montage final », ainsi qu'il ressort notamment des mentions de son compte-rendu d'appréciation du 14 octobre 2015.

Et les affirmations de la SAS JST TRANSFORMATEURS selon lesquelles la réorganisation de sa branche « Puissance » serait intervenue avant l'élection de [J] [B] aux fonctions de délégué du personnel le 8 juin 2015, sont contredites par les explications fournies par ses salariés et représentants à l'inspecteur du travail lors de sa visite dans l'entreprise le 23 mars 2016, dont il ressort notamment que la sélection des salariés nommés aux fonctions de « team leader » et de « référents techniques » nouvellement créées se sont poursuivies jusqu'en juillet 2015, avant mise en 'uvre de la nouvelle organisation à compter du mois de septembre suivant.

Il ressort ainsi des énonciations qui précèdent que, comme relevé par l'inspecteur du travail dans sa correspondance à la SAS JST TRANSFORMATEURS du 12 mai 2016, ensuite de l'enquête réalisée suite aux faits lui ayant été dénoncés au mois de février précédent par les trois salariés de l'entreprise [F] [D], [N] [Y] et [J] [B], que :

- alors qu'il occupait jusqu'alors l'emploi de « chef d'équipe » au coefficient 270 de la convention collective, [J] [B] a été affecté à compter de septembre 2015 sur « un poste d'exécution en montage au service PHK » ;

- et, tandis que les compte-rendus d'entretien d'évaluation de plusieurs collaborateurs qu'il verse aux débats tendent à mettre les fonctions d'encadrement précédemment exercées en qualité de chef d'équipe, le poste auquel a été affecté [J] [B] à compter de septembre 2015 ne comportait « plus aucune responsabilité technique ou managériale, d'autres salariés ayant été désignés « team leader » (Mr [M]) ou « référents production » dans son unité de production « PHK » (dont Mr [C], précédemment monteur référent encadré par Mr [B] ».

Il ressort ainsi de ces constatations que la réorganisation par la SAS JST TRANSFORMATEURS de son activité « Puissance » a eu pour conséquence la modification unilatérale en septembre 2015 du contrat de travail de [J] [B], qui bénéficiait pourtant, depuis le 8 juin précédent, de la protection prévue par les dispositions de l'article L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable.

Or, ainsi que s'en prévaut la SAS JST TRANSFORMATEURS, par exemple dans sa correspondance à l'inspecteur du travail du 13 mars 2017 ou dans l'attestation de [K] [P] du 6 juin 2017 qu'elle verse aux débats, [J] [B] aurait expressément refusé les postes de « team leader » et de référent technique qu'elle lui aurait proposés.

Et, contrairement à ce que tente de soutenir la SAS JST TRANSFORMATEURS, l'acceptation par un salarié protégé d'une modification de son contrat de travail, ou même d'un changement de ses conditions de travail, ne peut résulter ni de l'absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l'intéressé de son travail.

Au demeurant, [J] [B] a dénoncé dès février 2016 à l'inspecteur du travail la modification unilatérale de son contrat de travail par l'employeur à compter du mois de septembre précédent, sans d'ailleurs que, nonobstant l'intervention de l'inspecteur du travail à compter du 22 février 2016 puis la saisine par l'intéressé du conseil de prud'hommes le 29 juillet suivant, la SAS JST TRANSFORMATEURS n'estime devoir procéder à la régularisation de la situation de son salarié.

Et, à l'inverse, tandis que la conclusion d'un contrat de travail emporte pour l'employeur obligation de fourniture du travail, [J] [B] soutient qu'il a progressivement été déchargé de toute activité par son employeur à compter de la saisine du conseil de prud'hommes. Et le compte-rendu de la réunion du comité social économique du 19 novembre 2020 porte mention de l'interpellation de l'employeur par les représentants du personnel, à la demande de [F] [D], [N] [Y] et [J] [B], quant à l'absence d'activité dans l'entreprise de ces salariés, et de la réponse leur ayant été apportée par le président selon laquelle « il est clair que c'est une situation que nous n'avons pas souhaitée. C'est une situation que nous subissons et pour laquelle nous n'avons pas véritablement d'autres options que celle que nous suivons maintenant depuis déjà trop longtemps » et selon laquelle « Ils ne sont pas censés ne pas travailler. Ils sont censés continuer à travailler mais dans les faits, les choses sont ce qu'elles sont ». En tout état de cause, la SAS JST TRANSFORMATEURS ne justifie par aucune pièce probante que, à compter de juillet 2016 au moins, elle se serait valablement libérée de son obligation essentielle, découlant du contrat de travail qu'elle avait conclu avec [J] [B], de fournir du travail à son salarié.

Il convient de relever, enfin, qu'alors que l'employeur avait refusé à [J] [B] le bénéfice des dispositions du plan de départs volontaires auquel il avait candidaté au motif que le poste qu'il occupait alors ne faisait pas partie des postes supprimés recensés par l'accord majoritaire du 22 janvier 2015 homologué par la DIRECCTE, la SAS JST TRANSFORMATEURS a procédé dès janvier 2015 à la consultation de ses représentants du personnel sur un nouveau projet de réorganisation qu'elle a finalisé en juin 2015, puis mis en 'uvre à l'automne hors de tout plan de sauvegarde de l'emploi, et qui portait suppression des postes de chef d'équipe.

Il apparaît ainsi, au terme de l'ensemble de ces énonciations, que les manquements de la SAS JST TRANSFORMATEURS à ses obligations découlant du contrat de travail étaient d'une gravité telle, par leur nature, leur persistance dans le temps et leur incidence sur la situation personnelle et professionnelle du salarié, qu'ils empêchaient toute poursuite de la relation de travail.

Dès lors, le jugement déféré doit nécessairement être confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de [J] [B] aux torts de l'employeur.

Et, dès lors que [J] [B] a été élu le 7 juin 2019 en qualité de membre suppléant du comité social et économique, la résiliation judiciaire du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur dont il bénéficie encore à ce jour au titre de ce mandat.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS JST TRANSFORMATEURS à verser à son salarié une indemnité conventionnelle de licenciement, sauf à tenir compte de son ancienneté à la date de rupture de la relation de travail, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés.

Mais, compte-tenu notamment de son ancienneté de plus de 44 années au service de l'employeur, du montant de la rémunération mensuelle brute qu'il percevait, des circonstances de la rupture comme de la capacité personnelle de l'intéressé à retrouver un emploi stable et de même niveau de rémunération, le préjudice subi par [J] [B] à raison de la perte de son emploi peut être plus justement évalué à la somme de 80 000 euros, dont la SAS JST TRANSFORMATEURS lui devra réparation.

Toutefois, si le salarié protégé dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d'une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection en cours au jour de la demande, la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date.

Or, la période de protection dont bénéficiait [J] [B] au titre de son élection en qualité de délégué du personnel le 8 juin 2015, en cours à la date de la saisine du juge prud'homal le 29 juillet 2016, a expiré le 8 décembre 2019, de sorte que le salarié ne peut plus prétendre valablement, depuis cette date, à l'indemnisation d'une quelconque atteinte portée à son statut protecteur.

[J] [B] doit par conséquent être débouté de la demande indemnitaire qu'il formait de ce chef, par infirmation du jugement déféré.

- Sur les demandes accessoires :

La SAS JST TRANSFORMATEURS, partie perdante au sens des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, doit supporter les dépens de l'instance.

Et il serait particulièrement inéquitable, au regard des circonstances de l'espèce et des situations économiques des parties, de laisser à la charge de [J] [B] l'intégralité des sommes qu'il a été contraint d'exposer à nouveau en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu'il convient de condamner la SAS JST TRANSFORMATEURS à lui verser la somme de 2 000 euros par application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SAS JST TRANSFORMATEURS à réparation de l'atteinte au statut protecteur de son salarié

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions pour le surplus, sauf :

- à dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail produira les effets d'un licenciement nul à la date du présent arrêt,

- à porter à quatre-vingt mille euros (80 000 euros) outre intérêts au taux légal sur la somme de 48 000 euros à compter du 14 mars 2019, et cinquante-quatre mille cent quatre-vingt-sept euros et quarante-sept centimes (54 187,47 euros), outre intérêts au taux légal à compter du 16 août 2016, les sommes respectivement dues à [J] [B] par la SAS JST TRANSFORMATEURS à titre de réparation du préjudice né de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, d'une part, et d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'autre part ;

- à fixer le point de départ de l'astreinte provisoire assortissant l'injonction faite à l'employeur de délivrer à l'intéressé des documents de fin de contrat rectifiés à l'expiration d'un délai d'un mois à compter du prononcé du présent arrêt ;

Statuant de nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

DÉBOUTE [J] [B] de sa demande indemnitaire au titre de la violation de son statut protecteur ;

CONDAMNE la SAS JST TRANSFORMATEURS à verser à [J] [B] la somme de deux mille euros (2 000 euros) par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DÉBOUTE la SAS JST TRANSFORMATEURS de la demande qu'elle formait sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

CONDAMNE la SAS JST TRANSFORMATEURS au paiement des dépens de l'instance d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/02370
Date de la décision : 06/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-06;19.02370 ?
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