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29/06/2022 | FRANCE | N°19/00535

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 29 juin 2022, 19/00535


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 19/00535 - N° Portalis DBVX-V-B7D-ME3W



[F]

C/

Société EUROFINS BIOMNIS



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 10 Janvier 2019

RG : F15/03793







COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 29 JUIN 2022







APPELANT :



[H] [F]

né le 27 Août 1966 à [Localité 5] (MAROC)

[Adresse 1]

[Localité 4

]



représenté par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société EUROFINS BIOMNIS

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/00535 - N° Portalis DBVX-V-B7D-ME3W

[F]

C/

Société EUROFINS BIOMNIS

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 10 Janvier 2019

RG : F15/03793

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 29 JUIN 2022

APPELANT :

[H] [F]

né le 27 Août 1966 à [Localité 5] (MAROC)

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Mélanie SCHLITTER de la SELARL ADJERAD AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société EUROFINS BIOMNIS

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

et ayant pour avocat plaidant Me Carole CODACCIONI de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Audrey LANCON, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Avril 2022

Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière à laquelle.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Joëlle DOAT, présidente

- Nathalie ROCCI, conseiller

- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur [H] [F] a été embauché par la société Biomnis, suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er septembre 2008, en qualité de cadre scientifique.

Le 2 juin 2015, la société Biomnis a notifié à M. [F] une mise à pied disciplinaire de trois jours, qu'il a contestée par lettre de son avocat du 14 septembre 2015.

Par requête en date du 9 octobre 2015, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant d'annuler la mise à pied disciplinaire et de condamner la société Biomnis à lui verser un rappel de salaire sur mise à pied et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le 27 mars 2017, la société Biomnis a convoqué M. [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 5 avril 2017, et lui a notifié une mise à pied conservatoire.

Par lettre en date du 14 avril 2017, le société Biomnis a notifié à M. [F] son licenciement pour faute grave.

Au dernier état de la procédure devant le conseil de prud'hommes, M. [F] a demandé en outre que la société Biomnis soit condamnée à lui verser des indemnités et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 10 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

- dit qu'il n'y a pas d'exécution déloyale du contrat de travail de la part de la société Biomnis à l'égard de monsieur [H] [F] ;

- débouté monsieur [H] [F] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- prononcé l'annulation de la mise à pied disciplinaire prononcée le 2 juin 2015 ;

- condamné la société Biomnis à payer à monsieur [H] [F] la somme de 923,73 euros au titre du salaire dû pour la période de mise à pied ;

- condamné la société Biomnis à payer à monsieur [H] [F] la somme de 92,37 euros au titre des congés payés dûs pour la période de mise à pied;

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de monsieur [H] [F] est fondé ;

- débouté monsieur [H] [F] de ses demandes au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- débouté monsieur [H] [F] de sa demande de remise de bulletin de paie rectifié ;

- condamné la société Biomnis à verser à monsieur [H] [F] la somme de 500  euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- jugé qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire au-delà de celle prévue à l'article R.1454-2 code du travail et ordonné l'exécution provisoire de droit ;

- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail....) ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R.1454-14 du code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que la moyenne brute des salaires des trois derniers mois doit être fixée à la somme de 5 205,23 euros ;

-rappelé que les intérêts courent de plein droit aux taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées;

- ordonné la capitalisation des intérêts légaux un mois après la signification du présent jugement;

- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la société Biomnis aux entiers dépens.

M. [F] a interjeté appel de ce jugement, le 22 janvier 2019.

Il demande à la cour :

- d'infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il :

a dit qu'il n'y a pas d'exécution déloyale du contrat de travail de la part de la société Biominis à son égard ;

l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

a dit et jugé que son licenciement pour faute grave est fondé ;

l'a débouté de ses demandes au titre de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

l'a débouté de sa demande de remise de bulletin de paie rectifié.

- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a:

prononcé l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 2 juin 2015 ;

condamné la société Biomnis à lui payer la somme de 923,73 euros au titre du salaire dû pour la période de mise à pied ;

condamné la société Biomnis à lui payer la somme de 92,37 euros au titre des congés payés dus pour la période de mise à pied ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

- de constater l'exécution déloyale du contrat de travail de la société Biomnis,

- de constater la nullité de la mise à pied notifiée le 2 juin 2015

En conséquence,

- de condamner la société Biomnis au paiement des sommes suivantes :

rappel de salaire sur mise à pied disciplinaire (3 jours) du 8 au 10 juin 2015: 923,73 euros

indemnité de congés payés afférents : 93,27 euros

dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 70 000 euros

- de constater que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse

- de condamner la société Biomnis au paiement des sommes suivantes :

indemnité de licenciement : 10 125,58 euros

indemnité compensatrice de préavis : 17 422,68

indemnité de congés payés afférents : 1 742,26 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

70 000 euros

article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros

- de débouter la société Biomnis de ses demandes reconventionnelles

- de condamner la société Biomnis à remettre un bulletin de paie rectifié en fonction des condamnations à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt ;

- de rappeler que les sommes porteront intérêt à compter de la saisine du conseil des prud'hommes pour les sommes à caractère indemnitaire et à compter du prononcé du licenciement pour les sommes à caractère salarial en application de l'article 1154 du code civil,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'anatocisme.

La société Biomnis demande à la cour :

- de réformer le jugement en ce qu'il :

a prononcé l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 2 juin 2015 notifiée à monsieur [H] [F] ;

l'a condamnée à payer à monsieur [H] [F] la somme de 923,73 euros au titre du salaire dû pour la période de mise à pied ;

l'a condamnée à payer à monsieur [H] [F] la somme de 92,37 euros au titre des congés payés dus pour la période de mise à pied ;

l'a condamnée à payer à monsieur [H] [F] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

l'a condamnée aux entiers dépens ;

l'a déboutée de sa demande de condamnation de monsieur [H] [F] à la somme de 5 000 euros pour procédure abusive.

statuant à nouveau :

- de constater le bien fondé de la mise à pied disciplinaire du 2 juin 2015 notifiée à monsieur [H] [F] ;

- de condamner monsieur [H] [F] à la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

- de confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 mars 2022.

SUR CE :

Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail

En application de l'article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Le salarié invoque les manquements suivants commis par l'employeur dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail:

1) lui avoir dénié le titre de responsable du département Recherche et Développement (R&D) et de membre de la direction du département R&D

2) l'avoir progressivement mis au placard  

3) l'avoir sanctionné d'une mise à pied disciplinaire de trois jours injustifiée.

Il fait valoir que l'attitude de la société a dégradé son état de santé.

1) M. [F] se fonde sur :

- une note d'information en date du 17 décembre 2012, aux termes de laquelle la société informe de « la mise en place du département recherche et développement R&D au sein de la BU1 », composé d'un certain nombre de personnes, dont « [H] [F] (Responsable du département) qui coordonnera le département R&D en lien étroit avec les biologistes du groupe et en s'appuyant sur les différents services support

- une copie tronquée d'un texte signé par ses soins en 'février 2013" dont l'objet est d'annoncer la création du département Recherche et Développement sous l'égide du professeur [Z], directeur scientifique du laboratoire

- l'envoi à ses collègues, par courriel en date du 3 octobre 2013 signé '[H] [F] direction Recherche et Développement', du plan de déploiement concernant le test de la mucoviscidose sur NGS, constitué d'un tableau contenant l'encadré suivant : projet R&D, project leader : [H] [F], équipe projet : huit personnes (dont lui-même)

- l'organigramme daté du 10 janvier 2013 comprenant une case 'direction Recherche et Développement' qui ne mentionne pas le nom du responsable.

Ces pièces sont insuffisantes à démontrer que M. [F] a, comme il le prétend, été nommé en décembre 2012 au poste de responsable du département R&D, puis évincé de cette fonction, en l'absence d'autres éléments de nature à déterminer que la société a effectivement créé un tel poste au profit de M. [F] à compter de décembre 2012 et que le salarié aurait assumé depuis cette date et tout au long de la relation contractuelle des fonctions de directeur de département R&D en plus de celles de cadre scientifique, poste auquel il avait été embauché.

Le manquement allégué n'est dès lors pas établi.

2) Les quelques courriels sortis de leur contexte produits par M. [F] à l'appui de ce grief, datés de septembre 2013, février 2014, mai 2014, mai et juin 2015, ne montrent pas qu'il a été mis à l'écart de projets auxquels il avait participé, ni qu'il était censé recevoir les informations qu'il reproche à l'employeur de ne pas lui avoir transmises et dont il a eu connaissance par l'intermédiaire de son collègue, M. [I], qui lui a transféré les messages.

Les témoignages de Mme [W], collègue médecin de M. [F], et de M. [I], directeur du département achats, dont il ressort que l'intention de la direction était de faire partir [H] , M. [I] attestant 'j'ai été mis dans la confidence le 14 février 2014 que M. [F] allait être doublé dans son poste par Mme [S]; pour Mme [A], supérieure directe de Mme [S] et de M. [F], et en accord avec la direction générale, il s'agit de pousser à terme [H] vers la sortie et peut-être même s'approprier le département. Fin juillet 2014, alors que [H] [F] est encore en arrêt-maladie , M. [M] me dit 'ça va chauffer pour [H] à la rentrée. Lors d'un message du PDG de Biomnis pour féliciter le travail accompli, on peut noter l'évitement à féliciter [H] en direct', sont trop généraux et subjectifs, aucun fait précis n'étant mentionné, pour démontrer l'existence de la mise à l'écart reprochée.

Le courriel du 12 juin 2013 par lequel la directrice de M. [F] lui écrit 'n'oublie pas que nous attendons les fiches projet tous les quinze jours et surtout le plan de projet en attente depuis le 24 avril' n'est pas susceptible non plus de démontrer l'existence d'une mise à l'écart par la remise en cause des compétences du salarié, pas plus que le témoignage de M. [L], devenu le supérieur hiérarchique de M. [F] en mars 2015 selon lequel il lui a été demandé un « état d'avancement sur le travail de [H], ainsi qu'une confirmation de sa présence au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas demandé pour [N] ,l'autre cadre scientifique du service», demande qui n'excède pas les prérogatives que détient l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction et de contrôle du salarié.

Les éléments ainsi apportés par M. [F] et ses propres observations retranscrites dans son entretien professionnel du 19 juillet 2015 ('sentiment de harcèlement moral de la part de la direction durant une période de maladie chronique lié au stress engendré par la direction') ne permettent pas de prouver que, comme il le soutient, il a 'progressivement été mis au placard'.

3) Aux termes des articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail, le juge prud'homal peut, au vu des éléments retenus pour prendre la sanction fournis par l'employeur et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, annuler une sanction irrégulière en la forme, injustifiée, ou disproportionnée à la faute commise.

La liberté d'expression est une liberté publique reconnue par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Selon l'article L1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en-dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Par lettre du 2 juin 2015 faisant suite à un entretien disciplinaire tenu le 13 mai 2015, la société a notifié à M. [F] une mise à pied disciplinaire de trois jours pour avoir envoyé à sa directrice de site, Mme [A], le 20 mars 2015, un courriel contenant des propos « extrêmement graves, insultants et irrespectueux, cela étant d'autant plus intolérable que vous avez mis en copie de vos dénigrements plusieurs autres personnes'.

Les échanges de courriels produits font apparaître que :

- le 20 mars 2015, la directrice, Mme [A], a adressé des demandes de correction à des salariés qui lui avaient transmis un poster en vue de sa relecture. L'une de ses remarques portait sur l'ordre dans lequel devaient être mentionnés les auteurs de ce travail

- M. [F] auquel l'un des destinataires a transféré ce courriel qui ne lui était pas adressé car il se trouvait en arrêt de travail, a répondu à Mme [A] en contestant le bien-fondé de cette remarque et conclu ainsi qu'il suit : 'je sais très bien que tu souhaites m'écarter de toutes les activités du laboratoire, mais tu ne dois pas dépasser certaines limites.'

- Mme [A] lui a répondu qu'elle maintenait sa position, en ajoutant 'quant à la dernière phrase, tes insinuations sont tout simplement inadmissibles. Nous en reparlerons à ton retour.'

- M. [F] a répliqué à Mme [A], en mettant en copie les interlocuteurs initiaux (six personnes) en des termes repris à la lettre de sanction ainsi qu'il suit :

« Je pense que ce qui est inadmissible, c'est ton acharnement et ton mode de fonctionnement qui se veut autoritaire et totalement démesuré que tu souhaites imposer aux gens du laboratoire. Je te signale qu'à chaque fois que nous avons un projet à traiter tu veux t'imposer et tu fais marche arrière (...) ' « Tu as visiblement un problème avec moi il va falloir que tu me l'expliques à un moment où à un autre ! », puis dans un autre mail : « je te laisse relire tes cours de management ».

M. [F] a également écrit dans le courriel litigieux :'Je vais prendre rendez-vous avec M. pour clarifier ton rôle avec moi et surtout ce mode de fonctionnement totalement irrespectueux et menaçant que tu prends à mon égard. Je te rappelle que ce travail a été fait avec [P] qui est actuellement à l'extérieur de Biomnis et moi-même qui (suis) en congé-maladie et tu trouves le moyen de l'importuner pendant mon congé-maladie. Etant donné que c'est un travail que j'ai réalisé, je maintiens ma position sur l'ordre des auteurs et sur le reste', puis dans un troisième courriel au cours du même échange : il va bien falloir m'expliquer ton acharnement sur ma personne depuis que tu es nommée à ce poste. Je pense que tu n'es pas bien placée pour t'adresser à moi directement car tu ne respectes pas l'ordre précisément établi par tes soins sur l'organigramme. Je constate que tu n'arrêtes pas d'accumuler les erreurs à mon égard. Je vais prendre rendez-vous avec (...) pour que tu m'expliques tes démarches complètement hasardeuses et nuisibles à mon égard pendant cette période de maladie que tu as du mal à respecter.

Ces propos adressés par M. [F] à sa supérieure hiérarchique, réitérés, avec copie à plusieurs autres salariés, alors que les remarques de la seconde ayant suscité les réactions du premier ne lui étaient pas adressées personnellement et ne mettaient pas en cause ses compétences et que les réponses de la directrice ont été formulées en des termes mesurés, comportaient ainsi des éléments injurieux, diffamatoires ou excessifs, excédant le droit de critique ou de contestation reconnu au salarié et caractérisant un abus de sa liberté d'expression.

En conséquence, la mise à pied disciplinaire de trois jours était justifiée et proportionnée à la faute.

C'est à tort que le conseil de prud'hommes a annulé la sanction et condamné l'employeur à rembourser la retenue de salaire appliquée. Ces demandes doivent être rejetées et le jugement infirmé de ces chefs.

Le salarié n'ayant pas démontré l'existence de fautes commises par l'employeur constitutives d'une exécution déloyale du contrat de travail, la demande de dommages et intérêts doit être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur le licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L.1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la période de préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en apporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement du 14 avril 2017, la société Biomnis reproche au salarié:

- le non-respect de son obligation professionnelle d'exclusivité en exerçant une autre activité professionnelle pour votre profit personnel et celui de proches, en lien avec celle réalisée au sein de la société Biomnis, sans information, ni autorisation préalable de votre employeur

- le non-respect de son obligation contractuelle de confidentialité en ayant connaissance et accès et en utilisant des informations importantes pour notre activité commerciale dans le cadre de vos fonctions au sein de la société Biomnis, les noms des autres concurrents fournisseurs, les prix et les offres pratiqués, le 'business', les besoins de la société Biomnis

- son manquement à l'obligation de loyauté inhérente à son contrat de travail :

en développant une activité professionnelle en relation avec la société Biomnis et son environnement commercial sans en informer sa hiérarchie, en accomplissant cette activité extérieure par l'intermédiaire d'une société de sorte qu'il n'apparaissait pas de manière claire dans la relation commerciale, ce qui constitue une tromperie et révèle un certain manque d'éthique et de probité, en créant une situation de conflit d'intérêts évidente (à la fois client par vos fonctions et fournisseur) en pratiquant des conditions tarifaires fournisseurs qui vous sont très favorables au détriment de la société Biomnis.

Le contrat de travail signé par M. [F] le 29 août 2008 contient les clauses suivantes :

- article 9 confidentialité : Monsieur [H] [F] sera tenu à la plus grande discrétion professionnelle à l'égard des tiers pour tout ce qui concerne l'exercice de ses fonctions et pour tout ce qui a trait à l'activité du laboratoire : organisation, méthodes, résultats, projets, clients, fournisseurs, et en particulier l'obligation du secret médical pour tout ce qui regarde les informations concernant les patients.

Cette obligation de discrétion professionnelle est valable aussi bien pendant la collaboration des parties qu'à l'issue de celle-ci, quelle que soit la partie à l'initiative de la rupture 

- article 10 obligation d'exclusivité et de fidélité  : pendant la durée du présent contrat, Monsieur [H] [F] ne pourra accepter aucune autre occupation professionnelle de quelque nature que ce soit, sans une autorisation préalable et expresse du laboratoire.

Le 26 septembre 2011, M. [F] et son épouse Mme [G] ont créé la société à responsabilité limitée Appolon Bioteck ayant pour objet  l'achat, la transformation, la vente en gros ou en détail de tous produits nécessaires au diagnostic biologique, de tous matériels ou appareils de laboratoire, de biologie médicale, ainsi que de toutes préparations pour l'usage de la médecine humaine ou vétérinaire et  les services et recherche-développement en biotechnologie.

Les époux possédaient respectivement 90 et 10 des 100 parts sociales de la société.

Mme [G] épouse [F] a exercé la gérance de la société jusqu'au 6 août 2013, date à laquelle elle a donné sa démission pour être remplacée par le docteur [R] (ancien salarié de la société Biomnis) lequel a acquis 24 parts sociales de la société à la suite d'une augmentation du capital.

A partir du 1er octobre 2012, la société est devenue fournisseur de la société Biomnis.

M. [F] soulève la prescription des griefs figurant dans la lettre de licenciement, au motif que la société Biomnis a toujours été informée de ses liens avec la société Appolon Bioteck, plus précisément que M. [B] [Y], président de la société Biomnis, a toujours eu connaissance de ces liens, puisqu'il 'avait connaissance de la position (de M. [F]) au sein de la société Appolon Bioteck dans le cadre de son emploi précédent occupé au sein du laboratoire Biolor, dès juin 2014".

La société Biomnis expose qu'aux mois de février et mars 2017, elle a constaté que l'un de ses fournisseurs, la société Appolon Bioteck, était dirigé par Mme [G], épouse de M. [F], et a réalisé que les fonctions exercées par M. [F] au sein de l'entreprise lui avaient permis de faire prospérer à son profit ses sociétés, au mépris d'un conflit manifeste d'intérêt envers son employeur.

Elle soutient qu'avant cette date, elle ignorait que M. [F] avait une activité parallèle lucrative en lien avec son contrat de travail.

Pour établir la connaissance par l'entreprise de ses liens avec la société Appolon Bioteck plus de deux mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, M. [F] s'appuie :

- sur un courriel que M. [B] [Y] lui a envoyé le 25 juin 2014 depuis une adresse électronique Biolor, dans lequel il lui écrit : 'je suis en contact avec ta société Appolon Biotek pour réinternaliser (...) Nous ne souhaitons pas au démarrage investir dans le scanner et la centrifugeuse' et sur un échange de courriels daté d'avril 2014 entre M. [Y] représentant la société Biolor et M. [D] représentant la société Appolon Bioteck, M. [Y] sollicitant des informations sur les conditions de vente des kits de tests de cette société

- sur l'attestation de M. [I], directeur des achats, selon laquelle un dîner a été organisé entre M. [Y], M. [F] et lui-même le 14 octobre 2015, afin d'évoquer la présence de la société Appolon Bioteck comme fournisseur de Biomnis et le statut de M. [F] chez Biomnis, M. [Y] devenant le 15 octobre 2015 président de Biomnis : 'lors de ce dîner, M. [F] a proposé à M. [Y] de se mettre en retrait de Biomnis afin d'éviter pour M. [Y] une position délicate. M. [Y] n'a pas souhaité ce départ et n'a pas non plus demandé d'arrêter les relations commerciales avec la société Appolon Bioteck. M. [Y] m'a demandé de m'assurer qu'Appolon Bioteck nous appliquait les meilleurs prix possibles par rapport au marché, ce que je faisais et allais continuer à faire'.

M. [Y] admet dans son attestation, d'une part qu'il avait pris contact avec la société Appolon Bioteck à l'époque à laquelle il travaillait dans le laboratoire Biolor car il était intéressé par des réactifs vendus par cette société, d'autre part qu'un dîner a bien eu lieu le 14 octobre à l'initiative de M. [I] en présence de M. [F].

Il atteste que l'objet de ce dîner était de lui présenter M. [F] qu'il n'avait jamais rencontré auparavant et d'évoquer les problématiques rencontrées par le département de génétique et le rôle occupé par M. [F] dans une organisation qui avait connu le départ d'un praticien clé, et qu'à aucun moment, ils n'ont évoqué la relation commerciale entre Biomnis et Appolon Teck.

M. [Y] confirme ainsi que, lors de la rencontre organisée par le directeur des achats de la société Biomnis, dont il était lui-même le président à cette date, il savait que M. [F], salarié de Biomnis, était en même temps associé de la société Appolon Teck qui vendait des produits, appareils et matériels destinés aux laboratoires de biologie, société avec laquelle il avait déjà eu des contacts commerciaux dans son précédent poste.

Toutefois, M. [F] ne démontre pas qu'il a effectivement et officiellement informé son employeur de sa participation au capital social de la société Appolon Bioteck et de ce que son épouse en exerçait la gérance, à la date à laquelle le contrat de référencement de la société a été souscrit, le 1er octobre 2012, ni postérieurement à cette date quand la société Appolon Bioteck a continué à entretenir des relations d'affaires régulières avec la société Biomnis.

Le fait que le président des laboratoires Biomnis, M. [Y], ait eu connaissance le 14 octobre 2015 des liens entre M. [F], salarié de Biomnis, et la société Appolon Bioteck ne permet pas d'en déduire que la société était officiellement informée de l'existence de relations commerciales entre sa centrale d'achat et la société Appolon Bioteck dont M. [F] était l'associé principal lorsque ces relations ont commencé (le 1er octobre 2012) et se sont poursuivies.

M. [I], le directeur des achats, a lui-même été licencié par la société Biomnis le 20 juin 2017, pour avoir notamment entretenu des 'relations commerciales douteuses à l'avantage d'un salarié de l'entreprise et au détriment-même de la société Eurofins Biomnis et du groupe'.

Dans ces conditions , les griefs de non-respect des obligations d'exclusivité, de confidentialité et de loyauté n'étaient pas prescrits à la date de l'engagement de la procédure de licenciement.

Il ressort des éléments versés aux débats par la société Biomnis que :

- la société Appolon Bioteck a été sélectionnée en qualité de fournisseur à compter du 1er octobre 2012 et jusqu'au 31 décembre 2014, alors qu'elle n'avait eu aucune activité, ni revenu au cours du premier trimestre 2012 comme en atteste le procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 14 juin 2012 ; or, selon la fiche de sélection et d'évaluation des fournisseurs de la société Biomnis, la sélection impose une évaluation initiale dans certains domaines, dont celui de  la solidité financière de l'entreprise

- le 29 mars 2013, M. [I], directeur des achats, a informé M. [F] du montant du budget fixé pour l'achat d'un équipement (NGS MiSeq) et le 21 mai 2013, la société Appolon Biotek a soumis à la centrale d'achat un devis de vente pour le prix correspondant

- le 1er octobre 2013, la société Appolon Bioteck a envoyé directement à M. [F] un devis concernant la vente de ses produits

- le 5 février 2016, M. [I], directeur des achats, a transféré à M. [F] le devis d'une entreprise concurrente de la société Appolon Bioteck

- M. [F] a écrit lui-même à la société Appolon Bioteck le 10 mars 2016 : 'pouvez-vous m'adresser un devis concernant vos contrôles NIPT sachant que notre activité est de 130 tests par semaine ''

- par courriel du 31 mai 2016, la société Appolon Biotek a confirmé à M. [I] qu'elle lui avait présenté à l'occasion de leur entretien ses catalogues avec ses nouvelle gammes de produits, précisant qu'elle était en mesure de proposer par exemple des kits d'amplification PCR en temps réel pour le diagnostic de l'hémochromatose avec les 3 mutations (...)»; la société Biomnis affirme qu'il s'agissait d'un nouveau besoin du laboratoire, dont seuls ses collaborateurs pouvaient avoir connaissance

- le 18 avril 2017, une salariée de la société Biomnis informe ses collègues de l'existence d'une offre de vente de kits de tests HLA B27 par une société au prix de 1 250 euros pour 500 tests sans négociation alors que la société Appolon proposait un prix de 1 800 euros hors taxe pour le même volume.

Il est également établi par le procès-verbal de l'assemblée générale mixte de la société Apollon Bioteck en date du 19 mai 2017, déposé au greffe du tribunal de commerce de Lyon le 26 juin 2017, qu'au 31 décembre 2016, M. [F] avait perçu des salaires nets pour un total de 47 898 euros et des remboursements de frais pour 19 086 euros, en vertu d'un contrat de travail.

Or, M. [F] admet qu'il n'a jamais demandé à la société Biomnis l'autorisation préalable et expresse d'exercer une autre activité professionnelle, qui plus est dans une entreprise fournisseur de son employeur.

La société Biomnis rapporte ainsi la preuve de ce que M. [F] a utilisé sa position de salarié de l'entreprise, sa connaissance des besoins, méthodes et conditions de vente de celle-ci et ses liens avec le directeur des achats pour développer des relations commerciales entre, d'une part une société dont il était l'associé majoritaire, ainsi que le salarié (à tout le moins sur l'année 2016) et dont il est devenu le président le 19 mai 2017 un mois après son licenciement, d'autre part son employeur Biomnis, et ainsi favoriser les intérêts de son entreprise.

Ces agissements de M. [F] caractérisent à eux seuls un manquement grave de ce dernier à ses obligations de loyauté, de confidentialité et d'exclusivité qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise, même pendant la période du préavis.

Il convient de confirmer le jugement qui a dit que le licenciement pour faute grave de M. [F] était justifié et qui a rejeté ses demandes en paiement d'indemnités et de dommages et intérêts consécutifs à la rupture du contrat de travail.

Sur la demande reconventionnelle

La société Biomnis fait valoir, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, que le présent litige illustre la mauvaise foi du salarié qui instrumentalise la justice aux seules fins de percevoir de substantielles indemnités et que cette situation caractérise l'abus de droit d'ester en justice.

Mais dès lors que la défense en justice de ses intérêts représente pour chacun un droit qui n'est susceptible d'engager la responsabilité de celui qui en fait usage qu'en cas d'abus ou d'intention de nuire, ce dont la société Biomnis ne rapporte pas la preuve en l'espèce, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

M. [F], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a annulé la mise à pied disciplinaire du 2 juin 2015 et condamné la société Biomnis à payer à M. [F] un rappel de salaire et une indemnité de congés payés afférente

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,

REJETTE la demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire

REJETTE la demande en paiement d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied et d'une indemnité de congés payés afférente

CONDAMNE M. [F] aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/00535
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;19.00535 ?
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