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17/06/2022 | FRANCE | N°19/05087

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 17 juin 2022, 19/05087


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 19/05087 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPYF





Société LOOMIS TRAITEMENT DE VALEURS



C/



[L]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 09 Juillet 2019

RG : 17/02611

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 17 JUIN 2022



APPELANTE :



Société LOOMIS TRAITEMENT DE VALEURS

[Adresse 1]

[Adresse 1]>
[Localité 3]



Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Hugues PELISSIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON subs...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/05087 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPYF

Société LOOMIS TRAITEMENT DE VALEURS

C/

[L]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 09 Juillet 2019

RG : 17/02611

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 17 JUIN 2022

APPELANTE :

Société LOOMIS TRAITEMENT DE VALEURS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Hugues PELISSIER de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substitué par Me Angélique CARET, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

[J] [L]

né le 23 Mars 1984 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON

Ayant pour avocat plaidant Me Karine THIEBAULT de la SELARL CABINET KARINE THIEBAULT, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Patricia GONZALEZ, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Catherine CHANEZ, Conseiller

Assistées pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente, et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DU LITIGE

La société Prosegur Traitement de valeurs, devenue la société Loomis Traitement de valeurs, exerce une activité de transport de fonds.

La convention collective nationale applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

M. [L] a été embauché par la société Valtis le 23 juin 2008 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée, en qualité de convoyeur-garde. La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

La société Valtis a été cédée à la société Prosegur Traitement de Valeurs devenue la société Loomis Traitement de Valeurs et le contrat de travail de M. [L] a été transféré à la société Prosegur Traitement de Valeurs (et ci-après société Prosegur) le 1er juin 2014.

Par courrier du 2 juin 2017, la société Prosegur a convoqué M. [L] à un entretien préalable fixé le 16 juin 2017. Cette convocation a été assortie d'une mise à pied conservatoire.

Par courrier du 23 juin 2017, la société Prosegur a notifié à M. [L] un licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

'Le 30 mai 2017, vous étiez planifié de 05h00 à 12h00 sur une tournée en mode de transport AXYTRANS et sur une tournée en véhicule léger (VL). Lors de votre prise de service, votre responsable hiérarchique vous a demandé de réaliser dans un premier temps votre tournée Axytrans puis à l'issue de celle-ci votre tournée VL conformément à votre planification.

Vous avez refusé et vous vous êtes mis en colère et avez décrété que « puisque c'est comme ça, je rentre chez moi et je me mets en arrêt maladie ''.

Vous avez abandonné votre poste de travail et nous avons reçu un arrêt maladie du 30 mai au 12 juin 2017.

Lors de votre entretien, vous n'avez pas reconnu les faits, car vous avez nié vous être mis en colère contre (votre) responsable hiérarchique, et avez indiqué ne pas être parti en tournée pour des raisons de santé.

Cependant, à aucun moment lors de votre présence sur site ce jour-là, vous nous avez indiqué être souffrant. En revanche, vous avez annoncé, dès votre refus d'exécution, que vous seriez très prochainement en arrêt de travail.

De par votre comportement, vous avez sciemment refusé de réaliser une mission relevant de votre poste de convoyeur de fonds, alors même que vous aviez été préalablement informé de cette tournée. votre responsable hiérarchique vous avait notamment précisé que vous ne finiriez pas après 12h.

En violation de l'exécution de votre contrat de travail, vous avez refusé d'exécuter votre prestation de travail pendant vos horaires.

Vous avez donc volontairement abandonné votre poste de travail, ce qui a perturbé le fonctionnement normal de l'entreprise et engendre des conséquences pour notre activité :

-Mise en difficulté des plannings du service transport

-Remise en cause de notre crédibilité auprès de votre équipe,

-Nécessité de vous remplacer

-Difficulté relationnelle avec le client.

Votre comportement est ainsi particulièrement grave au regard de votre ancienneté, de vos obligations professionnelles et de votre activité'

Par requête reçue au greffe le 1er septembre 2017, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en contestation de son licenciement et aux fins d'obtenir le versement de sommes à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement rendu le 9 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon en sa formation de départage a :

-débouté M. [L] de sa demande de nullité de son licenciement,

-débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits constitutionnels de se syndiquer et de faire grève,

-dit que le licenciement dont M. [L] a fait l'objet de la part de la société Loomis Traitement de valeurs est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-condamné en conséquence la société Prosegur Traitement de valeurs à verser à M. [L] les sommes :

avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2017, date du bureau de conciliation,

-3.788,88 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 378,84 euros bruts au titre des congés payés afférents,

-3.472,41 euros à titre d'indemnité de licenciement,

-1.455,10 euros bruts de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée et 145,51 euros bruts au titre des congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

-16.960 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-ordonné le remboursement par la société Prosegur Traitement de Valeurs aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [L] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence d'un mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail,

-dit que le secrétariat greffe en application de l'article R1235-2 du code du travail adressera à la direction générale à Pôle emploi une copie certifiée conforme du jugement en précisant si celui-ci a fait ou non l'objet d'un appel,

-dit que la société Prosegur Traitement de Valeurs délivrera à M. [L] l'ensemble des documents de travail et de rupture rectifiés conformes à la présente décision, dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente,

-débouté les paries du surplus de leurs demandes,

-condamné la société Prosegur Traitement de Valeurs à verser à M. [L] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

-condamné la société Prosegur Traitement de valeurs aux dépens de la présente instance,

-rappelé qu'en application de l'article R.1461-1 du code du travail, la présente décision est susceptible d'appel dans un délai d'un mois à compter de sa notification.

Par déclaration en date du 17 juillet 2019, la société Prosegur Traitement de Valeurs a interjeté appel de ce jugement.

* * *

Aux termes de ses conclusions en date du 21 avril 2020, la société Prosegur Traitement de Valeurs demande à la cour de :

-confirmer le jugement de départage du 9 juillet 2019 en ce qu'il a :

-débouté M. [L] de sa demande de nullité de son licenciement,

-débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits constitutionnels de se syndiquer et de faire grève,

-infirmer le jugement de départage du 9 juillet 2019 en ce qu'il :

-dit que le licenciement dont M. [L] a fait l'objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-condamné en conséquence à verser à M. [L] les sommes de :

avec intérêts au taux légal à compter du 13 octobre 2017, date du bureau de conciliation,

-3.788,88 euros bruts a titre d'indemnité compensatrice de préavis, et 378,84 euros bruts au titre des conges payes afférents,

-3.472,41 euros à titre d'indemnité de licenciement,

-1.455,10 euros bruts de rappel de salaire pour mise à pied injustifiée, et 145,51 euros bruts au titre des congés payés afférents,

-avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,

-16.960 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-ordonné le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [L] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence d'un mois dans les conditions prévues à l'article L.1235-4 du code du travail,

-dit qu'elle délivrera à M. [L] l'ensemble des documents de travail et de rupture rectifiés conformes à la présente décision, dans un délai de deux mois suivant la notification de la présente,

-débouté les parties du surplus de leurs demandes,

-la condamné à verser à M. [L] la somme de 1.500 euros sur ie fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-la débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code cie procédure civile,

-ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

-la condamné aux dépens de la présente instance,

-dire et juger que le licenciement de M. [L] repose sur une faute grave,

-débouter, par conséquent, M. [L] de l'intégralité de ses demandes,

-condamner M. [L] à lui verser la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

-condamner M. [L] aux entiers dépens.

* * *

Aux termes de ses conclusions en date du 10 janvier 2020, M. [L] demande à la cour de :

A titre principal et réformant le jugement entrepris :

-dire et juger que son licenciement notifié le 23 juin 2017 est nul pour être intervenu à raison de son activisme syndical et de sa participation à la grève de septembre et octobre 2015 ;

-condamner la société Loomis Traitement de Valeurs à lui verser la somme de 29.763 euros équivalent à 15 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

-condamner la société Loomis Traitement de Valeurs à lui verser à M. [L] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ensuite de l'atteinte à ses droits constitutionnels de se syndiquer et de faire grève,

A titre subsidiaire :

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement notifié le 23 juin 2017 ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse ;

-porter le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 29.763 euros (15 mois de salaire),

En tout état de cause

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

-condamné la société Loomis Traitement de valeurs à lui verser les sommes suivantes :

-rappel de salaire pendant mise à pied du 2 au 24 juin 2017 (soit 22 jours) : 1.455,10 euros bruts,

-congés payés sur rappel de salaire pendant mise à pied : 145,51 euros bruts,

-indemnité compensatrice de préavis équivalente à 2 mois de salaire : 3.788,88 euros bruts,

-congés payés sous préavis : 378,84 euros bruts,

-indemnité de licenciement correspondant à une ancienneté de 8 ans et 9 mois acquise au terme du préavis : 3.472,41 euros,

-1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure de première instance,

Y ajoutant :

-condamner la société Loomis Traitement de valeurs à lui verser la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à titre de participation à ses frais de défense en cause d'appel,

-condamner la société Loomis Traitement de valeurs aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du licenciement

En vertu de l'article 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français'.

M. [L] soutient que son licenciement est nul car il est intervenu en raison de son engagement syndical auprès de la CGT et de l'exercice de son droit de grève, et fait valoir que :

-il était syndiqué depuis 2011 et a milité dans l'entreprise à ce titre,

-il a participé à un mouvement de grève du 10 septembre au 14 octobre 2015, en raison de revendications salariales,

-la société a tenté de faire expulser les grévistes en initiant des procédures de référé qui se sont révélées infructueuses ; elle n'a pas respecté les termes du protocole de fin de grève signé le 14 octobre 2015,

-la société a gardé un ressentiment à l'égard des salariés grévistes, ce que confirme un rapport d'expertise pour risques concluant au fait que l'appartenance à un syndicat ou le fait d'avoir participé à la grève de 2015 était un facteur d'exposition à des risques psychosociaux via un acharnement disciplinaire,

-les motifs évoqués dans la lettre de licenciement sont mensongers, en ce sens qu'il s'est absenté pour des raisons de santé et n'a pas abandonné son poste.

La société Prosegur fait valoir que :

- l'argumentation du salarié est inopérante en raison des décisions du tribunal puis de la cour d'appel d'annuler la délibération prise par le CHSCT concernant l'existence d'un risque grave lié à des pressions sur les salariés en lien avec leur participation au mouvement de grève,

-le salarié ne détenait aucun mandant au sein de la société et n'a jamais fait état de son adhésion à une organisation syndicale,

-elle conteste le rapport d'expertise établi à son encontre.

Il n'est pas contesté que M. [L] est syndiqué et milite à ce titre dans l'entreprise, qu'il a effectivement participé à un mouvement de grève intervenu du 10 septembre au 14 octobre 2015 en réaction à la suppression de plusieurs primes dans l'assiette des indemnités de congés payés, lequel mouvement de grève.

En contestant sa lettre son licenciement, M. [L] a imputé celui-ci à son appartenance syndicale et à sa participation au mouvement de grève susvisé.

Il résulte des productions que par ordonnance de référé du 4 avril 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon a annulé la délibération du 7 décembre 2015 par laquelle le CHSCT de la société Prosegur a décidé de recourir à une expertise et désigné le cabinet Cadeco pour y procéder. Par arrêt du 21 octobre 2016, la cour d'appel de Lyon a réformé cette décision en ce qu'elle a annulé la délibération du 7 décembre 2015 et dit que cette délibération était non justifiée. M. [L] n'apparaît pas personnellement dans ces décisions.

Il apparaît par contre dans la procédure initiée en référé d'heure à heure par l'employeur, se prévalant de blocages, et ayant donné lieu à l'ordonnance du 8 octobre 2015 (demande de la société contre divers salariés pour obtenir sous astreinte la libération des accès au site de [Localité 5] et le passage des véhicules et fourgons blindés avec les équipages de convoyeurs et de tout salarié de l'entreprise) rejetant la demande, ce qui a été confirmé en appel. Par ailleurs, un arrêt du 30 juin 2017 a constaté l'inexécution par l'employeur de l'accord de fin de conflit.

Toutefois, ainsi que justement constaté par le premier juge, le licenciement n'est pas concomitant au mouvement de grève litigieux et s'agissant d'un événement antérieur d'un an et demi, rien ne permet de rattacher le licenciement à la participation du salarié à la grève.

Il est certain qu'un contexte conflictuel a perduré dans l'entreprise comme révélé par les procès-verbaux de réunion du CE d'avril, juillet et octobre 2017 suite à la perte de différents marchés (que la direction imputait notamment à la grève). Ces procès-verbaux faisaient également état du taux d'absentéisme élevé en raison d'arrêts maladies et du manque d'effectifs sur les tournées.

Toutefois, ainsi que justement relevé par le conseil de prud'hommes, M. [L] ne disposait pas d'un mandat syndical et rien ne relie non plus les motifs du licenciement à son appartenance syndicale et à l'exercice de son droit de grève en 2015. La persistance du ressentiment de l'employeur serait illustré par l'expertise litigieuse mais le rapport d'expertise s'est trouvé de fait invalidé par la procédure sus évoquée et en tout état de cause, aucun lien n'est établi entrer le ressentiment allégué et le licenciement.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande de nullité du licenciement mais également en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire pour atteinte portée au droit constitutionnel de faire grève et de se syndiquer, aucune atteinte à ce titre n'étant établie par les productions.

Sur le bien fondé du licenciement

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part, d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part, de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

M [L] soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque :

-il s'est absenté pour des raisons de santé après avoir informé le régulateur, en conséquence il n'a pas abandonné son poste et il a fait parvenir son arrêt de travail à la société le 30 mai 2017,

-la société ne justifie pas d'un préjudice en lien avec son absence.

La société Prosegur réplique que :

- la faute grave est caractérisée par le fait que le salarié a refusé de partir en tournée et a quitté l'entreprise sans autorisation alors qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucun motif légitime pour refuser d'accomplir sa tournée,

-le salarié a fait preuve d'une insubordination fautive en refusant d'accomplir sa tournée,

-il n'était pas soumis à une surcharge de travail,

-le licenciement n'était pas lié à la perte d'un client au mois d'août 2017.

Pour rapporter la preuve de la faute grave qui est à sa charge, la société Prosegur verse aux débats :

- le planning provisionnel et le planning définitif de la semaine 22 (29 mai au 3 juin 2017) mentionnant que le salarié était prévu sur la tournée Axy2+vl le 30 mai 2017,

- la feuille de route,

- le courriel de M. [A] du 30 mai 2017 à 9H08 faisant état du refus de tournée de M. [L] ayant pénalisé grandement le service GAB, que malgré le fait que le salarié ait été informé de ce que le planning serait respecté et que 'nous ferions en sorte que cette tournée ne dépasse pas les sept heures',

- les attestations de MM. [I], [U] et [G] faisant état de ce que le salarié s'était mis en colère en constatant le contenu de sa tournée, et avait menacé de se mettre en arrêt maladie si le contenu n'était pas allégé, le salarié était partie sans autorisation de M. [I], et avait notamment indiqué 'je me casse, j'en ai marre, je me suis déjà fait prendre pour un con hier là, c'est bon, je me casse'.

Le salarié produit pour sa part les attestations [D], [C], [E] (dont il n'est pas certain qu'il était absente de l'entreprise à cette date comme soutenu par la direction) et [R], indiquant que M. [L] se sentait mal et avait demandé au régulateur M. [I], de partir pour raisons de santé chez le médecin, ce qui avait été accepté sans que M. [L] ait émis des menaces. M. [R] expliquait par ailleurs que M. [I] l'avait informé de ce qu'il avait été obligé d'établir une attestation contre M. [L]. Ces attestations sont concordantes, ce qui permet de retenir l'attestation [C] nonobstant les relations conflictuelles de ce dernier avec l'entreprise.

Il n'est pas contesté que le salarié a refusé d'exécuter la tournée et qu'il est rentré chez lui.

Toutefois, les témoignages contradictoires remis par les parties susvisés ne permettent pas de déterminer avec certitude le comportement exact du salarié le 30 mai 2017 et l'attestation de M. [I] est dépourvue de valeur probante en raison de l'attestation [R] et du fait qu'il lui appartenait d'autoriser le salarié à rentrer chez lui.

Par ailleurs, le salarié justifie justifie d'un arrêt de travail du 30 mai 2017 en raison d'un état de surmenage, de burn-out et de pressions professionnelles alléguées, ce qui confirme le motif de son départ pour raison de santé et justifie l'arrêt de travail. Les éléments médicaux postérieurs ont confirmé l'état d'épuisement de M. [L].

En conséquence, l'employeur ne justifie pas d'une faute grave ayant justifié le licenciement immédiat du salarié pas plus qu'il ne démontre l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires

En conséquence du licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié a droit aux indemnités de préavis, de licenciement, au rappel de salaire compte tenu d'une mise à pied injustifiée et à des dommages intérêts.

* les indemnités et préavis et congés payés afférents et de licenciement ne sont pas contestées dans leur montant.

Le jugement est confirmé sur ces chefs.

* le rappel de salaire pour mise à pied injustifiée et les congés payés afférents

Confirmation intervient également de ce chef en l'absence de contestations des sommes retenues par le jugement.

* les dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

M. [L] disposait d'une ancienneté de plus de deux ans lors du licenciement et l'entreprise comptait plus de 10 salariés. Il a en application de l'article L 1235-3 dans sa version applicable à la cause droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire brut.

Il demande que le montant des dommages intérêts soit porté à 29.763 euros 'nets de toute charge' soit 15 mois de salaire au regard du préjudice économique très important subi compte tenu de ses charges de famille (une compagne sans emploi et deux jeunes enfants, un crédit immobilier), et du préjudice moral (certificat médical du docteur [V], psychiatre, du 21 juin 2017).

La société fait valoir que si le salarié a droit à 6 mois de salaire, il doit justifier d'un préjudice particulier s'il entend obtenir des dommages intérêts d'un montant supérieur alors que le nouveau barème prévoit un montant de 8 mois maximum.

M. [L] était âgé de 33 ans lors du licenciement et justifiait d'une ancienneté de 8 ans ; avec deux enfants à charge, il avait à charge un prêt immobilier, et il a bénéficié de prestations Pôle emploi du 18 septembre 2017 au 28 février 2018, puis du premier juin 2018 au 9 mai 2019 (perception de l'ARE), et du 7 avril 2020 au 3 juin 2020.

Compte tenu de ces éléments, le conseil de prud'hommes a justement évalué le montant des dommages intérêts indemnisation le salarié de son préjudice à 16.960 euros (soit environ 9 mois de salaire brut). Le jugement est en conséquence également justifié sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dépens de première instance et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile sont confirmés.

La société Loomis qui succombe en appel supportera les dépens d'appel et versera à son adversaire en cause d'appel la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 9 juillet 2019 dans toutes ses dispositions critiquées.

Condamne la société LoomisTraitement de valeurs aux dépens d'appel et à verser à M. [J] [L] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

[P] PILLIEPatricia GONZALEZ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/05087
Date de la décision : 17/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-17;19.05087 ?
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