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17/06/2022 | FRANCE | N°19/04993

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 17 juin 2022, 19/04993


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE







N° RG 19/04993 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPRS





[L]



C/



Société SAN MARINA







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 13/04143

COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 17 JUIN 2022



APPELANT :



[O] [L]

né le 28 Septembre 1985 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]
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Représenté par Me Faten MAZIGH de la SELARL EURO B.M. JURIDIQUE - FATEN MAZIGH, avocat au barreau de LYON substitué par Me Sofia MILLE, avocat au barreau de LYON







INTIMÉE :



Société SAN MARINA

[Adresse 6]

[Localité 1]



Représent...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/04993 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPRS

[L]

C/

Société SAN MARINA

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 25 Juin 2019

RG : 13/04143

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 17 JUIN 2022

APPELANT :

[O] [L]

né le 28 Septembre 1985 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Faten MAZIGH de la SELARL EURO B.M. JURIDIQUE - FATEN MAZIGH, avocat au barreau de LYON substitué par Me Sofia MILLE, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société SAN MARINA

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Michel HALLEL, avocat au barreau de STRASBOURG substitué par Me Mélina BEYSANG, avocat au barreau de STRASBOURG

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Patricia GONZALEZ, Présidente

Sophie NOIR, Conseiller

Catherine CHANEZ, Conseiller

Assistées pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 17 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente, et par Gaétan PILLIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La société San Marina est spécialisée dans commerce de chaussures.

Elle applique la convention collective nationale des employés des succursales de commerce de détail de la chaussure.

M. [O] [L] a été embauché par la société San Marina à compter du 2 novembre 2011 en qualité d'assistant responsable dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en contrepartie d'un salaire de base de 2.100 euros bruts, outre une rémunération variable.

M. [L] a été affecté au centre commercial de la Part Dieu situé à [Localité 4].

Entre le 1er août 2012 et le 13 janvier 2013, il a occupé temporairement les fonctions de responsable du magasin en remplacement de Mme [M], durant l'absence de celle-ci.

Le salarié a été placé en arrêt de travail du 16 mai 2013 au 23 mai 2013 et n'a plus repris son poste de travail par la suite.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 avril 2013, la société San Marina a convoqué M. [O] [L] le 22 mai 2013 à un entretien préalable en vue d'un licenciement pour faute grave et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.

L'entretien préalable a ultérieurement été reporté au 29 mai 2013 puis au 12 juin 2013 et finalement au 17 juin 2013.

Le salarié a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé réception du 20 juin 2013 rédigée ainsi :

'En date du 30 avril dernier, je vous ai remis en main propre un courrier dans lequel je vous notifiais une mise à pied à titre conservatoire et vous ai convoqué par courrier recommandé en date du 30 avril 2013, aux fins d'entretien préalable pour le 22 mai dernier, résultant de la découverte de grave manquement dans l'accomplissement de votre fonction.

Toutefois, et suite à diverses indisponibilités, la date de votre entretien préalable a été reportée à plusieurs reprises, pour au final se confirmer au 17 juin 2013. Dans ce contexte la Société San Marina s'est rendue pleinement disponible afin de vous exposer de vive voix les griefs qu'elle a relevés à votre encontre et écouter vos explications sur ces derniers.

Je note que vous ne vous êtes, malgré toutes nos démarches en vue de sa bonne tenue, pas présenté à cet entretien, ne m'ayant donc pas permis d'échanger sur les faits ci-après visés et le cas échéant, modifier mon appréciation de la situation. C'est la raison pour laquelle je suis dans l'obligation de vous notifier votre licenciement pour faute grave pour les raisons ci-après rappelées.

Pour rappel, vous avez intégré la Société San Marina le 22 novembre 2011 au poste d'assistant responsable magasin, coefficient 6. Comme vous le savez, ce positionnement hiérarchique au sein de nos points de vente exige une exemplarité sans faille, aux côtés de la direction, pour la bonne marche du point de vente.

C'est dans le cadre de l'exécution de vos fonctions professionnelles ci-avant rappelées que j'ai été amené à constater de graves manquements.

Vous trouverez donc ci-dessous les motifs me conduisant à envisager cette mesure.

Suite aux dernières opérations de décompte de stock du magasin SAN MARINA sis C/c LA PART

DIEU qui laisse apparaître un nombre déconcertant de « manquants », soit, en l'occurrence de 686 produits (chaussures, maroquinerie, produits d'entretien') sur la période du 17 septembre 2012 au 2 mai 2013, et qui ont généré un taux de démarque inconnue de l'ordre de 2,72% du chiffre d'affaires (représentant une perte sèche de plus de 60.000 euros de CA), j'ai donc été amené à analyser les références manquantes.

Ce pointage m'a permis d'établir avec certitude, d'une part, qu'une partie des produits manquants au stock correspondent à des enregistrements sur caisse de ventes non finalisées, c'est-à-dire pour lesquelles le ticket indique que la vente a été mise en attente, puis que celle-ci a été purement et simplement annulée.

Ces opérations ont été utilisées à outrance sur le point de vente, comme le démontre la lecture de la bande journal des ventes, ce qui en illustre le caractère anormal.

Pour exemple, sur le mois de janvier 2013, pas moins de 158 modèles sont concernés par cette pratique correspondant à 128 tickets annulés, représentant un préjudice financier pour la Société d'un montant égal à 10.287 euros.

Quant à février 2013 et ce du 1 er au 22 (veille de votre départ en congés payés pour 15 jours), pas moins de 75 tickets sont concernés par cette pratique dont 10 annulations pour la journée du 9 février dernier entre 14h57 et 18h58, représentant un préjudice financier sur cette seule journée, pour la Société d'un montant de 682,44 euros.

Au global, sur la période de juillet 2012 à fin avril 2013, j'ai été amené à constater une perte financière de plus de 30.000 euros.

D'autre part, ce pointage me permet d'affirmer que toutes ces ventes mises en attente n'ont par ailleurs été réglées ni en chèque ni en carte bleue.

De ce fait, j'ai donc été contraint de conclure que des manipulations frauduleuses en caisse étaient à l'évidence utilisées au sein du point de vente et permettaient ainsi du subtiliser, au profit de l'auteur de ces dernières, soit le paiement en espèces des ventes concernées soit les marchandises elles-mêmes.

Face à ce constat affligeant, j'ai été amené à vérifier l'intégralité des plannings et il s'est avéré qu'à chacune de ces mises en attente litigieuses, le point de vente était non seulement sous votre responsabilité, en votre qualité d'assistant responsable du magasin et en l'absence planifiée de la responsable du magasin mais qu'également vous étiez habituellement vous-même dédié aux opérations d'encaissement. Vous vous êtes donc rendu coupable d'opérations frauduleuses de caisse alors que le point de vente était sous votre responsabilité.

En conséquence, ce comportement implique un manquement à vos obligations professionnelles d'assistant de responsable de magasin, eu égard, d'une part, à la perte définitive de chiffre d'affaires en ayant découlé, et d'autre part, à l'exemplarité de comportement dont vous devez faire preuve, alors même que votre responsabilité à ce titre est contractuellement prévue.

Un tel manquement est totalement incompatible avec l'exécution de vos fonctions d'assistant responsable de magasin tant par le préjudice financier inacceptable pour la société que par l'atteinte importante à son image commerciale, suite à la remise aux clients de tickets de caisse non valables.

Par ailleurs, au travers de votre statut, je tiens à vous rappeler, que vous êtes l'un des représentants de l'enseigne. Vous deviez donc faire preuve de droiture concernant les tâches qui vous incombent, afin de ne pas discréditer les valeurs du magasin et de ne pas vous compromettre auprès de votre hiérarchie, comme des personnes qui sont sous votre responsabilité.

Par conséquent, en fonction de l'ensemble de ces éléments, de tels manquements sont, de manière totalement objective, strictement incompatibles avec la poursuite des fonctions que vous occupez aujourd'hui au sein de notre enseigne, y compris pendant la période de préavis.'

M. [O] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une contestation de ce licenciement le 4 septembre 2013.

Par jugement du 25 juin 2019, le conseil des prud'hommes de Lyon en sa formation de départage a:

- dit que le licenciement de M. [O] [L] par la société San Marina est fondé sur une faute grave,

- débouté M. [O] [L] de 1'ensemble de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamné M. [O] [L] aux entiers dépens de la présente instance,

- rappelé qu'en application de l'article R.1461-l du code du travail, la présente décision est susceptible d'appel dans un délai d'un mois à compter de sa notification.

M. [O] [L] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 15 juillet 2019.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 septembre 2019, le salarié demande à la cour :

- d'infirmer dans son intégralité le jugement entrepris

Statuant à nouveau:

- de dire et juger que son licenciement pour faute grave est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

- de dire et juger qu'il a subi des faits de harcèlement moral caractérisé,

En conséquence :

- de condamner la société San Marina au paiement des sommes suivantes:

- 860 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 2150 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 215 euros de congés payés afférents,

- 3638,43 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire, outre 363,84 euros de congés payés afférents,

- 12.900 euros au titre des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 12.900 euros au titre des dommages intérêts pour harcèlement moral,

- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la même aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2022, la société San Marina demande pour sa part à la cour:

- de dire et juger l'appel interjeté par M. [L] mal fondé et de surcroît totalement abusif,

en conséquence,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 25 juin 2019,

- de débouter M. [L] de l'intégralité de ses prétentions,

- de condamner M. [L] à verser à la société San Marina la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice résultant du caractère abusif de l'appel qu'il a interjeté,

- de condamner M. [L] au versement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner M. [L] aux entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 8 mars 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement :

Par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par ailleurs, il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail, ce dernier dans sa version antérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

Il résulte des termes de la lettre de licenciement retranscrits ci-dessus que M. [O] [L] a été licencié pour faute grave en raison d'opérations frauduleuses de caisse incompatibles avec ses fonctions d'assistant responsable de magasin au regard du préjudice financier subi par l'employeur, du manquement à son obligation d'exemplarité à l'égard de sa hiérarchie et des personnes placées sous sa responsabilité et de l'atteinte à l'image commerciale de la société.

Dans ce courrier, l'employeur lui reproche plus particulièrement d'avoir, alors qu'il était responsable du point de vente ou lorsqu'il était habituellement en charge des opérations d'encaissements, procédé à un nombre anormal d'enregistrements sur caisse de ventes non finalisées (c'est-à-dire pour lesquelles le ticket indique que la vente a été mise en attente, puis que celle-ci a été purement et simplement annulée) lors de paiement en espèces de façon à subtiliser soit les espèces des ventes concernées, soit les marchandises elles-mêmes.

La lettre de licenciement fait ainsi état :

- d' un nombre anormal de 686 produits 'manquants' dans les stocks du magasin sur la période du 17 septembre 2012 au 2 mai 2013 correspondant pour partie à des enregistrements sur caisse de ventes non finalisées ayant généré un taux de démarque inconnue de l'ordre de 2,72% du chiffre d'affaires, représentant une perte sèche de plus de 60.000 euros de chiffre d'affaires

- d'un nombre anormal de 158 'manquants' au mois de janvier 2013 correspondant à 128 tickets annulés et un préjudice financier pour l'entreprise de 10 287 euros

- de 75 tickets d'enregistrements sur caisse de ventes non finalisées entre le premier et le 22 février 2013 dont 10 annulations pour la journée du 9 février 2013 entre 14h57 et 18h58 représentant un préjudice financier pour cette seule journée de 682,44 euros

- d'une perte financière globale de 30'000 euros sur la période du mois de juillet 2012 à la fin du mois d'avril 2013.

Le salarié conteste les faits qui lui sont reprochés et fait valoir qu'il n'était pas le seul à avoir accès à la caisse pour procéder aux opérations de caisse et d'encaissement, ce que confirment Mme [N], Mme [E] et Mme [V], vendeuses ou anciennes vendeuses de la société, dans leurs attestations produites en pièces 18, 19 et 21 par la partie appelante.

Il est constant que M. [O] [L], employé au poste d'assistant responsable magasin a occupé de façon provisoire le poste responsable de magasin du 1er décembre 2012 au 13 janvier 2013.

L'employeur démontre au moyen des résultats d'inventaire périodique du magasin Lyon Part-Dieu produits en pièce 30 que le taux de manquants s'élevait à 385 produits lors de l'inventaire du 17 septembre 2012 et à 686 produits lors de l'inventaire du 2 mai 2013 alors qu'au 1er août 2013 le stock ne comportait plus aucun manquant.

Les pièces numéro 16 et 30 démontrent également que le taux de démarque inconnue de ces deux inventaires (-22% pour l'inventaire du 17 septembre 2012 et -18,34% pour l'inventaire du 2 mai 2013) était très supérieur à celui de l'inventaire du 5 juin 2012 qui était de -8,63% et des inventaires suivants (2,69% pour l'inventaire du 1er août 2013, -2,08% pour l'inventaire du 4 novembre 2013, -1,22% pour l'inventaire du 12 mars 2014).

Cependant, la société San Marina ne démontre pas qu'une partie de ces manquants au stock correspond à des tickets d'enregistrement sur caisse de ventes non finalisées émis sur des ventes opérées en espèces.

En effet, elle verse aux débats en pièce 17 un tableau manuscrit ne comportant pas de titre destiné à établir qu'une partie des produits manquants au stock correspondaient à des enregistrements sur caisse de ventes non finalisées dont les ventes n'ont été réglées ni en carte bleue, ni en chèque.

Cependant, si la pièce 17 mentionne pour chaque jour de la période séparant le 02/07/2012 du 26 avril 2013, une heure, un modèle, une couleur, une pointure et un montant de produit, elle ne fait aucune référence à l'existence d'enregistrements sur caisse de ventes non finalisées, ni au mode de paiement des articles.

L'employeur verse également les attestations de 2 salariés et d'un ancien salarié : M. [X], M. [A] et Mme [R] indiquant avoir constaté que les ventes encaissées par M. [O] [L] n'apparaissaient pas 'sur la caisse' lorsque les clients réglaient en espèces. Cependant ces témoins ne font état d'aucune vente précise hormis Mme [R] qui évoque la vente d'une paire de chaussures de la marque Airstep du 6 août 2012 encaissée par M. [O] [L] qui, selon elle, n'apparaissait pas sur le chiffre d'affaire de la collègue concernée. Or, la seule vente mentionnée dans le tableau de la pièce 17 est une vente d'un modèle Kic/Forestveltx.

En outre, la cour relève que lors de son audition le 7 mai 2013 à l'occasion de son dépôt de plainte pour escroquerie contre M. [O] [L], Mme [S] [M], agissant en qualité de représentante de la société San Marina, a remis aux services de police la liste des écarts d'inventaire et la liste des tickets en attente et a fait état de l'existence d'une 'bande caisse qui enregistre tout ce qui est imprimé' dont la consultation lui a permis de se rendre compte que le nombre de tickets en attente était plus important durant les périodes de travail de M. [O] [L].

Or, ces pièces ne sont pas produites dans le cadre de l'instance prud'homale.

Le seul fait que M. [O] [L] ait été responsable du magasin sur une partie de la période concernée par les deux inventaires des 17 septembre 2012 et 2 mai 2013 et qu'il n'ait pas alerté sa hiérarchie sur l'importance des articles manquants dans le stock ne suffit pas à établir l'existence des opérations frauduleuses de caisse qui lui sont reprochées.

Au vu de tous ces éléments, il apparaît que la matérialité des faits reprochés au salarié au soutien du licenciement n'est pas établie.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, dit que le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave.

De ce fait, M. [O] [L] peut prétendre au paiement d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée, à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité légale de licenciement dont les montants ne sont pas discutés à savoir:

- 3638,43 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied à titre conservatoire et 363,84 euros de congés payés y afférents

- 860 euros à titre d'indemnité de licenciement.

- 2150 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 215 euros de congés payés y afférents.

Ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2013, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation valant première mise en demeure dont il est justifié.

Enfin, M. [O] [L] peut prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-5 du code du travail dans sa version alors applicable, selon lequel ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L 1235-3 du même code selon lequel il est octroyé au salarié qui n'est pas réintégré une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, et, qu'en cas de licenciement abusif, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice qu'il justifie avoir subi.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise dont il est incontesté qu'il est supérieur à 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [O] [L] (2723,65 euros de rémunération mensuelle brute versée pendant les 6 derniers mois travaillés précédant la rupture), de son âge au jour de son licenciement (27 ans), de son ancienneté à cette même date (1 an et 7 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle mais également pour tenir compte de l'absence de justificatif sur la situation professionnelle et financière du salarié après le licenciement, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur, une somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Le jugement déféré sera infirmé de tous ces chefs.

Sur le remboursement des sommes payées au salarié par Pôle Emploi:

Selon l'article L1235-4 du code du travail dans sa version applicable au litige: "Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées".

S'agissant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner, d'office et par application de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la société San Marina à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [O] [L] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral , il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de sa demande de dommages et intérêts M. [O] [L] fait valoir qu'il a été victime d'un harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [M], au retour du congé parental de cette dernière.

Il invoque les faits suivants :

- un dénigrement systématique auprès de l'ensemble des vendeurs du magasin sous la forme d'une remise en cause de ses compétences professionnelles et de sa personne

- la 'promulgation' et la diffusion de multiples rumeurs et de graves accusations à son égard

- des démarches entreprises par Mme [M] auprès des vendeurs afin que ces derniers n'entretiennent plus aucun contact avec lui et qu'il se trouve ainsi totalement isolé

- une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé à l'origine de son placement en arrêt de travail à compter du 16 mai 2013.

La société San Marina répond que le salarié n'invoque aucun 'fait précis concordant' laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de sa responsable de magasin.

M. [O] [L] verse aux débats 3 attestations de salariés et anciens salariés de la société San Marina qui déclarent :

- que la directrice du magasin faisait 'fréquemment des réflexions déplacées et suspicieuses'au sujet de M. [O] [L] dans le but de le décrédibiliser auprès de ses collègues en le faisant passer pour un individu malhonnête voire voleur (attestation de Mme [N] du 9 janvier 2014)

- que Mme [M] a dénigré ouvertement le travail de son adjoint M. [O] [L] auprès de ses vendeurs à plusieurs reprises en le faisant passer pour un incompétent notamment durant les briefings quotidiens ou encore en l'accusant de vol (attestation de Mme [E] du 7 janvier 2014)

- que la responsable du magasin 'répétait à tous les employés que [O] [L] avait volé plusieurs milliers d'euros' (attestation de Mme [V] du 5 mars 2014).

Le salarié produit également la photocopie de son arrêt de travail initial du 16 mai 2013 établi par le Docteur [T], médecin généraliste, et une ordonnance médicale de ce dernier datée du 17 mai 2013 mentionnant qu'il présente un état anxio dépressif et qu'il doit 'prendre rendez-vous avec le docteur [Z]'.

Il n'est pas justifié de ce second rendez-vous mais cet élément n'est pas de nature à remettre en cause les constatations médicales opérées par le docteur [T] au moment de l'établissement de l'arrêt de travail initial.

Hormis l'existence de démarches entreprises par Mme [M] auprès des vendeurs destinées à isoler M. [O] [L] en le privant de contact avec ses collègues, les faits invoqués au soutien du harcèlement moral sont matériellement établis.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Or, l'employeur ne rapporte pas la preuve que les agissements dénoncés par M. [O] [L] ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est ainsi établi que M. [O] [L] a bien été victime de harcèlement moral.

Le salarié n'invoque ni ne justifie d'aucun préjudice consécutif à ce harcèlement moral autre que son placement en arrêt de travail du 16 au 23 mai 2013.

La cour éavlue la juste réparation du préjudice subi par M. [L] du fait du harcèlement moral à la somme de 1500 euros.

L'employeur sera donc condamné au paiement de cette somme, assortie d'intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

L'appel de M. [O] [L] ne revêtant aucun caractère abusif, la société San Marina sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les demandes accessoires:

Partie perdante, la société San Marina supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ailleurs, M. [O] [L] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner l'employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 1500 euros au titre des frais qu'il a dû exposer en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant :

DIT que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société San Marina à payer à M. [O] [L] les sommes suivantes :

- 3638,43 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied à titre conservatoire et 363,84 euros de congés payés y afférents, assortis d'intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2013 ;

- 860 euros à titre d'indemnité de licenciement, assortis d'intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2013 ;

- 2150 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 215 euros de congés payés y afférents, assortis d'intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 2013 ;

- 5000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

- 1500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, assortis d'intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

REJETTE la demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;

DIT que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales;

ORDONNE le remboursement par la société San Marina à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [O] [L] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations ;

CONDAMNE la société San Marina à payer à M. [O] [L] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société San Marina aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le GreffierLa Présidente

Gaétan PILLIEPatricia GONZALEZ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/04993
Date de la décision : 17/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-17;19.04993 ?
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