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16/06/2022 | FRANCE | N°19/01349

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 16 juin 2022, 19/01349


N° RG 19/01349

N° Portalis DBVX-V-B7D-MGX7









Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 24 janvier 2019



RG : 2017j1758







Société LYONNAISE DE BANQUE



C/



[M]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre A



ARRÊT DU 16 Juin 2022







APPELANTE :



Société LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse

3]

[Localité 2]



Représentée par Me Antoine ROUSSEAU de la SELARL B2R & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 781







INTIMEE :



Mme [J] [O] [M] épouse [S]

née le [Date naissance 1] 1964 au CAMBODGE

[Adresse 4]

[Localité 5]



Représentée par Me Zakeye ZERB...

N° RG 19/01349

N° Portalis DBVX-V-B7D-MGX7

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 24 janvier 2019

RG : 2017j1758

Société LYONNAISE DE BANQUE

C/

[M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 16 Juin 2022

APPELANTE :

Société LYONNAISE DE BANQUE

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Antoine ROUSSEAU de la SELARL B2R & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 781

INTIMEE :

Mme [J] [O] [M] épouse [S]

née le [Date naissance 1] 1964 au CAMBODGE

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Zakeye ZERBO de la SELAS ZERBO, avocat au barreau de LYON, toque : 874

******

Date de clôture de l'instruction : 09 Juillet 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Mai 2022

Date de mise à disposition : 16 Juin 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, Marie CHATELAIN a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 4 mai 2016, la SARL Montchat a conclu avec la SA Lyonnaise de Banque (la Banque) un prêt d'un montant de 110.000'€, qui bénéficiait d'une garantie BPI à hauteur de 50% des sommes prêtées ainsi que d'un nantissement du fonds de commerce de la société Montchat à hauteur de 110.000'€, et pour lequel M. [X] [S], gérant de la société, et Mme [J] [O] [M], épouse [S], sa belle-soeur, s'étaient engagés en qualité de caution à hauteur de 66.000'€ chacun.

Par jugement du 12 juillet 2017, la société Montchat a été placée en liquidation judiciaire. La Banque a déclaré une créance pour un montant de 104.586,37'€ au titre du prêt précité.

Après vaine mise en demeure adressée par courrier recommandé avec accusé de réception le 27 juillet 2017, par acte d'huissier de justice du 25 octobre 2017, la Banque a fait assigner M. [S] et Mme [M] épouse [S] en paiement devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement du 24 janvier 2019, ce tribunal a :

condamné M. [S] à payer à la Banque, la somme de 52.293,18'€ outre intérêts au taux de 2,43%, majoré de 3%, soit 5,43% à compter de la mise en demeure du 27 juillet 2017,

ordonné la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1342-2 du code civil,

dit que Mme [S], née [M], était consciente de la portée de l'engagement qu'elle prenait et qu'elle n'a donc subi aucun préjudice,

débouté en conséquence Mme [S], née [M], de sa demande en dommages et intérêts,

dit que le principe de proportionnalité n'a pas été respecté par la Banque lors de la signature de l'acte de cautionnement par Mme [S], née [M], que la banque n'est donc pas fondée à se prévaloir de cet engagement de caution et l'a déboutée en conséquence de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [S], née [M],

condamné M. [S] à payer à la Banque la somme de 1.000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la Banque à payer à Mme [S], née [M], la somme de 1.000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté la demande d'exécution provisoire,

condamné à part égale la Banque et M. [S] aux entiers dépens de l'instance.

La Banque a interjeté appel par acte du 21 février 2019 en ce que le jugement déféré a :

dit que le principe de proportionnalité n'a pas été respecté par la Banque lors de la signature de l'acte de cautionnement par Mme [S], née [M], que la banque n'est donc pas fondée à se prévaloir de cet engagement de caution et la déboute en conséquence de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [S], née [M],

condamné la Banque à payer a Mme [S], née [M], la somme de 1.000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné à part égale la Banque et M. [S] aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions du 13 janvier 2020, fondées sur les articles 1103, 1343-2, 2288 du code civil, la Banque demande à la cour de :

infirmer le jugement dont appel,

condamner Mme [S], née [M] à lui payer la somme de 52.293,18'€, outre intérêts au taux de 2,43%, majoré de 3%, soit 5,43% à compter de la mise en demeure du 27 juillet 2017,

ordonner la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

condamner Mme [S], née [M] à lui payer la somme de 1.500'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de 1ère instance et d'appel.

Par conclusions du 6 mai 2020, fondées sur les articles 1132 et suivants et 1193 et 1194 du code civil, ainsi que sur l'article 341-4, devenu L.332-1, du code de la consommation, Mme [S], née [M], demande à la cour de':

confirmer le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions et débouter la Banque de l'ensemble de ses demandes,

au besoin :

juger que compte tenu de son niveau en français, elle s'est trompée sur la nature et la portée de son engagement en tant que caution,

juger qu'elle a commis une erreur sur les qualités essentielles de la prestation due,

en conséquence, prononcer la nullité de son engagement de caution souscrite le 4 mai 2016,

juger que la Banque ne justifie pas avoir accompli son devoir de mise en garde à son égard,

en conséquence, condamner la Banque à lui payer la somme de 55.000'€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant de la perte de chance de ne pas contracter l'engagement de caution,

juger que son engagement de caution était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et juger que la Banque ne peut s'en prévaloir,

débouter la Banque de l'ensemble de ses demandes,

en toute hypothèse, condamner la Banque à lui payer la somme de 4.000'€ au titre de l'article du 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

Il convient d'examiner en premier lieu la demande au titre de la nullité de l'engagement de' cautionnement, les autres demandes devenant sans objet si la cour devait y faire droit.

Sur la nullité de l'acte de cautionnement

Au visa de l'article 1132 du code civil, Mme [M] sollicite que soit prononcée la nullité de l'acte de cautionnement en invoquant l'erreur, faisant valoir qu'elle ne parle pas français mais cambodgien, et n'a pas cru prendre un engagement ayant des conséquences financières et patrimoniales. Elle soutient qu'elle s'est ainsi trompée sur la nature et l'objet de son engagement.

L'acte de cautionnement ayant été signé le 4 mai 2016, c'est toutefois le droit ancien des contrats qui s'applique.

En vertu de l'article 1110 ancien du code civil, l'erreur n'est cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

Il appartient à Mme [M] qui l'invoque de rapporter la preuve de cette erreur, et non à la Banque de justifier de ce qu'elle s'est bien assurée que sa cocontractante comprenait la portée de son engagement.

Or en l'espèce, la cour ne peut que constater que Mme [M] procède uniquement par affirmations, ne proposant aucune offre de preuve relative à sa méconnaissance de la langue française alors qu'il est par ailleurs constant qu'elle est de nationalité française et réside sur le territoire français depuis au moins 23 ans.

En l'absence de toute démonstration d'une erreur de la caution sur l'objet du contrat, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté cette dernière de sa demande de nullité.

Sur le caractère disproportionné de l'engagement de caution

L'article L.341-4 du code de la consommation dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Il appartient à la caution qui prétend que son engagement était disproportionné au jour de la souscription, de le prouver.

En revanche, il incombe au créancier qui entend se prévaloir d'un engagement disproportionné au jour de la souscription, de prouver que le patrimoine de la caution lui permet d'y faire face au moment où elle est appelée.

La disproportion s'apprécie au jour de la conclusion de l'engagement au regard du montant de celui-ci et des biens et revenus de la caution en prenant en compte son endettement global.

Si le créancier a recueilli ces éléments auprès de la caution, la disproportion s'apprécie au vu des déclarations de la caution dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

En l'espèce, la Banque verse un document intitulé «'fiche patrimoniale caution'» complété et signé le 27 janvier 2016, aux termes duquel Mme [M] déclare être mariée sous le régime de la communauté légale, avoir trois enfants à charge, percevoir un revenu de 1 667 € net par mois, être propriétaire d'un bien immobilier de type T4 sis à [Localité 5] évalué à 180 000 €, financé au moyen d'un prêt dont le montant n'est pas connu et dont il est indiqué que les remboursements doivent se poursuivre pendant cinq années.

Cette fiche étant antérieure de quatre mois à l'engagement de caution, Mme [M] est autorisée à démontrer l'évolution de la situation.

Mme [M] produit la copie de son livret de famille confirmant la composition familiale déclarée, et son avis d'imposition 2017 dont il résulte qu'elle a en réalité perçu en 2016 un revenu annuel de 3 980 €, soit 331 € par mois, et son époux 18 990 €, soit 1582,5 € par mois, le revenu mensuel du foyer s'élevant ainsi à 1913,5 € .

La valeur du patrimoine de Mme [M] est constituée de la moitié de la valeur du bien immobilier, celui-ci appartenant par moitié aux époux.

La valeur du bien est confirmé par le relevé des formalités foncières, versé par la Banque, dont il résulte que ce bien immobilier a été acquis au prix de 179 000 € en 2004. L'actualisation de l'évaluation du bien proposée par la Banque dans ses conclusions est insuffisamment convaincante et ne peut être retenue par la cour en l'absence d'estimation du bien lui-même ou de tout élément de comparaison portant sur des biens équivalents situés dans la même zone géographique.

Mme [M] était donc propriétaire en 2016 de la moitié du bien immobilier, soit 180 000€ / 2 = 90 000€.

Il est toutefois constant que ce bien n'était pas intégralement financé en 2016.

La fiche patrimoniale renseignée par Mme [M] mentionne une durée de cinq ans pour solder l'emprunt en 2016. Au vu du relevé des formalités foncières, et de l'inscription par le prêteur de trois hypothèques, portant sur les sommes de 51 716 € (exigible au 10/10/2033), 19 818€ (exigible au 10/10/2026) et 51 800 € (exigible au 10/10/2033), la Banque admet que l'emprunt n'est pas soldé et évalue ce solde à 65 000€. Suivant cette hypothèse, l'actif immobilier net de Mme [M] serait donc le suivant: 180 000 ' 65 000 / 2 = 57 500 €.

Dès lors, quand bien même le montant des échéances du prêt immobilier n'est pas justifié, il est acquis d'une part que la valeur du patrimoine immobilier de Mme [M] est nettement inférieur à 90 000 € compte tenu de l'emprunt immobilier restant à solder, et d'autre part que ce bien est grevé d'importantes hypothèques, de sorte que si Mme [M] devait être amenée à vendre ce bien, le prix résiduel lui revenant serait nécessairement très réduit.

Il s'infère de ce qui précède que l'engagement de caution de Mme [M] d'un montant de 66 000€ pour un revenu annuel net de 3 980 € devant lui permettre de rembourser un emprunt immobilier et assumer la charge de trois enfants, partiellement partagée avec le revenu modeste du conjoint, est disproportionné, le patrimoine immobilier étant d'évidence insuffisant à lui seul, à la date de l'engagement de caution, pour lui permettre d'y faire face.

La disproportion manifeste étant démontrée, la Banque est mal fondée à se prévaloir du cautionnement, et sans plus ample discussion sur les autres chefs de demande formés par Mme [M] qui deviennent sans objet, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté la Banque de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la caution.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700

Succombant en ses prétentions, la Banque supporte les dépens d'appel comme ceux de première instance qui sont confirmés et garde la charge de ses frais irrépétibles.

Il apparaît enfin équitable de la condamner à verser en appel une indemnité procédurale de 1 500 € à Mme [M], les dispositions du jugement relatives à l'article 700 du code de procédure civile étant par ailleurs confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré,

Ajoutant,

Condamne la SA Lyonnaise de Banque à verser à Mme [J] [O] [M], épouse [S] une indemnité de procédure de 1 500 €,

Condamne la SA Lyonnaise de Banque aux dépens d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/01349
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;19.01349 ?
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