AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 20/03078 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M7ZT
Organisme URSSAF RHÔNE ALPES
C/
S.A.S.U. [3]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 06 Mai 2020
RG : 15/00913
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANTE :
URSSAF RHÔNE ALPES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Nicolas ROGNERUD de la SELARL AXIOME AVOCATS, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître MERIEN, avocat au même barreau
INTIMEE :
S.A.S.U. [3] FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Sandrine MOLLON de la SELARL CABINET RATHEAUX SELARL, avocat au barreau de LYON, substitué par Maître LACHAUX, avocat au même bareau
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Mars 2022
Présidée par Thierry GAUTHIER, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société [3] France (la cotisante) a fait l'objet d'un contrôle de l'URSSAF Rhône-Alpes portant sur les années 2011 à 2013, à l'issue duquel une lettre d'observations lui a été adressée le 19 septembre 2014, envisageant un redressement 102 073 euros, qui a été ramené, après échanges au cours de la phase contradictoire, à la somme de 64 614 euros.
Le 30 décembre 2014, l'URSSAF Rhône-Alpes a adressé à la cotisante une mise en demeure de payer la somme totale de 73 187 euros.
Après rejet de sa contestation portant sur les chefs de redressement n° 2 et 8 de la lettre d'observations, par décision de la commission de recours amiable du 30 juin 2015, la cotisante a saisi le 20 avril 2015 la juridiction de sécurité sociale d'un recours portant sur le chef de redressement n°2: « avantage en nature voyage », redressement de 31 130 euros.
Par jugement du 6 mai 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a :
- annulé le chef de redressement n° 2 « avantage en nature voyage », redressement de 31 130 euros ;
- rejeté la demande reconventionnelle de l'URSSAF ;
- rejeté les demandes formées au titre des frais irrépétibles ;
- dit que chaque partie conservera la charge des dépens engagés pour la défense de ses intérêts ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration au RPVJ du 17 juin 2020, l'URSSAF a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions déposées le 28 février 2022, l'URSSAF demande à la cour de :
- constater que les voyages n'étaient pas réalisés dans l'intérêt de l'entreprise,
- constater que les conditions énoncées dans la circulaire du 7 janvier 2003 ne sont pas réunies,
- inclure dans l'assiette des cotisations sociales les « voyages challenge client »,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu le 6 mai 2020 par le Pôle social du tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a annulé le chef de redressement n°2 « avantage en nature voyage », redressement de 31 130 euros, rejeté la demande reconventionnelle de l'URSSAF et les demandes formées au titre des frais irrépétibles, et dit que chaque partie conservera la charge des dépens engagés pour la défense de ses intérêts,
Statuant à nouveau,
- confirmer le chef de redressement concernant l'inclusion dans l'assiette des cotisations sociales les « avantages en nature voyage » pour un montant de 31 130 euros, outre majorations,
- rejeter les demandes de la cotisante,
- à titre reconventionnel ;
- condamner la cotisante au paiement de la somme de 30 856 euros au titre des cotisations et contributions sociales relatives aux avantages en nature et les majorations de retard afférentes ;
En tout état de cause :
- condamner la cotisante à lui payer la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Dans ses conclusions déposées le 15 juillet 2021, la cotisante demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a annulé le chef de redressement n° 2 : « avantage en nature voyage », redressement de 31 130 euros ;
- débouter l'URSSAF de ses demandes plus amples ou accessoires ;
- condamner l'URSSAF à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
*
Conformément aux dispositions de l'article 446-1 du code de procédure civile, les parties ont oralement soutenu à l'audience les écritures qu'elles ont déposées au greffe ou fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoirie et qu'elles indiquent maintenir, sans rien y ajouter ou retrancher.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux écritures ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre infirmatif, l'URSSAF soutient que l'avantage en nature résultant de la prise en charge par l'employeur de frais de voyage doit être compris dans l'assiette des cotisations lorsque ces voyages n'ont pas le caractère de frais d'entreprise. Elle soutient qu'en application de la circulaire DSS 2003/07 du 7 janvier 2003, afin d'être exonérés de cotisations et de contributions sociales, les voyages d'affaires doivent cumulativement avoir un caractère exceptionnel, être organisés dans l'intérêt de l'entreprise et correspondre à des frais exposés en dehors de l'exercice normal de l'activité du travailleur.
Elle considère, en l'espèce, que l'entreprise a fait profiter, en 2011, 2012 et 2013, ses salariés de voyages pour des destinations de vacances sans que ces derniers n'en supportent le coût.
Elle relève que l'entreprise ne justifie pas du courant d'affaires qu'auraient initié ces voyages, les attestations produites sur ce point n'étant corroborées par aucune pièce objective.
Elle considère que durant chacun des voyages, seul 1,5 jours sur les 5 était consacré à des activités commerciales et le reste à des temps de loisirs.
Elle soutient que le fait que les salariés aient été tenus d'accompagner les clients durant les temps de loisir ne permet pas de conférer à ces voyages une nature professionnelle, tant la partie consacrée aux activités commerciales était faible au regard du reste.
Elle indique que la présence des conjoints, tant des salariés de l'entreprise que des partenaires commerciaux, remet en cause le caractère exclusif de l'intérêt professionnel de ces voyages. Elle relève ainsi que M. [J] était accompagné en 2011 par son épouse et, même si le redressement n'a pas été contesté sur ce point, que cette présence traduit l'absence de caractère professionnel du voyage litigieux.
Elle estime qu'au regard du planning de ces voyages, seul élément produit par la cotisante, la majeure partie du temps était consacrée à des loisirs, environ 20 % du temps de présence sur place étant seulement consacré au développement commercial. Elle conteste que, pour les voyages de 2012 et 2013, une demi-journée ait été consacrée à des rendez-vous commerciaux et souligne que, même si le redressement n'a pas été contesté sur ce point, plusieurs clients étaient accompagnés par leurs conjoints.
Elle indique que la cotisante reste devoir la somme de 22 383 euros, outre 8 573 euros au titre des majorations de retard afférentes et qu'il y a lieu de la condamner à lui payer la somme de 30 856 euros.
A titre confirmatif, la cotisante invoque les dispositions de la circulaire DSS 2003/07 du 7 janvier 2003, qui prévoit particulièrement, en ce qui concerne les voyages que peuvent être considérés comme frais d'entreprise, les voyages caractérisés par l'organisation et la mise en 'uvre d'un programme de travail et l'existence de sujétions pour le salarié alors que sa participation à des voyages ne correspond pas à l'exercice normal de sa profession.
Elle fait valoir que dix salariés ont participé chaque année aux voyages, qui répondent aux conditions posées par l'administration pour constituer des frais entreprise, comme ayant été organisés dans l'intérêt, notamment commercial, de celle-ci, alors que des missions et sujétions particulières ont été confiées aux salariés durant ces voyages - qui ont fait l'objet de réunions préparatoires - durant lesquels les salariés étaient chargés d'une mission de représentation obligatoire et d'encadrement, en dehors des sorties et des séminaires, lesquels les occupaient trois demi-journées, outre une demi-journée consacrée aux rendez-vous clients.
Elle soutient ainsi que sur les 5 jours de présence sur place, les salariés avaient 9 demi-journées, soit 4,5 jours, de travail.
Elle soutient l'adéquation entre la nature des fonctions occupées habituellement par les salariés dans l'entreprise et leur présence durant ces voyages.
Elle indique que ces voyages permettaient de réunir les clients représentant 50 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.
Elle entend justifier des missions particulières confiées aux salariés durant chacun des voyages annuels visés par l'URSSAF.
La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire.
Pour que les frais supportés par l'entreprise lors de l'organisation de voyages auxquels participent certains de ses salariés soient exclus de l'assiette des cotisations, il appartient au cotisant de démontrer que ces frais constituent des frais d'entreprise, soit qu'ils résultent d'une mission particulière, distincte de leurs attributions normales, confiée aux salariés dans l'intérêt de l'entreprise.
Il sera rappelé que, pour l'application du texte susvisé, les circulaires ou lettres ministérielles sont dépourvues de portée normative.
En l'espèce, l'URSSAF a considéré que devait être compris dans l'assiette des cotisations les frais engagés par l'entreprise pour des membres ou salariés de l'entreprise (le directeur général, le directeur commercial, les quatre animateurs commerciaux de région, la responsable marketing, le responsable production, un représentant du service support technique et un représentant du service administration des ventes), lorsqu'ils ont accompagné des clients de l'entreprise lors de voyages désignés comme « challenges clients », organisés à Malte (en 2011), à Cuba (en 2012) et au Sénégal (en 2013).
Selon les programmes versés à son dossier par l'employeur, concernant le voyage de 2011, il était organisé sur six journées, dont la première et la dernière étaient principalement occupées par les voyages et transfert sur les lieux. La deuxième journée était consacrée à des activités de loisirs, la troisième à un séminaire de travail le matin et l'après-midi, la quatrième, à une demi-journée de loisir puis une autre de séminaire, la cinquième, à des activités de loisirs.
Concernant le voyage de 2012, il était organisé sur sept jours, le premier et les deux derniers étant principalement occupés par les voyages et transferts. Trois demi-journées étaient consacrées à des séminaires professionnels.
Concernant le voyage de 2013, organisé sur six jours, des activités se déroulaient principalement sur quatre jours, avec trois demi-journées de travail (deux séminaires et une table ronde).
Il en résulte que, aux termes des programmes de ces voyages, les salariés, dont il n'est pas contesté que leur participation ne relevait pas de leurs fonctions habituelles, étaient tenus à une activité de travail réduite à 1,5 journée sur six ou sept.
L'employeur soutient que, durant le reste du temps, les salariés étaient tenus par des missions de représentation et d'encadrement permanentes à l'égard des clients invités, ce qui correspondrait à un temps de travail effectif.
Cependant, si, pour en justifier, il produit des attestations de certains des cadres de l'entreprise (le directeur général, le directeur commercial et le responsable marketing), dont le lien de subordination avec la société cotisante ne peut être ignoré, il n'est versé aucun élément objectif permettant de s'assurer précisément des missions confiées aux salariés durant ces voyages. L'employeur indique que des réunions préparatoires auraient ainsi été organisées avec ces salariés mais n'en justifie pas. Il fait valoir que les salariés auraient eu des instructions précises durant le voyage, notamment quant à l'attention permanente qu'ils doivent porter aux clients, mais n'en justifie pas. Il soutient par ailleurs que ces voyages auraient permis la conclusion de contrats de distribution exclusifs, dont il dresse une liste, mais cela ne résulte que de ses seules affirmations. Il indique que des rendez-vous commerciaux auraient été menés durant ces voyages, mais n'en justifie pas.
Il s'appuie dans ses écritures sur le déroulement du voyage mais n'apporte aucun élément objectif, qui pourrait notamment résulter d'un document interne, établi avant chacun des voyages, permettant d'en justifier.
Dès lors, l'employeur n'établit pas que les salariés, durant l'intégralité de ce voyage, étaient tenus à des missions particulières dans l'intérêt de l'entreprise.
Dans ces conditions, au regard du temps limité de travail qui résulte des programmes qu'il fournit, l'employeur ne rapporte pas suffisamment la preuve de ce que les frais engagés lors des voyages litigieux au bénéfice des salariés puissent constituer des frais d'entreprise.
Le jugement doit être ainsi infirmé, en ce qu'il a annulé le chef de redressement n° 2 « avantage en nature voyage », redressement de 31 130 euros.
La cotisante sera condamnée à verser à l'URSSAF la somme de 30 856 euros au titre des cotisations et contributions sociales relatives aux avantages en nature et les majorations de retard afférentes
Les dépens de première instance seront mis à la charge de la cotisante.
En revanche, il y a lieu de confirmer le rejet des demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, en première instance.
La cotisante, succombant en appel, devra en supporter les dépens.
Sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile devra être ainsi rejetée et elle sera condamnée à verser à l'URSSAF, au titre de l'instance d'appel, la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu le 6 juin 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
REJETTE la demande de la société [3] France en annulation du chef de redressement n° 2 de la lettre d'observations du 19 septembre 2014 : « avantage en nature voyage », de 31 130 euros,
CONFIRME la décision de rejet de la contestation de la société [3] France rendue par la commission de recours amiable de l'URSSAF Rhône-Alpes le 30 juin 2015,
CONDAMNE la société [3] France à verser à l'URSSAF la somme de 30 856 euros au titre des cotisations et contributions sociales relatives aux avantages en nature et les majorations de retard afférentes,
Y ajoutant,
MET les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société [3] France ;
CONDAMNE la société [3] France à verser à l'URSSAF Rhône-Alpes la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE