AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 20/03060 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M7X4
S.A.S.U. [2]
C/
CPAM DU [Localité 3]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 31 Mars 2020
RG : 19/01425
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANTE :
S.A.S.U. [2]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Accident du travail de Mme [K] [E]
représentée par Me Grégory KUZMA de la SELARL R & K AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Eddy PERRIN, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
CPAM DU [Localité 3]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par madame [V] [R], audiencière, munie d'un pouvoir
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Mars 2022
Présidée par Thierry GAUTHIER, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salariée de la société [2] (l'employeur), en qualité d'agent de service, Mme [K] [E] (la salariée) a déclaré avoir été victime d'un accident le 16 janvier 2018, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 3] (la caisse), par décision du 22 janvier 2018.
L'employeur a souscrit une déclaration d'accident du travail le 17 janvier 2018.
La salariée a été placée en arrêt de travail jusqu'au 20 décembre 2018, date à laquelle la caisse a considéré que son état de santé était consolidé par décision du 13 novembre 2018, avant de lui reconnaître le 27 décembre 2018 une incapacité permanente partielle de 7 %.
Le 7 juin 2018, l'employeur saisissait la commission de recours amiable de la caisse d'une contestation concernant la durée des arrêts de travail prescrits, qui a été rejetée par décision implicite.
Il saisissait d'un recours la juridiction de sécurité sociale de Lyon le 16 avril 2019.
Par jugement du 31 mars 2020 (n° RG 19/01425), le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a :
- rejeté la demande d'expertise judiciaire ;
- déclaré opposable à l'employeur la prise en charge des arrêts de travail et soins consécutifs à l'accident du travail de la salariée ;
Dans ses conclusions déposées le 15 mars 2022, l'employeur demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris ;
- avant-dire droit, ordonner une mesure d'expertise ;
- juger que la caisse devra communiquer l'entier dossier de la salariée à son médecin, le Dr. [C], en application de l'article L. 142-10 et R. 142-16-3 du code de la sécurité sociale;
- juger que les frais d'expertise seront entièrement à la charge de la caisse ;
- dans l'hypothèse où des arrêts de travail ne seraient pas en lien de causalité direct et certain avec la pathologie initiale, déclarer ces arrêts inopposables à l'employeur ;
- condamner la caisse aux dépens.
Dans ses conclusions déposées le 23 novembre 2021, la caisse demande à la cour de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.
Conformément aux dispositions de l'article 446-1, les parties ont oralement soutenu à l'audience les écritures qu'elles ont déposées au greffe ou fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoirie et qu'elles indiquent maintenir, sans rien y ajouter ou retrancher.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux écritures ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre infirmatif, et au soutien de sa demande d'expertise, l'employeur fait valoir qu'en application de l'article L. 142-10 et R. 142-16 et suivants du code de la sécurité sociale, un droit à l'expertise est reconnu en cas de contestation relative à la date de consolidation de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle et fait valoir que l'expertise de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale est désormais ouverte à la fois aux assurés et aux employeurs.
Il ajoute que le défaut de justification par la caisse de la continuité des symptômes et des soins entraîne l'obligation d'accorder à l'employeur le bénéfice d'une expertise médicale sur pièces, qui doit être en outre accordée lorsque l'employeur émet un doute sur la légitimité des arrêts prescrits au regard de l'existence d'un potentiel état antérieur et d'une divergence entre les lésions initiales et les lésions mentionnées sur les certificats médicaux de prolongation.
Il indique que la mesure d'instruction est le seul moyen pour un employeur de renverser la présomption d'imputabilité.
Il fait valoir qu'en l'espèce, il s'interroge sur le lien direct et certain de l'ensemble des arrêts de travail prescrits à la salariée avec la lésion initiale diagnostiquée le 16 janvier 2018, alors qu'il existe incontestablement des éléments laissant présumer l'existence d'une pathologie différente ou, à tout le moins, des doutes importants sur le lien de causalité direct et certain entre l'ensemble des arrêts de travail et la lésion initiale.
Il indique qu'il n'existe pas de continuité de soins et de symptômes puisque les pathologies visées dans les certificats médicaux sont différentes et évolutives et que la caisse ne justifie pas d'arrêt de travail ou de symptomatologie pour la période du 20 au 29 janvier 2018.
Il soutient qu'il existe un doute sérieux sur le lien de causalité direct et certain entre la lésion initiale et l'ensemble des arrêts de travail, relevant que le fait accidentel, particulièrement insignifiant, ait pu engendrer onze mois d'arrêt de travail. Il note que le médecin prescripteur a tout d'abord prescrit trois jours d'arrêt et que le médecin traitant avait prévu une reprise du travail dès le 22 janvier 2018. Il indique que, selon les propres barèmes de la caisse, une lombalgie ne saurait entraîner un arrêt aussi long et devrait être en principe de quelques jours.
Il fait valoir que les causes des lombalgies sont multiples et qu'il a été relevé une discopathie qui signe l'existence d'un état antérieur interférant. Il souligne que son médecin consultant a relevé l'absence de consultation spécialisée et de réalisation d'une imagerie médicale, l'existence d'un état antérieur lié à une discopathie évoluant depuis de nombreux mois pour son propre compte et la présence de lombalgies séquelles d'un lumbago d'effort, pathologie justifiant un arrêt inférieur à 90 jours.
Il en déduit qu'une expertise doit être ordonnée, seul moyen pour lui de renverser la présomption d'imputabilité au travail des lésions consécutives à l'accident.
A titre confirmatif, la caisse fait valoir que l'employeur ne conteste pas le caractère professionnel de l'accident mais uniquement la durée des arrêts de travail prescrits. Elle indique produire le certificat médical initial, la totalité des certificats médicaux de prolongation descriptifs qui font tous état du même siège de lésion et tous rattachés à l'accident du travail du 16 janvier 2018. Elle fait valoir qu'elle justifie du versement continu d'indemnités journalières et de ce que le service du contrôle médical, après examen de la salariée, le 20 juin 2018 et le 9 novembre 2018 a approuvé les arrêts prescrits.
Elle ajoute que la mesure d'expertise ne peut être ordonnée que si l'employeur qui la sollicite apporte au soutien des éléments médicaux qui seraient de nature à accréditer l'existence d'une cause autre qui serait à l'origine exclusive des prescriptions litigieuses.
Elle estime que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'avis médico-légal du médecin consulté par l'employeur n'apportant aucune élément nouveau d'ordre médical, la seule mention d'une discopathie étant insuffisante, et rappelle que tout état antérieur qui ne justifiait pas d'arrêt de travail auparavant l'accident et qui n'empêchait pas le salarié de travailler doit être pris en charge au titre de l'accident en cause en tant que lésion révélée, aggravée ou décompensée par l'accident du travail. Elle indique qu'une relation causale partielle suffit pour que l'arrêt soit pris en charge au titre de l'accident du travail et que seuls les arrêts de travail dont il est démontré que la cause est exclusivement étrangère à l'accident du travail ne bénéficient pas d'une prise en charge au titre de la législation sur le risque professionnel.
A titre subsidiaire, elle indique, en cas de désignation d'un expert, que celui-ci ne pourra fixer une nouvelle date de consolidation ou de guérison.
Elle souligne que le service médical a rendu deux avis sur le dossier de la salariée.
Sur ce,
En application des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée, ou travaillant à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Il découle de ce texte que la présomption d'imputabilité au travail s'attachant aux lésions survenues au temps et sur le lieu du travail s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la victime jusqu'à la date de la guérison ou de la consolidation de son état de santé.
Elle ne fait pas obstacle à ce que l'employeur conteste l'imputabilité à l'accident du travail initialement reconnu de tout ou partie des soins et arrêts de travail pris en charge ultérieurement par la caisse primaire d'assurance maladie, mais lui impose alors de rapporter, par tous moyens, la preuve de l'absence de lien de causalité, c'est-à-dire d'établir que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de l'accident résultent d'une cause totalement étrangère au travail.
Une mesure d'expertise n'a donc lieu d'être ordonnée que si l'employeur apporte des éléments de nature à laisser présumer l'existence d'une cause étrangère qui serait à l'origine exclusive des arrêts de travail contestés, et en tout état de cause et elle n'a pas vocation à pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.
Il doit être en outre rappelé que le lien de causalité qui résulte de la présomption subsiste quand bien même l'accident aurait seulement précipité l'évolution ou l'aggravation d'un état pathologique antérieur qui n'entraînait jusqu'alors aucune incapacité.
La cour précise en outre qu'il résulte de l'article L. 411-1 susvisé que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
Il sera relevé que la déclaration d'accident du travail établie le 17 janvier 2018, mentionne que la salariée, le 16 janvier 2018, alors qu'elle rangeait des rouleaux de papier hygiénique dans son local a ressenti une douleur dans le dos.
Par ailleurs, la caisse produit le certificat médical initial du 16 janvier 2018, qui fait état d'une « lombalgie aigue nécessitant repos», ainsi que les certificats médicaux de prolongation jusqu'à celui du 6 décembre 2018, qui maintient l'arrêt de travail jusqu'au 20 décembre 2018.
Il sera relevé que la caisse produit un certificat médical de prolongation pour la période du 19 au 26 janvier 2018 et un autre pour la période du 29 janvier au 9 février 2018 (certificat médical de prolongation rectificatif du 29 janvier 2018), les 27 et 28 janvier étant un samedi et un dimanche. Contrairement à ce que soutient l'employeur, elle justifie dès lors de la continuité des arrêts de travail prescrits.
Par ailleurs, les certificats médicaux produits comportent la mention d'un lumbago ou de lombalgies, de sorte que l'employeur ne peut utilement prétendre que les pathologies constatées dans ces documents sont évolutives.
La caisse verse également à son dossier une attestation de paiement d'indemnités journalières à la salariée, versées de manière ininterrompue durant la période du 16 janvier 2018 au 20 décembre 2018 ainsi que des fiches de liaisons médico-administratives des 9 novembre et 20 juin 2018 dans lesquels le service médical de la caisse a considéré les arrêts de travail comme justifiés.
Dès lors, la présomption d'imputabilité s'étend à toute la période de l'incapacité de travail ayant précédé la date de consolidation, soit le 20 décembre 2018.
Pour renverser la présomption, l'employeur demande ainsi à titre principal le prononcé d'une expertise. Il soutient particulièrement que la durée des arrêts de travail prescrits lui paraît disproportionnée par rapport aux lésions initialement constatées, qui lui paraissent bénignes, et que l'état de santé de la salariée a révélé une discopathie ayant évolué pour son propre compte.
Toutefois, étant relevé que l'expertise ne saurait être prononcée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale, qui a été abrogé, il résulte de l'application des articles L. 142-10, R. 142-16 et L. 411-1 du code de la sécurité sociale susvisé que la référence au caractère disproportionné entre la longueur des arrêts de travail et la lésion constatée n'est pas de nature à établir de manière suffisante l'existence d'un litige d'ordre médical justifiant le prononcé d'une expertise.
Dans son avis médico légal, le médecin consulté par l'employeur relève la longueur des arrêts de travail prescrits, ce qui est, comme il a été indiqué précédemment, inopérant.
Il relève l'absence de fiche de liaison médico-administrative. Il a été noté précédemment que la caisse a produit deux de ces fiches, aux termes desquels le service médical a considéré les arrêts de travail comme justifiés.
Il fait état de l'apparition dans les certificats médicaux des 3 et 23 novembre 2018 de la mention de lombalgies sur discopathies L 5-S1 puis, dans celui du 6 décembre 2018, d'une lombosciatalgie gauche sur calcification postérieures disque L 5-S1, dont il déduit l'existence d'un état antérieur.
Toutefois, étant relevé qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que cet état antérieur, à le retenir encore tel que le propose cet avis, ait fait l'objet d'un traitement ou d'un suivi médical précédemment à l'accident du travail, de sorte qu'il a pu être seulement révélé par celui-ci et doit être pris en charge à ce titre. Par ailleurs, il ne ressort pas plus des éléments du dossier que l'évolution de l'état de santé de la salariée, d'une lombalgie vers une lombosciatalgie, ne participe pas d'un mécanisme lésionnel cohérent.
Il en résulte que l'employeur ne rapporte pas d'éléments suffisants permettant d'envisager que la lombosciatalgie, dont il sera noté qu'elle n'a été indiquée médicalement que le 6 décembre 2018, tandis que la date de consolidation est du 20 décembre 2018, a une cause totalement étrangère au travail, de sorte que sa demande d'expertise doit être rejetée.
Le jugement sera confirmée en toutes ses dispositions.
L'employeur, succombant en son appel, devra en supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du 31 Mars 2020 ( RG 19/01425) en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la la société [2] aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE