AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 20/02973 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M7QI
CPAM DU RHONE
C/
[R]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Pole social du TJ de LYON
du 16 Mars 2020
RG : 18/00876
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE D
PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANTE :
CPAM DU RHONE
Service Contentieux Général
[Localité 2]
représentée par madame [L] [U], audiencière, munie d'un pouvoir
INTIMEE :
[I] [R]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Martine VELLY, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Mars 2022
Présidée par Thierry GAUTHIER, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Nathalie PALLE, présidente
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
- Thierry GAUTHIER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Nathalie PALLE, Présidente, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Salariée de la société [4] depuis le 5 décembre 2016, Mme [R] (l'assurée) a déclaré avoir été victime, le 26 mai 2017, d'un accident du travail en raison des reproches qui lui avaient été faits par le directeur de l'entreprise lors d'un entretien.
L'employeur établissait une déclaration d'accident du travail sans réserve, le 29 mai 2017.
La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône a refusé de prendre en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Le 16 mars 2018, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté la contestation de l'assurée.
Par jugement du 16 mars 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a :
- jugé que la caisse doit prendre en charge l'accident du travail de l'assurée du 26 mai 2018 au titre de la législation professionnelle ;
- renvoyé l'assurée devant la caisse pour la liquidation de ses droits ;
- condamné la caisse aux dépens.
La décision était notifiée par le greffe par remise le 2 juin 2020.
Par lettre recommandée du 11 juin 2020, la caisse a relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions déposées le 5 janvier 2021, la caisse demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris ;
- confirmer la décision de refus de la caisse de prendre en charge au titre de la législation professionnelle, l'accident du 26 mai 2017.
Dans ses conclusions déposées à l'audience, le 15 mars 2022, l'assurée demande à la cour de :
- la recevoir en son appel incident ;
- débouter la caisse de l'ensemble de ses prétentions ;
- confirmer la décision entreprise ;
- condamner la caisse à lui verser la somme de 2 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Conformément aux dispositions de l'article 446-1 du code de procédure civile, les parties ont oralement soutenu à l'audience les écritures qu'elles ont déposées au greffe ou fait viser par le greffier lors de l'audience de plaidoirie et qu'elles indiquent maintenir, sans rien y ajouter ou retrancher.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux écritures ci-dessus visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il sera noté que l'assurée indique dans ses écritures, reprises à l'audience, former appel incident mais ne présente aucune demande d'infirmation de la décision attaquée, dont elle demande en outre la confirmation. Cet appel est dès lors sans objet.
A titre infirmatif, la caisse fait valoir que l'assurée qui sollicite la prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle doit rapporter la preuve d'un fait précis et soudain à l'origine des lésions constatées.
Elle relève l'absence d'une brutale altération des facultés mentales, auquel ne s'apparente pas le syndrome anxio-dépressif ou les pressions au travail et qu'aucun fait accidentel précis n'a été porté à la connaissance de l'employeur, tandis qu'il résulte des pièces versées au débat que les relations entre l'employeur et l'assurée se sont progressivement dégradées au fil des mois, de manière préexistante aux événements survenus le 26 mai 2017. Elle souligne que la salariée fait état d'une « énième agression verbale », d'une « situation délétère et tendue depuis son embauche en décembre 2016 ».
Elle indique que des discordances existent entre la version de l'employeur et de l'assurée concernant les circonstances du prétendu accident. Elle considère que l'entretien qui s'est tenu n'était qu'un entretien professionnel concernant le comportement de l'assurée, intervenu dans le cadre du pouvoir de direction de l'employeur et qu'il n'était pas, à lui seul, susceptible de provoquer une lésion psychologique. Elle estime qu'il n'est pas démontré un usage excessif et disproportionné par l'employeur de son pouvoir de subordination.
Elle ajoute que l'assurée ne justifie pas du malaise qu'elle indique avoir subi et ne peut se prévaloir d'aucun témoignage direct. Elle soutient que la matérialité et le caractère professionnel de l'accident ne résultent que des seules affirmations de la salariée.
Elle précise que la salariée a fait l'objet d'un arrêt de travail du 26 mai au 28 septembre 2017, non contesté.
A titre confirmatif, l'assurée soutient qu'elle eu un malaise sur son lieu de travail habituel et durant son temps de travail, et qu'elle a toujours soutenu que son malaise était lié au comportement de harcèlement de son supérieur hiérarchique, la discussion de « recadrage », dont l'employeur reconnaît qu'il eu un ton sec « mais sans plus », ayant tourné à l'agression verbale. Elle précise que la juridiction prud'homale a reconnu les faits de harcèlement dont l'employeur était l'auteur et a annulé le licenciement.
Sur ce,
Selon l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Constitue ainsi un accident du travail, un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion.
Il appartient à l'assuré qui allègue avoir été victime d'un accident du travail d'établir, autrement que par ses propres affirmations, les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel.
Par ailleurs, des troubles psychiques peuvent caractériser un accident du travail si leur apparition est brutale et liée au travail.
En l'espèce, il résulte de la déclaration d'accident du travail établie le 12 juin 2017 par l'assurée, que les faits accidentels - datés du 26 mai 2017 - ont été décrits ainsi : « suite à une énième agression verbale violente de mon supérieur hiérarchique, M. [X], je me trouve en état de choc, vidée. Je fais un malaise vagual. Lorsque je reprends mes esprits, je téléphone aux pompiers qui me demandent de faire le 15 qui (me) dirige à la maison médicale ». Les lésions indiquées sont : « psychologiques, suite aux récurrentes agressions quotidiennes ».
La déclaration établie le 29 mai 2017 par l'employeur fait état d'un « malaise » durant la « pause déjeuner ».
La caisse a procédé une enquête administrative. Elle a entendu la salariée, par téléphone, et a adressé un questionnaire à l'employeur, lequel a été également contacté par téléphone.
Il en ressort que les parties s'accordent pour établir que le 26 mai, entre 12 et 13 heures, l'employeur et la salariée ont eu une discussion au cours de laquelle des reproches ont été adressés à celle-ci.
La cause de ces reproches n'est pas totalement identique selon les versions des parties : la salariée prétend que l'employeur lui aurait dit qu'elle était une « moins que rien », parce qu'il était à la recherche de clés d'un coffre qui auraient été en dernier lieu utilisées par la salariée mais qui ne se trouvaient pas à leur place habituelle.
L'employeur reconnaît qu'une discussion est intervenue en raison de la recherche des clés, en lui prêtant une importance moindre que dans la version de la salariée tout en reconnaissant l'avoir vue paniquer et indique avoir dû « recadrer » celle-ci, à la suite d'un courriel qu'elle avait adressé au sujet de son taux de commission, précisant avoir utilisé un « ton sec » mais que l'entretien est resté cordial.
A la suite de cette conversation, la salariée indique avoir été prise de malaise dans les toilettes, s'être cognée, puis, après avoir repris ses esprits, avoir retrouvé une collègue, Mme [T], à laquelle elle a fait part de son désarroi.
Cette collègue de travail, qui n'a pu être contactée téléphoniquement par la caisse en dépit des tentatives de celle-ci, indique dans un courriel du 9 juin 2017, joint au dossier d'enquête de la caisse, que la salariée a pris sa pause déjeuner après le départ de l'employeur, vers 12 h 30, et qu'elle revenue une vingtaine de minutes plus tard l'informant qu'elle avait fait un malaise et qu'elle s'est alors mise à sangloter.
De manière convergente avec la version de la salariée, sa collègue de travail indique que la salariée a appelé les pompiers, qui l'ont orientée sur la maison médicale et qu'elle est partie, accompagnée par son mari, sans prévenir l'employeur.
Toutefois, l'existence du malaise allégué par la salariée, qui a indiqué en outre s'être cognée à la suite du malaise vagual, sans que cela ne soit en rien objectivé notamment par le certificat médical initial établi le même jour, ne repose que sur les seules affirmations de la salariée, l'employeur et la collègue de travail ne faisant manifestement que reprendre les indications de la salariée.
Le seul fait objectivement établi par la convergence des versions des parties réside dans la discussion entre la salariée et l'employeur, et non le malaise vagual dont se prévaut la salariée. A cet égard, le certificat médical initial indique la survenance d'un tel malaise « sur les lieux du travail » cependant que le prescripteur ne peut manifestement relater ce fait que sur les seules affirmations de la salariée. Il n'est dès lors pas justifié de ce que la salariée a été atteinte d'un malaise sur son lieu de travail, étant relevé que c'est essentiellement sur cette circonstance que se sont fondés les premiers juges pour retenir l'existence d'un accident du travail.
En outre, s'il résulte du certificat du même jour qu'il a été constaté un état anxio-dépressif, il ne résulte d'aucun élément produit par la salariée une relation directe entre cet état et la discussion survenue avec l'employeur.
L'existence de cette relation causale est rendue douteuse par le fait que, dans sa déclaration d'accident du travail, la salariée indique que l'entretien avait donné lieu à une « énième » agression verbale violente de l'employeur ». A cet égard, il convient de relever que, dans sa décision du 28 janvier 2020, dont le caractère irrévocable n'est pas justifié, le conseil de prud'hommes de Lyon a retenu l'existence de faits de harcèlement commis contre la salariée, sur la période du 9 décembre 2016 au 26 mai 2017, date à compter de laquelle la salariée a été placée en arrêt de travail.
Il paraît en résulter une dégradation progressive des conditions de travail de la salariée, corrélativement de l'état de santé de la salariée, dont les faits du 26 mai 2017, soit l'échange avec l'employeur, ne peuvent à eux seuls constituer la cause à l'origine des lésions invoquées par la salariée et constatées le 26 mai 2017.
Ainsi, il n'est pas justifié de ce que l'arrêt de travail ait été causé par une brutale altération des facultés mentales de la salariée en lien avec un événement survenu au lieu et temps de travail.
En conséquence, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a retenu que la caisse devait prendre en charge l'accident du travail de la salariée, dont les demandes doivent être rejetées, et la décision de rejet de la commission de recours amiable de la caisse du 19 mars 2018 sera confirmée.
La salariée, succombant en l'instance d'appel, devra en supporter les dépens et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile devra être rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
DÉCLARE l'appel incident formé par Mme [R] sans objet,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Y ajoutant,
CONFIRME la décision de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône du 19 mars 2018 ayant refusé la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont Mme [R] déclare avoir été victime le 26 mai 2017 ;
CONDAMNE Mme [R] aux dépens d'appel ;
REJETTE la demande de Mme [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE