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09/06/2022 | FRANCE | N°20/00199

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 09 juin 2022, 20/00199


N° RG 20/00199

N° Portalis DBVX-V-B7E-MZL6









Décision du Tribunal de Commerce de [Localité 7]

Au fond

du 17 décembre 2019



RG : 2018j1186







[S] [D]

[C]

SELARL SELARL MJ SYNERGIE



C/



SAS FAST CAR DESIGN

S.A.R.L. SOFT [Localité 7]





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE [Localité 7]



3ème chambre A



ARRÊT DU 09 Juin 2022







APPELANTE :



S.A.R.L. SOFT [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Laurent BURGY de la SELARL LINK ASSOCIES, avocat au barreau de [Localité 7], toque : 1748, substitué par Me Didier MILLET, avocat au barreau de [Localité 7]







...

N° RG 20/00199

N° Portalis DBVX-V-B7E-MZL6

Décision du Tribunal de Commerce de [Localité 7]

Au fond

du 17 décembre 2019

RG : 2018j1186

[S] [D]

[C]

SELARL SELARL MJ SYNERGIE

C/

SAS FAST CAR DESIGN

S.A.R.L. SOFT [Localité 7]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE [Localité 7]

3ème chambre A

ARRÊT DU 09 Juin 2022

APPELANTE :

S.A.R.L. SOFT [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Laurent BURGY de la SELARL LINK ASSOCIES, avocat au barreau de [Localité 7], toque : 1748, substitué par Me Didier MILLET, avocat au barreau de [Localité 7]

INTIMES :

Mme [A] [S] [D]

née le 10 Juillet 1988 à [Localité 8]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Jacques LEROY, avocat au barreau de [Localité 7], toque : 1911

M. [X] [C]

né le 12 Mai 1987 à [Localité 8]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Jacques LEROY, avocat au barreau de [Localité 7], toque : 1911

SELARL MJ SYNERGIE, représentée par Me [O] [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société FAST CAR DESIGN

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Jacques LEROY, avocat au barreau de [Localité 7], toque : 1911

******

Date de clôture de l'instruction : 15 Octobre 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Avril 2022

Date de mise à disposition : 09 Juin 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, [B] [I] a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon lettre de mission acceptée le 8 septembre 2016, la SAS Fast Car Design, spécialisée dans la vente de véhicules d'occasion importés en France depuis d'autres pays de l'Union Européenne, a confié à la SARL Soft [Localité 7], société d'expertise comptable, une mission de présentation de ses comptes annuels et une mission complémentaire de tenue comptable et fiscale comportant notamment l'établissement des diverses déclarations fiscales (TVA, CET, taxe d'apprentissage, formation professionnelle continue...).

Le 25 juillet 2017, l'administration fiscale a notifié à la société Fast Car Design un avis de vérification de comptabilité portant sur la TVA pour la période du 1er janvier 2016 au 30 juin 2017.

Au terme de ses opérations de contrôle fiscal, elle lui a notifié le 7 février 2018 une proposition de rectification à hauteur de 176.352 euros au titre des droits de TVA sur la période du 1er janvier 2016 au 30 juin 2017 et de 4.938 euros au titre des intérêts de retard correspondant à un réhaussement de TVA sur la vente de 46 véhicules du fait d'une application d'une TVA sur marge en lieu et place d'une TVA sur le prix réel de vente total.

Par courrier recommandé du 12 avril 2018, le conseil de la société Fast Car Design a dénoncé les fautes commises par la société Soft [Localité 7] et invité celle-ci à déclarer un sinistre auprès de son assureur responsabilité civile professionnelle.

Après relance et tentative de conciliation devant l'Ordre régional des experts-comptables, la société Fast Car Design, Mme [S] [D] et M. [C], ses dirigeants, ont fait délivrer assignation à la société Soft [Localité 7] par acte d'huissier du 25 juillet 2018 devant le tribunal de commerce de [Localité 7] en indemnisation.

Par jugement du 25 septembre 2018, la société Fast Car Design a été placée en liquidation judiciaire. La SELARL MJ Synergie représentée par Me [F], a été nommée ès qualités de liquidateur judiciaire (le liquidateur judiciaire). Elle est intervenue volontairement à la procédure engagée devant le tribunal de commerce de [Localité 7].

Par jugement du 17 décembre 2019, ce tribunal s'est déclaré compétent matériellement et territorialement et a':

jugé recevable leur action,

jugé la société Soft [Localité 7] coupable d'une faute civile et engagé sa responsabilité contractuelle,

condamné la société Soft [Localité 7] à régler au liquidateur judiciaire les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros au taux de 2.80% à compter du 1er août 2017 jusqu'à leur complet règlement,

condamné la société Soft [Localité 7] à régler au liquidateur judiciaire les frais d'expertise comptable d'un montant de 1.200 euros TTC,

condamné la société Soft [Localité 7] à régler au liquidateur judiciaire les frais d'avocat d'un montant de 7.740 euros,

débouté la société Fast Car Design ainsi que ses dirigeants de leurs demandes au titre de la perte de chance et du préjudice moral,

rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties et les en a déboutés,

ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans caution,

condamné la société Soft [Localité 7] à verser à la société Fast Car Design la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Soft [Localité 7] aux dépens de l'instance.

La société Soft [Localité 7] a interjeté appel par acte du 9 janvier 2020, sauf en ce que le tribunal a débouté la société Fast Car Design ainsi que ses dirigeants de leurs demandes au titre de la perte de chance et du préjudice moral et en ce qu'il a rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties (RG 20/00199).

Par acte du 29 janvier 2020, Mme [S] [D], M. [C] et la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design, ont également interjeté appel, en ce qu'ils ont été déboutés de leurs demandes au titre de la perte de chance et du préjudice moral ainsi que de leurs autres prétentions (RG 20/00762).

Un incident aux fins de radiation de l'appel interjeté par la société Soft [Localité 7] et de jonction des deux procédures a été soulevé par le liquidateur judiciaire. Selon ordonnance du 16 juin 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident de radiation et dit la demande de jonction prématurée.

Par conclusions identiques notifiées respectivement du 2 avril 2020 et le 25 juin 2020 dans chacune des instances RG n° 20/00762 et RG n° 20/00199, la société Soft [Localité 7] demande à la cour sur le fondement de l'article 1147 ancien et de l'article1240 du code civil de :

déclarer recevable et bien fondé son appel,

faisant droit,

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a qu'il a décidé qu'elle avait commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle et l'a condamnée à régler à la SELARL MJ Synergie :

les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros au taux de 2.80% à compter du 1er août 2017 jusqu'à leur complet règlement,

les frais d'expertise comptable d'un montant de 1.200euros TTC,

les frais d'avocat d'un montant de 7.740 euros

l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1.000euros,

statuant de nouveau,

juger qu'elle n'a commis aucune faute permettant d'engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Fast Car Design et de la SELARL MJ Synergie,

débouter la SELARL MJ Synergie de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions comme étant non fondées,

débouter M. [C] et Mme [S] [D] de leurs demandes à son encontre comme étant non fondées,

condamner la SELARL MJ Synergie conjointement et solidairement avec M. [C] et Mme [S] [D] à lui régler de légitimes dommages et intérêts pour procédure abusive qui ne sauraient être inférieurs à 5000 euros,

condamner les mêmes à lui verser la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'appel et de première instance.

Selon ordonnance du 22 septembre 2020, le conseiller de la mise en état a prononcé la jonction des deux instances enrôlées sous les références RG 20/00199 et RG 20/00762, l'instance se poursuivant sous la référence RG 20/00199.

Par conclusions du 24 septembre 2020 fondées sur l'article 1147 ancien du code civil et l'article 1240 du code civil, le liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design, Mme [S] [D] et M. [C] demandent à la cour de':

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la société Soft [Localité 7] s'est rendue coupable d'une faute civile et qu'elle engage sa responsabilite contractuelle,

confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Soft [Localité 7] à regler les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros à compter du 1er août 2017 au taux de 2,80 %, les frais d'expertise comptable à hauteur de 1.200 euros TTC et les frais d'avocats de 7.740 euros,

débouter la société Soft [Localité 7] de sa demande de condamnation pour procédure abusive,

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a debouté le liquidateur judiciaire de sa demande de perte de chance,

condamner la société Soft [Localité 7] à payer au liquidateur judiciaire la somme de 88.176 euros au titre de la perte de chance de ne pas avoir été en mesure de rectifier sa situation fiscale et celle de ne pas avoir obtenu de prêt bancaire pour redresser son activité,

infirmer le jugement déféré en ce qu'il a debouté Mme [S] [D] et M. [C] de leur demande de dommages et intérêts pour réparation de leurs préjudices subis par ricochet,

condamner la société Soft [Localité 7] à régler à Mme [S] [D] et à M. [C] la somme de 30.000 euros chacun au titre de leur préjudice lié à la perte de chance de tirer des revenus de l'activité et de se voir rembourser leur investissement personnel de Fast Car Design et la somme de 10.000 euros à chacun [comprendre: au titre de leur préjudice moral],

débouter la société Soft [Localité 7] de son appel incident et de toutes demandes indemnitaires à ce titre,

en toutes hypothèses,

confirmer le jugement déféré en qu'il a condamné Soft [Localité 7] à verser au liquidateur judiciaire la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procedure civile,

ajoutant,

condamner la société Soft [Localité 7] à verser au liquidateur judiciaire la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile,

condamner la société Soft [Localité 7] à verser à Mme [S] [D] et M. [C] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile,

condamner la société Soft [Localité 7] aux entiers dépens.

MOTIFS

Le contrat régularisé entre la société Soft [Localité 7] et la société Fast Car Design a été conclu avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, de sorte qu'il demeure soumis à la loi ancienne.

Sur la responsabilité de la société Soft [Localité 7]

Conformément à l'article 1147 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Dans le cadre de l'exécution de la lettre de mission contenant les obligations contractuellement définies avec le client, l'expert-comptable est tenu d'une obligation de moyen, et à ce titre, son devoir est d'exécuter la mission qui lui est confiée avec toute la compétence et le soin que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel normalement éclairé et diligent.

L'obligation de moyen de l'expert-comptable ne se limite pas à la seule mise en forme des documents fournis par le client conformément à la technique comptable mais elle impose, dans le cadre d'une mission générale de tenue de comptabilité, une obligation de conseil qui l'oblige notamment à tirer les conséquences de ses constatations, de mettre en garde son client et quand il y a lieu, de lui présenter les différentes possibilités offertes notamment en matière fiscale ou financière et de le guider dans ses choix.

En l'espèce, il ressort de la proposition de rectification émise par la Direction Générale des Finances Publiques le 7 février 2018 à l'encontre de la société Fast Car Design, spécialisée dans la cession de véhicules d'occasion importés en France depuis d'autres pays de l'Union Européenne, qu'à l'occasion de la ventes de 46 véhicules, cette dernière a appliqué une TVA sur marge alors que ces cessions relevaient en réalité du régime de la TVA sur le prix de vente total, dès lors que les voitures ne lui ont pas été livrés par un non redevable de la TVA ou par une personne non autorisée à facturer la TVA'.

Aux termes d'une lettre de mission régularisée le 8 septembre 2016, la société Fast Car Design a confié à la société d'expertise comptable Soft [Localité 7] une mission de présentation de ses comptes annuels à compter du 29 janvier 2016, outre une mission complémentaire de tenue comptable et fiscale comportant notamment l'établissement des diverses déclarations fiscales (TVA, CET, taxe d'apprentissage, formation professionnelle continue...).

Le liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design, Mme [S] [D] et M. [C], ses dirigeants, font ainsi grief à la société Soft [Localité 7], d'avoir manqué à son devoir de conseil en omettant de vérifier le régime de TVA applicable alors qu'elle était en charge de l'enregistrement des pièces comptables et des déclarations de TVA et en lui conseillant d'appliquer indistinctement une TVA sur marge.

Pour contester sa responsabilité, l'appelante ne saurait utilement soutenir qu'étaient exclus de sa mission le contrôle de la régularité formelle des factures reçues et émises par sa cliente et de leur conformité à la réglementation, alors que selon la proposition de rectification susvisée, le redressement fiscal ne trouve pas son origine dans l'existence d'irrégularités affectant les factures des véhicules vendus à tort selon le régime de la TVA sur marge, mais dans la mauvaise application des règles relatives à ce régime de taxation.

Elle expose encore à tort que les factures établies par les vendeurs intracommunautaires et par la société Fast Car Design ne comportaient aucun indice de nature à permettre d'identifier une irrégularité s'agissant du régime de TVA appliqué, alors que l'administration fiscale relève dans sa proposition de rectification que sur les 46 factures émises par les assujettis revendeurs et dont la société Soft [Localité 7] ne conteste pas avoir été destinataire dans le cadre de l'exécution de sa mission de déclaration de TVA, 42 d'entre elles comportaient les mentions obligatoires indiquant qu'elles constituaient des livraisons intracommunautaires exonérées de TVA et 4 d'entre elles comportaient la mention de la TVA appliquée sur le prix de vente totale au taux de 19% par les assujettis revendeurs situés en Allemagne, lesquelles mentions impliquaient la soumission de la revente en France de ces véhicules à la TVA sur le prix de vente total dans les conditions de droit commun.

Il ne pouvait donc échapper à l'appelante que sa cliente appliquait un régime de TVA inapproprié à ses ventes de véhicules, alors qu'il résultait très visiblement des factures d'achat que ses propres vendeurs mentionnaient le régime de TVA régissant ces livraisons intracommunautaires et qu'il ne s'agissait pas du régime dit «'de marge'», de sorte qu'il était manifeste que la revente en France de ces véhicules relevait d'un régime de TVA sur l'intégralité du prix.

Le moyen tiré de l'existence d'un quitus fiscal de nature à valider le principe de la TVA sur marge et des montants à acquitter et de nature à démontrer que les irrégularités étaient ainsi peu aisément identifiables, y compris par des services spécialisés, est tout autant inopérant, alors qu'il ressort encore de la lecture de la proposition de rectification du 8 septembre 2016, que le service vérificateur n'a pas été en mesure d'apprécier la justification du régime de TVA appliqué dans le pays européen par le vendeur d'origine à partir des quitus déposés auprès du Service des Impôts des Entreprises, faute de production par le dirigeant de la société Fast Car Design de la copie de la facture de vente remise par l'assujetti revendeur européen lorsqu'il a acquis le véhicule ou de la copie de la facture de vente du véhicule émise par le titulaire du certificat d'immatriculation.

En outre, quand bien même les gérants de la société Fast Car Design auraient eu une connaissance du régime fiscal applicable à la revente en France de véhicule inter communautaires, ce qui ne saurait résulter ni de l'achat de plusieurs véhicules préalablement au mandat comptable donné à la société Soft [Localité 7], ni d'un précédent contrôle fiscal diligenté contre eux, ce moyen est en tout état de cause inopérant alors que les compétences personnelles du client ne déchargent pas l'expert-comptable de son obligation de conseil.

L'appelante ne peut davantage utilement opposer aux intimés la mention figurant au rapport comptable du 18 mai 2018 ainsi libellée': «'toutes les ventes et TVA ont été validées par vos soins afin de s'assurer que les régimes adéquats ont bien été appliqués, à savoir TVA sur marge ou normal'», alors qu'une telle mention, absente des rapports comptables de 2016 et de 2017, et insérée par le cabinet comptable, manifestement pour les besoins de la cause, pour la première fois postérieurement au redressement fiscal de sa cliente, est ainsi insusceptible de l'exonérer de sa responsabilité.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments, que la société Soft [Localité 7], qui avait pour mission d'établir les déclarations fiscales de TVA de la société Fast Car Design, et qui s'est bornée à transmettre à sa cliente un tableau de suivi des achats et ventes de véhicules à compléter prévoyant uniquement l'application d'une TVA sur marge, sans procéder à aucun examen et traitement des informations figurant sur les factures des revendeurs qu'elle était chargée d'enregistrer, a ainsi commis une négligence fautive, alors qu'il lui appartenait de vérifier, pour chaque vente, la régularité du régime de TVA applicable au regard des éléments figurant sur chaque facture correspondante s'agissant des taxations antérieurement pratiquées dans le pays d'origine de chaque véhicule.

Sa responsabilité se trouve ainsi engagée alors qu'en acceptant dans sa lettre de mission d'intervenir sur la TVA, elle était tenue d'informer sa cliente des spécificités particulières du régime de TVA applicable aux acquisitions intracommunautaires de véhicules d'occasion et d'opérer un contrôle de vraisemblance des déclarations fiscales au regard des pièces comptables communiquées par la cliente afin de s'assurer de leur conformité aux exigences légales du régime de TVA sur marge. Il convient donc de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur les préjudices

S'agissant de la demande au titre des intérêts de retard

Le liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design sollicite la condamnation de la société Soft [Localité 7] à lui régler les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros à compter du 1er août 2017 au taux de 2,80 % mis à la charge de la société Fast Car Design par l'administration fiscale.

Cependant, comme l'expose avec raison l'appelante, les intérêts de retard dû en application de l'article 1727 du code général des impôts, qui visent seulement à réparer le préjudice subi par le Trésor Public et qui ne font que compenser l'avantage ayant consisté, pour la société Fast Car Design à bénéficier d'une trésorerie dont elle n'aurait pas disposée si elle s'était acquittée en temps voulu de l'intégralité de la TVA dont elle était redevable, ne constitue pas un préjudice réparable. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré sur ce point.

S'agissant de la demande au titre des frais d'expertise comptable et des frais d'avocats

Le liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design sollicite également la condamnation de la société Soft [Localité 7] a lui régler la somme de 1.200 euros TTC au titre de frais d'expertise comptable rendus nécessaires au titre de l'assistance apportée dans le cadre des opérations de vérifications fiscales.

Or, contrairement à ce que soutient l'appelante, cette demande est parfaitement chiffrée. Elle est au demeurant justifiée par la production aux débats d'une note d'honoraire émise par la société Soft [Localité 7] le 17 janvier 2018 pour un montant de 1.200 euros TTC et libellée au titre de «'l'assistance dans le cadre du contrôle fiscal'», ainsi que par le relevé de compte du Crédit Mutuel de la société Fast Car Design portant indication de ce même montant accompagné de la mention «'prélèvement Sepa Sarl Soft [Localité 7] honoraires 2018 janvier'» en date du 15 février 2018.

En conséquence, le liquidateur judiciaire est bien fondé à solliciter remboursement de cette dépense exposée, laquelle trouve directement son origine dans la faute commise par l'expert comptable dans le calcul de la TVA, qui a nécessité un accompagnement supplémentaire de sa cliente dans le cadre du redressement fiscal en résultant. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

S'agissant de la demande en paiement de la somme de 7.740 euros au titre de frais d'avocats, le liquidateur judiciaire justifie de notes de frais et honoraires pour ce montant total au titre de l'assistance à contrôle fiscal, en date du 22 août, 21 décembre, 29 décembre 2017, ainsi que du 28 février et 28 mai 2018. Contrairement, à ce que soutient l'appelante, qui ne conteste pas que ces honoraires ont été payés, le recours à l'assistance d'un avocat trouve son origine dans les manquements qu'elle a commis, alors qu'en l'absence de redressement fiscal, l'assistance légale requise pour la première fois par sa cliente le 22 août 2017, soit un mois après l'avis de vérification notifié par l'administration fiscale et qui s'est poursuivie tout au long de la période de contrôle et postérieurement au redressement fiscal, n'aurait trouvée aucune justification.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Soft [Localité 7] à payer au liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design la somme de 7.740 euros au titre des frais d'avocats exposés.

S'agissant de la demande du liquidateur judiciaire au titre de la perte de chance

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Au terme du dispositif de ses conclusions, le liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design sollicite réparation de la perte de chance de ne pas avoir été en mesure de rectifier sa situation fiscale et celle de ne pas avoir obtenu un prêt bancaire pour redresser son activité. Il sollicite à ce titre paiement de la somme de 88.176 euros correspondant à la moitié du montant total du redressement fiscal dont la société Fast Car Design a été l'objet. A ce titre, il fait valoir que le redressement fiscal, qui a nécessité l'inscription au bilan d'une importante provision pour risques et charges, a ainsi rendu impossible tout recours à l'emprunt pour financer cette dette eu égard aux capitaux propres devenus négatifs, empêchant ainsi toute possibilité de redressement de sa situation financière. Il ressort ainsi des moyens soulevés, que la perte de chance sollicitée s'analyse en réalité en une demande au titre de la perte de chance de poursuivre l'activité de la société.

L'appelante soutient que cette perte de chance n'est pas caractérisée alors que la société a été placée en liquidation judiciaire immédiatement après le redressement fiscal et que la preuve n'est pas rapportée de ce que le redressement fiscal est à l'origine de la procédure collective.

Or, il ressort des pièces produites et notamment des procès-verbaux de résolution d'affectation des résultats comptables des exercices 2016 et 2017 de la société Fast Car Design que si son chiffre d'affaires présentait une évolution très positive passant de 509.161 euros en 2016 à 1.435.431 euros en 2017, en revanche, le résultat net comptable arrêté à 14.053 euros au titre de l'année 2016 était de -15.034 euros au titre de l'année 2017, par suite de la nécessité d'inscrire au bilan une provision pour risques et charges de 181.290 euros correspondant au montant de la rectification fiscale.

Il est également établi que la société nouvellement crée était ainsi dans l'impossibilité de faire face à cette dette, sa situation financière précaire la privant de toute possibilité de recours à l'emprunt, comme en atteste le courrier de la banque Crédit Mutuel du 3 juillet 2018 de refus de prêt. Il ressort également des pièces produites qu'en l'absence de cette provision pour risques et charges, le résultat aurait été bénéficiaire à hauteur de 30.255,34 euros.

Or, s'il est incontestable qu'en l'absence d'erreur sur la TVA applicable, le prix de revente des véhicules aurait été plus élevé, donc moins concurrentiel, de sorte qu'il n'est pas établi que le volume de vente à ces conditions aurait été conforme à celui réalisé, il ressort néanmoins de ces éléments, que, du fait de ce redressement fiscal, la société Fast Car Design a perdu une chance certaine de poursuivre son activité, laquelle perte de chance doit être fixée à la somme de 22.154 euros ((14.053 euros +30.255,34 euros) x 50%). Il y a donc lieu de condamner la société Soft [Localité 7] à payer cette somme au liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design.

S'agissant de la demande de Mme [S] [D] et de M. [C] au titre de la perte de chance

Mme [S] [D] et de M. [C] sollicitent chacun la somme de 30.000 euros au titre de la perte de chance de tirer des revenus de leur activité. Néanmoins, comme l'expose avec raison l'appelante, les dirigeants de la société qui ne contestent pas avoir obtenu remboursement de leurs comptes courants d'associés, et qui n'ont jamais sollicité de rémunération ou de distribution de dividendes depuis la création de la société, ne démontrent pas, autrement que par leurs affirmations non corroborées par une offre de preuve, qu'en l'absence d'inscription de provisions pour risques et charges tenant au redressement fiscal, le résultat de l'exercice 2017 leur aurait été distribué. Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il les a débouté de cette demande indemnitaire.

S'agissant de la demande de Mme [S] [D] et de M. [C] au titre de leur préjudice moral

La demande de Mme [S] [D] et de M. [C] au titre d'un préjudice moral tenant au stress et à l'anxiété générés par le contrôle fiscal, qui n'est objectivée par aucun élément probatoire et notamment médical, autre que leurs seules allégations, doit également être rejetée. Il convient de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société Soft [Localité 7] pour procédure abusive

Le jugement déféré est confirmé sur le rejet de la demande en paiement pour procédure abusive soutenue par la société Soft [Localité 7], laquelle succombe dans son appel.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Succombant dans son action, la société Soft [Localité 7] doit supporter les dépens de première instance et d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser à la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design une indemnité de procédure. En revanche, la demande d'indemnité de procédure formée par Mme [S] [D] et M. [C] est rejetée en équité.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Soft [Localité 7] à régler les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros à compter du 1er août 2017 au taux de 2,80 % et en ce qu'il a débouté la société Fast Car Design de sa demande au titre de la perte de chance,

Statuant à nouveau et ajoutant,

Déboute la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design de sa demande de condamnation de la société Soft [Localité 7] à régler les intérêts de retard calculés sur la base de 176.352 euros à compter du 1er août 2017 au taux de 2,80 %,

Condamne la société Soft [Localité 7] à payer à la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design la somme de 22.154 euros au titre de la perte de chance de poursuivre son activité,

Condamne la société Soft [Localité 7] à verser à la SELARL MJ Synergie, représentée par Me [F], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Fast Car Design une indemnité de procédure de 5.000 euros en cause d'appel,

Déboute Mme [S] [D] et M. [C] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Soft [Localité 7] aux dépens d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 20/00199
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.00199 ?
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