La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2022 | FRANCE | N°19/06208

France | France, Cour d'appel de Lyon, 3ème chambre a, 09 juin 2022, 19/06208


N° RG 19/06208

N° Portalis DBVX-V-B7D-MSK7









Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 11 juillet 2019



RG : 2018j484







Société ALTAREA

SNC ALTAREA MANAGEMENT

SNC COGEDIM - GESTION



C/



[U]

[T]

SAS DANAE PATRIMOINE

SAS FINANCIERE ROMANA

SAS VALORITY FRANCE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



3ème chambre Ar>


ARRÊT DU 09 Juin 2022







APPELANTES :



Société ALTAREA

[Adresse 6]

[Localité 5]



Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938 et ayant pour avocat plaidant, Me Frédér...

N° RG 19/06208

N° Portalis DBVX-V-B7D-MSK7

Décision du Tribunal de Commerce de LYON

Au fond

du 11 juillet 2019

RG : 2018j484

Société ALTAREA

SNC ALTAREA MANAGEMENT

SNC COGEDIM - GESTION

C/

[U]

[T]

SAS DANAE PATRIMOINE

SAS FINANCIERE ROMANA

SAS VALORITY FRANCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

3ème chambre A

ARRÊT DU 09 Juin 2022

APPELANTES :

Société ALTAREA

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938 et ayant pour avocat plaidant, Me Frédéric PELTIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Clément WIERRE, avocat au barreau de PARIS

SNC ALTAREA MANAGEMENT

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938 et ayant pour avocat plaidant, Me Frédéric PELTIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Clément WIERRE, avocat au barreau de PARIS

SNC COGEDIM - GESTION

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938 et ayant pour avocat plaidant, Me Frédéric PELTIER, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Clément WIERRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMES :

M. [C] [U]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

Mme [Z] [T]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

SAS DANAE PATRIMOINE

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

SAS FINANCIERE ROMANA

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

Société V FRANCE venant aux droits de VALORITY FRANCE

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

******

Date de clôture de l'instruction : 21 Décembre 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Avril 2022

Date de mise à disposition : 09 Juin 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président

- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée

- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée

assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier

A l'audience, Catherine CLERC a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCA Altarea est la société-mère du Groupe Altarea Cogedim, (groupe immobilier entrepreneurial ayant des activités de foncière de commerce, de promoteur de logements et de développement d'immobilier d'entreprise) dont font partie la SNC Cogedim Gestion et la SNC Altarea Management.

Du Groupe Valority dont l'activité principale est la commercialisation de produits immobiliers pour compte de tiers et la gestion locative immobilière, dépendent les sociétés Valority Investissement, Pure Gestion Locative et Valofi, l'intégralité du capital social de ces trois dernières sociétés ainsi que leurs droits de vote étant détenus par trois sociétés financières, la SAS Financière Romana, la SAS Danae Patrimoine et la SAS Valority France.

Le capital social et les droits de vote de ces trois sociétés financières sont détenus par leurs représentants légaux, à savoir Mme [Z] [T] et M. [C] [U], dirigeants fondateurs du Groupe Valority.

Courant novembre 2016, la société Altarea a débuté des négociations avec Mme [T] et M. [U] en vue de l'acquisition du Groupe Valority.

Après la signature d'un «'projet de Term-Sheet'» le 21 décembre 2016 et la réalisation de due diligence, les négociations portant principalement sur le prix se sont poursuivies au cours de l'année 2017, ponctuées de rencontres, d'échanges de courriels et d'appels téléphoniques et formalisées par la remise de différents courriers, à savoir':

- une première lettre d'offre ferme présentée le 2 mai 2017 par la société Altarea précisant les termes et conditions de son acquisition du Groupe Valority suivie d'une contre-proposition des vendeurs le 22 mai 2017,

- une seconde lettre d'offre ferme remise le 9 juin 2017 par la société Altarea prenant en compte les termes et conditions formulés le 22 mai 2017, elle-même suivie d'une nouvelle contre-proposition du 21 juin 2017.

- le 19 juillet 2017, le Groupe Valority a rédigé un projet de protocole précisant les termes et conditions de son acquisition à l'égard duquel la société Altarea, par courrier du 27 juillet suivant, a émis plusieurs réserves, notamment sur le prix de cession proposé.

- le 4 septembre 2017, la société Altarea a remis une nouvelle proposition au Groupe Valority, lequel a répondu par courriel du 7 septembre suivant en formulant une contre-proposition, le prix demeurant le sujet principal des négociations.

Le 12 septembre 2017, la société Altarea a signé et proposé une lettre d'offre par laquelle elle disait souhaiter redéfinir les termes de son offre du 8 juin 2017 à laquelle elle se substituait.

Cette lettre d'offre définitive prévoyait notamment que la documentation juridique devait être négociée de bonne foi et finalisée d'un accord entre les parties d'ici le 15 novembre 2017, que le prix d'acquisition était égal à la somme de 53 millions d'euros (prix de base) lequel pouvait être (en substance) majoré ou minoré après la certification du montant des capitaux propres consolidé des sociétés Valority Investissement et de la société Valofi au 31mars 2018, un échelonnement de paiement étant par ailleurs mis en place'; il était prévu par le Groupe Valority une exclusivité au Groupe Altarea jusqu'au 15 novembre 2017 et précisé que cette offre annulait et remplaçait tout accord ou engagement écrit ou oral ou toutes autres discussion à sa date et notamment le Term-Sheet, les lettres d'offre des 2 mai et 8 juin 2017 et les contre-propositions des 22 mai et 21 juin 2016.

Cette lettre d'offre a été contresignée le 12 septembre 2017 par Mme [T] et M. [U] en leur nom et en leur qualité de représentants des sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France.

Dans le courant des mois de septembre et octobre 2017, plusieurs difficultés sont apparues entre les parties, sur notamment :

- une divergence d'interprétation concernant une clause de non-concurrence

- le prix de cession,

- la rédaction de la documentation juridique incombant à la société Altarea (retards, remise d'un projet non adapté la veille de la réunion de travail du 20 octobre 2017).

Le 15 novembre 2017, terme de la période d'exclusivité, les parties ont convenu de proroger cette période jusqu'au 22 novembre suivant.

Par courriel de son conseil du 21 novembre 2017, le Groupe Valority a informé le conseil de la société Altarea qu'il ne se présenterait pas au rendez-vous du lendemain matin fixé par celle-ci pour finaliser les accords dans le délai convenu au 22 novembre 2017.

Considérant que le Groupe Valority avait violé son obligation de négocier de bonne foi et a rompu brutalement les négociations, la société Altarea l'a assigné par acte du 20 mars 2018 devant le tribunal de commerce de Lyon en réparation de son préjudice évalué à la somme de 1'306'481,29€.

Par jugement du 11 juillet 2019, le tribunal de commerce précité a :

débouté les sociétés Altarea, Cogedim Gestion et Altarea Management de l'intégralité de leurs demandes,

rejeté l'ensemble des demandes des sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine, Valority France, Mme [T] et M. [U],

dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné que les dépens de l'instance soient laissés à chacune des parties.

Les sociétés Altarea, Altarea Management et Cogedim Gestion ont relevé appel par déclaration du 3 septembre 2019.

Par conclusions du 29 mai 2020 fondées sur les articles 1112 et 1231 et suivants du code civil, les sociétés Altarea, Cogedim Gestion et Altarea Management demandent à la cour de :

les déclarer recevables et bien fondées en leur appel,

infirmer le jugement déféré en ce qu'il les a déboutées de l'intégralité de leurs demandes et en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

juger que les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France, Mme [T] et M. [U], ont violé leur obligation de négocier de bonne foi,

condamner solidairement les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France, Mme [T] et M. [U] à verser la somme de 1'306'481,29 € à la société Altarea à titre de dommages et intérêts,

en tout état de cause,

débouter les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France, Mme [T] et M. [U] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

condamner solidairement les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France, Mme [T] et M. [U] à verser à la société Altarea la somme de 25'000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner solidairement les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine et Valority France, Mme [T] et M. [U] aux entiers dépens, au profit de Me Laffly- Lexavoué [Localité 8] sur son affirmation de droit.

Par conclusions du 4 décembre 2020 fondées sur les articles 528 et 538 du code de procédure civile et 1112 du code civil, les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine, V France venant aux droits de Valority France, Mme [T] et M. [U] demandent à la cour de :

déclarer irrecevable l'appel interjeté par les sociétés Altarea, Cogedim Gestion et Altarea Management,

à titre subsidiaire,

débouter les sociétés Altarea, Cogedim Gestion et Altarea Management de l'intégralité de leurs demandes,

accueillant l'appel incident,

verser à chacun d'eux la somme de 200'000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre intérêts légaux,

condamner les mêmes à leur payer la somme de 10'000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner les mêmes aux dépens de première instance et d'appel.

MOTIFS

A titre liminaire, il est rappelé que la cour n'est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ni de procéder à des recherches que ses constatations rendent inopérantes, étant obligée de répondre à leurs seuls moyens de droit et de fait fondant chacune des prétentions.

Il est précisé que par souci de clarté ne sont pas mentionnés dans la présente décision les noms de chacun des appelants et des intimés, seuls étant utilisés les termes «les acquéreurs » pour les sociétés Altarea, Cogedim Gestion et Altarea Management et «'cédants'» pour les sociétés Financière Romana, Danae Patrimoine, V France venant aux droits de Valority France, Mme [T] et M. [U].

Le droit nouveau des contrats est applicable au litige eu égard à la date de la signature de la lettre d'offre définitive du 12 septembre 2017 qui fonde le procès.

Sur la recevabilité de l'appel

Les cédants soutiennent que l'appel formé le 3 septembre 2019 à l'encontre du jugement déféré signifié le 26 juillet 2019 est irrecevable car formé plus d'un mois après cette signification.

Les acquéreurs répliquent à bon droit que la signification du 26 juillet 2019 n'a pas fait courir le délai d'appel étant affectée d'une irrégularité quant à la mention exigée par l'article 680 du code de procédure civile relative aux modalités selon lesquelles le recours peut être exercé (mention d'un appel devant la cour d'appel de Paris aux lieu et place de la cour d'appel de Lyon)

L'appel des cessionnaires est en conséquence dit recevable.

Sur l'appel principal

Selon l'article 1112 du code civil, l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.

Il en résulte que si la liberté de rompre unilatéralement des pourparlers est de droit dans le domaine des relations précontractuelles, en tant qu'exercice de la liberté de conclure ou pas un contrat, une telle rupture peut être qualifiée de fautive lorsqu'elle intervient de manière abusive alors que les négociations avaient atteint en durée et en intensité un degré tel qu'une partie a pu légitimement croire que l'autre allait conclure, cette rupture constituant alors un manquement aux règles de bonne foi présidant aux relations commerciales.

Seule une faute commise dans les négociations et qui doit être prouvée, peut engager la responsabilité de son auteur.

Les acquéreurs soutiennent tout à la fois que'les cédants :

alors que la lettre d'offre ferme du 12 septembre 2017 avait formalisé un accord ferme et définitif, ont tenté de renégocier le prix d'acquisition en présentant une nouvelle évaluation du Groupe Valority le 30 octobre 2017, tout en soulevant concomitamment par courriers successifs d' autres sujets non essentiels à la concrétisation de l'accord, et ont profité de leur démarche d'ouverture, consistant à les ramener dans une voie de négociation raisonnable, pour prétendre renégocier l'ensemble de la structure de l'opération en revenant sur le prix convenu dans une proportion à laquelle ils savaient que la société Altarea ne pouvait consentir, en imposant le maintien de Mme [T] et de M. [U] dans leurs fonctions comme s'ils demeuraient seuls propriétaires du Groupe Valority,

ont manqué à l'obligation de bonne foi en ayant volontairement bloqué les discussions, en refusant toutes les négociations sur les projets de contrats proposés par Altarea,

ont rompu brutalement les négociations avancées et entamées de longue date, sous des prétextes fallacieux, alors que Altarea avait engagé des frais importants, après l'avoir entretenue dans la croyance qu'un accord interviendrait, faisant valoir que si des discussions se sont poursuivies pendant la période de prorogation de l'exclusivité, il ne s'agissait pas d'une «'nouvelle négociation'» mais de la poursuite des discussions dans le prolongement de la lettre d'offre ferme du 12 septembre 2017 à laquelle Altaera n'avait jamais renoncé, l'existence de discussions en cours jusqu'au jour de la rupture ne faisant que confirmer son caractère brutal.

Les cédants contestent toute imputation de rupture brutale des pourparlers réfutant point par point l'argumentation des acquéreurs en concluant en substance que':

la lettre d'offre définitive du 12 septembre 2017 ne vaut pas accord définitif de leur part , même partiellement sur le prix, ne s'agissant pas d'une promesse d'achat acceptée, cette lettre d'offre renvoyant par ailleurs à la réalisation de plusieurs conditions préalables dont la signature d'avant-contrats pour aboutir à la signature du contrat de cession,

aucune mauvaise foi ne peut leur être imputée dans la conduite des négociations ou le défaut d'acceptation des conditions et termes de l'offre résultant de la non formalisation de la documentation juridique ; il en va de même de la nouvelle négociation intervenue après le 15 novembre 2017 entre les parties sur des bases différentes, notamment s'agissant des conditions de valorisation du Groupe Valority, et dans le cadre de laquelle celles-ci ont convenu de proroger la période d'exclusivité au 22 novembre suivant, faisant valoir qu'ils ont adressé en urgence aux acquéreurs des projets d'acte de cession entre le 15 et 18 novembre 2017 avant le rendez-vous fixé au 22 novembre suivant, projets sur lesquels Altarea n'a pas fait de retour, raison pour laquelle les négociations ont échoué,

ils n'ont pas rompu brutalement des négociations en ne se rendant pas au rendez-vous du 22 novembre 2017, rappelant qu'ils avaient exprimé maintes fois leurs réserves quant à la finalisation de la cession en l'état de la persistance de plusieurs points bloquants déterminants pour eux, points qui n'ont jamais été clairement définis par Altarea, alors qu'ils ont travaillé jusqu'au terme convenu du 22 novembre pour la recherche d'un accord, sans retour des acquéreurs sur leurs projets, et se sont lourdement investi pendant plus d'un an dans ce projet de cession en mobilisant capitaux et moyens humains.

Dans la lettre d'offre ferme du 12 septembre 2017 proposée aux cédants, les acquéreurs ont écrit en préambule':'

(')

«'Par la présente lettre, nous souhaitons redéfinir les termes de notre offre du 8 juin 2017 à laquelle la présente se substitue. En conséquence, la présente lettre d'offre ferme annule et remplace notre précédent courrier remis en mains propres le 8 juin 2017.

(...)

«'Nous avons l'honneur de vous présenter les termes et conditions dans lesquelles nous serions prêts à réaliser la transaction et qui devront être reflétés dans la documentation juridique d'acquisition, en particulier': les promesses de vente et les promesses d'achat qu'il conviendrait de signer au plus tard le 15 novembre 2017, auxquelles seront notamment annexés un projet de contrat de cession des actions des sociétés du groupe constatant la réalisation desdites promesses, si elles sont exercées, et de convention de garantie de passif signée qui devra également contenir un engagement de non concurrence des cédants en ce compris, l'interdiction de sollicitation professionnelle d'un employé des sociétés du groupe. Dans ce qui suit, les promesses de vente, les promesses d'achat, le contrat de cession et la convention de garantie sont désignés ensemble la documentation juridique.

La documentation juridique devra être négociée de bonne foi et finalisée d'un commun accord entre nous d'ici le 15 novembre 2017'».

L'article 2 de cette lettre d'offre précisait que':

«'L'acquéreur et les cédants pourront respectivement lever chacun, s'ils le souhaitent, les promesses de vente ou les promesses d'achat dont ils seront les bénéficiaires. La signature du contrat de cession interviendra le lendemain de la levée de chacune des promesses de vente ou de la promesse d'achat, selon le cas, pour permettre la réalisation de la transaction au plus tard dans les huit jours si l'ensemble des conditions ont été levées'».

L'article 9 détaillait les 16 conditions suspensives à la réalisation desquelles la transaction était soumise.

L'article 10-2 précisait':'

«'Cette offre constitue l'engagement de l'acquéreur de réaliser la transaction sous réserve de l'exercice de la promesse de vente ou de la promesse d'achat et que les conditions et termes de la présente lettre d'offre soient acceptées puis formalisées entre les cédants et l'acquéreur dans le cadre de la documentation juridique. (') Notre offre sera valable jusqu'au 14 septembre 2017 (').

En nous retournant un exemplaire signé de cette lettre d'offre au plus tard à la date limite, les cédants, Mme [T] et M. [U] reconnaissent que les termes de la présente lui agréent, prennent acte que les termes et conditions de la documentation juridique devront refléter les principes reflétés dans la présente et octroient une exclusivité au groupe Atarea dans les termes et conditions visés à l'article 10-3 (')'».

Il résulte de ces dispositions volontairement exhaustives et littérales qu'en signant cette lettre d'offre ferme, les cédants ne se sont pas engagés définitivement sur l'ensemble des points qui y étaient listés'; ils ont seulement, ainsi qu'ils le relèvent à juste titre, accepté l'encadrement proposé pour les pourparlers et l'engagement d'exclusivité.

Cette lettre d'offre définitive, malgré sa dénomination, n'a pas valeur d'une promesse de vente pas plus que celle d'une promesse d'achat dès lors qu'elle prévoit clairement la nécessité pour chacune des parties d'exercer la promesse qui la concerne, donc la rédaction d'avant-contrats, puis le recueil de leur accord respectif sur ses conditions et termes, lequel doit être formalisé dans la documentation juridique d'acquisition.

L'absence d'accord définitif (notamment sur le prix) à tirer de la simple signature de cette lettre par les cédants est d'autant plus établie que cette lettre renvoie expressément à l'obligation pour les parties de négocier de bonne foi et finaliser d'un commun accord la documentation juridique, indépendamment des conditions suspensives prévues pour la finalisation de l'accord.

Il est donc retenu que cette lettre ne vaut pas accord définitif et ouvrait droit aux parties signataires d'en discuter les termes.

Ensuite, l'examen chronologique des échanges entre les parties révèle que, postérieurement à la lettre d'offre du 12 septembre 2017 ':'

lors d'une réunion de travail le 26 septembre 2017 au cours de laquelle un désaccord est survenu entre les parties (motivé par le fait que les acquéreurs auraient révélé leur intention d'encadrer des activités du Groupe Valority qui ne figuraient pas dans le périmètre de la cession, à savoir celle de promotion immobilière et de marchands de biens), les cédants ont contesté la portée de la clause de non concurrence en tant que s'appliquant à leur société Botero, ces derniers par courriel du 27 septembre suivant ont écrit qu'à «'défaut d'écrit clair et précis avant ce soir 17h concernant notre activité d'achats en bloc commercialisés en priorité par Valority, financés par Optméa Crédit et gérés par Les Belles Années ou Pure Gestion Locative, la poursuite de tous les achats en bloc en cours de négociation, notre accord deviendra caduque'»;

alors que la réunion de travail sur la mise au point de la documentation juridique était fixée au 20 octobre 2017, les cédants ont reçu les projets de cette documentation le 19 octobre 2017 au soir;

à l'issue d'une réunion le 30 octobre 2017 au cours de laquelle les cédants avaient remis une nouvelle évaluation du Groupe Valority, les acquéreurs leur ont écrit le lendemain pour leur rappeler le caractère définitif de l'accord du 12 septembre 2017 s'agissant du prix, que la portée de la clause de non concurrence «'sur laquelle il n'y avait au fond, pas de réelle divergence d'appréciation entre nous'» avait été réglée, qu'il n'y avait pas «'d'éléments bloquants'» dénoncés par leur conseil, que les démarches sociales de part et d'autre étaient déjà très avancées et qu'une volte-face de leur part les amèneraient à faire valoir leurs droits, notamment en vue d'obtenir l'exécution forcée des obligations auxquelles ils s'étaient engagés';

le 8 novembre 2017, les cédants répondaient que leur conseil ne pouvait pas avoir déclaré à l'acquéreur «'l'absence d'éléments bloquants'» n'ayant pas été en mesure de prendre connaissance des projets de contrat de cession d'actions, de promesse de vente et d'achat qu'ils avaient eux-mêmes reçus le 30 octobre 2017 à 20h et qu'ils lui avaient transmis pour information le 31 octobre 2017, et soutenant que la lettre d'offre ferme signée le 12 septembre 2017 ne valait pas accord définitif, développaient les points figurant dans la documentation juridique transmise qu'ils estimaient ne pas être conformes à la lettre d'intention [ comprendre celle du 12 septembre 2017], qu'il s'agisse des engagements de non concurrence( par exemple sanction du moindre manquement à cet engagement, même involontaire par une indemnité de 10'% du prix définitif ce qui reviendrait à dispenser l'acquéreur de ne pas payer le crédit vendeur, crédit dont la dégressivité annuelle prévue dans la lettre d'intention n'a pas été reprise dans le projet de documentation juridique), de la garantie d'actif et de passif (exemple': de nombreuses déclarations sont inacceptables ou inadaptées), du contrat de cession d'actions (exemple': compléments de prix pas déterminés de la même façon que celle prévue par la lettre d'intention)'; les cédants expliquaient en outre avoir évoqué la question de la valorisation du Groupe Valority après avoir constaté la défiance de l'acquéreur à leur égard, estimant avoir «'la quasi-certitude, dans ces conditions, de ne jamais percevoir la totalité du prix de cession prévu'», non sans rappeler leurs efforts déployés depuis près d'un an.

le 9 novembre 2017, les acquéreurs répondaient que les projets des documents contractuels n'étaient pas des contrats d'adhésion et qu'ils «'étaient ouverts à toute modification qui reprendra strictement les termes de notre accord tel qu'il est prévu dans la lettre du 12 septembre 2017'», disant «'constater avec satisfaction qu'ils [les points de discussion] ne remettaient en cause que des éléments qui ne me paraissent pas essentiels à la concrétisation de notre accord sur la vente telle que nous l'avons prévue'»'; ils se disaient prêts à signer le 15 novembre 2017 le contrat de vente, donnant rendez-vous le 10 novembre pour finaliser l'ensemble des documents contractuels';

le 13 novembre 2017, les parties initiaient les contours de nouvelles discussions après l'échec des négociations le 10 novembre 2017;

le 15 novembre 2017, le conseil des cédants propose à celui des acquéreurs de proroger la période d'exclusivité jusqu'au 22 novembre 2017, lesquels ont accepté'«'afin de finaliser la documentation contractuelle pour le 22 novembre 2017'» ';

le 21 novembre 2017, à 17h25, le conseil des acquéreurs envoyait un courriel à celui des cédants pour confirmer la réunion du 22 novembre 2017, disant constater que la finalisation de la documentation contractuelle à la veille de cette date prévue pour la signature des accords permettant l'exécution de l'accord intervenu le 12 septembre 2017 malgré les efforts de son client pour satisfaire les demandes des cédants et proposer que les corrections sur les projets soient faites en séance, lors de la réunion prévue le lendemain'; il écrivait notamment «'il me semble en effet que les points de divergence encore en suspens ne correspondent pas à des désaccords rédactionnels, mais plutôt à des incompréhensions de part et d'autre qui pourraient être aisément dissipées par une discussion de nos clients respectifs en notre présence, pour s'assurer qu'ils se comprennent bien, ce sur quoi, j'ai quelques doutes'».

le 21 novembre 2017, le conseil des cédants adressait par courriel sa réponse à 19 h 58 disant «'compte tenu des points de divergence subsistants entre nos clients, et bloquants à ce stade, nous vous informons que nous ne pourrons pas être présents demain matin au rendez-vous que vous avez fixé'»';

par courrier du 23 novembre 2017, les cédants informaient les acquéreursqu'ils se considéraient déliés de tout engagement à leur égard, sous réserve de l'obligation de confidentialité prévue dans la lettre du 12 septembre 2017 en faisant valoir (en substance) que':

la lettre du 9 novembre 2017 des acquéreurs confortait leur ressenti, à savoir que ceux-ci n'entendaient pas manifestement reconnaître et sous-estimait l'état réel de la situation et leurs désaccords,

leur conseil avait élaboré et adressé le 18 novembre 2017 à ceux-ci un nouveau projet de documentation juridique à la suite de leurs discussions le 10 novembre 2017, sans obtenir de retour sur ce projet si ce n'est une injonction pour un rendez-vous de signature fixé au 22 novembre 2017';

par courrier en réponse du 27 novembre 2017, les acquéreurs reprochaient aux cédants leur volonté de revenir sur les conditions économiques de l'opération définie dans la lettre du 12 septembre 2017 sous le prétexte d'une perte de confiance, ainsi que leur inertie depuis cette date, signifiant que les conditions de l'opération requises par ceux-ci étaient «'tellement éloignées de notre accord du 12 septembre 2017 qu'il convenait de nous réunir au plus vite pour tenter de converger à un contrat revenant à l'épure de notre accord'»'; ils ajoutaient que le report de la date du 15 novembre 2017 au 22 novembre suivant n'était destiné qu'à organiser la rupture des négociations et d'en gommer le caractère particulièrement brutal';

par courrier du 4 décembre 2017, les cédants, rappelant leur désaccord exprimé dans leur courrier du 8 novembre 2017, concluaient que «'personne ne peut nous contraindre à céder notre groupe à des conditions qui ne nous satisfont pas, même au Groupe Altarea Cogedim'».

Il résulte de ces échanges tels que rapportés ci-dessus -quasi in extenso- et des pièces communiquées que dès les jours ayant suivis la signature de la lettre d'offre définitive, les parties étaient en désaccord, les cédants discutant notamment le prix, la clause de non concurrence, sans que les documents contractuels puissent être rédigés sur la base d'un accord commun.

A cet égard, il n'est pas fautif de la part des cédants d'avoir sollicité expressément des modifications, corrections ou ajouts aux projets de contrat, le propre des pourparlers étant de permettre aux parties de discuter et négocier afin d'aboutir à la finalisation d'un projet recueillant leur assentiment commun.

En tout état de cause, et même si quelques points d'accord avaient pu être trouvés, il n'est pas établi que les négociations étaient suffisamment avancées et abouties au jour de la rupture des pourparlers, pour faire croire à la conclusion imminente et certaine du contrat de cession, voire même qu'un accord complet permettant de régulariser la cession envisagée avait été finalisé, le conseil des acquéreurs écrivant lui-même le 21 novembre 2017 qu'il subsistait des points de divergence entre les parties et qu'il n'était pas certain qu'elles se comprennent mutuellement.

Sans plus ample discussion, il est jugé que les cédants n'ont pas commis de faute dans les négociations, les premiers juges ayant justement retenu que les cédants pouvaient de bonne foi discuter le prix de cession en se prévalant d'une étude sur la revalorisation de leurs sociétés, sans remettre en cause les acquis de la négociation, dès lors qu'il n'existait pas d'accord sur un prix ferme et définitif en l'état de la lettre d'offre ferme du 12 septembre 2017.

Ils n'ont pas davantage commis de faute en prenant l'initiative de mettre fin aux négociations en ne se rendant pas à la réunion du 22 novembre 2017 dès lors qu'ils n'avaient pas été entendus dans certaines de leurs demandes et propositions à l'issue de longs mois de pourparlers, les acquéreurs ayant':

- d'une part, donné à croire seulement en apparence qu'ils étaient ouverts à toutes modifications, alors qu'ils n'acceptaient que des modifications qui reprendraient «'strictement'» les termes de la lettre d'offre ferme du 12 septembre 2017, ou encore qu'ils entendaient finaliser «'un contrat revenant à l'épure de notre accord'», persistant à tort à considérer que cette lettre valait engagement ferme et définitif des cédants à l'égard de toutes ses dispositions,

- d'autre part, minimisé l'importance et la nature substantielle des points de désaccord exprimés par les cédants, les disant «pas essentiels à la concrétisation de notre accord sur la vente'».

Le jugement déféré est en conséquence confirmé sur le rejet des demandes des acquéreurs fondées sur la rupture fautive des pourparlers par les cédants, y compris leurs demandes indemnitaires subséquentes.

Sur l'appel incident

Les cédants ne sont pas plus fondés en appel qu'en première instance à réclamer paiement de 200'000€ chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, cette prétention n'étant étayée par aucune offre de preuve quant à l'intention malicieuse de l'acquéreur et pas davantage quant à la nature et l'étendue du préjudice allégué.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant dans leur prétentions, les acquéreurs doivent supporter les dépens de première instance et d'appel ainsi que les frais irrépétibles qu'ils ont exposés et verser aux cédants une indemnité de procédure en appel qui sera globale dès lors qu'ils ont assuré une défense commune.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, et par arrêt contradictoire,

Disant l'appel recevable,

Confirme le jugement déféré sauf sur les dépens,

Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,

Condamne in solidum la SCA Altarea, la SNC Cogedim Gestion et la SNC Altarea Management à payer à la SAS Financière Romana, la SAS Danae Patrimoine, la SAS V France venant aux droits de Valority France, Mme [Z] [T] et M. [C] [U] une indemnité de procédure globale de 10'000€ pour la cause d'appel,

Déboute la SCA Altarea, la SNC Cogedim Gestion et la SNC Altarea Management de leur demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne in solidum la SCA Altarea, la SNC Cogedim Gestion et la SNC Altarea Management aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre a
Numéro d'arrêt : 19/06208
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;19.06208 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award